Les Quarante Médaillons de l’Académie/08

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VIII

M. DE RÉMUSAT

En France, maintenant, quand un esprit est sur le point de ne pas être, on dit qu’il est fin. C’est devenu un éloge honteux. M. de Rémusat a eu longtemps cette réputation d’esprit fin, parce qu’il était grêle… Il a vu jouer le billard chez madame de Staël, et il s’est cru son coup de queue. Dans son premier livre, et son meilleur, sur l’histoire de la philosophie, il a évidemment imité la phrase à aperçus de cette femme, plus homme que lui ; mais cette imitation, ce staëlisme-Ruolz a fatigué bien vite cet esprit mou, sans fécondité réelle, sans verdeur, ni couleur, ni chaleur, ni saveur, et il est retombé au style de son tempérament qui ne lui permet pas les excès. M. de Rémusat a la chlorose de l’esprit. Je le lègue à Baudelaire ! Aussi est-il (M. de Rémusat) une des plumes les plus honorablement incolores de la Revue des Deux Mondes et les plus chères à l’œil unique de M. Buloz. On dirait que, quand il écrit, M. de Rémusat a toujours en pensée le pauvre œil dont il faut ménager la faiblesse. En philosophie, M. de Rémusat s’est interdit d’être un penseur. C’est un éclectique et un biographe. Il a touché, sans trembler, aux plus grosses têtes avec ses petites mains, un peu fates à Bacon, Descartes, Joseph de Maistre, etc., etc. Une fois même, il fit tout un livre sur saint Anselme ; mais il a été déconcerté par le capuchon de cette tête métaphysique, et il n’a rien compris à la grandeur de ce moine, plus grand encore par la règle et l’esprit de son Ordre que par sa propre pensée. Non, ce qui sied à M. de Rémusat, c’est la Revue des Deux Mondes. Comme dirait M. Veuillot, M. de Rémusat est l’honneur de ce champ de navets. Quel fier philosophe pour M. de Mars !!! Il paraît que la passion longtemps somnolente est venue à la fin dans ce tempérament de nénufar. C’est la passion politique. M. de Rémusat est un des ministres sans emploi, interné à l’Académie, cette Salpêtrière de ministres tombés et de parlementaires invalides dont l’orléanisme est incurable.