Les Quarante Médaillons de l’Académie/22

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XXII

M. VICTOR HUGO

C’est bien derrière M. Viennet qu’il faut placer M. Hugo, le chef de parti littéraire, l’homme du romantisme et de la préface de Cromwell, pour avoir une idée juste de cette énormité : M. Victor Hugo à l’Académie ! Au moins le duc de Guise fut assassiné par Henri III, et quand il fut tombé dagué par les Quarante-Cinq, le roi dit, tout pâle : « Je ne le croyais pas si grand, » ce que M. Viennet n’a pas, certes, dit, quand il a vu M. Hugo, qu’aucun des Quarante n’était de force à tuer, humilié à terre devant lui sur le parquet ciré de l’Académie. Ce jour-là, où était la fierté de la Muse romantique ? Ce jour-là, l’homme qui s’est tant moqué des ailes de pigeon en a mis. M. Victor Hugo a démoralisé, par son exemple, cet enfant d’Alfred de Musset, qui, lui aussi, a accepté le caparaçon académique sous lequel nous l’avons vu si tristement baisser la tête. C’était un bât sur le dos d’Ariel ! Comme il y a en littérature des questions d’honneur autant que partout, quelle réponse fera l’histoire littéraire de l’avenir à la question de savoir pourquoi M. Victor Hugo a sollicité d’être académicien, et a fait trente-neuf visites à des gens dont il méprisait littérairement pour le moins trente-sept. Si sévère qu’on soit pour un grand talent qui a ses défauts et même ses vices, il n’est pas moins certain qu’il y a disproportion du contenu au contenant, quand on voit M. Hugo à l’Académie, et que la racine d’un chêne n’est pas de taille à tenir dans un vieux pot à cornichons !… Quel motif a donc pu décider M. Hugo ?… Est-ce la vanité, plus forte que l’orgueil, ce jour-là ?… Est-ce l’amour du costume, de ce costume qu’avait porté le grand Empereur ? En le voyant sur ses épaules, M. Victor Hugo, qui n’était pas républicain alors, se croyait peut-être un peu Bonaparte… Sont-ce les douze cents francs de jetons de présence ? Enfin, quoi ?… Du reste, quand on n’a que soi pour tout principe, on fait toutes les fautes sans en avoir conscience. César de décadence en littérature, M. Victor Hugo, comme les Césars de la décadence, se croit dieu. Il ne pense donc pas qu’il puisse compromettre jamais son essence divine. Cela l’innocente, mais à quel prix ?