Les Quarante Médaillons de l’Académie/25

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XXV

M. VILLEMAIN

Puisque j’ai parlé de M. Villemain d’une manière si honorable pour son caractère et pour sa gloire, finissons-en sur ce vieux Prix d’honneur, et demandons-nous une bonne fois ce qu’il a fait pour qu’on le regarde encore à cette heure comme l’homme le plus spirituel de France et de l’Académie…

Ce qu’il a fait, le voici :

D’abord, un Éloge de Montaigne et un autre de Montesquieu, où l’esprit médiocre de l’Académie se retrouva assez pour se couronner. Ensuite, un Essai de critique dans lequel M. Villemain, ce critique sans criterium, parlait des lois du goût comme eût pu le faire le Batteux. C’était, au dix-neuvième siècle, inférieur, comme toute critique qui ne s’appuie pas sur une métaphysique robuste. Or, M. Villemain, ce nez à l’ouest, comme disait si drôlement Balzac, n’eut jamais de métaphysique… Avec ce nez, c’est impossible ! Ajoutez un Cours d’éloquence, qui eut du succès pour deux raisons : — la première, parce qu’il avait de l’écho dans les passions politiques du temps ; la seconde, parce que M. Villemain traduisait, dans ce Cours d’éloquence, les orateurs anglais, alors très-peu connus, — mais au fond, si vous voulez y descendre, ce Cours est d’une platitude de jugement que ne peut couvrir cette phraséologie élégante qu’eut Lemontey avant M. Villemain ; Lemontey, très-supérieur à M. Villemain dans la même école ; Lemontey, qui a au moins la grâce dans la pensée, d’un homme qui a aimé les femmes, tandis que M. Villemain est un Lemontey gauche et pédant, qui n’a jamais connu d’autres jupes que son jupon de professeur.

Il publia aussi dans ce temps-là (c’était le temps de sa jeunesse) une dissertation sur Lascaris, illisible maintenant que nous avons jaugé le quatorzième, le quinzième et le seizième siècle. Il fut encore plus chétif sur les Pères de l’Église que sur les Orateurs anglais. Comment le bel esprit d’Université, qui n’a rien compris à l’âme des deux Pitt, pouvait-il comprendre quelque chose aux âmes bien autrement grandes des régénérateurs du monde ? Le malheureux n’a jamais jugé les Pères de l’Église que comme des rhéteurs habiles, des modèles d’orateur. Esprit mesquin qui plus tard ne conçut pas plus Cromwell que saint Grégoire de Nazianze. Un jour, il eut (sous l’empire de quelle idée ?) une velléité d’historien, et il annonça qu’il allait préparer une Histoire de Grégoire VII ; mais M. d’Eckstein, l’auteur du Catholique, qui vivait alors, un terrible sire d’érudition et de principes, le lui défendit, sous peine d’examen, et l’intrépide auteur resta coi sous cette menace, comme sous le parapluie de M. Sainte-Beuve. Enfin, dans ces derniers temps, il publia les Mémoires de Narbonne, dont il avait été le secrétaire, et les siens en 1815. Livre où l’allusion, fine à force de peur, essaye de pincer l’Empire à la peau.

Telle est l’œuvre de M. Villemain. Où est dans tout cela la raison suffisante pour faire de lui, littérairement, plus qu’une médiocrité cultivée, un bel-appris, mais pas davantage, et pour le donner à la France comme un homme dont la vivacité d’esprit touche au génie ? En conversation, n’a-t-on pas fait de M. Villemain un homme de puissante repartie, une espèce de Rivarol II ! Mais l’écrivain aux cahiers d’expression, qui cueille dans les livres qu’il lit des expressions et des images dont il est incapable et qui les réduit en une espèce de poudre étincelante pour la jeter, après coup, sur ce qu’il écrit, oui, l’homme d’une si lâche méthode doit aussi préparer et travailler de longue main les reparties qu’on lui attribue. Chez M. Villemain, le charlatan de style doit toujours être embusqué sous le causeur… À quoi donc tient le genre de gloire dont M. Villemain jouit en paix depuis soixante années, — car cet homme nul fut un enfant célèbre, — et que rien ne peut altérer, même les rapports séniles qu’il fait chaque année comme secrétaire perpétuel de l’Académie ?… Il a beau les faire ternes et d’une rhétorique impuissante, le pli est pris, le vase est imbibé. Ils sont toujours brillants, quand on en parle dans les salons et dans les journaux ! Spirituel et brillant, voilà la double épithète inféodée au genre de talent de M. Villemain par ces moutons de Panurge qui bêlent toujours dans la même note. Eh bien ! je crois savoir pourquoi cette éternelle réussite, cette gageure inouïe contre la vérité ! Les moutons de Panurge, pour des moutons, ont leur petite rouerie. Ils veulent peut-être un jour, en leur qualité de moutons, entrer à l’Académie, et ils savent bien que M. Villemain en tient la clavette.

C’est, en effet, le maître de céans. Je crois que, comme la femme de ce représentant qui disait « mon peuple, » M. Villemain pourrait dire « mon Académie. » Il y demeure ; c’est sa coquille, son canonicat, son fromage de Hollande. Tout le monde y souffre la prépotence de ce nez à l’ouest, qui a de la vrille dans l’esprit : les uns parce que les passions de M. Villemain sont rendues plus vives par sa conformation physiologique, laquelle exaspère les gens qui l’ont ; les autres par une indolence méprisante, comme Lamartine, qui ne vient pas même toucher ses jetons de présence ! M. Cousin lui-même, le coup de vent, l’homme sonore qui fait des bruits tonitruants, n’a pas contre l’Empire le degré de passion repliée, profonde et persistante de M. Villemain. M. Cousin s’évanouit dans le bruit qu’il fait. Ministre tombé, comme M. Cousin d’ailleurs, M. Villemain le vaut par le rang politique, qui a une si grande influence à cette Académie littéraire depuis si longtemps détournée du but de son institution ! Il a la rage des mêmes regrets parlementaires. Seul, M. Guizot, l’inventeur de cette catapulte de la fusion, l’ancien président du Conseil, et dont la Toison d’or fait un bel effet décoratif les jours de solennité à l’Académie, pourrait lutter d’influence avec M. Villemain. Mais M. Guizot a une ambition moins chatte que celle de M. Villemain. Dans le temps que M. Guizot était au pouvoir, sous les d’Orléans, pourvu qu’il dît à la tribune « le gouvernement du roi, » et, les bons jours, « notre gouvernement, » il avait des jouissances, — les seules jouissances qui soient dans sa nature, et c’est de même à l’Académie. Pour peu qu’il perche sur quelque grand mot de moralité, d’alliance entre l’ordre et la liberté, etc., etc., il est content, et il laisse M. Villemain tout arranger autour de lui dans l’intérêt de ces passions orléanistes qu’il partage. C’est cette souveraineté à l’Académie qui empêche qu’on ne touche à la vieille gloire de M. Villemain. Nous laissons cette momie qui peut remuer contre nous, et nous disons qu’elle est brillante. Tenez ! voilà M. Francisque Sarcey qui vient de se croiser contre moi[1] à propos de M. Cousin, l’officier d’état-major de M. Villemain à l’Académie ; mais je suis persuadé qu’il va élever bien autrement la voix de son bon sens contre mon imprudence et ma folie. Talent, comme on sait, abondant et onctueux, M. Sarcey, qui a de l’onction à en revendre aux autres, n’a point mon opinion sur M. de Sacy, lequel est pour moi un petit bâton de cornouiller, et pour lui l’arbre qui distille le baume et la myrrhe. Que ne dira-t-il pas, contrairement à moi, de M. Villemain ?… Car les gens qui désirent entrer dans cette bonne maison des Débats désirent encore plus fort entrer à l’Académie. C’est le salon et c’est l’antichambre qui y mène, que l’Académie et le Journal des Débats !

Enfin, une autre grande raison encore de la solidité de la gloire de M. Villemain, c’est la position toute-puissante qu’il eut si longtemps dans l’Université. Mère Gigogne de professeurs, qui en a tant pondu à tous les degrés de la hiérarchie universitaire, M. Villemain a appris à ces gens-là, qui stylent nos enfants depuis tant d’années, que M. Villemain est le brillant et spirituel M. Villemain. L’épithète-momie est restée à poste fixe sur le bec de tant de perroquets ! M. Villemain, tout à l’heure, est à sa troisième génération de perroquets, mais à la quatrième ce sera fini probablement. M. Villemain ne vivra pas comme Mathusalem, et alors l’histoire littéraire le jugera comme il le mérite, c’est-à-dire indigne d’être lu.




  1. Dans le Nain Jaune où ces Médaillons ont déjà paru.