Les Quarante Médaillons de l’Académie/26

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XXVI

M. PROSPER MÉRIMÉE

Encore un romantique à l’Académie ! cette contradiction à laquelle je ne me ferai jamais ! M. Prosper Mérimée est un romantique de la première heure, un des plus vaillants, un des plus marquants. Talent brillant et noir comme l’Espagne qu’il a peinte et d’un raffiné qui va jusqu’à la scélératesse. Il y a du Goya dans M. Mérimée. Son meilleur ouvrage est encore le théâtre de Clara Gazul. Très-supérieur, selon moi, à Colomba, beaucoup plus vantée ; car dans ce pays tempéré, si peu fait pour les arts, ce qu’on aime le plus, c’est la manière adoucie d’un homme, ce n’est pas sa manière acharnée qui prouve son génie. M. Mérimée procède d’un homme beaucoup plus fort que lui. C’est Stendhal, l’auteur du Rouge et Noir. Il est son diminutif et presque son disciple. Cependant, il faut être juste, Stendhal, malgré son immense talent, n’aurait pas fait le théâtre de Clara Gazul.

C’est par l’invention que Stendhal domine M. Mérimée ; mais M. Mérimée est un exécutant plus habile, un virtuose plus profond. Tous les deux ont pour défauts extrêmes la sécheresse, la maigreur, la concentration recuite. Violents dans la sobriété, ils veulent faire avant tout les positifs, et ils finissent par devenir disgracieux et faux. Comme Stendhal, M. Mérimée est un athée discret, un Fontenelle sinistre. Il n’aurait jamais, lui, au café de la Régence, les colères contre Dieu de M. Sainte-Beuve. Homme d’esprit politique qui sait diriger les relations de sa vie. Du fond de son épicuréisme il prend, comme Stendhal, des décisions nettes, rapides, presque militaires. Gens qui seraient de première force, si les principes moraux étaient des plaisanteries ! Comme Stendhal encore, M. Mérimée a le mépris le plus honorable pour tout ce qui est vulgaire ; mais c’est un mépris gouverné, qui ne l’a pas empêché d’entrer dans une Compagnie où les grands talents, par le fait qu’ils y sont, y sont déplacés.