Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Marc/09

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 210-215).
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saint Marc


CHAPITRE IX


TRANSFIGURATION (Matth., xvii, 1 sv. ; Luc, ix, 28 sv.) — AVÈNEMENT D’ÉLIE (ibid.). — GUÉRISON D’UN POSSÉDÉ (ibid.). — PASSION PRÉDITE (ibid.). — QUI SERA LE PLUS GRAND (Matth., xviii, 1 sv. ; Luc, ix, 46 sv.). — LE SCANDALE (Matth., xviii, 6 ; Luc, xvii, 2 sv.).


1 Six jours après, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les conduisit sur une haute montagne, seuls, en un lieu écarté ; et il fut transfiguré devant eux. Ses vêtements devinrent resplendissants et blancs comme la neige, d’une blancheur telle qu’aucun foulon sur la terre ne saurait l’égaler. Et Élie et Moïse leur apparurent conversant avec Jésus. Prenant la parole, Pierre dit à Jésus : Maître, il nous est bon d’être ici ; faisons trois tentes, une pour vous, une pour Moïse et une pour Élie. Il ne savait ce qu’il disait, car ils étaient saisis de crainte. Et une nuée les couvrit de son ombre, et de la nuée sortit une voix qui disait : Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; écoutez-le. Aussitôt, regardant tout autour, ils ne virent plus personne, si ce n’est Jésus seul avec eux. Comme ils descendaient de la montagne, il leur défendit de raconter à personne ce qu’ils avaient vu, jusqu’à ce que le Fils de l’homme fût ressuscité d’entre les morts. Et ils retinrent cette parole en eux-mêmes[1], se demandant ce que voulait dire : Jusqu’à ce qu’il soit ressuscité d’entre les morts.

10 Ils l’interrogèrent alors et lui dirent : Pourquoi donc[2] les Pharisiens et les Scribes disent-ils qu’il faut qu’Élie vienne auparavant ? Il leur répondit : Élie viendra auparavant, et rétablira toutes choses[3] ; et il faut aussi que ce qui est écrit du Fils de l’homme s’accomplisse, qu’il souffre beaucoup et soit méprisé. Mais je vous le dis, Élie est déjà venu (et ils lui ont fait tout ce qu’ils ont voulu), ainsi qu’il est écrit de lui[4].

13 Étant retourné vers ses disciples[5], il vit autour d’eux une grande foule, et des Scribes disputant avec eux. Et aussitôt tout le peuple, voyant Jésus, fut saisi d’étonnement et de frayeur[6], et accourant, ils le saluaient. Et il leur demanda : De quoi disputez-vous ensemble ? Un homme de la foule répondit : Maître, je vous ai amené mon fils, qui est possédé d’un esprit muet[7]. Partout où l’esprit s’empare de lui, il le jette contre terre, et l’enfant écume et grince des dents, et il se dessèche ; j’ai dit à vos disciples de le chasser, et ils ne l’ont pu. Jésus s’adressant à eux, dit : O race incrédule, jusques à quand serai-je avec vous ? Jusques à quand vous souffrirai-je[8] ? Amenez-le moi. Et ils le lui amenèrent. Et sitôt qu’il eut vu Jésus, l’esprit le tourmenta, et, jeté contre terre, il se roulait en écumant. Jésus demanda au père de l’enfant : Combien y a-t-il de temps que cela lui arrive ? Depuis son enfance, dit le père. Souvent l’esprit le jette dans le feu et dans l’eau pour le faire périr ; si vous pouvez quelque chose, ayez pitié de nous et nous secourez. Jésus lui dit : Si vous pouvez croire, tout est possible à celui qui croit. Aussitôt le père de l’enfant s’écria, disant avec larmes : Je crois, Seigneur ; aidez mon incrédulité. Et Jésus, voyant le peuple qui accourait en foule, menaça l’esprit impur, lui disant : Esprit sourd et muet, je te le commande, sors de cet enfant, et ne rentre plus en lui. Alors poussant un grand cri, et l’agitant avec violence, il sortit de l’enfant, qui devint comme mort, de sorte que plusieurs disaient : Il est mort. Mais Jésus le prenant par la main et le soulevant, il se leva. Lorsqu’il fut entré dans la maison, ses disciples lui demandèrent : Pourquoi n’avons-nous pu le chasser ? Il leur dit : Cette sorte d’esprit ne peut être chassé que par la prière et le jeûne[9].

29 Étant partis de là, ils traversèrent la Galilée, et il voulait que personne ne le sût. Cependant il enseignait ses disciples et leur disait : Le Fils de l’homme sera livré entre les mains des hommes, et ils le feront mourir, et le troisième[10] jour après sa mort il ressuscitera. Mais ils ne comprenaient point cette parole, et ils craignaient de l’interroger[11].

32 Ils vinrent ensuite à Capharnaüm[12], et lorsqu’ils furent dans la maison, il leur demanda : De quoi parliez-vous en chemin ? Mais ils se taisaient parce qu’ils avaient dans le chemin disputé ensemble qui d’entre eux était le plus grand. Et s’étant assis, il appela les Douze et leur dit : Celui qui veut être le premier se fera le dernier de tous, et le serviteur de tous. Et prenant un enfant, il le mit au milieu d’eux ; et, après l’avoir embrassé, il leur dit[13] : Quiconque[14] reçoit en mon nom un enfant comme celui-ci me reçoit ; et quiconque me reçoit, ce n’est pas moi qu’il reçoit, mais celui qui m’a envoyé.

37 Jean, prenant la parole[15], lui dit : Nous avons vu quelqu’un qui chassait les démons en votre nom, et qui ne vous suit pas, et nous l’en avons empêché. Ne l’en empêchez point, dit Jésus ; car personne ne peut faire de miracle en mon nom, et aussitôt après parler mal de moi. Car qui n’est pas contre vous, est pour vous. Et quiconque vous donnera un verre d’eau en mon nom, parce que vous êtes au Christ, en vérité, je vous le dis, il ne perdra pas sa récompense[16].

41 Et quiconque scandalisera un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu’on lui attachât au cou la meule qu’un âne tourne, et qu’on le jetât dans la mer. Que si votre main vous scandalise[17], coupez-la : il vaut mieux pour vous entrer mutilé dans la vie, que d’aller, ayant deux mains, dans la géhenne, dans le feu inextinguible, où leur ver ne meurt point, et où le feu ne s’éteint jamais. Et si votre pied vous scandalise, coupez-le : il vaut mieux pour vous entrer boiteux dans la vie éternelle, que d’être jeté, ayant deux pieds, dans la géhenne du feu inextinguible, où leur ver ne meurt point, et où le feu ne s’éteint jamais. Et si votre œil vous scandalise, arrachez-le : il vaut mieux pour vous entrer avec un seul œil dans le royaume de Dieu, que d’être jeté, ayant deux yeux, dans la géhenne du feu, où leur ver ne meurt point, et où le feu ne s’éteint jamais. Car tous seront salés par le feu, comme toute victime doit être salée par le sel[18]. Le sel est bon ; mais si le sel s’affadit, avec quoi lui donnerez-vous de la saveur[19] ? Ayez en vous ce sel, et gardez la paix entre vous[20].

  1. C’est-à-dire l’imprimèrent dans leur mémoire, Meyer ; Fritzche : sans la communiquer à d’autres. Le premier sens nous paraît plus naturel. — Ils ne comprenaient sans doute pas encore qu’il fallait que le Christ souffrît et mourût.
  2. Donc se rapporte aux derniers mots du chap. précédent. Les Apôtres ont vu le règne ou le royaume de Dieu dans sa puissance (Notre-Seigneur transfiguré), et ils se demandent où est Élie qui doit précéder son avénement.
  3. C’est-à-dire fera que les Israélites se convertissent et reconnaissent Jésus pour le Messie (Malach., iv, 6). Mais auparavant doit s’accomplir une autre parole des Écritures annonçant la passion et la mort du Christ.
  4. Au reste Élie, qui viendra en personne pour préparer mon second avénement, est venu, dans la personne de Jean-Baptiste, préparer la voie à mon premier avénement.
  5. Le lendemain de la transfiguration, dit saint Luc (ix, 37).
  6. Le visage de Jésus conservait sans doute encore un reflet de la gloire de sa transfiguration. Meyer.
  7. D’un démon qui le rend muet et épileptique (Matth., xix, 14).
  8. Jésus reproche au peuple son incrédulité, qui avait mis obstacle au miracle.
  9. Le jeûne soumet la chair à l’esprit, la prière unit l’âme à Dieu : ainsi, l’homme devient un ange qui commande à la chair et au démon. Eusébe d’Emèse. Le P. Patrizzi remarque que ces deux moyens ne sont pas moins nécessaires au possédé qu’à l’exorciste.
  10. On voit en quel sens Notre-Seigneur dit ailleurs, qu’il restera trois jours et trois nuits dans le tombeau.
  11. Ce qu’ils ne comprenaient pas, c’était moins les paroles que la chose elle-même, savoir, comment celui qu’ils regardaient comme le Fils de Dieu, viendrait à souffrir et à mourir. « Tant ils s’étaient, dit Bossuet, rempli l’imagination des opinions judaïques touchant le règne pompeux de leur Messie. »
  12. Vers la fin de l’été de l’an 28 de l’ère vulgaire. Comp. Matth., xvii, 23.
  13. Suppléer ici les vers. 3 et 4 de saint Matthieu, xviii.
  14. Mais ces disciples humbles et petits comme des enfants, je veux qu’on les accueille et qu’on les honore.
  15. Les vers. 37 sv., sont une digression occasionnée par une question de saint Jean.
  16. Ce verset, dit le père Patrizzi, fait partie de la digression qui commence au vers. 37, et signifie : Si un verre d’eau froide donné en mon nom ne doit pas rester sans récompense, à plus forte raison l’acte de celui qui aura, en mon nom, chassé les démons.
  17. Notre-Seigneur passe du particulier au général.
  18. Le feu conservera le corps des damnés, comme le sel ici-bas préserve de la corruption ; il les brûlera sans les consumer. Ainsi s’accomplira, dans ces victimes de la justice, ce qui était commandé dans la loi au sujet des offrandes de farine : « Vous assaisonnerez avec le sel tout ce que vous offrirez en sacrifice. » Lévit, ii, 13. Kenrich.
  19. Cette sentence, qui se trouve Matth, v, 13, ne semble venir ici que parce qu’il est question de sel au vers. 48. Cependant le père Patrizzi la rattache à ce qui précède, en prenant le mot sel dans le sens figuré de pensée de l’enfer.
  20. Cette exhortation à la paix se rapporte au vers. 33.