Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Marc/15

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 239-243).
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saint Marc


CHAPITRE XV


JÉSUS DEVANT PILATE. — BARABBAS. — COURONNE D'ÉPINES. — CALVAIRE. — MORT DE JÉSUS-CHRIST. — SA SÉPULTURE. (Matth. xxvii ; Luc, xxiii ; Jean, xviii, 28 ; xix, 1 sv.)


Dès le matin[1], les Princes des prêtres tinrent conseil avec les Anciens et les Scribes, et tout le Sanhédrin, et liant Jésus, ils l’emmenèrent et le livrèrent à Pilate. Et Pilate l’interrogea[2] : Ètes-vous le roi des Juifs ? Jésus lui répondit : Vous le dites. Et les Princes des prêtres portant contre lui diverses accusations, Pilate l’interrogea de nouveau, disant : Vous ne répondez rien ? Voyez de combien de choses ils vous accusent. Mais Jésus ne répondit plus rien, de sorte que Pilate en était dans l’admiration.

6 Chaque année, à la fête de Pâque, il avait coutume de leur accorder la délivrance d’un prisonnier, de celui qu’ils demandaient. Or, il y avait dans la prison, avec d’autres séditieux, un nommé Barabbas, qui avait tué un homme dans une sédition. Le peuple s’étant donc rassemblé, commença à demander ce qu’il leur accordait toujours[3]. Pilate leur répondit : Voulez-vous que je vous délivre le roi des Juifs ? Car il savait que c’était par envie que les Princes des prêtres l’avaient livré. Mais les Pontifes excitèrent le peuple à demander qu’il leur délivrât plutôt Barabbas. Pilate, leur parlant de nouveau, dit : Que voulez-vous donc que je fasse du roi des Juifs[4] ? Mais de nouveau[5] ils crièrent : Crucifiez-le. Pilate, cependant, leur disait : Mais quel mal a-t-il fait ? Et eux criaient encore plus : Crucifiez-le. Pilate donc, voulant complaire au peuple, leur accorda la délivrance de Barabbas ; et après que Jésus eut été battu de verges[6], il le leur livra pour être crucifié.

16 Les soldats le conduisirent dans la cour du prétoire et rassemblèrent toute la cohorte. Et l’ayant revêtu d’un manteau d’écarlate, ils lui mirent une couronne d’épines entrelacées. Et ils commencèrent à le saluer, disant : Salut, roi des Juifs. Et ils lui frappaient la tête avec un roseau, et ils crachaient sur lui, et fléchissant le genou, ils l’adoraient. Après s’être ainsi joués de lui, ils lui ôtèrent le manteau d’écarlate, lui remirent ses vêtements, et l’emmenèrent pour le crucifier.

21Un certain Simon, de Cyrène, père d’Alexandre et de Rufus[7], passant par là, en revenant de sa maison des champs, ils le contraignirent de porter sa croix. Et ils le conduisirent jusqu’au lieu appelé Golgotha, c’est-à-dire, le lieu du Calvaire. Et ils lui donnèrent à boire du vin mêlé de myrrhe, mais il n’en prit point. Et l’ayant crucifié, ils se partagèrent ses vêtements, les jetant au sort, pour savoir ce que chacun aurait. Il était la troisième heure lorsqu’ils le crucifièrent[8]. Et la cause de son supplice était ainsi écrite : Roi des Juifs[9]. Et ils crucifièrent avec lui deux voleurs, l’un à sa droite, et l’autre à sa gauche ; et cette parole de l’Écriture fut accomplie : Il a été mis au rang des criminels. Et les passants le blasphémaient, branlant la tête et disant : Toi qui détruis le temple de Dieu et le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même, et descends de la croix. Les Princes des prêtres avec les Scribes, le raillant aussi, se disaient l’un à l’autre : Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même. Que le Christ, le roi d’Israël, descende maintenant de la croix, afin que nous voyions et que nous croyions. Et ceux qui avaient été crucifiés avec lui l’outrageaient aussi.

33 A la sixième heure, les ténèbres se répandirent par toute la terre, jusqu’à la neuvième heure. Et, à la neuvième heure, Jésus jeta un grand cri, disant : Eloï, Eloï, lamma Sabacthani, c’est-à-dire, mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné[10] ? Quelques-uns de ceux qui étaient là, l’entendant, disaient : Il appelle Élie. Et l’un d’eux courut emplir une éponge de vinaigre, et l’ayant mise au bout d’un roseau, il la lui présenta pour boire, en disant : Laissez ; voyons si Élie viendra le détacher de la croix. Mais Jésus, ayant jeté un grand cri, expira. Et le voile du temple se déchira en deux, depuis le haut jusqu’en bas. Le centurion qui était debout devant lui, voyant qu’il avait expiré en jetant un grand cri, dit : Vraiment cet homme était Fils de Dieu. Il y avait aussi des femmes qui regardaient de loin, parmi lesquelles étaient Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques le Mineur et de Joseph, et Salomé[11], qui le suivaient lorsqu’il était en Galilée, et pourvoyaient à ce qui lui était nécessaire, et plusieurs autres, qui étaient venues à Jérusalem avec lui.

42 Le soir étant déjà venu, comme c’était la Préparation, ou veille du sabbat, Joseph d’Arimathie, qui était du grand conseil et fort considéré, et qui attendait, lui aussi, le royaume de Dieu, vint hardiment trouver Pilate, et lui demanda le corps de Jésus. Pilate s’étonnait qu’il fût mort sitôt. Il fit venir le centurion, et lui demanda s’il était déjà mort. Lorsqu’il s’en fut assuré par le rapport du centurion, il donna le corps à Joseph. Et Joseph, ayant acheté un linceul[12], détacha Jésus de la croix, l’enveloppa dans le linceul, et le déposa dans un tombeau qui était taillé dans le roc, et roula une pierre à l’entrée du tombeau. Or Marie-Madeleine et Marie, mère de Joseph, regardèrent où on le mettait.

  1. Comp. Luc, xxii, 66-71.
  2. Avant ce vers. 2 il faut placer ce qui est raconté Jean, xviii, 28-29 ; Luc, xxiii, 2 ; Jean, xviii, 33.
  3. En grec : Le peuple commença à demander à grands cris, etc.
  4. En grec : De celui que vous appelez roi des Juifs.
  5. Ils avaient fait entendre ce cri pour la première fois, soit au vers. 8 (texte gr.), soit au vers. 11.
  6. La flagellation et le couronnement d épines eurent lieu après ces mots du vers. 14 : Quel mal a-t-il fait ? Voy. Matth. xxviii, 26, note.
  7. Ce Rufus était à Rome quand saint Marc y composait son Évangile (Rom. xvi, 13).
  8. Comment saint Jean (xix, 14) dit-il qu’il était environ la sixième heure quand Pilate condamna Jésus ? Chez les Hébreux, heure, dit Grotius, il y avait trois heures de la journée particulièrement consacrées à la prière : la troisième, la sixième et la neuvième, et c’étaient celles qui, dans le commun usage, servaient à marquer les divisions du temps : on rapportait à l’une ou à l’autre ce qui se passait dans l’intervalle, Ainsi saint Marc rapporte le crucifiement à la troisième heure, parce qu’il eut lieu entre la troisième et la sixième (entre neuf heures et midi). Vers la sixième la sentence s’exécute, le ciel s’obscurcit ; à la neuvième heure, Jésus expire. Saint Jean, qui ne marque qu’un seul moment pour toute la scène, le prend vers le milieu du temps qu’elle dura. Wallon.
  9. L’inscription complète était : Jésus de Nazareth, roi des Juifs.
  10. Ce sont les premiers mots du Ps. xxi. Saint Matthieu les cite d’après l’hébreu, afin que l’application de ce passage à Notre-Seigneur soit plus évidente ; saint Marc les rapporte en syro-chaldaïque, comme il est probable que Notre-Seigneur les prononça, « Ce n’est que par plaisanterie, ajoute le Père Patrizzi, et non par une erreur véritable, que les Juifs dirent : Il appelle Élie. Car les sons du mot Eloï, et ceux du mot Élie en hébreu, sont si différents, qu’il est impossible de confondre. Mais cette opinion ne nous paraît rien moins que certaine ; les Juifs qui ont pensé à Élie étaient sans doute des Juifs hellénistes, présents à Jérusalem pour la fête. Un rapprochement quelconque dans le son a suffi pour les induire en erreur.
  11. La mère des fils de Zébédée.
  12. Le Père Patrizzi (De Evang. lib. III, diss. l) prouve que les Juifs pouvaient, un jour de fête, acheter un objet, mais sans en débattre ni en payer le prix, et donner la sépulture.