Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Jean/07

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 443-449).
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saint Jean


CHAPITRE VII


JÉSUS VA EN SECRET A LA FÊTE DES TABERNACLES. — IL ENSEIGNE DANS LE TEMPLE. — ON VEUT L’ARRÊTER. — NICODÈME PREND SA DÉFENSE.


Après cela, Jésus parcourut la Galilée, ne voulant point aller en Judée, parce que les Juifs cherchaient à le faire mourir[1]. Or, la fête des Tabernacles étant proche, ses frères lui dirent : Quittez ce pays, et allez en Judée, afin que vos disciples voient les œuvres que vous faites[2] ; car personne n’agit en secret, lorsqu’il désire être connu. Puisque vous faites ces choses[3], , montrez-vous au monde. Car ses frères mêmes ne croyaient pas en lui[4]. Jésus leur dit : Mon temps n’est pas encore venu ; mais voire temps est toujours prêt[5]. Le monde ne saurait vous haïr ; mais il me hait, parce que je rends de lui le témoignage que ses œuvres sont mauvaises. Vous, allez à cette fête ; pour moi, je n’y vais point[6], parce que mon temps n’est pas encore accompli. Ayant dit ces choses, il demeura en Galilée. Et, lorsque ses frères furent partis, il alla aussi lui-même à la fête, non publiquement, mais comme en secret[7].

11 Les Juifs[8] le cherchaient donc durant la fête, et disaient : Où est-il ? Et il courait à son sujet diverses opinions parmi le peuple. Les uns disaient : Il est bon[9]. Non, disaient les autres, il trompe la foule. Cependant personne ne parlait ouvertement en sa faveur, par crainte des Juifs.

14 Vers le milieu de la fête, Jésus monta au temple, et se mit à enseigner[10]. Et les Juifs étonnés disaient : Comment sait-il les Écritures, n’ayant point fréquenté les écoles ? Jésus leur répondit : Ma doctrine n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé. Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu, il reconnaîtra si ma doctrine est de Dieu, ou si je parle de moi-même[11]. Celui qui parle de soi-même, cherche sa propre gloire ; mais qui cherche la gloire de celui qui l’a envoyé, est digne de foi, et il n’y a point en lui d’imposture[12]. Est-ce que Moïse ne vous a pas donné la Loi ? Et néanmoins nul de vous n’accomplit la Loi[13]. Pourquoi, en effet, cherchez-vous à me faire mourir ? Le peuple lui répondit : Vous êtes possédé du démon ; et qui est-ce qui cherche à vous faire mourir[14] ? Jésus leur répondit : J’ai fait une seule chose[15], et vous êtes tous hors de vous-mêmes[16] ? Cependant Moïse vous a donné la circoncision (bien qu’elle soit, non de Moïse, mais des Patriarches), et vous la pratiquez le jour du sabbat. Que si, pour ne pas violer la Loi de Moïse[17], on circoncit le jour du sabbat, comment vous indignez-vous contre moi parce que, le jour du sabbat, j’ai rendu un homme sain dans tout son corps ? Ne jugez point sur l’apparence, mais jugez selon la justice[18].

25 Alors quelques-uns de Jérusalem disaient : N’est-ce pas là celui qu’ils cherchent pour le faire mourir ? Et voilà qu’il parle publiquement sans qu’ils lui disent rien. Les Princes du peuple auraient-ils reconnu qu’il est vraiment le Christ ? Celui-ci, néanmoins, nous savons d’où il est[19] ; mais quand le Christ viendra, personne ne saura d’où il est[20]. Jésus enseignait donc à haute voix dans le temple, disant : Vous me connaissez et savez d’où je suis[21] ; cependant je ne suis pas venu de moi-même ; mais il est véridique celui qui m’a envoyé, et vous ne le connaissez point. Moi je le connais, parce que je suis de lui[22], et qu’il m’a envoyé. Ils cherchaient donc à le prendre ; et personne ne mit la main sur lui, parce que son heure n’était pas encore venue. Mais, d’entre le peuple, beaucoup crurent en lui, et disaient : Quand le Christ viendra, fera-t-il plus de miracles que n’en fait celui-ci ?

32 Les Pharisiens[23] apprirent que le peuple tenait de lui tout bas ces discours, et les Princes des prêtres et les Pharisiens[24] envoyèrent des gardes pour le prendre. Jésus donc leur dit : Je suis encore avec vous un peu de temps, puis je m’en vais à celui qui m’a envoyé. Vous me chercherez[25], et ne me trouverez point, et où je suis[26], vous ne pouvez venir. Les Juifs dirent entre eux : Où donc ira-t-il, que nous ne le trouverons point ? Ira-t-il aux Juifs dispersés parmi les Gentils, et se fera-t-il le Docteur des Gentils[27] ? Qu’est-ce que cette parole qu’il a dite : « Vous me chercherez et ne me trouverez point, et où je suis vous ne pouvez venir ? »

37 Le dernier jour de la fête, qui en est le plus solennel, Jésus debout disait à haute voix[28] : Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive[29]. Celui qui croit en moi, de son sein, comme dit l’Écriture, couleront des fleuves d’eau vive[30]. Il disait cela de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui, car l’Esprit n’avait pas encore été donné, parce que Jésus n’était pas encore glorifié[31]. Parmi la foule qui avait entendu ces paroles, quelques-uns disaient : C’est un véritable Prophète[32]. D’autres : C’est le Christ. Mais, disaient les autres, est-ce que le Christ viendra de Galilée ? L’Écriture ne dit-elle pas : « De la race de David, et de la petite ville de Bethléem, où naquit David, viendra le Christ[33] » ? C’est ainsi que le peuple était partagé à son sujet.

44 Quelques-uns d’entre eux voulaient le prendre ; mais personne ne mit la main sur lui. Lors donc que les gardes revinrent vers les Pontifes et les Pharisiens[34], ceux-ci leur dirent : Pourquoi ne l’avez-vous pas amené ? Les gardes répondirent : Jamais homme n’a parlé comme cet homme. Les Pharisiens leur dirent : Vous a-t-il aussi séduits ? Y a-t-il quelqu’un parmi les Princes du peuple qui ait cru en lui ? Y en a-t-il parmi les Pharisiens[35] ? Pour cette populace, qui ne connaît pas la Loi, ce sont des gens maudits. Nicodème[36], l’un d’entre eux, celui qui était venu de nuit à Jésus, leur dit : Notre Loi condamne-t-elle un homme sans l’avoir entendu, et sans avoir instruit sa cause ? Ils lui répondirent : Est-ce que vous êtes aussi Galiléen ? Lisez avec soin les Écritures, et vous verrez que de la Galilée il ne sort point de Prophète[37].

53 Et ils s’en retournèrent chacun dans sa maison[38].

  1. Notre-Seigneur ne paraît pas avoir été cette année-là (28 de l’ère vulg.) à Jérusalem pour la fête de Pâque. Saint Jean nous transporte à la fête des Tabernacles, qui se célébrait chaque année du 13 au 22 du mois appelé Tisri (septembre-octobre), en mémoire du séjour que les Israélites firent sous des tentes dans le désert d’Arabie (Lév. xxiii, 40 ; Deut. xvi, 13), et en témoignage de reconnaissance pour la récolte des fruits de la terre (Exod. xxiii, 16) ; elle durait huit jours, dont le premier et le dernier étaient très-solennels ; tous les Israélites mâles devaient se rendre à Jérusalem, comme pour la fête de Pâque et celle de la Pentecôte.
  2. Ses frères, voy. Frères de Jésus dans le Vocabulaire. — Vos disciples, ceux de la Judée et de Jérusalem.
  3. Des miracles.
  4. D’une foi ferme et assurée.
  5. Tous les temps vous sont bons, n’ayant rien à craindre à Jérusalem.
  6. Maintenant, comme l’indique le second membre.
  7. Avec un petit nombre de disciples.
  8. Surtout les membres du Sanhédrin.
  9. Véridique ; ce n’est pas un imposteur.
  10. Dans l’une des synagogues voisines du temple.
  11. Première preuve : il en appelle à l’expérience morale.
  12. Deuxième preuve. Ajoutez : Or, je ne recherche point ma gloire, mais celle de mon Père : donc, etc.
  13. Ce vers. se rapporte au dix-septième : Il n’est pas étonnant que vous ne reconnaissiez pas la vérité de ma doctrine, car nul de vous, etc. Ad. Maier. D’autres lient ce vers. au suiv. : Vous n’observez pas la loi, et vous voulez me mettre à mort comme si j’avais violé le sabbat. Comp. v, 8, 16, 18.
  14. Le peuple ignorait le complot ourdi contre Jésus par les membres du Sanhédrin.
  15. J’ai guéri un paralytique le jour du sabbat (v, 8).
  16. Indignés contre moi. Le gr. ajoute, à cause de cela ; mais la Vulg. ayant détaché ces mots du vers. 21 pour les mettre en tête du vers. 22, nous avons dû, au vers. 22, les traduire par cependant.
  17. D’autres : Sans qu’on viole la loi de Moïse, ce qui est également conforme à la grammaire ; mais le sens prohibitif, pour ne pas violer, adopté par Ad. Maier et le P. Patrizzi, est préférable. Il fallait circoncire les enfants mâles le huitième jour, et ce huitième jour coïncidait quelquefois avec le sabbat.
  18. Considérez l’esprit de la loi et l’intention de celui qui agit.
  19. Nous connaissons ses parents et le lieu de son origine.
  20. Quelques passages des Prophètes sur la génération éternelle du Messie, Fils de Dieu, avaient donné lieu à cette croyance populaire (Is. liii, 8 ; Mich. v, 2). Ce sont d’autres Juifs qui parlent au vers. 42.
  21. Concession. Vous connaissez mon visage, mon nom, mes parents, soit ; mais ce que je suis véritablement, vous l’ignorez.
  22. de lui ; et non, comme le veut Ad. Maier, envoyé par lui. Notre-Seigneur ajoute cela, dit saint Augustin, pour montrer aux Juifs par qui ils pourraient apprendre ce qu’ils ignoraient.
  23. Les Pharisiens en général.
  24. Les Pharisiens membres du Sanhédrin.
  25. Card. Tolet : « Par cette recherche du Seigneur il faut entendre, non que les Juifs, après la ruine de leur nation, invoqueront, soit de leur propre mouvement, selon l’opinion de saint Chrysostome, soit forcés par les miracles des Apôtres, comme le veut saint Augustin (et Ad. Maier), Jésus pour leur Sauveur ; — non que les Juifs, comme l’explique Rupert (et Allioli), même après la résurrection, poursuivront encore Jésus de leur haine et chercheront à le faire mourir dans la personne de ses disciples ; — mais que les Juifs, à leur manière et d’après leurs opinions, chercheront le Messie, ce qui est implicitement chercher Jésus, et ne le trouveront point, parce qu’il n’y en a pas d’autre que lui. » Comp. v, 43.
  26. Au ciel, où je suis toujours comme Dieu, et où je serai bientôt comme homme.
  27. Les Juifs regardaient les nations païennes comme indignes de recevoir les enseignements du Messie.
  28. Chacun des jours de la fête des Tabernacles, après le sacrifice du matin, un prêtre allait puiser de l’eau dans une urne d’or à la fontaine de Siloé, qui coulait au pied de la montagne du temple ; puis il l’apportait dans le parvis au son des trompettes, et la répandait sur l’autel, tandis que les autres prêtres et le peuple chantaient ces paroles d’Isaïe : « Avec joie vous puiserez de l’eau aux sources du salut, » c’est-à-dire du Sauveur. (Is. xii, 13.) La signification symbolique de cette libation était, selon quelques rabbins, de demander à Dieu des pluies abondantes ; selon d’autres, elle avait trait, soit à la doctrine bienfaisante du Messie soit à l’effusion de l’Esprit-Saint, fruit de sa venue. C’est sans doute à l’occasion de ce rit que Notre-Seigneur prononça le discours qui suit. Ad. Maier.
  29. Ma doctrine, qu’il s’abreuve de ma grâce et des dons de l’Esprit-Saint.
  30. Plusieurs prophètes ont prédit l’effusion des dons de l’Esprit Saint dans les âmes à l’époque du Messie : Is. xliv, 3 ; Joël, ii, 28 ; Ezéch. xxxvi, 25.
  31. L’union primitive du Saint-Esprit avec le genre humain ayant été rompue par le péché, ce divin Esprit ne pouvait plus être dans le genre humain comme un principe de vie, jusqu’à ce que Jésus-Christ en eût fait disparaître le péché par sa mort, et que lui-même fût glorifié dans le ciel. Le don de l’Esprit-Saint, son effusion dans les âmes devait être le fruit de sa victoire et de sa glorification. Sans doute, dans l’Ancien Testament le Saint-Esprit fut communiqué à plusieurs saints personnages ; mais alors il n’était pas donné à tout le genre humain, mais seulement à des individus, et encore dans une certaine mesure, pour un temps, et non substantiellement, comme le principe de la vie divine. Comp. Matth. iii, 11, note 3.
  32. En gr., le Prophète : comp. i, 21.
  33. Ceux qui parlent ainsi ignorent que Jésus est né à Bethléem ; mais évidemment l’Évangéliste qui rapporte leurs réflexions en est persuadé, et suppose que ses lecteurs le sont comme lui.
  34. Voy. vers. 32.
  35. Membres du Sanhédrin.
  36. Sur Nicodème, voy. iii, 2 sv. ; xix, 39.
  37. En grec, il n’est jamais sorti de Prophéte : ce qui est faux, car Jonas, Elie, Nahum et Osée étaient originaires de la Galilée. Corn. Lapierre.
  38. Ils, les membres du Sanhédrin, s’en retournèrent sans avoir rien fait.