Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Luc/11

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 309-314).
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saint Luc


CHAPITRE XI


ORAISON DOMINICALE (Matth. vi, 9 sv.). — EFFICACITÉ DE LA PRIÈRE (ibid. Matth. vii, 7 sv.). — CE N’EST POINT PAR BEELZÉBUB QUE JÉSUS CHASSE LES DÉMONS (Matth. xii, 22 sv. ; Marc, iii, 22 sv.). — REPROCHES ADRESSÉS AUX PHARISIENS ET AUX SCRIBES (Matth. xxiii).


Un jour que Jésus était en prière en un certain lieu, lorsqu’il eut fini, un de ses disciples lui dit : Seigneur, apprenez-nous à prier, comme Jean l’a appris à ses disciples. Et il leur répondit : Lorsque vous priez, dites : Père, que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive. Donnez-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour, et remettez-nous nos offenses comme nous remettons nous-mêmes à tous ceux qui nous doivent ; et ne nous induisez point en tentation.

5 Il leur dit encore : Si l’un de vous a un ami, et que, l’allant trouver au milieu de la nuit, il lui dise : Mon ami, prêtez-moi trois pains, parce qu’un de mes amis en voyage est arrivé chez moi, et que je n’ai rien à lui donner ; et que, de l’intérieur de la maison, l’autre réponde : Ne m’importunez point ; la porte est fermée, et mes enfants sont au lit comme moi ; je ne saurais me lever et vous rien donner : si néanmoins le premier continue de frapper, quand le second ne se lèverait point pour lui donner quelque chose parce qu’il est son ami, il se lèvera, je vous le dis, à cause de son importunité, et lui donnera tout ce dont il a besoin. Je vous dis de même : Demandez, et l’on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et l’on vous ouvrira. Car quiconque demande, reçoit ; et qui cherche, trouve ; et l’on ouvrira à celui qui frappe. Est-il parmi vous un père qui, si son fils lui demande du pain, lui donne une pierre ? Ou un poisson, lui donne, au lieu de poisson, un serpent ? Ou, s’il lui demande un œuf, lui présente un scorpion ? Si donc vous, tout méchants que vous êtes, vous savez donner à vos enfants de bonnes choses, combien plus votre Père céleste donnera-t-il l’Esprit bon[1] à ceux qui le lui demandent ?

14 Un jour Jésus chasse un démon, et ce démon était muet. Et lorsqu’il eut chassé le démon, le muet parla, et le peuple fut dans l’admiration. Mais quelques-uns d’entre eux dirent : C’est par Beelzébub, prince des démons, qu’il chasse les démons. D’autres, pour le tenter, lui demandaient un signe dans le ciel. Voyant leur pensées, Jésus leur dit : Tout royaume divisé contre lui-même sera détruit, et toute maison divisée contre elle-même tombera en ruines. Si donc Satan est divisé contre lui-même, comment son royaume subsistera-t-il ? Car vous dites que c’est par Beelzébub que je chasse les démons. Mais si moi je chasse les démons par Beelzébub, vos enfants par qui les chassent-ils ? C’est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges. Que si c’est par le doigt de Dieu que je chasse les démons, le royaume de Dieu est donc venu à vous. Lorsqu’un homme fort et bien armé[2] garde sa maison, ce qu’il possède est en sûreté. Mais qu’il en survienne un plus fort qui le vainque, il emportera toutes ses armes, dans lesquelles il se confiait, et distribuera ses dépouilles. Qui n’est pas avec moi, est contre moi, et qui n’amasse pas avec moi, dissipe. Lorsque l’esprit impur est sorti d’un homme, il va par des lieux arides, cherchant du repos, et, n’en trouvant point, il dit : Je retournerai dans ma maison d’où je suis sorti. Et, y revenant, il la trouve nettoyée et ornée. Alors il s’en va, prend avec lui sept autres esprits plus méchants que lui, et entrant dans cette maison, ils y demeurent : et le dernier état de cet homme devient pire que le premier.

27 Lorsqu’il parlait ainsi, une femme, élevant la voix du milieu de la foule, lui dit : Heureux le sein qui vous a porté, et les mamelles que vous avez sucées ! Jésus répondit : Heureux plutôt ceux qui entendent la parole de Dieu et qui la gardent !

29 Le peuple s’amassant en foule, il commença à dire : Cette race est une race méchante ; elle demande un signe, et il ne lui en sera point donné d’autre que le signe du prophète Jonas. Car, comme Jonas fut un signe pour les Ninivites, ainsi le Fils de l’homme en sera un pour cette race. La reine du Midi s’élèvera au jour du jugement contre les hommes de cette race, et les condamnera, parce qu’elle est venue des extrémités de la terre entendre la sagesse de Salomon : et il y a ici plus que Salomon. Les Ninivites s’élèveront au jour du jugement contre les hommes de cette race, condamneront, parce qu’ils ont fait pénitence à la voix de Jonas : et il y a ici plus que Jonas.

33 Personne n’allume une lampe[3] pour la cacher ou la mettre sous le boisseau ; on la met sur le chandelier, afin que ceux qui entrent, voient la lumière. La lampe de votre corps, c’est votre œil. Si votre œil est simple, tout votre corps sera dans la lumière ; s’il est mauvais[4], tout votre corps sera aussi dans les ténèbres. Prenez donc garde que la lumière qui est en vous ne soit ténèbres. Si donc tout votre corps est lumière, sans aucun mélange de ténèbres, tout en vous sera lumineux, comme lorsque luit sur vous la clarté d’une lampe[5].

37 Pendant qu’il parlait, un Pharisien le pria de manger chez lui ; Jésus entra dans sa maison, et se mit à table. Or le Pharisien commença à penser en lui-même, se demandant pourquoi il ne s’était point lavé les mains 39. avant le repas. Le Seigneur lui dit : Vous, Pharisiens, vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat ; mais au dedans de vous tout est plein de rapine et d’iniquité. Insensés ! Celui qui a fait le dehors n’a-t-il pas fait aussi le dedans ? Toutefois, faites l’aumône de ce que vous avez, et tout sera pur pour vous. Mais malheur à vous, Pharisiens, qui payez la dîme de la menthe, de la rue et de toutes les herbes, et qui n’avez nul souci de la justice et de l’amour de Dieu ! C’est là ce qu’il fallait pratiquer, sans omettre le reste. Malheur à vous, Pharisiens, qui aimez qu’on vous donne les premiers sièges dans les synagogues, et qu’on vous salue dans les places publiques ! Malheur à vous, parce que vous ressemblez à des sépulcres qui ne paraissent point, et sur lesquels les hommes marchent sans le savoir[6] !

45 Alors un Docteur de la Loi prenant la parole, lui dit : Maître, en parlant de la sorte, vous nous outragez aussi. Jésus répondit : Et à vous aussi, Docteurs de la Loi, malheur, parce que vous chargez les hommes de fardeaux qu’ils ne peuvent porter, et que vous ne les touchez pas même du doigt ! Malheur à vous, qui bâtissez des tombeaux aux prophètes, et ce sont vos pères qui les ont tués ! Certes, vous montrez bien que vous consentez aux œuvres de vos pères ; car eux les ont tués, et vous, vous leur bâtissez des tombeaux[7]. C’est pourquoi la Sagesse de Dieu a dit : Je leur enverrai des prophètes et des apôtres, et ils tueront les uns, et poursuivront les autres : afin qu’on redemande à cette génération le sang de tous les prophètes qui a été répandu depuis la création du monde, depuis le sang d’Abel jusqu’au sang de Zacharie, qui a été tué entre l’autel et le temple. Oui, je vous le dis, ce sang sera redemandé à cette génération. Malheur à vous, Docteurs de la Loi, parce qu’ayant pris la clef de la science[8], vous-mêmes n’êtes point entrés, et avez empêché d’entrer ceux qui se présentaient !

53 Comme il leur disait ces choses, les Pharisiens et les Docteurs se mirent à le presser vivement, et à l’accabler d’une multitude de questions, lui tendant des pièges, et cherchant à surprendre quelque parole de sa bouche pour l’accuser.

  1. En grec, l’Esprit saint, c’est-à-dire les dons célestes, les biens spirituels, que nous devons demander de préférence aux autres.
  2. Cet homme fort est la figure de Satan, qui considère le monde comme son domaine, et s’efforce d’en conserver la possession ; le plus fort que lui, c’est Notre-Seigneur, qui renverse sa puissance et le chasse de son empire usurpé.
  3. Si le vers. 33 doit se lier avec ce qui précède et ce qui suit, voici quelle serait la suite des idées : Malgré votre incrédulité, je ne cesserai point de prêcher ma doctrine, étant envoyé par mon Père pour éclairer le monde (vers. 33) ; que les Pharisiens déposent l’envie qui les ronge, et ils reconnaîtront sans peine la divinité de ma mission (34-36).
  4. L’œil mauvais ou malin, c’est l’envie.
  5. Votre âme étant éclairée par la droiture de l’œil intérieur, tout en vous sera lumineux : ce sera comme lorsque le corps est dans une pleine lumière, en un lieu éclairé par un flambeau. Le mot corps, au commencement du verset, est pris dans un sens métaphorique ; ainsi disparaît la tautologie, qui est plutôt dans la tournure que dans la pensée.
  6. Parce que la chaux ne les a pas blanchis. Sens : Votre doctrine et vos maximes, sous une apparence de perfection, sont fausses et perverses. L’expression diffère, mais la pensée générale est à peu près la même que Matth. xxiii, 27.
  7. Ironie ; c’est comme si Notre-Seigneur disait : Vous achevez ce qu’ils ont commencé.
  8. La science est ici la vraie religion, présentée sous l’image d’un édifice ou d’un palais, que ceux qui ont les clefs, les Docteurs, n’ouvrent à personne.