Les Quatre Vents de l’esprit/Le Livre lyrique/« Oui, la terre fatale, oui, le ciel nécessaire »

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XLVI


  
Oui, la terre fatale, oui, le ciel nécessaire,
Tout laisse en moi sa trace, et rien pour ma misère
N’est hautain ni moqueur ;
Et quoique je ne sois qu’un vivant fait de cendre,
Quand le rayon me voit, il consent à descendre,
Et se mêle à mon cœur.

J’ai la confiance âpre et triste des apôtres,
Et c’est pourquoi je suis cet homme dont les autres
Parlent confusément,
Plein d’erreurs comme Adam, plein de fautes comme Ève,
Que l’enfer tire en bas, mais qu’un éternel rêve
Enchaîne au firmament.

L’impure forme humaine, ébauchée, incomplète,
La chair, n’empêche pas que le ciel se reflète
Dans l’abîme où je suis ;
Près de ce vil crapaud qui bave et qui se traîne,
La constellation vient resplendir sereine
Dans le fond de mon puits.

Par instants l’affreux monstre, en l’ombre qui le voile,
Passe et fait en passant tressaillir une étoile
Dans mon cloaque noir ;
Puis elle reparaît. Dieu que notre espoir nomme,
Sois béni de changer l’eau bourbeuse de l’homme
En céleste miroir !

Oui, tes vents m’ont parlé, toutes tes solitudes
M’ont jeté leurs rumeurs et leurs inquiétudes,
Azur, nuit, vision !
À tes souffles de brume ou de clarté je vibre,

Ciel, comme si j’étais traversé par la fibre
De la création !

Comme si tous les fils invisibles de l’être
Se croisaient dans mon sein que l’univers pénètre !
Comme si, par moment,
En moi, du front aux pieds, me mêlant au problème,
Le sombre axe infini qui passe par Dieu même
Tremblait confusément !

De sorte que je suis l’aimant de la nature,
Que la création m’emplit, moi créature,
Que Dieu coule en mon sang !
De sorte, ô ciel profond, que le zénith farouche
Se verse dans mon crâne, et que le nadir touche
Mon talon frémissant !

Mon âme dans sa nuit redit ta gamme immense ;
Je frissonne à tes bruits d’orage ou de clémence,
Vivant psaltérion ;
Sur ma lyre, qu’émeut l’esprit des Zoroastres,
Les sept notes jadis tombèrent des sept astres
Du bleu septentrion.