Les Quatre Vents de l’esprit/Le Livre lyrique/Sous terre

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XXIII

SOUS TERRE.


— Laisse-moi. ― Non. ― Ô griffe sombre,
Bouche horrible ! ô torture ! ô deuil !
Pourquoi te glisses-tu dans l’ombre
Par les fentes de mon cercueil ?

— Il faut renouveler ma sève,
Ô mort, voici le doux été.
Toute la nature qui rêve,
Spectre, a besoin de ma beauté !

Il faut qu’aucun lys ne m’efface ;
L’abeille attend de moi le miel ;
Il me faut un parfum qui fasse
Pâmer les cygnes dans le ciel.

Je dois orner l’antre morose ;
Je dois sourire au soir boudeur,
Et donner à tout quelque chose
De ma grâce et de ma splendeur.

Il faut que je pare le voile
Des vierges au lever du jour,
Que je respire pour l’étoile,
Que je rougisse pour l’amour.

Et pendant que l’aube m’arrose,
Ma racine vers toi descend.
— Qui donc es-tu ? ― Je suis la rose.
— Et que veux-tu ? ― Boire ton sang.


29 mai 1854.