Les Quatre Vents de l’esprit/Le Livre satirique/Voix dans le grenier
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VI
VOIX DANS LE GRENIER.
Vivent les bas de soie et les souliers vernis !
Dieu dit aux bons fauteuils : fauteuils, je vous bénis !
Comme un grand feu qui flambe et pétille en décembre
Vous illumine l’âme en empourprant la chambre !
Ma foi, j’aime le vin.
Moi, j’aime le café.
C’est charmant de crier : garçon ! Perdreau truffé,
Bordeaux retour de l’Inde, et saumon sauce aux huîtres !
Une fenêtre est belle alors qu’elle a des vitres.
Que l’usurier hideux, poussif, auquel tu dois,
Agite un vieux billet de banque en ses vieux doigts,
Fût-il gris comme un chantre et crasseux comme un diacre,
Vénus vient toute nue en sa conque de nacre.
Un édredon, c’est doux.
Vit content ; sous ses pieds il a quand il écrit
Un charmant tapis turc qui réchauffe sa prose.
J’estime une portière épaisse, et, verte ou rose,
Laissant voir, dans les plis du satin ouaté,
Un mandarin qui prend une tasse de thé.
Verrès est riche et grand ; devant lui nul ne bouge.
Sur un frac brodé d’or j’aime un beau cordon rouge.
Quel bonheur de courir à la croix de Berny
Sur quelque ardent cheval plein d’un souffle infini,
Démon aux crins épars né des vents de l’Ukraine !
Quelle joie ! En hiver, rouler au Cours-la-Reine,
Quand le soleil dissout les brouillards pluvieux,
Dans un landau qui fait blêmir les envieux !
Et, tandis qu’au dehors siffle le vent féroce,
Contempler, à travers les glaces du carrosse,
Le ciel bleu, rayonnant d’une douce clarté !
Paix ! Comptez vous pour rien cette sérénité
De marcher le front haut, et de se dire : en somme,
Je mange du pain noir, mais je suis honnête homme !