Les Réclusières de Venus

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LES
RÉCLUSIERES
DE
VENUS.

QUand au Croiſſant la Gréce fut ſoumiſe,
Et l’Italie en proie aux Gens d’Egliſe,
Venus quitta Caprée & Cibaris,
Vint s’établir dans les murs de Paris ;
Ses beaux enfans les Amours, les Carites,
Vinrent nicher dans les mêmes guérites,

D’où décochoient les freres Cupidons
Les traits forgés pour les chaſtes Didons,
Pour les Thisbés, pour ces Agnès novices
Croyans l’Amour germe de tous les vices.
Filles, Nonains, Veuves, Femmes de Cour
Tout s’enivra du nectar de l’Amour ;
Gnyde, Paphos, Amathonte & Cithere,
Lieux renommés pour le laſcif myſtere,
Ne furent plus que Vignettes aux Vers
Que Rameau met ſur tant de ſons divers.
Paris devint le rendez-vous des Graces,
On vit marcher ſur les legeres traces
Des ris, des jeux, des douces voluptés
Un monde entier de lubriques Beautés,
Qui recevoient l’argent & les hommages
De tous les rangs comme de tous les âges :
A leurs filets ſe prend un Adonis,
Un Abellard, un Sage à cheveux gris ;

Entre les bras des Iſſés, des Armides,
Dormoient, filoient, tricotoient nos Alcides,
On ne comptoit jours heureux que les jours
Marqués, fêtés par les tendres Amours.
Tous à Cipris préſentoient des offrandes ;
Sur ſes Autels flottoient mille guirlandes,
Bruloit, fumoit le plus ſuave encens,
Et ſe ſiffloient d’inéfables accens ;
On s’y juroit une flamme éternelle,
Tout promettoit à l’aimable Immortelle
Un regne, un culte, à l’abri des revers,
Devant durer autant que l’Univers.
Quand de Caldée, ou des champs de Florence
Vint à Lutéce une exécrable engeance
Peuple maudit, mielleux, friſé, fardé,
Dont le fumet fut toujours haſardé,
Plus malfaiſant que peſte, que famine,
Qui va ſappant le monde en ſa racine

Ayant pour chef le Poupet Echanſon
Qui ſert aux Dieux l’immortelle boiſſon,
Qui projettant de honteuſes conquêtes,
Détache au Cours, dans les jeux, dans les fêtes
Ses Lieutenans, Giton, Antinoüs,
Pour débaucher les ſujets de Venus,
Tout réuſſit au gré de Ganymede,
Sans Courtiſans eſt au bal Andromede :
Plus de parfums aux Autels de Cipris,
Plus de bijoux pour les vaines Lays ;
Goût pour la Manthe eſt taxé de folie,
De lieux pervers les boſquets d’Idalie,
Pour préjugés on cite les horreurs,
Du Dieu des Dieux, de certains Empereurs ;
Sous les drapeaux de l’infame Priape,
Paſſent Bourgeois, Robin, Duc & Satrape ;
Quel attentat ! en mornes tapinois,
Ils vont à l’ordre au jardin de nos Rois ;

Venus qui voit déſerter ſon Empire,
Un Ragotin l’emporter ſur Alzire,
Fait chez Thémis retentir ſes clameurs
Contre ces gars doucereux ſuborneurs,
Qui pratiquant des routes inciviles,
Et ne ſémant qu’en des terres ſteriles,
Privent l’Etat des ſécours renaiſſans
Que l’Opéra fourniſſoit tous les ans.
Themis l’écoute, épouſe ſa querelle,
Sur deux goujats ſa juſtice étincelle,
Contre eux prononce un attiſant Arrêt.
Venus accourt, & d’un œil ſatisfait
Souffle le feu, la flamme devorante
Chez ſes rivaux va porter l’épouvante,
Qui ne dura qu’autant que les tiſons
Flambloient, grilloient les deux nouveaux Chauſſons.

On évoqua le bel Alcibiade,
Les trois Mignons peints dans la Henriade.
D’après les traits de Narciſſe & Paris
Etoient ſculptés les muſqués favoris,
Qu’on mit en jeu pour raſſurer l’Armée
Qui des fagots paroiſſoit allarmée.
Venus pour lors monte chez Jupiter,
Veut que ſous eux il entr’ouvre l’enfer :
Ce Dieu voyant ſa fille courroucée
Parut d’abord ſouſcrire à ſa penſée,
Il faudra donc qu’il ſoit ouvert toujours !
Les châtimens ſont d’un foible ſécours,
Car qu’a ſervi de cinq Villes l’exemple,
Mon Echanſon n’en a qu’un plus grand Temple !
Répond le Dieu, par fois enclin au cas
Qui pour Socrate eut, dit-on, des appas.

Il ajouta, la cauſe m’eſt commune,
Hélas ! ſur moi tombe votre infortune,
Si la roſée eſt ſouſtraite à vos fleurs,
Je n’aurois plus bientôt d’adorateurs,
Et mes carreaux dans mes mains inutiles,
Ne frapperoient que des monts immobiles ;
Par intérêt autant que par amour
Vous me verrez repeupler votre Cour ;
Mais le dirai-je ! une lâche indulgence
De votre culte a fait la décadence,
Dans mes bureaux ſont des tas de placets
De gens meurtris, bleſſés par vos lacets,
Et je n’entends que plaintes, que murmures
Contre l’abus que font vos mignatures
De ces attraits, qu’elles n’ont des deſtins
Que pour ſervir au bonheur des humains.
Jamais Ninon ne peut être aſſouvie,
Met ſes Ribauds ſucés à l’agonie ;

La Rhodia de ſes ſucs virulens
Fait des cadeaux mordicans & brulans,
Puis chez Pibrac, & ſur la ſombre rive
Vont à grands frais les ſots qu’elle captive ;
Phriné n’admet que des Seigneurs hupés,
Rit au foyer des Podeſtats dupés ;
On perd ſon tems en élaguant Nérine,
Et ſon renom a l’hôtel de Corine ;
L’or ſeul ſeduit une autre Danaé,
Pour un Taureau brule Paſiphaé ;
Nicette voue un Amour ſans partage,
L’inſtant d’après convoite un jeune Page ;
Briſelidis compte autant de travaux
Qu’elle a logé d’Amans aux Hopitaux ;
Liſe aux ébats qu’aime la tourterelle
Eſt ſans vertu, n’a rien qui vous rappelle ;
L’une en Junon traite ſes ſoupirans,
Au moindre écart, ſouleve tous les vents ;

L’autre tenant ſon teint de l’artifice
Sous ſes rideaux dégouteroit un Suiſſe :
Toutes ſans foi, ſans mœurs, font de Paris
Un lieu moins ſûr que l’antre à Buſiris.
Autre ſujet de deuil, d’ignominie
Dont ſe prévaut l’indigne colonie,
Sont ces cartels que dans un carefour
Donne hardiment une Agente d’Amour
Pour ces Catins, ces Nymphes boucanieres,
Dont les reduits ſont voiſins des goutieres :
Beauté bannale eſt objet de mépris,
Meuble étalé perd dès lors de ſon prix ;
Mais, direz-vous, il eſt dans mon empire
Des Eucharis qui comme Déjanire
Honneur du Sexe enflamment des Héros,
Et qui ſembloient aſſurer mon repos ;
Oui, j’en connois, mais près d’une Arthemiſe
En vains déſirs un Céladon s’épuiſe,

Si pour Hébé ſon cœur s’épanouït
De tous ſes ſoins une œillade eſt le fruit.
Fille qui viſe au Temple d’Hymenée,
En préludant, craint d’en fermer l’entrée.
Belle Venus, à ces legers tableaux,
Reconnoiſſez les ſources de vos maux,
A vos Circés imputez les ravages,
Qu’a fait Priape en tous vos héritages.
Venus convient, ſanglote, & de ſes yeux
Coule un criſtal qui parfume les Cieux ;
Demande au Dieu, ſon monarque & ſon pere,
De relever le Thrône de Cithere ;
Du Ciel le maître & premier Citoyen
Dit, j’y conſens : mais il n’eſt qu’un moyen,
C’eſt de créer riantes Récluſieres
Que régiront des Abbeſſes routieres,
Et d’y cloîtrer, galamment, avec choix
Tendrons fringans, dociles à leurs loix,

Qu’on formera dans tous les exercices
Dont l’Art d’aimer préſente des Eſquiſſes
Qu’a crayonné l’expreſſif Aretin
Mis en pratique au Dortoir Celeſtin,
Qu’on parera comme Nymphes, Driades,
Flore, Pomone, ou les vives Nayades.
Vos ſeuls enfans les Amours & leurs Sœurs
A ces Nonnains ſerviront de baigneurs,
Des noms mignards reſpirans la luxure
Feront au cœur la premiere bleſſure ;
Margot fera la charmante Aglaé,
Fanchon Victoire, & Pernette Daphné,
Dodon Fatime, & Charlote Emilie,
Cateau Lolotte, & Jeannette Julie.
Profeſſe, ou non, appellera Maman
La Prépoſée ou Duegne du Couvent,
Freres Poupins ainſi qu’aux Capucines
Seront en nombre aux ordres des Beguines ;

Les Sœurs liront au lieu de Rodriguez
Aloſia, le Portier, ou Sanchez :
De lits, ſophas, plutôt que de Pendules,
Vous garnirez les parloirs, les célules
Et d’Eſculape un fils colifichet
Sera gagé pour ſoigner le guichet
De chaque Sœur ; aucune au ſacrifice
Sans ſon viſa n’exercera d’office ;
Toutes ſauront les hymnes, & les airs
Faits pour chanter vos myſteres divers ?
A leurs faveurs il eſt dû des ſalaires,
Mais qu’un tarif fixe leurs honoraires,
A tant les draps, à tant pour le couteau,
Pour l’acolade en paſſant, un réau.
En voiles blancs & guimpes tranſparentes
Le jour, la nuit, également ferventes,
Feignant, s’il faut, de tendres ſentimens ;
Qu’un Traitant croye avoir les premiers gants,

Au moins du cœur avoir trouvé la route.
Suivez ce plan, vous verrez la déroute
De ces brigans monſtres Bulgariens,
Vils détempteurs des fonds Veneriens ;
Vous rentrerez ſoudain dans vos domaines.
Il dit ; Venus de ſon char prend les rênes,
Deſcend, ſe rend des lambris étoilés,
Brulant les airs, dans ces champs émaillés,
Lieux conſacrés aux douces rêveries
De ceux qu’Amour lutine aux Thuilleries.
Là ſe préſente à ſes premiers regards
L’Hôtel brillant des Victimes de Mars ;
Sur l’autre rive, en un lieu ſolitaire
Un bâtiment propre aux ûs de Cithere
Ceint de Vergers & n’ayant pour voiſins
Que les Zéphirs, les échos, les Serins,
Son fils le marque, y place ſon enclume,
Marteaux, fourneau, qu’auſſi-tôt il allume,

Prend ſon carquois, ſes fléches, ſes brandons,
Bat le tambour aux Halles, aux Porcherons.
Au premier coup vôle ſous ſes bannieres
Un jeune eſſain de Beautés chiffonnieres
Qu’au nouveau cloître on ména, renferma,
Qu’on décraſſa, tignona, parfuma,
Et qui des mains de Venus la Nonette
Prirent l’habit qu’avoit cette Coquette
Quand elle alla conquerir Adonis,
Ou ſe ſoumettre à l’Arrêt de Paris.
Une Sibille à face puſtulante,
A gueule torſe, harpie, ogre, bacchante,
Reçoit la croſſe, & les nombreux écus
Qu’à chaque inſtant on préſente à Venus,
Prix des appas, & des chaudes careſſes
Qu’à ſes devots prodiguent ſes Prêtreſſes.
Des Dieux le pere, & le Roi des humains
Concourt lui même au bonheur des Nonnains,

Mande, & commande à Mercure, à Lucine,
De les pourvoir d’Hercules, de Piſcine,
Par le premier, au nouveau paraclet,
Fait publier, afficher ſon décret.
L’Abbeſſe aux Sœurs qui ſont ſous ſa férule
Lit chaque jour la délectable Bulle,
Bulle adreſſée à Venus, aux Amours,
Gage immortel, elixir du diſcours
Du Dieu tonnant à ſa fille éplorée,
Qui de ſon regne aſſure la durée.
Priape au bruit du nouvel Inſtitut,
Prévoit ſes maux, pleure ſur ſa tribu.
Jamais l’odeur des plus Saints Cénobites
Ne fit germer tant d’ardens Proſélites ;
Au paraclet, font ou rendent des vœux
Milord, Dervis, Batards, Borgnes, Boiteux :
A chaque Autel, encens ou ſacrifices,
C’eſt l’Eliſée, Eden, ou les prémices

Du paradis dont berce l’Alcoran
Le trop crédule & charnel Muſulman.
Vû la ferveur, l’abord au Monaſtere,
Venus jugea qu’il étoit ſalutaire,
Ce requerant ſon indomptable fils,
D’en fonder quatre aux remparts de Paris,
Qui du premier ſeroient les quatre filles,
Et ſous les loix de quatre autres Sibilles ;
Qu’on y ſuivroit le divin reglement
Source des biens du Cathédral Couvent.
Fut dit, fut fait, aux quatre Récluſieres,
Tous jours ſont jours d’indulgences plénieres
Quoiqu’en ſous ordre, on y voit un concours
Qui fait ombrage au chef-lieu des Amours :
A cette époque, au juſte eſt accomplie
De Jupiter la ſure prophetie.
Venus enfin voit renaître ces tems,
Ces jours ſereins, ces éternels printems,

Tems des Médors, qu’elle, ou bien ſes images
De tous les cœurs avoient tous les hommages,
Qu’on s’eſtimoit dans ſes fers fortunés
Sans ces douceurs à la mort condamnés.
Priape fuit, le Démon Socratique
Va ſe cacher dans un taudis claſſique.
Ces Loups de nuit, honteux même à nommer,
Qu’envain ces Vers voudroient plus diffamer
Pour qui Jacinthe a les charmes d’Hortenſe,
Reveurs, confus, & dans la pénitence
Changent de goût, d’allures, de diſcours,
Prêtent ſerment à Venus, aux Amours ;
Caligula quitte le beau Catule
Et pour Lesbie enfin chante Tibule.


FIN