Les Régions septentrionales de l’Or – Vancouver et la Colombie anglaise

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Les Régions septentrionales de l’Or – Vancouver et la Colombie anglaise
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 34 (p. 940-960).
LES
RÉGIONS SEPTENTRIONALES
DE L’OR

VANCOUVER ET LA COLOBIE ANGLAISE.
LES VILLES NAISSANTES ET l’ÉMIGRATION.

:I. Vancouver Island and British Columbia, by J. Despard Pemberton, surveyor general. London, Longman, 1860. — II. Report from the select Committee on the Hudson’s bay Company, 1857.

Parmi les régions de l’or, il en est une qui tient une place modeste à côté de l’Australie et de la Californie, sa voisine. Tandis que les descriptions, les études et les considérations sociales, les récits de toute nature abondent touchant ces terres privilégiées, à peine si de loin en loin une mention isolée, un manuel à l’usage des émigrans vient rappeler à la Grande-Bretagne qu’elle possède sur le cours supérieur de la Colombie, dans les vallées fortunées du Frazer et du Thompson, sur la côte où s’allonge la grande île de Vancouver, de riches exploitations aurifères, avec les ressources plus sûres et plus durables qu’offre la nature dans une région bien arrosée, couverte de vastes forêts, abondamment fournie de houille et munie de boas ports. La faute en est à l’éloignement et au climat. Pour aller de Londres et de Liverpool à la Colombie anglaise, il y a un trajet long et pénible, soit que l’on double le cap Horn, soit que l’on coupe l’Amérique ta Panama ou à San-Juan-de-Nicaragua. Et puis cette région, enfermée entre le plus septentrional des territoires des États-Unis et l’Amérique russe, les Montagnes-Rocheuses et le Pacifique, semble aux émigrans sévère et froide plus qu’elle ne l’est en réalité ; le bruit de l’or n’y a pas pour eux un attrait aussi entraînant que plus au sud ou dans l’Australie.

Il ne faut pas croire cependant que cette région reste inoccupée ; dans l’île de Quadra-et-Vancouver aussi bien que sur les cours d’eau aurifères, la vie européenne se substitue à la vie sauvage, et à côté des Anglais les Chinois apportent là, comme sur tout coin de terre où il y a des bénéfices à réaliser, le contingent de leur immigration compacte et laborieuse. Au point de vue de la situation géographique, ce pays a pour l’Angleterre une grande importance : il lui donne un pied, à côté des États-Unis, sur le Pacifique ; il se relie, à travers les Montagnes-Rocheuses, à leurs belles possessions du Canada ; on parle d’établir un chemin le long des lacs qui mette en communication, par l’Ontario, l’Érié, le Michigan, le Winnipeg, Montréal avec New-Westminster et Victoria de Vancouver. Enfin il se fait là en ce moment un travail nouveau ; une conquête de l’homme s’y accomplit sur la nature sauvage, et c’est à ce titre surtout que la Colombie anglaise et Vancouver méritent pour un moment de nous arrêter.


I.

Les visiteurs de ces côtes disent qu’un spectacle plein de grandeur et de nouveauté frappe les yeux du voyageur qui pénètre de l’ouest à l’est, entre les deux phares dressés sur le sol anglais et sur le sol américain, dans le détroit Juan de Fuca, au sud de l’île Quadra-et-Vancouver. À droite s’étend le territoire Washington, sillonné par une haute chaîne de montagnes neigeuses, du sein desquelles se dresse un pic auquel des souvenirs classiques transportés sur cette terre lointaine ont valu le nom de Mont-Olympe. Les pentes descendent souvent jusqu’à la mer, et quelquefois elles s’en éloignent de quelques milles ; elles sont coupées de vallées vertes et profondes qui revêtent, sous le jeu du soleil et des nuages, les aspects les plus variés. À gauche, l’île Vancouver semble comparativement basse, bien que plusieurs de ses pics soient encore en juin chargés de neige ; en avant s’ouvre le golfe George, tout semé d’îles verdoyantes. Dans un enfoncement apparaît sur le territoire de la Colombie anglaise la chaîne des monts Cascade, dominée par le sommet étincelant du Baker, haut de 3,500 mètres, et qui, en 1853, a vomi des flammes. Des bois s’étendent à perte de vue : les pins, sur le penchant des hauteurs, enferment les plaines dans leurs sombres verdures, les chênes, les érables, mêlent leurs feuillages, tandis que des saules, des peupliers, bordent les lacs de leurs luxurians ombrages. Les cris d’un nombre infini d’oiseaux aquatiques éveillent les échos, et l’homme lui-même anime de son activité cette nature forte et primitive : des steamers courent de la pointe sud-est de Vancouver à l’embouchure de la rivière Frazer, et des barques chargées d’Indiens à la peau rouge, zébrée de peintures, frappent en cadence de leurs pagaies l’eau paisible du golfe.

Il y a deux cent soixante ans, alors que l’on commençait à chercher ce passage nord-ouest sur le chemin duquel tant de marins ont depuis trouvé la mort, le navigateur Juan de Fuca, en pénétrant dans le détroit qui a pris son nom, crut avoir du premier coup résolu ce grand problème. Il se trompait ; mais voici que les Anglais prétendent aujourd’hui changer en vérité son erreur : au lieu des routes impraticables et glacées de la mer du pôle, ils proposent au commerce, comme voie de transit de l’Atlantique au Pacifique, cette longue ligne des lacs canadiens dont nous avons déjà parlé et sur laquelle il faudra revenir. La principale cause qui peut, suivant eux, déterminer le commerce à préférer ce chemin, c’est la parfaite sécurité qu’offrent le détroit et ce golfe George dans lequel il débouche. :

De San-Francisco aux régions glacées de l’Amérique russe, sur cette longue partie de la côte du Pacifique, il n’existe pas de bons ports : celui de Humboldt, au-dessus de San-Francisco, vers le 42e degré de latitude nord, est vaste et paisible à l’intérieur ; mais une forte houle et une ligne de brisans, qui s’étend au loin dans l’ouest, en rendent l’accès des plus périlleux. De même l’entrée du grand fleuve Colombie, avec sa terrible barre, est l’effroi des marins. Au contraire, dans l’intérieur du détroit de Juan et du golfe qui lui fait suite, les espaces libres, les ports profonds et sûrs n’ont à redouter que les brouillards de l’hiver et l’épaisse fumée qui s’élève des forêts où les Indiens mettent le feu en automne. Port San-Juan, Sook-Basin, Beecher-Bay, les ports Victoria et Esquimalt peuvent donner asile à un nombre indéfini de navires. Ce dernier, à cause de son étendue et de sa sécurité, a été désigné par le gouvernement comme dépôt naval du Pacifique, et tout le long de cette côte privilégiée s’étendent de vastes espaces d’une terre fertile et propre aux grandes cultures.

La Colombie anglaise, telle que les limites en ont été fixées par les derniers traités avec les États-Unis, s’étend sur le vaste territoire que la géographie avait coutume d’appeler Nouvelle-Calédonie, de l’embouchure du Frazer à l’Amérique russe, entre les 49e et 56e degrés de latitude nord environ. En largeur, elle va de la Rivière-Rouge et des Montagnes-Rocheuses au Pacifique ; sa superficie est plus que double de celle de la Grande-Bretagne, et l’île de Quadra-et-Vancouver, sa précieuse annexe, est à peu près égale à la moitié de l’Irlande. Elle a 500 milles de côtes[1], et sa hauteur varie entre le niveau de la mer et 16,000 pieds anglais[2]. Beaucoup des caractères de son sol couvert de bois, de pâturages, coupé de cours d’eau et de lacs nombreux, rappellent le Canada. Le climat y est très divers ; cette côte du Pacifique est généralement plus douce que celle de l’Atlantique, à la même latitude sur le continent américain. Les vents du sud y amènent des pluies en juin. Vers le sud et dans les vallées du Frazer, de Lillooette, de la Colombie, du Thompson, la température, les produits, les oiseaux, rappellent assez le Devonshire, tandis qu’au nord et au pied des montagnes on retrouve le climat plus sévère de la baie de Hudson et du Labrador. De vastes espaces y sont ouverts à l’exploitation des settlers. Il en est de même dans la partie méridionale de Vancouver, la seule encore qui ait été bien reconnue. Les terrains non défrichés sont recouverts d’une fougère épaisse et qu’on arrache difficilement ; ailleurs s’étendent des forêts, des marécages, des déserts qui, de longtemps encore, ne seront pas acquis à l’exploitation humaine. Diverses espèces de graines et des racines abondantes fournissent aux Indiens un de leurs moyens de subsistance. La flore de cette région, assez semblable à celle de la Colombie américaine, n’est pas non plus, sans offrir quelque analogie avec celle de la Grande-Bretagne. Les pommes de terre, le houblon, le blé, l’orge, l’avoine, y viennent à merveille ; on y trouve aussi une espèce de chanvre particulier au pays. Les indigènes cultivent des pommes de terre jusqu’à la hauteur de l’île de la Reine-Charlotte. Le long de la côte nord-ouest, dans de vastes espaces marécageux, croît une plante dont la feuille, assez semblable à celle du thé, donne une boisson de saveur agréable et piquante qui produit sur le cerveau des effets d’excitation et de gaieté pareils à ceux du vin. Il est à remarquer que la fertilité du sol augmente dans le voisinage des terrains aurifères ; la décomposition des roches volcaniques, la silice, l’alumine, la chaux, la potasse, en se désagrégeant, communiquent à la terre une puissante fécondité. Ce phénomène, qui a été observé au pied du Vésuve et de l’Etna, est également sensible autour du volcan Baker.

Parmi, les arbres, c’est une espèce de cyprès assez semblable au cèdre qui atteint les plus fortes dimensions ; on en voit de 30 pieds de diamètre et de 400 de hauteur ; les pins ont jusqu’à 270 et 300 pieds ; ils sont très résineux et portent une écorce pareille au liège et épaisse de 8 ou 9 pouces, qui donne une flamme éblouissante ; on défriche les espaces couverts de pins en y portant le feu. Les chênes sont généralement de qualité inférieure ; les bouleaux, les ifs, les genévriers croissent pêle-mêle avec les érables, les peupliers, les sorbiers, offrant des ressources immenses à la charpente et à la mâture des vaisseaux.

L’île de Vancouver a des races de moutons-mérinos remarquables ; le petit bétail espagnol, les beaux bœufs Durham, importés en Californie, sont remontés de là jusque sur le Frazer. On trouve aussi une race indigène de chevaux excellens pour la selle et durs à la fatigue, mais très difficiles à dresser aux voitures. Qu’on ajoute à ces avantages les ressources de la pêche, de la chasse, des exploitations aurifères, de la houille : tout cela constitue une riche contrée ; il faut voir maintenant comment l’homme s’est installé au sein de cette libérale nature.

La population comporte trois élémens très inégaux en nombre : les indigènes, les Chinois et les Européens. Les premiers, que l’on évalue à 80,000 à l’ouest des Montagnes-Rocheuses, à environ 10,000 dans Vancouver, appartiennent à la race rouge et se rattachent, par leurs dialectes aussi bien que par les traits du visage, aux tribus qui peuplent la partie septentrionale du continent américain. Les notions relatives à leurs habitudes, à leur état social, à leurs croyances, sont encore incomplètes et incertaines. Quelques voyageurs les ont très sévèrement jugés, prétendant qu’ils sont déformés par l’habitude d’aplatir les crânes des enfans, peu sociables et parfois anthropophages. Aucun fait à la connaissance des Européens leurs voisins n’est venu confirmer cette dernière assertion. Il est certain qu’ils ont, depuis une haute antiquité, l’habitude de presser le crâne de leurs enfans, puisqu’une de leurs tribus, sur la Colombie, porte le nom de Têtes-Plates. Toutefois cet usage ne paraît pas être commun à tous les indigènes, et on en voit autour des établissemens anglais un grand nombre aux traits réguliers, à la physionomie intelligente ; ils font preuve de vigueur et d’adresse, et beaucoup réussissent à imiter certains produits de l’industrie européenne. Dans l’état tout à fait sauvage, au pied des Montagnes-Rocheuses et sur la Haute-Colombie, ils ont conservé leurs habitudes nomades, vivant de chasse et de pêche, échangeant des fourrures contre des fusils et de l’eau-de-vie. Leurs tribus ont des chefs militaires souvent en guerre, et qui ont, comme les autres peaux-rouges, l’habitude de scalper leurs ennemis. Ils ne prennent généralement qu’une femme, bien que la polygamie ni le divorce ne leur semblent interdits, et, comme tous les sauvages, ils croient à de bons et à de mauvais esprits ; leurs prêtres sont en même temps leurs médecins.

Quelques-uns d’entre eux ont pris dans le voisinage des établissemens européens des habitudes sédentaires et bâti de petits villages formés de huttes à toits plats ou coniques. Ceux-ci se livrent à quelques cultures, louent leurs services dans les fermes, et même travaillent dans Vancouver aux mines de houille. Vers 1857, les indigènes de cette île entrèrent en lutte contre les Anglais; un blanc ayant été tué à la baie de Cowichin, vers la pointe sud-est de l’île, le gouverneur se saisit de deux indigènes et les fit pendre. De là des représailles et des hostilités qui sont apaisées aujourd’hui. Il n’est pas inutile cependant que les Anglais se tiennent sur leurs gardes. Là comme dans toutes leurs autres colonies, ils ne sont pas sympathiques aux indigènes. L’esprit anglo-saxon, exclusif et dur, prend peu de souci des races étrangères ; déjà, au contact des nouveaux occupans du sol, les naturels de la Colombie anglaise reculent et s’effacent; les comités de colonisation admettent, comme un fait auquel on voudrait en vain s’opposer, la disparition future des peaux-rouges devant l’invasion blanche. Ces malheureux en effet s’abrutissent avec l’eau-de-vie. Cependant on a formé une société de protection pour les aborigènes, ouvert des églises, des écoles, quelques missionnaires ont même pénétré jusque sur les bords de la Rivière-Rouge; mais tout cela est froid, triste, dénué de bienveillance cordiale et de charité réelle. Les immigrans n’ont guère qu’un souci, l’occupation du sol, l’exploitation de ses produits. A l’égard des indigènes, ils se tiennent quittes au prix de quelques phrases de compassion banale et de quelques institutions qui ne sont pas en harmonie avec les habitudes, le caractère et le goût du peuple qu’ils se sont soumis.

Les Chinois sont plus heureux : immigrans comme les Européens et plus passagers qu’eux, ils ont l’avantage de demeurer indifférens à leur inimitié et à leurs mépris. La seule chose qu’ils demandent, c’est une place, fut-ce la plus restreinte et la dernière. Du moment qu’on les a accueillis, armés d’une indomptable persévérance, prêts à tous les labeurs, préservés des influences étrangères par l’isolement, ils travaillent sans relâche et entassent leurs profits jusqu’à ce que leur ambition de fortune soit satisfaite. Alors, munis d’un pécule péniblement amassé, quelquefois traînant avec eux le cercueil d’un parent ou d’un ami, ils regagnent les rivages de la Terre-Fleurie. La Colombie anglaise est des régions aurifères celle qui jusqu’ici accueille le mieux ces égoïstes auxiliaires; elle a besoin de bras, et trouve en eux des domestiques actifs, des industriels ingénieux et variés. Quoique fort sales de leur personne, ce sont eux qui monopolisent le blanchissage partout où ils s’établissent. En Californie, leur nombre montait, dans ces dernières années, à 50,000 environ. Là on les déteste et on les maltraite; des restrictions leur sont autant que possible imposées; beaucoup, pour échapper aux dures conditions qui leur sont faites par les inhospitaliers Yankees, ont remonté vers le nord et se sont répandus sur le territoire anglais, où n’existent pas d’entraves qui leur soient spéciales; ils jouissent même aux mines des droits et de la protection accordés aux autres immigrans. Aussi en 1860 leur nombre ne s’élevait pas à moins de 10,000; au mois de juin, deux vaisseaux, venant de San-Francisco et directement de Chine, en amenaient 800, et d’autres étaient en chemin. Ce n’est d’ailleurs pas au hasard qu’ils envahissent la Colombie anglaise : un journal de la localité prétend que les immigrations sont précédées d’explorateurs chargés d’étudier les ressources du pays, l’état des mines, et d’adresser des rapports à leurs compatriotes.

La population européenne n’est pas encore très considérable, surtout par rapport à la vaste étendue du sol ; mais en général elle est composée de colons sérieux et travailleurs. Il n’y a pas que des mineurs et des artisans, il y a aussi des agriculteurs débarqués avec un petit capital, qui leur a permis d’acquérir de bons territoires et d’en bien aménager les premières cultures. Ils créent de vastes fermes, et parmi les colons, ce sont eux qui réussissent le mieux.

Les premiers essais d’établissement de l’Angleterre à cette extrémité du Pacifique datent de la fin du dernier siècle. En 1786, quelques marchands de la compagnie des Indes orientales fondèrent un comptoir dans la baie de Nootka, à la côte occidentale de Vancouver. Trois ans plus tard, l’Espagne, qui avait alors dans ces mers un navigateur distingué, Francesco de la Bodega y Quadra, prit possession de l’île; mais elle fut obligée de la restituer l’année suivante, après diverses négociations entre les deux cours, et c’est à l’occasion de la rencontre de Quadra et de Vancouver pour opérer cette cession que l’île prit le nom de ces deux marins. Pendant plus d’un demi-siècle, l’Angleterre fut détournée, par les événemens politiques et par l’essor même de ses autres colonies, de s’occuper de son petit établissement de Vancouver. Enfin le gouvernement songea à relier le territoire occidental de l’Amérique à ses possessions du Canada, et concéda l’île à la compagnie de la baie d’Hudson, à charge de la coloniser. Quelques essais d’établissement furent aussi tentés sur le continent; mais la compagnie imposa à l’immigration un programme si restreint et si peu libéral que la concession lui fut retirée. Dans l’intervalle, les gîtes aurifères avaient été découverts, l’île et le territoire rentrèrent sous la direction immédiate de la couronne, qui a pris, il est juste de le reconnaître, de sages mesures pour y porter une émigration honnête et sérieuse. C’est le 2 août 1858 que la colonie de la Colombie anglaise a été instituée par acte du parlement, et de cette époque récente datent les développemens qu’ont pris ses jeunes cités, des mesures bien réglées pour la distribution des terres et l’exploitation des mines, en un mot les premiers et solides élémens de sa prospérité.


II.

Tout en restant bien loin encore des opulentes cités qui sont sorties si promptement, sous la double influence de l’or et de la grande culture, du sol de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, les villes naissantes de l’île de Vancouver et du Frazer ne sont cependant pas sans intérêt et sans importance. D’abord elles ont pour elles le mérite de leur position, et, comme nous l’avons déjà dit, l’excellence de leurs ports. C’est à l’extrême pointe sud-est de la grande île qu’est situé leur chef-lieu. Les Anglais, par un choix qui témoigne de la constance de leur courtoisie et de leur patriotisme, mais qui n’est pas sans inconvénient pour la clarté géographique, lui ont donné, comme à tant d’autres lieux, le nom de Victoria.

En fondant une ville dans leurs possessions de cette côte du Pacifique, les Anglais ne cachaient pas qu’ils n’aspiraient à rien moins qu’à donner une rivale à San-Francisco et à organiser une sérieuse concurrence contre cet entrepôt des richesses de l’Amérique et de l’Océanie. Tant s’en faut qu’ils soient arrivés à ce point, et il est douteux qu’ils y parviennent jamais. Cependant, on ne peut le nier, le site a été bien choisi. Il avait été désigné dès l’année 1842 par le gouverneur Douglas, un des hommes qui connaissaient le mieux les moindres ressources et les baies du littoral. En 1846, sir George Simpson applaudissait à ce choix, et vantait l’excellence de la position, du climat et du mouillage. Aussi la ville ne tarda-t-elle pas à s’élever. Son emplacement est uni, étendu, bien disposé, à l’est du port, entouré de vastes terrains fertiles, et dominé au loin par des montagnes souvent chargées de neige. Elle a le désavantage de n’avoir pas d’autre eau que celle des puits; mais il est question d’en amener de sources et de lacs situés à peu de distance. Les rues, droites et régulières, sont larges et macadamisées; les maisons, généralement en bois et surmontées de cheminées en briques, sont propres et bien entretenues. On a bâti des églises, un palais pour le gouverneur, des magasins, un hospice. A la porte de la ville, il y a un parc ombragé de chênes. Les faubourgs sont également plantés d’arbres. Le port, sans valoir celui d’Esquimalt, est intérieurement vaste et profond; l’entrée en est gênée par un banc de sable étroit qu’il est question d’enlever. La population de cette ville monte aujourd’hui à trois mille âmes. A côté d’Esquimalt et de Victoria se trouvent encore les ports et les centres naissans de Beecher-Bay à la pointe méridionale de l’île, de Cowichin à la côte sud-est, de San-Juan dans un îlot détaché du détroit. C’est dans cette extrémité méridionale de l’île que, pour le moment, la vie et l’activité européennes sont concentrées. Au-delà de ce petit espace et du rayon étroit de terres défrichées qui l’entoure commencent les régions sauvages, dans lesquelles n’ont pénétré encore qu’un très petit nombre d’explorateurs. L’île Vancouver, inclinée du nord-ouest au sud-est, le long de la côte occidentale de l’Amérique, entre le groupe des îles de la Reine-Charlotte et le territoire de Washington, qui se rattache à la Colombie américaine et à l’Orégon, est longue de cent quinze lieues sur trente environ dans sa plus grande largeur. Le marin Vancouver en avait fait le tour et avait jeté un regard à la côte ouest, sur les points de Nootka et de Clayoquot, qu’il représentait comme couverts de forêts de grands arbres pouvant fournir de vastes ressources. En 1852, M. Hamilton Moffat, employé de la compagnie de la baie d’Hudson, poussa une reconnaissance dans l’intérieur. Parti du fort Rupert sur la côte nord-est de l’île, il se dirigea vers une rivière qui porte le nom des Nimkish, tribu d’Indiens pêcheurs; puis il prit un canot, et, accompagné de six indigènes, il suivit la rivière jusqu’en un lac appelé Tsllelth, large seulement d’un mille et demi, mais long de vingt-cinq, et dont la sonde, à quarante pieds, ne pouvait pas atteindre le fond. Une seconde rivière, l’Oakseey, met ce lac en communication avec un autre lac, le Kanus, puis descend jusqu’à la mer, coupant ainsi la partie supérieure de l’île par une ligne navigable à peu près en forme de diagonale, et qui a l’utilité de mettre les deux côtes en communication directe. Ce même phénomène se reproduit au centre de l’île. En partant de la baie Quallchum, sur le golfe George, le plus récent explorateur, M. Pemberton, traversa en 1856 le lac auquel un de ses prédécesseurs, M. Horne, avait donné son nom, et atteignit par le canal Alberni l’Océan-Pacifique. Plus au midi existe encore un troisième lac étroit et long, que M. Pemberton a également visité dans une excursion faite en novembre 1847 de Port-Cowichin à la rivière False-Nitinat. Tel est donc le caractère général que présente l’île : de longues crevasses volcaniques changées en lacs dont on cherche souvent en vain sur les côtes mêmes à mesurer la profondeur, des falaises abruptes, des montagnes escarpées, puis dans les intervalles de vastes prairies bien arrosées et des forêts épaisses dans lesquelles la hache n’a pas encore jeté d’éclaircies. Le lac Horne est à cent cinquante pieds au-dessus de la mer; le lac Central, un peu plus à l’ouest, forme une large cuvette au milieu des montagnes; on n’en a pas trouvé le fond à cent fathoms[3]. Il gèle durant l’hiver à une grande profondeur et n’a guère d’autre poisson alors que la truite. Le canal Alberni roule ses eaux profondes et libres de toute entrave entre deux rangées de montagnes hautes de quinze à dix-huit cents pieds, bordées et surmontées de pins de la plus grande espèce. Dans les étroits espaces que les arbres laissent libres, une végétation exubérante de fougères couvre le sol. Les castors et les loutres sont très nombreux dans les cours d’eau ; on rencontre assez souvent des ours noirs, quelquefois des ours gris ; les daims errent en troupes, et les coqs de bruyère fournissent aux chasseurs une proie inépuisable. Les Indiens sont dispersés dans des villages rares et médiocrement peuplés. On dit qu’il faut se défier de ceux qui habitent les côtes ; mais dans l’intérieur ils firent aux explorateurs un accueil bienveillant, échangeant avec joie les riches fourrures que la chasse leur procure contre des couvertures et quelques objets de l’industrie européenne. À la baie Friendly, les Nootkas célébrèrent par une grande danse la visite que leur faisaient les hommes blancs. Quelquefois, et pour des causes futiles, ces malheureux se font entre eux des guerres d’extermination.

Victoria de Vancouver a été jusqu’en 1858 le chef-lieu de toute la côte ; mais quand la Colombie anglaise fut devenue colonie de la couronne, on songea à lui donner une capitale séparée et à fonder un établissement important vers l’embouchure du Frazer. Déjà existait une ville à l’entrée du delta de ce fleuve, New-Westminster ; mais la situation en a été reconnue très désavantageuse : elle est enveloppée de marécages et de forêts qui en rendent le séjour malsain, et d’où s’élèvent en été des myriades de moustiques. De plus elle est d’un accès difficile aux bâtimens venant du Pacifique et du détroit de Puget, situé entre le territoire de Washington et le continent. Il fallut donc se reporter vers un autre point. À la suite de divers tâtonnemens, on s’était arrêté à un fort anciennement bâti par la compagnie de la baie d’Hudson, old fort Langley, sur la rive gauche du Frazer, à quelques lieues au-dessus de New-Westminster. Les incommodités qui ont condamné cette dernière ville n’existaient plus ici : la situation est élevée, bien aérée, à proximité de terres défrichées et ouvertes à la colonisation. Un chemin la relie, par-delà la ligne de séparation tracée entre les deux Colombies, à Whatcome et à d’autres villes américaines ; la rivière est libre d’embarras et fournit aux bâtimens un assez fort tirant d’eau.

On se mit sans retard à l’œuvre ; trois mille lots furent assignés, et en deux jours seulement le prix de trois cent quarante-deux d’entre eux fut soldé pour la somme de 13,000 livres sterling, sur lesquelles les acquéreurs déposèrent 10 pour 100. On voit que sous le 49e degré de latitude nord, à la côte du Pacifique, les terrains se vendent encore assez cher. Cette première impulsion ne s’arrêta pas. Une cour de justice, une prison, un presbytère, une église furent bâtis, et les habitans, au nombre de 500 environ, commençaient à communiquer leur activité commerciale et industrielle à la nouvelle cité, quand subitement on apprit que, sans autre motif que les caprices d’une administration peu soucieuse de ses propres intérêts, le titre de capitale était transféré en un lieu situé à quelque distance, sur la rive droite du fleuve. Toutefois, comme les décisions d’un arrêté administratif n’ont pas la vertu de prévaloir sur l’importance d’une bonne situation topographique, il est présumable que Langley continuera de se développer et gardera sa suprématie. Il ne semble pas en effet que la nouvelle fondation obtienne un grand succès; maigre les plans et les projets de ses ingénieurs, les colons l’ont baptisée du nom de cité fantôme.

Deux petites villes encore sont situées sur le Frazer : Hopetown, au confluent de la rivière Quequealla, point extrême de la navigation sur le fleuve en steamer et Yalé, à quelque distance au-dessus. Il est à remarquer que ces postes anglais ont pris la place de villages indigènes, qu’ils sont très avantageusement situés, et que les Indiens apportent une sagacité étonnante dans le choix des endroits où ils se fixent. Ils savent fort bien prendre en considération les ressources du sol, l’eau, le combustible, et, même la beauté du site.

La société dans ces villes naissantes a quelque chose des caractères de rudesse primitive qui les signalent elles-mêmes; les femmes y sont peu nombreuses, et bien que des concerts, des bals et même des représentations scéniques y soient organisés à l’imitation des grandes villes de l’émigration anglo-saxonne, cependant c’est surtout dans les jouissances actives de la chasse et de la pêche que les colons trouvent les distractions de la vie extérieure. Sous ce rapport, ils sont amplement favorisés; le gibier de terre et d’eau, qui fait le fond de l’alimentation indigène, leur est aussi d’une grande ressource. Des élans de grande taille descendent en troupes, durant l’hiver, dans les vallées de la côte ; en été, ils remontent vers les lacs et les hauteurs pour y respirer à l’aise. Ces animaux, excellens nageurs, se jettent souvent à la mer pour gagner les îlots du détroit. Les chasseurs de Victoria les poursuivent dans ces retraites; ils organisent des expéditions de quinze jours ou trois semaines, à la suite des- quelles ils rentrent avec un butin de trente ou quarante pièces pesant de 100 à 150 livres. Les Indiens suppléent par la ruse à l’infériorité de leurs armes, et prennent ces animaux dans des pièges ingénieusement dressés. En hiver ils en font quelquefois de grands carnages, en les poussant sur les lacs et les rivières, quand la glace, assez forte pour porter un homme, cède cependant sous les pieds pointus et les bonds des élans.

Les ours noirs descendent souvent des montagnes, et on les rencontre en assez grand nombre quand les baies des arbrisseaux sont mûres et abondantes. Quelquefois aussi ils s’en vont à la dérive sur la rivière, accroupis sur un tronc d’arbre aussi foncé qu’eux. Jamais ils n’attaquent l’homme que s’ils ont été blessés ou s’ils croient leurs petits menacés. Beaucoup sont de grande taille. Quand ils sont jeunes, leur chair a un goût agréable, elle est assez semblable à celle du porc; mais en vieillissant elle devient dure et prend une odeur forte. Il est très rare qu’une balle, même bien dirigée, suffise à les tuer.

L’espèce de panthère appelée puma, bien que d’un aspect terrible, est peu redoutable à cause de sa lâcheté, la vue du moindre chien la fait fuir sur un arbre; mais c’est un terrible ennemi pour les troupeaux : si elle pénètre dans un parc, elle égorge en un instant les brebis et leur suce le sang. Les loups, de diverses couleurs, sont nombreux et de la taille d’un gros chien anglais, mais ils sont très timides.

Pour trouver un large champ à ses exploits, le sportsman n’a que quelques milles à faire hors de l’établissement; il doit être muni d’un rifle à deux coups, d’un couteau de chasse, d’une couverture, et accompagné d’un ou de deux Indiens chargés de porter le gibier et aussi d’en suivre ou d’en retrouver les traces, exercice difficile auquel les indigènes excellent. On se sert peu de chiens. Parmi les oiseaux, le meilleur coup de fusil sur la côte, dit un amateur qui l’a longtemps parcourue le rifle à la main, c’est le canard, dont il existe des variétés très nombreuses. Les meilleures espèces se trouvent dans les deltas des rivières et sur les marécages. Il n’est pas difficile à un chasseur exercé d’en tuer trente ou quarante dans sa journée ; mais il lui faut un bon retrouveur, sans quoi il risque de perdre une partie de son butin. Les oies sauvages sont si nombreuses que l’on voit les enfans indiens se glisser doucement vers elles et les tuer à coups de flèches. Quant aux coqs de bruyère, il faut aller les chercher dans les embarras des forêts; ils passent le jour dans le creux d’un pin ou dans un trou de rocher, n’en sortant que le matin et le soir pour chercher leur nourriture. Les cygnes sont difficiles à aborder; ils s’abattent en troupes sur les lacs. Les aigles, les faucons, les milans ne sont pas rares, mais ils fuient le voisinage des établissemens, auprès desquels au contraire les pigeons, les grives et toute la foule des petits oiseaux chanteurs semblent se multiplier.

La pêche aussi fournit d’abondantes ressources à la colonie et d’agréables distractions aux colons. Placés dans les limites de la pêche à la baleine, Vancouver et les ports de la Colombie anglaise peuvent devenir des points de station et de refuge habituels pour les baleiniers; déjà Victoria en a reçu un grand nombre depuis qu’Honolulu, dépossédée par une mauvaise administration d’une partie de ses avantages, n’a plus à leur offrir ni docks, ni approvisionnemens certains, ni facilités pour le radoub et l’hivernage. Les saumons, en nombre incalculable, remontent les rivières de l’île et du continent; les meilleurs sont ceux que l’on prend du milieu d’avril à la fin de juillet. Il y a une espèce plus petite, dont les individus ne pèsent guère plus de huit livres, qui se montre de juin en août; il y a aussi de larges saumons blancs, des saumons rayés, des saumons bossus, d’autres au nez crochu : toutes les variétés de ce genre se multiplient avec une incroyable abondance dans les cours d’eau et dans les lacs de ces côtes. Il n’est pas difficile de les prendre à la ligne, au filet, et parfois on voit sur un banc de sable un ours les péchant à coups de griffes. Ceux de la grosse espèce atteignent un poids de 50 livres. Les Indiens les prennent de toutes les façons, dans des pièges ingénieusement tendus, dans des baquets disposés de manière à les recevoir quand ils sautent; lorsque les eaux sont basses, ils les tuent à coups de flèches et de pierres. Des esturgeons, souvent d’un poids énorme, se rencontrent en grand nombre sur les barres, à l’entrée des rivières. Les truites et les truites saumonées sont également très abondantes. On trouve encore des raies, des carrelets, des plies, des écrevisses. A la côte, il n’y a pas de homards, mais beaucoup d’huîtres.

La chasse et la pêche, avec leurs produits faciles, ne sont pas un mince attrait pour quelques-uns des émigrans de la Grande-Bretagne; ils se vantent de pouvoir se donner, à moindres frais, plus de plaisir que les opulens gentlemen dans leurs parcs d’Angleterre et d’Ecosse. Ils deviennent aussi propriétaires fonciers à meilleur compte. De vastes espaces de terrain dans Vancouver et dans la Colombie ont été marqués pour l’occupation coloniale, et tout sujet anglais peut acquérir 160 acres, excepté sur les territoires réservés aux Indiens et marqués pour l’établissement de villes ou pour quelque autre appropriation publique. Pour garantir son titre à la possession, ce que dans les colonies anglaises on appelle claim, le claimant n’a qu’à se présenter au juge le plus voisin et à lui faire consigner le fait de l’occupation avec la description des limites occupées. Il ne paie rien pour la terre, mais seulement un léger droit d’inscription. C’est plus tard seulement, quand la mise en valeur a été commencée, que le gouvernement perçoit des droits. L’immigrant ou ses héritiers acquièrent alors un titre de propriété moyennant une somme de 10 shillings qui peut être réduite par le gouvernement à 5 par acre. Ce mode d’acquisition, avec jouissance antérieure au paiement, est ce que l’on appelle du nom particulier de preempting. Les États-Unis ont mis ce système en vigueur il y a une trentaine d’années, dans les premiers temps où l’immigration commençait à pousser son flot vers l’Amérique.

Pour favoriser le défrichement, il a été convenu qu’un colon, après avoir fait subir à un lot une amélioration évaluée à 10 shillings par acre, pouvait le vendre et en transférer le titre de propriété. Aux 160 acres qu’il a primitivement acquis, l’immigrant peut en ajouter une quantité indéterminée au prix de 10 shillings l’acre, dont moitié comptant et le reste à terme. Les terres prises, puis abandonnées, sont données aux mêmes conditions à d’autres immigrans, avec les travaux de défrichement qui peuvent y avoir été faits. Les différends de limites entre voisins sont portés au magistrat le plus proche, avec appel aux cours supérieures. La loi donne aux étrangers qui prêtent le serment d’allégeance les mêmes droits et privilèges qu’aux sujets anglais.

Un esprit fort libéral a présidé à cette organisation ; les entraves imposées aux immigrans sont peu nombreuses; l’administration a sagement compris qu’en réduisant le plus possible les taxes et les difficultés, elle attirait une population propre à mettre la terre en valeur, à en tirer profit par un juste retour, et à diminuer les fatigues des premiers colons. Des mesures non moins prudentes ont présidé à l’organisation des mines, et sous ce rapport la vallée du Frazer va nous donner le spectacle singulier d’une région aurifère épargnée par la misère et le crime.


III.

On a vu déjà que deux grands cours d’eau, la Colombie et le Frazer, arrosent la Colombie anglaise; du premier, elle n’a que les sources et le cours supérieur. C’est aux riches territoires de la Colombie américaine et de l’Orégon qu’appartient la plus grande partie navigable de son cours ; mais la région dans laquelle la Colombie prend sa source a été vantée pour sa beauté, sa richesse et la douceur de son climat. Elle sort du pied des Montagnes-Rocheuses, un peu au-dessus du 50e degré de latitude nord; elle remonte entre deux chaînes de montagnes, puis vers le 52e degré redescend brusquement vers le sud ; elle traverse ensuite, avant de franchir la ligne qui sépare les deux Colombies, anglaise et américaine, deux lacs, l’Arrow supérieur et l’Arrow inférieur, et reçoit à l’est un affluent important, le Mac-Gillivray ou Flalbow-River. Le territoire des Indiens kootanies que cette rivière traverse, entrecoupé de prairies et de forêts, n’est pas moins heureusement doté que celui où la Colombie prend naissance; le chef des Mormons, Brjgham Young, le fit reconnaître; ses explorateurs le lui représentèrent pour sa température et sa fertilité comme un vrai paradis, et le grand-prêtre eut un moment l’idée, qu’il n’a pas encore réalisée, de diriger là son dernier exode.

Le Frazer appartient tout entier aux possessions anglaises ; il naît sur une de leurs limites, et elles finissent peu au-dessous de son embouchure. Son nom indigène est Tacoutché-Tessé ; celui sous lequel il est aujourd’hui connu lui vient d’un employé de la compagnie de la baie d’Hudson qui, en 1806, fonda un établissement sur le lac auquel il a donné également son nom, et d’où sort une des branches du fleuve coulant de l’ouest à l’est. La vraie source, celle qui donne au fleuve son plus long parcours, sort du même massif des Montagnes-Rocheuses, d’où découle en sens opposé l’Athabasca, pour aller arroser les prairies indiennes. Comme la Colombie, qu’il égale en volume et en rapidité, le Frazer court d’abord du sud au nord; puis, arrivé à environ quinze minutes au-dessus du 54e degré de latitude nord, il s’infléchit subitement vers le sud et coule avec une inclinaison de l’ouest à l’est jusqu’entre les 50e et 49e degrés, où il va, par un brusque mouvement vers l’ouest, se jeter dans l’Océan-Pacifique, en face de la pointe méridionale de Vancouver, après un cours de plus de trois cents lieues. Une barre sablonneuse de cinquante milles carrés coupe son embouchure; mais elle est moins dangereuse que celle de la Colombie, parce que les fortes houles du Pacifique sont brisées par la chaîne d’îlots qui entourent comme d’une ceinture protectrice la bouche du fleuve.

Jusqu’à Hopetown, à environ cent milles de son embouchure, le fleuve est navigable pour les steamers. Dans le milieu de l’été, il se gonfle à la suite de la fonte des neiges dans les Montagnes-Rocheuses, et son courant prend alors une rapidité de six nœuds à l’heure. A Yalé, douze milles au-dessus de Hopetown, les rapides commencent, et de ce point jusqu’à sa jonction avec Thompson’s-River, affluent de la rive gauche, le Frazer présente un aspect magnifique, mais plus goûté de l’artiste que du navigateur. Son bassin, semé de rochers, s’élargit, puis tout à coup il se resserre entre deux montagnes; le fleuve, démesurément gonflé, écume, et, impatient de ses limites, s’élance, comme pour les surmonter, le long de ses murailles rocheuses. Pour éviter cet impraticable passage, on a ouvert un chemin par la rivière et les lacs Harrisson et Lilooette, qui se jettent dans le Frazer, à sa rive droite, au-dessous de Hopetown. Ce chemin, long de cent huit milles, conduit le voyageur, par une succession de petites rivières, de lacs et de canaux, au-dessus du confluent du Thompson avec le Frazer. Il y a une façon fort curieuse de pénétrer au cœur de la Colombie anglaise : un steamer conduit le voyageur par la rivière Colombia jusqu’aux Cascades, à la hauteur du 48e degré ; puis de là, par les vallées des rivières Okanagan et Simil-Kameen, il rejoint celle du Thompson. La facilité des communications par eau est une des grandes faveurs que la nature ait accordées à la Colombie. Les principaux affluens du Frazer, outre le Thompson et le Harrisson, sont, sur la rive gauche, l’Axe et le Quesnel ; le Salmon et le Chilcolin se jettent à la rive droite. Presque tout ce vaste bassin est aurifère.

C’est seulement en 1858 qu’a commencé l’exploitation des mines d’or de la Colombie ; cependant déjà il était arrivé à plusieurs reprises que des Indiens fissent quelques trouvailles importantes. L’or est peu considérable à l’embouchure des rivières : on en trouve davantage à mesure qu’on les remonte ; d’ordinaire on le rencontre en petites parcelles ; dans certains endroits, il n’est pas assez abondant pour payer la peine du mineur ; il en a été ainsi à Colville. Au voisinage de Fort-Thompson et des lacs Kamloops et Shoushwap, sur le cours moyen de la rivière Thompson, les profits ont commencé à être plus considérables ; puis Yalé et Bridge-River sont devenus les principaux centres d’attraction ; enfin les chercheurs ont remonté le Frazer jusqu’aux forts Alexandria et George, et ils ont découvert que c’était dans les échancrures des montagnes d’où sort Quesnel-River que l’or se présentait le plus fréquent, le plus massif, et que là se rencontreraient les meilleurs profits. En effet quelques mineurs réalisèrent tout d’abord de beaux bénéfices, et l’on en cita plusieurs qui, dans la saison, amassèrent 4 ou 500 livres d’or.

La nouvelle de la découverte de cette région de l’or ne fut pas longue à se répandre ; la Californie l’apprit la première, et aussitôt un flot de trente-cinq mille mineurs déborda de San-Francisco sur Victoria de Vancouver. Cette invasion de tous les déçus et de tous les vagabonds de la Californie pouvait changer radicalement les destinées de la région du Frazer et lui créer des conditions toutes différentes de la vie paisible et réglée dont elle jouit ; mais la foule mal préparée qui se jetait sur elle n’y trouva pas de ressources : à Victoria, les moyens d’existence étaient insuffisans ; le continent présentait de vastes espaces déserts, à peine des routes et pas de chariots pour mener aux mines ; cette foule repartit comme elle était venue. La presse locale déplora cet abandon ; elle regrettait la population qui eût été ainsi tout d’un coup répandue sur la colonie, ainsi que l’expérience des mineurs californiens, sans comprendre que cette multitude, dénuée de ressources immédiates, apportait le désordre. et que si elle eût exploité les mines de la Colombie, c’eût été au profit des marchands et des armateurs de San-Francisco. Rendue à la solitude, peuplée seulement des gens sérieux qui ne prétendaient réussir qu’à l’aide d’un travail persévérant, la colonie établit dans ses mines l’ordre et la régularité par des prescriptions datées de septembre 1859.

Les mines sèches, dry diggins, furent partagées en lots appelés bench diggins d’une superficie de cent pieds carrés, ou formant des bandes de vingt-cinq pieds, le long des rochers, sur les bords des rivières. Chaque mineur dut recevoir un et dans certains cas deux de ces lots, à charge d’y entretenir le chemin public et les conduites d’eau suivant la direction indiquée par les commissaires des mines. L’eau est aux mines une des grandes causes de querelles et de réclamations; elle est indispensable au travail, et les mineurs sont sans cesse disposés à reprocher à leurs voisins qu’ils l’absorbent et l’épuisent. C’était donc une mesure d’ordre importante que d’en assurer la distribution. En arrivant aux mines, chaque travailleur est tenu de prendre une licence. On s’accorde à reconnaître que les mineurs dans la Colombie anglaise valent mieux que ceux des autres régions aurifères. Ils sont en général sobres et intelligens; il n’y a point parmi eux d’exemple des rixes terribles qui ont quelquefois ensanglanté les placers du Sacramento et ceux de l’Australie. Un assez grand nombre de vagabonds et de vauriens s’étaient jetés d’abord à leur suite sur le Frazer; mais ils ont été rebutés par les fatigues et écartés par la sévérité des autorités anglaises. L’ordre et une certaine régularité ont été ainsi établis; cependant l’existence du mineur est pénible à cause des vastes espaces déserts qu’il doit franchir, des provisions et des instrumens qu’il lui faut porter au loin. Les profits ne sont pas considérables; en voici la mesure moyenne : en 1858, l’extraction de l’or des diverses mines de la Colombie anglaise a produit 1,494,211 livres sterling, en 1859 près de 2 millions, ce qui, d’après le nombre des mineurs, établi par la liste des licences, donne un peu plus de 100 livres pour chacun ; or les frais d’existence peuvent être évalués à environ 60 livres.

Il en est donc de la Colombie comme des autres régions aurifères, à quelques exceptions près que le hasard ramène de loin en loin, et comme pour exciter la passion des chercheurs, l’existence des mineurs y est ingrate, et leurs gains n’apportent pas une compensation suffisante à leurs privations et à leurs fatigues. Aussi l’avenir de cette contrée n’est-il pas dans l’exploitation de l’or, mais plutôt dans le sage développement des autres richesses plus durables dont la nature l’a dotée. Nous avons vu qu’elle doit devenir, grâce à ses ports, l’entrepôt d’une partie du commerce du Pacifique, et que ses immenses forêts peuvent fournir un long aliment à un commerce de bois considérable. De plus, elle possède des mines de charbon de terre. Vancouver n’exploite pas l’or de ses rochers et de ses cours d’eau, parce qu’il y est trop clair-semé pour payer les frais de l’extraction; mais cette île a dans la houille une autre source de profits qui, sur les bords du Pacifique, n’est guère moins précieuse. La consommation qui s’en fait sur le Grand-Océan atteint le chiffre énorme de 200,000 tonnes par an. San-Francisco seul en a importé en 1859 79,000 tonnes et 70,000 en 1860. Soixante-dix steamers environ sont annuellement employés à porter au railway de Panama un chargement qui s’élève à environ 100,000 tonnes. Les côtes du Pacifique ne fournissent guère plus de 10 pour 100 de cette énorme consommation, et c’est le Chili presque seul qui apporte ce contingent. La question de la houille est une de celles qui ont le plus d’importance sur tout le littoral; souvent les feuilles californiennes célèbrent des découvertes de gîtes houillers à Mary’sville, Stockton, sur le Sacramento et le San-Joaquin. Rien de sérieux cependant ne s’est encore produit à cet égard, et il n’existe au nord du Pacifique d’exploitation vraiment importante qu’à la baie de Bellingham, dans la partie septentrionale de la Colombie américaine. Or des gisemens de houille considérables ont été récemment découverts dans toute la région inférieure de l’île Vancouver, de Nitinat à Nanaïmo, sur les deux côtes. L’exploitation en est facile, et déjà elle alimente les steamers de la colonie et ceux de la compagnie de la baie d’Hudson. Ce charbon est, à ce qu’il paraît, sous le rapport de la qualité, assez semblable à celui que l’on extrait des mines de l’Angleterre. La compagnie de la baie a installé des machines, des travailleurs à Nanaïmo, qui est ainsi devenu subitement un centre actif d’industrie. Un assez grand nombre d’Indiens y sont employés. Dans le nord de l’île, la houille a été signalée aussi à Koskeemo, près de Beaver’s harbour, le port des Castors. Sur le continent, on en a reconnu plusieurs lits dans le delta du Frazer, mais situés d’une façon défavorable pour l’exploitation ; il en existe aussi à l’entrée du canal Burrard, un peu au-dessus du fleuve, et enfin aux dernières limites septentrionales de la colonie, à Port-Essington, vers le 54e ’degré de latitude, en face de l’archipel de la Reine-Charlotte. L’exportation du charbon de Vancouver a commencé en 1858; elle s’est élevée à 1,700 tonnes, et elle a été de 2,000 l’année suivante.

À cette richesse minérale de Vancouver, il faut ajouter les sources salées de cette île; elles sont nombreuses. Nanaïmo en possède une qui donne un gallon d’eau par minute et une livre de sel par gallon. Ce n’est pas, il est vrai, la quantité fournie par les sources de l’Utah, qui donnent en sel le tiers de leur poids.

Aujourd’hui les routes qui conduisent de l’Europe dans le Pacifique, et surtout à la côte nord-ouest de l’Amérique, sont longues et difficiles. Sept principales sont habituellement suivies : la première consiste à s’embarquer à Londres ou à Liverpool sur un bâtiment qui traverse l’Atlantique et double le cap Horn. Il ne faut, pour l’accomplir, guère moins de cinq mois. Vient ensuite le passage par Panama ; un steamer conduit le voyageur de New-York à Aspinwall ; on sait qu’un chemin de fer livré en partie à la circulation en 1852 et terminé en 1855, avec des travaux et des frais considérables, traverse aujourd’hui l’isthme de Panama en quelques heures. De Panama, un trajet de quatorze jours mène à San-Francisco, d’où l’on peut gagner les points plus septentrionaux de la côte ; les steamers américains accomplissent le passage de San-Francisco à Esquimalt, à Victoria de Vancouver, en quatre ou cinq jours. Une troisième route entre les deux Amériques conduit au nord de celle de Panama par le fleuve San-Juan et le lac de Nicaragua, où un service régulier et assez prompt a été organisé en attendant que les compagnies françaises ou américaines coupent l’isthme à cet endroit, comme elles se le sont proposé.

Telles sont les routes maritimes. Il y en a quatre autres, dites terrestres, overland, coupant la partie septentrionale du continent américain dans sa grande largeur : d’abord la plus fréquentée de toutes, la grande voie de Saint-Louis et de Memphis, de El-Paso à San-Francisco. Le trajet est de vingt-deux jours, très régulier, bien organisé, avec deux départs par semaine, durant la saison des voyages. Il coûte 20 livres, plus 5 livres pour les repas. Des stations militaires ont été établies tout le long de la route ; chacune d’elles a une garnison de vingt-cinq hommes. La seconde route est celle de San-Antonio à San-Diego par El-Paso ; elle est desservie par une malle hebdomadaire. La troisième route, monotone et peu fréquentée, consiste en un service mensuel par le Kansas et Stockton ; la dernière va à San-Francisco de San-Joseph et de Placerville par la cité du Lac-Salé. C’est la route qui communique le plus directement avec l’Orégon et le territoire de Washington ; elle est hebdomadaire, et a été suivie dans ces dernières années par un grand nombre d’émigrans qui se dirigeaient sur la Californie. À ces quatre grandes voies, qui mettent le Mississipi en communication avec la côte occidentale, le gouvernement des États-Unis accorde des subsides annuels : à la première 600,000 livres, à la seconde 200,000, à la troisième 80,000, à la dernière 320,000.

À ces voies l’Angleterre a l’intention d’en ajouter une nouvelle pour relier ses colonies américaines de l’Atlantique à celles du Pacifique. Les brigades de la compagnie de la baie d’Hudson suivent un passage qui leur est particulier par les Rivière-Rouge et Sascatchewan, et franchissent en une passe dite Bol-de-Punch [Punch-bowl-Pass) les Montagnes-Rocheuses; mais cette voie, praticable pour de hardis trappeurs, familiers avec les forêts et les déserts de ces régions, ne sauraient convenir à de simples voyageurs chargés de bagages. On en propose donc une nouvelle, plus méridionale, côtoyant les grands lacs du Canada et presque entière desservie par la vapeur. Il existe un chemin de fer anglais qui de Montréal remonte le Saint-Laurent, longe le lac Ontario en passant par Toronto, et aboutit à la pointe méridionale du lac Huron. De là, un autre chemin de fer, appartenant aux États-Unis, se dirige vers le lac Michigan, passe à Chicago, et arrive à Lacrosse sur le Mississipi. Il s’agit d’établir la nouvelle route sur cette ligne, de la faire ensuite remonter vers la Rivière-Rouge, qui peut porter de petits steamers jusqu’à Assiniboia, au midi du lac Winnipeg. De là, par une série de lacs et de rivières, on parvient sur une branche méridionale du Sascatchewan, et l’on franchit dans les Montagnes-Rocheuses la passe Vermillon. Il ne reste plus ensuite qu’à établir une route à wagons, longue de 400 milles, dans la direction de Hopetown, tête de la navigation du Frazer. Pour accomplir ce chemin, qui, en y joignant les trajets de Portland à Montréal et de Hopetown à Victoria, c’est-à-dire deux ports, l’un sur l’Atlantique, l’autre sur le Pacifique, n’embrasse pas moins de 3,178 milles, il ne faudrait, suivant l’estimation d’un des auteurs du système, qu’une durée de vingt-cinq jours.

Le gouvernement anglais se déterminera-t-il à subventionner cette grande entreprise? Verra-t-on la vapeur étonner les Indiens jusque dans leurs derniers campemens, et porter des populations européennes dans ces régions si longtemps inabordables à l’homme blanc? Si ce projet se réalise, ce sera surtout au profit de la Colombie, et de la côte nord-est du Pacifique. La colonie, que nous avons vue naissante et chétive encore, aura peut-être ses jours de grandeur et de prospérité ; mais ce ne sera pas non plus sans de grands avantages pour l’Angleterre. Il y a quelques années, dans les premiers temps de la découverte de l’or, la foule qui se pressait dans les ports de la Grande-Bretagne, demandant aux régions lointaines les ressources de son existence, suivit un double courant. Des émigrans, les uns se tournèrent vers les régions de l’or; le sol privilégié du Victoria et les bords aurifères du Sacramento les attirèrent par milliers. On sait quelles dures épreuves les y attendaient : pour quelques favorisés du sort, combien ont misérablement péri, ou sont revenus épuisés et pauvres comme ils étaient partis! D’autres, mieux avisés, ou instruits par l’expérience, s’en allérent dans Adélaïde et dans la Nouvelle-Zélande demander à un sol fécond et bien arrosé les ressources plus durables et plus sûres qu’il accorde au travail persévérant et régulier de l’agriculteur. Ainsi s’est formée une classe de colons munis d’un capital qui s’élève quelquefois à 50 ou 60,000 francs; ils bâtissent des fermes, entretiennent de nombreux troupeaux, introduisent dans les pays fertiles où ils se sont fixés toutes les améliorations de la culture.

La Colombie et Vancouver, bien que la première de ces colonies possède aussi des mines d’or, s’ouvrent à cette classe particulière de sages colons qui, mieux que les exploiteurs de mines et les spéculateurs de terrains, paraissent appelés à faire la force et la prospérité de la colonisation anglaise, et c’est dans cette voie surtout que l’Angleterre doit pousser ses émigrans. Les contrées tropicales semblent moins lui convenir que les régions plus sévères qui s’étendent, comme le Canada et la Colombie, vers le nord. La race anglo-saxonne a éprouvé combien les régions du tropique étaient, même pour elle, pleines de péril; vers le nord au contraire, elle trouve une source abondante et irréprochable de richesses dans la culture du sol, dans la conquête de pays longtemps incultes et sauvages. La vie y est plus calme, sans y manquer d’intérêt et de charme. Dans ces régions, la nature se plaît aussi à déployer sa magnificence : ces vastes forêts de chênes et d’érables, ces sombres couronnes de sapins, avec leurs verdures au ton foncé et un peu triste, ont leur charme et leur grandeur. La terre, plus rebelle, rappelle à l’homme les devoirs sérieux de l’existence; mais, si elle lui rend plus rude l’accomplissement de sa tâche, elle entretient sa vigueur. Là il ne s’est pas avili en substituant à son travail celui de l’esclave. Au souffle âpre et vivifiant des montagnes et de la mer, il ne s’endort pas dans l’indolence où souvent les hommes des tropiques énervent leurs facultés, et si la nature est moins facile, moins spontanée, si elle exige plus d’efforts, en revanche elle trouve devant elle des adversaires plus robustes et mieux préparés.


ALFRED JACOBS.

  1. Le mille anglais égale 1,610 mètres.
  2. Le pied anglais égale 0m, 305.
  3. Le fathom vaut 0,m 829.