Les Rêves du passé

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Poésies
Cherbuliez (p. 189-191).

Les Rêves du passé



 
Alors les fleurs croissaient dans la verte prairie,
Dans un ciel glorieux triomphait le soleil.
Des songes printanniers erraient dans mon sommeil,
Le ciel n’était pas froid, l’eau n’était pas tarie.
Alors… Mais aujourd’hui tout est morne et glacé ;
Le cœur est desséché, la nature est flétrie !
Où sont les rêves du passé ?


Soleil, tu nous rendras tes splendeurs matinales ;
Astres, vaisseaux du ciel, vous voguerez encor,
Jours d’azur de juillet, verts coteaux, moisson d’or,
Horizon du Léman, vieux monts, Alpes natales,
Comme un aveugle errant, je voudrais vous revoir.
Ô mes jours de bonheur ! ô mes jeunes années !
Entre nous dès long-temps l’adieu s’est prononcé.
J’aime à voir, triste et seul, pâlir mes destinées
Avec les rêves du passé.

Pressy, riant village, asile solitaire,
Le plus cher à mes vœux, le plus doux de la terre,
Sous tes arbres en fleurs n’irai-je plus rêver ?
Blancs rochers du Salève, où j’ai caché des larmes,
Genève si chérie et si pleine de charmes,
N’irai-je pas vous retrouver ?

Hélas ! depuis long-temps je végète et je pleure ;
Depuis long-temps, hélas ! je redis d’heure en heure :
« Encore une heure de malheur ! »

Mais les cieux paternels abritaient mieux ma peine ;
Et l’étranger n’a pas, aux rives de la Seine,
D’asile pour les maux du cœur.

Aux rives de mon lac je croyais à la gloire ;
D’avenir et d’espoir l’amour m’avait bercé.
L’amour ! — Je n’y crois plus. Mon cœur est délaissé ;
La gloire me dédaigne… Oublie, ô ma mémoire,
Les tristes rêves du passé !

Paris 1828.