Les Ravageurs/IV

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Ch. Delagrave (p. 17-20).
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IV

LES LARVES

Paul. — Les insectes se propagent par des œufs, qu’ils pondent, avec une admirable prévoyance, en des lieux où les jeunes soient assurés de trouver de la nourriture.

Jules. — La zeuzère, où dépose-t-elle les siens ?

Paul. — Sur divers arbres dont le bois convienne à l’appétit des larves futures, sur le lilas, le poirier, le pommier, le frêne, l’orme, le cognassier, le sorbier, le houx, le marronnier, et sans doute bien d’autres. Le papillon se pose sur l’écorce, où il reste immobile, puis, avec le conduit long et pointu qui lui termine le ventre, il introduit un à un ses œufs dans les fines crevasses de l’arbre. C’est en juillet que la ponte a lieu. Il convient à cette époque de faire l’inspection du jardin, de visiter un à un les arbres fruitiers, pour surprendre le papillon appliqué sur les écorces, le faire périr avant la ponte et se délivrer ainsi des ravageurs futurs. Il n’est guère possible d’atteindre la chenille, qui s’est creusé un domicile dans la tige d’un arbre ; mais on peut toujours, avec un peu de surveillance, atteindre le papillon, qui vit au dehors. La chasse est d’ailleurs plus efficace : en se débarrassant de la mère, on fait périr dans leur germe un cent de chenilles peut-être.

Émile. — Est-ce que le papillon ne prend pas la fuite quand on veut le saisir sur l’écorce d’un arbre ? J’ai bien de la peine à prendre ceux qui volent dans le jardin. Lorsque j’en vois un posé sur une fleur, je m’approche doucement, bien doucement, j’avance la main, mais pst ! le papillon s’en va.

Paul. — On prend la zeuzère sans difficulté ; la pauvre mère a le vol lourd, et puis elle est trop préoccupée du soin de ses œufs pour songer à prendre la fuite.

Jules. — Ah ! si j’avais su ces choses, comme j’aurais fait bonne garde autour de mon lilas ! Vienne le mois de juillet, et vous verrez.

Paul. — Chaque espèce d’insectes, vous disais-je, dépose ses œufs, avec une admirable prévoyance, en des lieux où les jeunes aient des vivres assurés. Le petit être qui sort de l’œuf est une larve, un débile vermisseau, qui, le plus souvent, doit seul se tirer d’affaire, se procurer à ses risques et périls le vivre et le couvert, chose difficile en ce monde. En ses pénibles débuts, il ne peut attendre aucune aide de sa mère, morte le plus souvent ; car, chez les insectes, les parents meurent en général avant l’éclosion des œufs d’où proviendront les fils.

Sans tarder, la petite larve se met au travail. Elle mange. C’est son unique affaire, affaire grave, d’où dépend l’avenir. Elle mange, non simplement pour soutenir ses forces au jour le jour, mais surtout pour acquérir l’embonpoint nécessité par la future métamorphose. Il faut vous dire, et ceci vous étonnera peut-être, que l’insecte ne grossit plus, une fois qu’il possède sa forme finale, sa forme parfaite. Aussi connaît-on des insectes, le papillon du ver à soie entre autres, qui ne prennent aucune nourriture.

Le chat est d’abord une mignonne créature à nez rose, si petite qu’elle tiendrait dans le creux de la main. En un mois ou deux, c’est un gentil minet, qui s’amuse d’un rien et, de sa patte leste, fouette la mèche de papier que l’on fait courir devant lui. Encore un an, et c’est un matou, qui guette patiemment les souris et se griffe sur les toits avec ses rivaux. Mais, mignonne créature entr’ouvrant à peine ses petits yeux bleus, gentil minet joueur, gros matou querelleur, le chat a toujours la forme de chat.

C’est tout autre chose pour les insectes. Le machaon, sous sa forme de papillon, n’est pas d’abord petit, puis moyen, puis grand. Lorsque, pour la première fois, il ouvre ses ailes et prend son vol, il possède toute la grosseur qu’il doit à jamais avoir. Quand il sort de dessous terre, où il vivait à l’état de larve, quand pour la première fois il apparaît au jour, le hanneton est tel que vous le connaissez. La zeuzère, au moment où elle quitte la demeure que la chenille s’était creusée dans le bois, a la grosseur de celle que je viens de vous montrer. Il y a de petits chats, mais il n’y a pas de petits machaons, de petites zeuzères, de petits hannetons. Après la métamorphose, l’insecte est tel qu’il doit rester jusqu’à la fin.

Émile. — J’ai pourtant vu de tout petits hannetons qui volent le soir autour des saules.

Paul. — Ces petits hannetons sont une espèce différente. Ils restent ce qu’ils sont. Jamais ils ne grossissent et ne deviennent le hanneton commun.

Seule, la larve grandit. D’abord toute petite au sortir de l’œuf, elle acquiert peu à peu une grosseur en rapport avec l’insecte futur, ce qui nécessite souvent plusieurs années ; aussi la larve vit-elle bien plus longtemps que l’insecte parfait qui en provient. À l’état de chenille ou de larve, la zeuzère reste trois ans dans le bois qu’elle ronge ; à l’état de papillon, elle vit une semaine ou deux peut-être, tout juste le temps de pondre ses œufs.

Émile. — Et puis ?

Paul. — Et puis, elle meurt ; son rôle est fini. Trois années durant, trois longues années, elle reste sordide chenille, vivant de bois pourri, se gorgeant de matières coriaces, pour se transfigurer enfin en superbe papillon, boire le miel au fond des fleurs et jouir quinze jours des suprêmes fêtes de la vie.

Jules. — Le papillon ne fait donc aucun mal aux arbres ?

Paul. — Aucun. Il en est à peu près de même pour la plupart des insectes. Les dégâts qu’ils font à l’état parfait ne sont rien, ou sont fort peu de chose par rapport aux dégâts des larves, d’une vie plus longue et d’un vorace appétit.