Les Reposoirs de la procession (1893)/Tome I/Le pèlerinage de Sainte-Anne

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Édition du Mercure de France (Tome premierp. 45-54).


LE PÈLERINAGE
DE SAINTE-ANNE


À Mme  Sarah Bernhardt.


Les cinq Gars de faïence, à la peau de falaise, aux yeux couleur d’océan qui s’apaise, vont, bras dessus, vers la chapelle peinte où, vieillement jolie, sourit la bonne Sainte.

Mises dimanchement, emparfumées de marjolaine, bras dessous les accompagnent les cinq Promises de porcelaine mignonnes comme des joujoux et dont la joue rayonne ainsi qu’une pomme d’api, — car ils reviennent des baleines, des lugubres baleines aux vilaines bouches, les salubres marins destinés à leurs couches.

Donc la guirlande juvénile vers Sainte-Anne marche, à travers la lande puérile, les lins et les moulins, les ruches, le blé noir, les meules, les manoirs, les clochers de pain bis, les vaches, les brebis, et les chèvres bêlant à la manière des aïeules.

Et, l’âme vive, l’on arrive à la chapelle peinte où, vieillemment jolie, sourit la bonne Sainte.

Viennent offrir, les fils des vagues, leur offrande viennent offrir à la Marraine aux fins yeux d’algue, à la Marraine des marins, qui, les sauvant des loups gloutons du vent noroît, guida leurs grands moutons de bois vers le bercail de Cornouailles.

Et les voici cherchant au tréfonds de leurs poches, sous le bonjour des cloches, et les voici cherchant le Cœur d’or ou d’argent juré devant l’écueil qui peinturlure en deuil les femmes de futaine allant pleurer à la fontaine…

Et les voilà cherchant le Cœur d’or ou d’argent, cependant que sur l’herbe et la mousse, lassées par la route, elles s’étendent toutes, les douces fiancées aux longs cheveux de gerbe.

Mais ils ne trouvent dans leurs poches, sous le bonjour des cloches, ne trouvent que des sous, du corail, de l’amadou, puis des médailles ; les Cœurs d’or ou d’argent nullement.

Surpris, et pâles plus que des surplis, aussitôt ils comprennent qu’ils oublièrent au village l’ex-voto.

Lors pleurent les marins, dociles pèlerins, qui point ne veulent faire veuve des cadeaux la Sainte aux fins yeux d’algue envoyant des radeaux aux voyages fragiles, — tant on devient pieux d’aller par la mer bleue sous la superbe croix du mât et de la vergue !

Dans la brise, tout bas, déjà dorment les Promises de porcelaine emparfumées de marjolaine.

Tout à coup, dressant le cou, les cinq Gars de faïence tirent de leur ceinture cinq couteaux plus brillants que cinq sardines de Lorient et se dirigent, sur l’orteil, vers les cinq vierges en sommeil.

Les oreilles d’icelles, emmi les tresses blondes, semblent des coquillages dans le sable de l’onde.

Comme pour faire des folies, les cinq Gars s’agenouillent devant les Jolies rêvant sur l’herbe verte ainsi qu’est verte une grenouille.

Lorsqu’a défait chaque jeune homme corsage et corselet où rient deux pommes de Quimperlé, voici qu’en les poitrines vives ils font d’un geste preste, avec des yeux de chandelier, font s’enfoncer les sardines d’acier.

Giclant soudain, du rose arrose la frimousse des anciens mousses. On dirait qu’un rosier de forge les pavoise d’un reflet, ou qu’ils mangèrent, jusqu’à la gorge et le gosier, des mûres et des framboises.

Leurs mains plongent enfin dans les poitrines belles et retirent cinq Cœurs, cinq Cœurs battant de l’aile.

Dans la brise, toujours dorment les Promises de porcelaine emparfumées de marjolaine.

Ensuite, ayant cousu les chairs — avec le fil du baiser cher en l’aiguille des dents — et refermé corsages et corselets où rient deux pommes de Quimperlé, les cinq Gars de faïence entrent dans la chapelle peinte offrir les Cœurs, les Cœurs battant de l’aile, à la Sainte aux fins yeux d’algue qui, les sauvant des loups gloutons du vent noroît, guida leurs grands moutons de bois vers le bercail de Cornouailles.

Hélas ! quand ils sortirent devers la mousse et l’herbe, plus ne virent leurs Douces aux longs cheveux de gerbe.

Toutes là-bas partaient, partaient parmi la route qui, blanche, se déroule jusqu’au village où l’on roucoule.

Eux les appellent par leurs noms : Yvonne, Marthe, Marion, Naïc et Madeleine !

Mais point ne se tournent les belles, Yvonne, Marthe, Marion, Naïc et Madeleine ; et les vilaines au loin s’en vont.

Si loin que leur coiffelette, d’abord aile de mouette, devient aile de papillon, puis flocon de neige fondu par l’horizon…

Tombent alors en défaillance les cinq Gars de faïence tandis que disparaissent les cinq Promises de porcelaine emparfumées de marjolaine.

De cœur n’ayant plus, elles n’aimaient plus : Yvonne, Marthe, Marion, Naïc et Madeleine.