Les Romanciers d’aujourd’hui/Les Nouvellistes

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Léon Vanier, libraire-éditeur (p. 253-266).


CHAPITRE VII

LES NOUVELLISTES




Charles Monselet. — Aurélien Scholl. — Théodore de Banville. — Paul Arène. — Guy de Maupassant. — Armand Sylvestre. — François Coppée. — Catulle Mendès. — Quatrelles. — René Maizeroy. — Arsène Houssaye. — Pierre Véron. — Augustin Filon. — Edmond Lepelletier. — Paul Ginisty. — Hugues Le Roux. — Maurice Talmeyr. — Joseph Montet. — Charles Leroy. — Armand Dayot. — Jean Destrem. — Henri Carnoy. — Eugène Chavette. — Théo-Critt. — Dubut de Laforest. — Paul Alexis. — Jules Moinaux. — Edmond Deschaumes. — Horace Bertin. — Eugène Mouton. — Harry Allis. — Félicien Champsaur. — Eugène Guyon. — Édouard Siébecker. — Coquelin cadet. — Etincelle. — Auguste Germain. — Alexandre Pothey. — Albert Cim. — Mme Jeanne Mairet. — Louis Tiercelin. — Charles Buet. — Oscar Méténier. — Rachilde. — Léon Barracand. — Jean Rameau. — Adrien Marx. — Alphonse Allais. — Divers. — La Vie parisienne.

Les nouvellistes ou «novellistes » sont aujourd’hui légion, et je ne puis songer à les énumérer tous, car tous nos écrivains, ou presque, se sont établis nouvellistes. On y mettait plus de discrétion jadis. La nouvelle n’était cultivée que du petit nombre, et ce petit nombre ne comptait que des délicats. Souvenez-vous de Nodier et de Mérimée. Et rappelez-vous aussi Charles de Bernard. Il faut regretter ces temps lointains, où la nouvelle, en son raccourci savant, avait encore quelques droits à passer pour le fin mot de l’art. Nos pères, qui étaient des classificateurs émérites, la plaçaient au-dessus du roman. Peut-être n’avaient-ils pas tort. La nouvelle, en ces âges naïfs, faisait pendant au sonnet. Une nouvelle sans défaut illustrait d’un coup son auteur, et Becquet, ignoré la veille, n’avait qu’à écrire Le mouchoir bleu pour devenir « quelqu’un ».

Nous sommes faits autrement. Sans doute aussi que l’excès nous a un peu gâtés. Mais s’il est vrai qu’en ces dernières années les nouvelles se soient multipliées au point de fatiguer le public et par contre-coup les éditeurs, n’est-ce pas uniment la faute des gazettes qui se sont avisées d’en demander aux écrivains jusqu’à deux, trois et quatre par jour ? Leur talent s’est dépensé à cet effort quotidien. Pour une nouvelle bien venue, que d’autres où la lassitude se marque ! De celles-là, je voudrais n’avoir point à vous parler. Mais vous savez comme les recueils se font, et s’il n’y a dans le monde que quelques-uns d’entièrement accomplis, n’est-ce point, cette fois, la faute des écrivains eux-mêmes qui y entassent pêle-mêle leurs productions mauvaises et bonnes, jusqu’à concurrence des trois cents pages réclamées par l’éditeur ?

J’imagine une sorte de défilé des nouvellistes, où nous verrions Monselet[1], qui a gardé dans la vieillesse ses grâces aimables ; Aurélien Scholl, l’esprit fait homme ; Théodore de Banville, magnifique et abondant ; Paul Arène, baigné de soleil ; Maupassant, qui tient la vie dans une anecdote ; Armand Sylvestre, dont les larges gauloiseries éclatent tout d’un coup en couplets lyriques ; François Coppée, le poète des Contes en prose; Catulle Mendès, le raffiné des Îles d’amour et du Nouveau Décaméron ; Quatrelles, l’humour, la verve, le diable-au-corps ; Maiseroy, confesseur né des Parisiennes, le moins discret et le plus coquet des confesseurs ; Arsène Houssaye, d’un charme alangui et doux ; Pierre Véron, un gamin de Paris promenant au hasard des jours sa belle humeur gouailleuse ; Augustin Filon, le pur lettré des Nouveaux contes ; Edmond Lepelletier, dont les Morts heureuses enferment de petites merveilles ; Ginisty, qui, avant de devenir le scrupuleux annotateur qu’on connaît, a écrit ce joli livre : Quand l’amour va, tout va ; Hugues le Roux, passé maître-chroniqueur et maître-romancier, maître-nouvelliste par surcroît ; Talmeyr, d’une pénétration si aiguë ; Montet, qui émeut ; Leroy, qui fait rire aux larmes ; Armand Dayot[2], en qui le bon conteur s’allie au bon critique ; Destrem[3], un Parisien de Paris, et c’est dire beaucoup ; Henry Carnoy, l’exquis élégiaque des Contes Bleus ; Chavette, le Monnier des concierges ; Théo-Critt, le Chavette des casernes ; Dubut de Laforest, agrégé des hôpitaux, docteur en tératologie ; Paul Alexis, de Médan ; Jules Moinaux, du Palais ; Deschaumes, qui préluda par les Monstres roses à cette belle et sérieuse étude : Le grand patriote ; Horace Berlin, trop oublié et dont les Croquis de province méritaient mieux ; Eugène Mouton, dont il n’y a qu’à citer L’Invalide à la tête de bois ; Harry Allis, observateur amer et souvent profond des misères de l’âme ; Campsaur[4], qui est pour l’entrain et le vice de la lignée de Rivarol ; Eugène Guyon, l’élégant auteur des Soirées de la baronne ; Siébecker, plein de souffle ; Coquelin cadet, que les hypocondres élurent pour médecin ; Etincelle, qui prêche délicieusement le beau monde, dans sa chaire de la rue Drouot ; Auguste Germain, d’un « modernisme » à faire peur ; Pothey, qui est le roi de la charge ; Albert Gim, malicieux et fin ; Mme Mairet, d’une tenue de style toute parfaite dans les nouvelles de son Jean Métonde et de Paysanne ; Tiercelin, dont la muse s’ébat sans voiles au courant d’Amourettes ; Charles Buet, le très distingué polygraphe [5] ; Méténier, qui pourrait bien avoir découvert nos bas-fonds sociaux ; Rachilde, une petite demoiselle alerte et polissonne, toute en nerfs et détraquée à ravir : Barracand, que couva la Revue-bleue ; Rameau, le Robert-Houdin des Fantasmagories ; Adrien Marx, « fusil et plume » ; Alphonse Allais, l’ironiste en chef du Chat noir ; qui encore et quel biais prendre pour énumérer tous les dignes figurants de cette Courtille littéraire[6] ?

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Mais j’accorderai une place à part aux nouvellistes de la Vie parisienne. On ne sait point qui ils sont ; ils signent de petits pseudonymes en oup et en ip ; et Ton est bien étonné, cinq ou six ans après, quand on apprend que ces monosyllabes voulaient dire Halévy, Taine, Henry Maret, Jacques Saint-Cère, Comtesse de Martel. Ce qu’a écrit de l’un d’eux un très délicat critique, M. A. Cartault, peut s’appliquer à presque tous :

« C’est la verve parisienne. Oui,

malgré la cohue cosmopolite qui emplit nos rues, le parisien de race existe encore ; il a sa manière à lui de voir, de conter, de tenir une plume. Il est avant tout un regardeur et un badaud. Il adore le spectacle, et tout est spectacle pour lui. À la fois très sceptique et très naïf, il a assisté à tant de choses que rien ne l’étonné plus, et pourtant il ne peut s’empêcher de courir à toutes les curiosités. Il est d’haleine un peu courte et ne s’embarque guère dans les grands enthousiasmes. Moqueur et bon enfant, avec un fond de conception aimable et l’habitude de laisser faire, il n’a point l’indignation facile et tonnante. Il y a en lui de la gaminerie. Toujours leste, jamais embarrassé, il se tire d’affaire par une réflexion amusante ; l’être auquel il a le plus peur de ressembler, c’est M. Prudhomme. Il écrit pour se divertir, sans prétention, sans banalité, sans emphase. Moderne entre les modernes, il emprunterait volontiers au télégraphe sa rapidité ; avec une concision toute boulevardière, il supprime les inutilités : c’est une politesse que d’être bref ; en s’exprimant à demi-mot, l’écrivain semble compter sur l’intelligence de l’auditeur. Jadis, on aimait à voir un auteur développer sa pensée en long et en large et se servir des mots avec une virtuosité savante. Au-jourd’hui on est pressé : on n’admet, en fait de mots, que le strict nécessaire ; le temps est de l’argent ; on se hâte, on se bouscule, on supprime au besoin même le verbe…[7]. »

Le portrait est joli et fin, non sans une pointe d’ironie. MM. de la Vie parisienne s’y reconnaîtront aisément. Et qu’importe leur mépris des règles ? C’est une belle chose aussi que l’orthographe ; mais Mme de Sévigné ne la savait point.


  1. Mort depuis.
  2. Cf. L’Aventure de Briscart. M. Dayot a publié aussi chez Magnier des Souvenirs de voyage (Italie, Espagne, Portugal) qui sont pleins de verve et d’esprit.
  3. Cf. Drames en cinq minutes. Une des nouvelles, Fleur bretonne, est à noter pour l’identité de thème qu’elle présente avec Pêcheurs d’Islande, Elle a paru dans le Rappel des 7 et 8 juillet 1884, et, s’il y a eu réminiscence (dont je doute), ce n’est point, la date le montre, chez M. Destrem.
  4. « Son style est agaçant, dit M. Maurice Barrès, coupé, heurté, rentré, plein de réticences, d’allusions, d’éruditions boulevardières, mais très propre par sa complexité même à rendre l’aventure du Parisien sensuel et énergique que paraît être l’auteur. Tous ses livres sont des confessions, poèmes brutaux, ou mieux encore affiches d’amour ; mais timbrées d’un sceau personnel et à la date de cette époque. » (Les Chroniques, no de sept. 1887.)
  5. Qui fut supérieur dans quelques scènes du Prêtre.
  6. Il y faudrait la plume d’airain qui servit dans sa tâche l’auteur du Dictionnaire des cent mille adresses. N’oublions point cependant Tancrède Martel avec La main aux dames ; Frantz-Jourdain, avec Beau-Mignon : Jacques Lozère, avec sa Vie en jaune ; Lucien-Victor Meunier, avec Plaisirs en deuil ; Jules Lermina, avec ses Histoires incroyables ; Alain Beauquesne, avec les Amours cocasses ; Charles Grandmougin, avec ses Contes d’aujourd’hui ; Léon Allard, avec Les Vies muettes ; Guillaume Livet, avec les Récits de Jean Féru ; Edmond Thiaudière, avec La Proie du néant ; Gaston Bergeret, avec ses Contes modernes ; Gabriel Marc, avec Lindetta ; Georges Moynet, avec Entre garçons ; Auguste Erhard, avec ses Contes panachés ; Léon Deschamps, avec ses Contes à Sylvie ; Charles Diguet, avec les Contes du Moulin-Joli ; Pierre Gauthiez, avec La Danaé ; Charles Lexpert, avec ses Nouvelles gauloises ; Camille Bruno, avec En désordre ; Paul Chetelat, avec Le Monde où l’on s’abuse ; Noël Blache, avec Les Clairs de soleil ; Fernand Boissier, avec Le Galoubet; Jules de Marthold, avec Casse-Noisette et les Contes sur la Branche ; H. de Chennevières, avec les Contes sans « qui » ni « que », etc., etc. Encore n’ai-je point parlé des nouvelles de certains maîtres, Daudet, France, Bourget, d’Aurevilly, etc., qui ont marqué ailleurs, non plus que des recueils en collaboration publiés annuellement par la Société des gens de lettres, par les eecrétaires des journaux de Paris, par les chroniqueurs judiciaires, etc. Toutefois relèverai-je dans ce dernier recueil le nom d’un alerte et spirituel nouvelliste, M. L. Vonoven. Je rappellerai enfin, au hasard, les noms de quelques écrivains de talent, dont les nouvelles, contes, « proses », traductions et adaptations, publiés un peu partout dans nos périodiques parisiens, n’ont pas encore été réunis en volume : ainsi M. Émile Michelet, M. Raymond de la Tailhède, M. Charles Frémino, M. Anatole Lebraz, M. Raoul Gineste, M. Ephraïm Mikaël, M. Lucien Charles, M. Émile Taboureux, M. Robert de la Villehervé.
  7. Cf. Revue bleue du 28 mai 1881.