Les Romanesques/Texte entier
le lundi 21 Mai 1894.
SYLVETTE.
PERCINET.
STRAFOREL.
BERGAMIN, père de Percinet.
PASQUINOT, père de Sylvette.
BLAISE, jardinier.
UN MUR, personnage muet.
Spadassins, Musiciens, Nègres, Porteurs de torches, un Notaire, quatre Bourgeois, etc.
ACTE PREMIER
La scène est coupée en deux par un vieux mur moussu et tout enguirlandé de folles plantes grimpantes. À droite, un coin du parc de Bergamin ; à gauche, un coin du parc de Pasquinot. De chaque côté, contre le mur, un banc.
Quand le rideau se lève, Percinet est assis sur la crête du mur, ayant, sur son genou, un livre, dont il donne lecture à Sylvette, attentive, debout sur le banc, de l’autre côté du mur, auquel elle s’accoude.
Scène première
Ah ! Monsieur Percinet, mais comme c’est donc beau !
N’est-ce pas ?… Écoutez répondre Roméo :
Il lit.
« C’est l’alouette, Amour, je te dis que c’est elle !
« Vois, le bord des vapeurs légères se dentelle,
« Et là-bas, au sommet rose du mont lointain,
« Sur le bout de son pied se dresse le matin !
« Il faut fuir… »
Chut !
Ne prenez pas ces airs effarouchés d’oiselle
Qui de la branche, au moindre bruit, va s’envoler…
Écoutez les Amants Immortels se parler :
Elle : « Amour, amour cher, non, ce n’est pas l’aurore,
« Mais c’est, pour éclairer ta fuite, un météore ! »
Lui : « Puisqu’elle le veut, eh bien, soit ! ce n’est point
« L’alouette qui chante et l’aurore qui point :
« Ce reflet, c’est le tien, Cynthia, dans la nue !
« Vienne la Mort, la Mort sera la bienvenue ! »
Oh ! non, je ne veux pas qu’il parle de cela,
Ou bien je vais pleurer…
Et, jusques à demain refermant notre livre,
Laissons, puisqu’il vous plaît, le doux Roméo vivre.
Quel adorable endroit, fait exprès, semble-t-il,
Pour s’y venir bercer aux beaux vers du grand Will !
Oui, ces vers sont très beaux, et le divin murmure
Les accompagne bien, c’est vrai, de la ramure,
Et le décor leur sied, de ces ombrages verts ;
Oui, Monsieur Percinet, ils sont très beaux, ces vers !
Mais ce qui fait pour moi leur beauté plus touchante,
C’est que vous les lisez de votre voix qui chante.
La vilaine flatteuse !
Que leur sort est cruel, qu’on fut méchant pour eux !
Avec un soupir.
Ah ! je pense…
À quoi donc ?
À rien !..
Qui vous a fait soudain devenir toute rose !
À rien !…
Je le vois, à quoi vous pensez !…
À nos parents !
Peut-être…
Qui les divise !
Ce qui me fait pleurer en cachette, souvent.
Lorsque, le mois dernier, je revins du couvent,
Mon père, me montrant le parc de votre père,
Me dit : « Ma chère enfant, tu vois là le repaire
De mon vieil ennemi mortel, de Bergamin.
De ce gueux, de son fils, détourne ton chemin ;
Promets-moi bien, sinon, vois-tu, je te renie,
D’être, pour ces gens-là, toujours, une ennemie,
Car, de tous temps, les leurs ont exécré les tiens ! »
J’ai promis… Vous voyez, Monsieur, comme je tiens.
Et n’ai-je pas promis à mon père, de même,
De vous haïr toujours, Sylvette ? — et je vous aime !
Sainte Vierge !
Et je t’aime, enfant !
C’est un péché !
Un gros… que voulez-vous ? Plus on est empêché
D’aimer quelqu’un, et plus il vous en prend l’envie.
Sylvette, embrassez-moi !
Mais jamais de la vie !
Vous m’aimez cependant !
Que dit-il ?
Je dis ce dont encor votre cœur se défend,
Mais ce dont plus longtemps douter serait un leurre !
Je dis… ce que vous-même avez dit tout à l’heure,
Oui, vous-même, Sylvette, en comparant ainsi
Les Amants de Vérone aux deux enfants d’ici.
Je n’ai pas comparé !…
À ceux de Juliette et de Roméo, chère !
C’est pourquoi Juliette et Roméo c’est nous,
Et c’est pourquoi nous nous aimons comme des fous !
Et je brave à la fois, malgré leur haine aiguë,
Pasquinot-Capulet, Bergamin-Montaiguë !
Alors, nous nous aimons ? Mais, Monsieur Percinet,
Comment ça s’est-il fait si vite ?…
On ne sait pas comment, pourquoi, quand il doit naître.
Je vous voyais souvent passer de ma fenêtre…
Moi de même…
Et nos yeux causaient en tapinois.
Un jour, là, près du mur, je ramassais des noix,
Par hasard…
Et — pour unir deux cœurs vois comme tout conspire…
Le vent fit envoler, psst !… chez vous, mon ruban !
Pour le rendre, aussitôt, je grimpai sur le banc…
Je grimpai sur le banc…
Chaque jour je t’attends, et chaque jour plus vite
Bat mon cœur lorsqu’enfin monte, signal béni !
Là, derrière le mur, ton doux rire de nid,
Qui ne s’achève pas sans que ta tête émerge
Du fouillis frémissant de folle vigne vierge !
Puisque nous nous aimons, il faut nous fiancer.
C’est à quoi justement je venais de penser.
Dernier des Bergamin, c’est à toi que se lie
La dernière des Pasquinot !
Noble folie !
On parlera de nous dans les âges futurs !
Oh ! trop tendres enfants de deux pères trop durs !
Mais, qui sait, mon ami, peut-être l’heure tinte
Où Dieu veut que, par nous, leur haine soit éteinte ?
J’en doute.
Et j’entrevois déjà cinq ou six dénoûments
Très possibles.
Vraiment, et lesquels ?
— Dans plus d’un vieux roman j’ai lu pareille chose —
Que le Prince Régnant vienne à passer un jour…
Je cours le supplier, lui conte notre amour,
Que nos pères entre eux ont une vieille haine…
— Un roi maria bien don Rodrigue et Chimène —
Le Prince fait venir mon père et Bergamin,
Et les réconcilie…
Et me donne ta main !
Ou bien, cela s’arrange ainsi que dans Peau d’Âne.
Tu dépéris, un sot médecin te condamne…
Mon père me demande, affolé : « Que veux-tu ? »
Tu dis : « Je veux Sylvette ! »
Est contraint de fléchir !
Un vieux duc, ayant vu de moi quelque peinture,
M’aime, envoie un superbe écuyer, en son nom,
M’offrir d’être duchesse…
Alors, tu réponds : « Non ! »
Il se fâche : un beau soir, dans quelque sombre allée
Du parc, où pour rêver à toi je suis allée,
On m’enlève !… Je crie !…
À surgir près de toi ; je mets la dague au poing,
Me bats comme un lion, pourfends…
Mon père accourt, te prend dans ses bras ; tu te nommes ;
Alors, il s’attendrit, me donne à mon sauveur,
Et ton père consent, tout fier de ta valeur !
Et nous vivons longtemps et très heureux ensemble !
Et tout cela n’a rien d’impossible, il me semble ?
On vient !
Embrassons-nous !
À l’heure du Salut, tu viendras, dis ?
Non.
Si !
Ton père !
Scène II
Seul, en ce coin de parc ?
Ce coin de parc !… J’adore être assis sur ce banc
Que la vigne du mur abrite en retombant !…
Voyez-vous comme elle est gracieuse, la vigne ?
Remarquez ces festons d’une arabesque insigne.
On est si bien ici pour respirer l’air pur !
Si bien devant ce mur ?
Je l’adore, ce mur !
Je ne vois pas ce que ce mur a d’adorable.
Il ne peut pas le voir !
Ce vieux mur, crêté d’herbe ; enguirlandé, couvert
Ici de vigne rouge, ici de lierre vert,
Là de glycine mauve aux longues grappes floches,
Et là de chèvrefeuille, et là d’aristoloches !
Ce vieux mur centenaire et croulant, dont les trous
Laissent pendre au soleil d’étranges cheveux roux,
Qui de petites fleurs charmantes se constelle,
Ce mur sur qui la mousse est d’une épaisseur telle
Qu’il fait à l’humble banc scellé dans sa paroi
Un dossier de velours comme au trône d’un roi !
Ta ! ta ! ta ! Voudrais-tu, blanc-bec, me faire accroire
Que tu viens ici pour les beaux yeux du mur ?
Pour les beaux yeux du mur !…
Frais sourires d’azur, doux étonnements bleus,
Fleurs profondes, clairs yeux, vous êtes nos délices,
Et si jamais des pleurs emperlent vos calices,
D’un seul baiser nous les volatiliserons !…
Mais le mur n’a pas d’yeux !
Il a les liserons.
Est-il spirituel, doux Jésus !
Mais je connais ce qui te fait perdre la tête.
Tu viens lire en cachette !
Et du théâtre !…
Des vers !… Voilà pourquoi, la cervelle à l’envers,
Vous rêvez, vous errez, évitant les approches,
Pourquoi vous me venez parler d’aristoloches,
Et pourquoi vous voyez des yeux bleus à ce mur !
Un mur n’a pas besoin d’être joli, — mais sûr !
Je vais faire enlever toutes ces choses vertes
Qui pourraient nous cacher quelques brèches ouvertes,
Et, pour mieux nous garder d’un voisin insolent,
Remaçonner ce pan, bâtir un beau mur blanc,
Bien blanc, bien net, bien propre ; au lieu… d’aristoloches,
Le garnir, dans le plâtre ayant fait des encoches,
De tessons de bouteille au tranchant acéré
Qu’on verra s’en aller en bataillon serré…
Oh ! grâce !
Tout le long, tout le long, tout le long de la crête !
Oh !
Çà, causons !
Mais, hum !… les murs, s’ils n’ont pas d’yeux,
Ont des oreilles !
Vois si quelque curieux…
À ce soir !
Je viendrai devant que l’heure sonne.
J’y serai !
Je t’adore !
Eh bien ?
Eh bien, — personne !
Alors, causons… Mon fils, je veux vous marier.
Ah !
Qu’est-ce ?
Rien.
On vient de faiblement crier.
Quelque oiselet blessé…
Hélas !…
dans la ramure !…
Or donc, mon fils, après réflexion très mûre,
J’ai fait pour vous un choix.
Tu ! tu !
Et je vous forcerai, Monsieur…
Tu ! tu ! tu ! tu !
Voulez-vous bien finir de siffler, mauvais merle !…
Une femme encor jeune, et très riche, — une perle !
Et si je n’en veux pas de votre perle !
Je m’en vais te montrer, polisson !…
A rempli les buissons, mon père, de bruits d’ailes,
Et les sources des bois voient s’abattre auprès d’elles
Des couples de petits oiseaux se caressant…
Impudique !
Les papillons…
Pendard !
Pour aller épouser toutes les fleurs qu’ils aiment !…
L’Amour…
Bandit !
Et vous me voulez voir marié de raison !
Oui, certes, garnement !
Je jure… sur ce mur — qui m’entend, je l’espère ! —
Que je me marierai si romanesquement,
Que l’on n’aura jamais vu dans aucun roman
Quelque chose de plus follement romanesque !
Oh ! je t’attraperai !
Scène III
La haine de papa pour ce méchant…
Que fait-on par ici, Mademoiselle ?
On se promène.
Vous n’avez donc pas peur ?
Je ne suis pas peureuse.
Seule près de ce mur !… Mais je vous le défends,
D’approcher de ce mur ! Mais, imprudente enfant,
Regarde bien ce parc : tu vois là le repaire
De mon vieil ennemi mortel !…
Je sais, mon père.
Et tu viens t’exposer à des mots outrageants,
À des ?… Sait-on de quoi sont capables ces gens ?
Si ce gueux, ou son fils, connaissaient que ma fille
Vient seule rêvasser dessous cette charmille…
Oh ! rien que d’y penser, je me sens frissonner !
Mais je vais le barder, le caparaçonner,
Ce mur, le hérisser de fer pour qu’on s’éventre,
Qu’on s’empale, en voulant le franchir, et qu’on s’entre,
Rien qu’en s’en approchant, des pointes dans la chair.
Il ne le fera pas, ça coûterait trop cher.
Il est un peu serré, papa.
Rentre, — un peu vite !
Scène IV
Ce billet à Monsieur Straforel, tout de suite.
Bergamin !
Pasquinot !
Comment va ?
Pas trop mal.
Ta goutte ?
Mieux. Et ton coryza ?
Me tient toujours.
Eh bien, c’est fait, le mariage !
Hein ?
Ils s’adorent !
Bravo !
Brusquons le dénoûment !
Ha ! ha ! tous les deux veufs, et pères mêmement,
Moi, d’un fils qu’une mère un peu trop romanesque
Appela Percinet…
Oui, c’est un nom grotesque.
Toi, d’un tendron rêveur, Sylvette, âme d’azur !
Quel était notre but, le seul ?
Ôter ce mur.
Pour vivre ensemble…
Et fondre en une nos deux terres.
Calcul de vieux amis…
Et de propriétaires !
Pour ce, que fallait-il ?
Marier nos enfants !
Les marier ! Oui, mais… serions-nous triomphants
S’ils avaient soupçonné nos désirs, notre entente ?
Mariage arrangé n’est pas chose tentante
Pour deux jeunes serins poétiques. Aussi,
Profitant de ce qu’ils ont vécu loin d’ici,
Leur avons-nous caché tout projet d’hyménée.
Mais collège et couvent les lâchaient cette année :
Lors, m’étant avisé que de les empêcher
De se voir, sûrement les ferait se chercher,
Que s’aimer en secret et d’un amour coupable
Leur plairait, — j’inventai cette haine admirable !…
Vous doutiez du succès de ce plan inouï ?
Eh bien, nous n’avons plus qu’à dire nos deux oui
Soit ! mais comment ?… Comment, avec assez d’astuce,
Consentir, sans leur mettre, à l’oreille, la puce ?
Moi qui t’appelais gueux, idiot…
Gueux suffisait ! Ne dis que juste ce qu’il faut.
Quel prétexte ?…
Vient de me suggérer l’ultime stratagème !
Tandis qu’elle parlait, mon plan se dessinait :
Le soir, ils ont ici rendez-vous ; Percinet
Arrive le premier ; au moment où Sylvette
Paraît, des hommes noirs, surgis d’une cachette,
L’enlèvent ! elle crie ! Alors, mon jeune coq
Court sus aux ravisseurs, chamaille à coups d’estoc ;
Ils font semblant de fuir ; tu te montres ; j’arrive ;
Ta fille et son honneur sont saufs ; ta joie est vive ;
Tu bénis, laissant choir de tes yeux un peu d’eau,
L’héroïque sauveur ; je m’attendris : — tableau.
Ah çà, c’est du génie !… Ah ! non ça, par exemple,
C’est du génie !…
Celui qui vient ! C’est Straforel, le spadassin,
À qui j’ai, tout à l’heure, écrit de mon dessein…
Oui, notre enlèvement, c’est lui qui va le mettre
En scène.
Straforel, dans un pompeux costume de spadassin, paraît au fond et s’avance majestueusement.
Scène V
Mon ami Pasquinot…
Monsieur…
Là, sur le mur.
Exercice étonnant pour un homme aussi mûr.
Mon plan vous paraît-il, cher maître ?…
Élémentaire.
Oui, vous savez comprendre, agir vite..
Et me taire.
Simulacre de rapt, n’est-ce pas, combat feint ?
C’est tout compris.
Ayez d’adroits bretteurs, afin
Qu’ils n’aillent pas blesser mon garçonnet. Je l’aime,
C’est mon unique enfant !
J’opérerai moi-même.
Ah ! très bien ! Dans ce cas, je ne saurais douter…
Dis donc, demande-lui ce que ça va coûter.
Pour un enlèvement, que prenez-vous, cher maître ?
Cela dépend, Monsieur, de ce qu’on veut y mettre.
On fait l’enlèvement un peu dans tous les prix.
Mais, dans le cas présent, et si j’ai bien compris,
Il ne faut pas compter du tout. À votre place,
J’en prendrais un, Monsieur, là, — de première classe !
Ah ! vous avez plusieurs classes ?
Songez que nous avons, Monsieur, l’enlèvement
Avec deux hommes noirs, l’enlèvement vulgaire,
En fiacre, — celui-là ne se demande guère, —
L’enlèvement de nuit, l’enlèvement de jour,
L’enlèvement pompeux, en carrosse de cour,
Avec laquais poudrés et frisés — les perruques
Se payent en dehors, — avec muets, eunuques,
Nègres, sbires, brigands, mousquetaires, au choix !
L’enlèvement en poste, avec deux chevaux, trois,
Quatre, cinq, — on augmente ad libitum le nombre, —
L’enlèvement discret, en berline, — un peu sombre, —
L’enlèvement plaisant, qui se fait dans un sac,
Romantique, en bateau, — mais il faudrait un lac ! —
Vénitien, en gondole, — il faudrait la lagune ! —
L’enlèvement avec ou sans le clair de lune,
— Les clairs de lune, étant recherchés, sont plus chers ! —
L’enlèvement sinistre aux lueurs des éclairs,
Avec appels de pied, combat, bruit de ferraille,
Chapeaux à larges bords, manteaux couleur muraille,
L’enlèvement brutal, l’enlèvement poli,
L’enlèvement avec des torches — très joli ! —
L’enlèvement masqué qu’on appelle classique,
L’enlèvement galant qui se fait en musique,
L’enlèvement en chaise à porteurs, le plus gai,
Le plus nouveau, Monsieur, et le plus distingué !
Voyons, que penses-tu ?
Hon… Et toi ?
Qu’il faut frapper très fort — tant pis si l’on dépense —
L’imagination !… Avoir de tout un peu !…
Faire un enlèvement…
Panaché ? Ça se peut.
Donnons-en pour longtemps à nos jeunes fantasques :
Chaise à porteurs, manteaux, torches, musique, masques !
Nous prendrons, pour grouper ces divers éléments,
Une première classe, — avec des suppléments.
Soit !
Je vais revenir bientôt…
Que Monsieur, de son parc, entre-bâille la porte…
Il entre-bâillera.
Messieurs, mes compliments !
Une première classe avec des suppléments !
Scène VI
Avec tous ses grands airs, il s’en va, l’homme honnête,
Sans qu’on ait fait le prix !
On abattra le mur. Nous n’aurons qu’un foyer !
Et l’hiver, à la ville, ô douceur ! qu’un loyer !
Nous ferons dans le parc des choses ravissantes !
Nous taillerons les ifs !
Nous sablerons les sentes !
Nos chiffres, au milieu de chaque massif rond,
Bien calligraphiés, en fleurs, s’enlaceront !
Comme cette verdure est un peu trop sévère…
Nous allons l’égayer par des boules de verre !
Nous aurons des poissons dans un bassin tout neuf !
Nous aurons un jet d’eau faisant danser un œuf !
Nous aurons un rocher ! — Hein ! coquin, que t’en semble !
Tous nos vœux sont comblés !
Nous vieillirons ensemble
Et ta fille est casée !
Ainsi que ton gamin !
Ah ! mon vieux Pasquinot !
Ah ! mon vieux Bergamin !
Scène VII
Ah !
Ta fille !
Ah !
Ton fils !
Battons-nous !
Ah ! canaille !
Ah ! gueux !
Papa !…
Papa !…
Laissez-nous donc, marmaille !
C’est lui qui m’insulta !
C’est lui qui me frappa !
Lâche !
Papa !
Filou !
Papa !!
Brigand !
Papa !!!
Rentre, il est tard !
Ma rage est à son paroxysme !
J’écume !
L’air fraîchit. Pense à ton rhumatisme !
Scène VIII
D’une étoile déjà le ciel clair s’étoila.
Le jour fuit…
Oui, l’heure du Salut déjà doit être proche :
Blanche, elle apparaîtra quand tintera la cloche ;
Alors, je sifflerai…
Nous n’aurons pas manqué, ce soir, un seul effet !
Excellents, les manteaux !… Que la colichemarde
Les retrousse un peu plus : appuyez sur la garde !
La chaise, ici, dans l’ombre.
Ah ! les nègres, pas mal !
Les torches, vous n’entrez, n’est-ce pas, qu’au signal ?
Les musiciens ? — là ! sur fond de clartés roses…
De la grâce, du flou ! Variez donc les poses !
Debout, la mandoline ! Asseyez-vous, l’alto !
Comme dans le Concert Champêtre de Watteau !
Premier Homme Masqué, que vois-je ? On se dandine ?
Ça, de l’allure ! — Bien ! — Instruments, en sourdine,
Veuillez vous accorder… Oh ! très bien ! — Sol, mi, si !
Scène IX
Mon père s’est calmé… J’ai pu fuir jusqu’ici.
Le jour baisse… L’odeur des sureaux flotte et grise !…
Les fleurs vont s’effaçant dans la pénombre grise…
Musique !
Qu’ai-je donc ?… Elle va venir !
Amoroso !…
Mon premier rendez-vous, le soir… Ah ! je défaille !…
La brise fait le bruit d’une robe de faille…
On ne voit plus les fleurs… j’ai des larmes aux yeux…
On ne voit plus les fleurs… mais on les sent bien mieux !
Oh ! ce grand arbre, avec une étoile à son faîte !…
Mais qui donc joue ainsi des airs ? — La nuit s’est faite.
Oui, la douce nuit s’est faite, et voici
Qu’en l’azur foncé du ciel obscurci,
S’allumant partout, par là, par ici,
Et l’une après l’une,
Tandis que l’étang est tout coassant,
Les étoiles vont en nombre croissant
Tout autour, autour du grêle croissant
De la pâle lune !
Éclats de saphir et de diamant,
Étoiles, je fus longtemps votre amant,
Et je vous parlais, le soir, ardemment,
Perdu dans la nue !…
Mais ma poésie a changé de cours
Depuis que, tenant de naïfs discours,
Ses petits cheveux au front coupés courts,
Sylvette est venue !
Chers astres du ciel, astres familiers,
Vous êtes bien beaux, là-haut, par milliers,
Mais, allez ! serez bien humiliés
Quand, parmi ses voiles,
Elle apparaîtra dans le bleu jardin,
Et, voyant ses yeux, vous serez soudain
Pour vos propres feux prises de dédain,
Mes pauvres étoiles !
Scène X
Le Salut sonne. Il doit m’attendre.
Ah !
Au secours !
Juste ciel !
Percinet, on m’enlève !
J’accours !
Tiens, — tiens, — tiens !
Trémolo !
Straforel, d’une voix de théâtre :
Que cet enfant !
Le coup… est irrémédiable !
Sylvette !
Mon sauveur !
Ton sauveur !… ton sauveur ?… Je lui donne ta main !
Ciel !
Et faisons leur bonheur !
Ma haine m’abandonne !
Sylvette, nous rêvons, Sylvette, parlons bas,
Que le bruit de nos voix ne nous réveille pas !…
Les haines finiront toujours en hyménées.
La paix est faite.
Il n’y a plus de Pyrénées !
Qui l’aurait cru qu’ainsi mon père changerait ?
Quand je vous le disais que tout s’arrangerait !
Hein ! Quoi donc ? ce papier, et votre signature…
Qu’est cela, s’il vous plaît ?
Monsieur, c’est ma facture !
ACTE DEUXIÈME
Même décor : le mur a disparu. Les bancs qui lui étaient adossés ont été repoussés à droite et à gauche. Menus changements, massifs de fleurs, kiosques de treillages, faux marbres prétentieux, serre. À droite, table de jardin, chaises.
Au lever du rideau, Pasquinot, assis sur le banc de gauche, lit sa gazette. Blaise, au fond, ratisse.
Scène I
Donc, Monsieur Pasquinot, ce soir vient le notaire ?…
Hé ! voici bien un mois que ce mur est par terre
Et que vous vivez tous ensemble. Il était temps ;
Nos petits amoureux doivent être contents !
Ça fait bien sans ce mur, hein, Blaise ?
C’est superbe !
Oui. mon parc a gagné. Cent pour cent.
Est mouillée !… On a donc arrosé ce matin ?…
Il ne faut arroser que le soir, vieux crétin !
C’est Monsieur Bergamin qui m’en a donné l’ordre.
Ah ?… Ce bon Bergamin !… Il ne veut pas démordre
De son idée !… Il croit qu’arroser sans repos
Vaut mieux qu’arroser peu, mais bien, mais à propos !
Enfin !…
Vous sortirez les plantes de la serre.
Ouf !… On leur donne d’eau juste le nécessaire !
Ce qui leur fait du bien, c’est ce superflu-là !
Hein, mon vieux, tu mourais de soif ?… Tiens, en voilà,
De l’eau… tiens, en voilà ! Moi, j’aime ça, les arbres.
Oui, mon parc a gagné… Très jolis, ces faux marbres
Très, très…
Apercevant Pasquinot.
Bonjour.
Pas de réponse.
Bonjour ! !
Pas de réponse.
Bonjour ! !!
Pasquinot lève la tête.
Eh bien, j’attends ?
Oh ! mon ami, mais nous nous voyons tout le temps !
Ah ? — bien !…
Veux-tu rentrer ces plantes !
Chaque jour je sortais, furtif, de ma demeure…
Je filais de chez moi, subreptice et léger…
C’était très amusant !
Le secret !
Le danger !
Il fallait dépister Percinet ou Sylvette
Chaque fois qu’on venait tailler une bavette !
On risquait, chaque fois qu’on grimpait sur le mur,
La casse d’une côte, ou le bris d’un fémur.
Nos conversations monoquotidiennes
Ne se pouvaient qu’au prix de ruses indiennes !
Il fallait se glisser sous les buissons épais…
C’était très amusant !
Et, le soir, aux genoux, ma culotte était verte !
L’un de l’autre il fallait, sans fin, jurer la perte…
Et dire un mal affreux…
C’était très amusant !
Bergamin ?
Pasquinot ?
Ça nous manque, à présent.
Non, voyons !…
Ce serait la revanche, ici, du Romanesque ?…
Son gilet est toujours veuf de quelque bouton !
C’est crispant !…
Qui virevolte, avec ses basques pour élytres.
Il louche, quand il lit, ainsi que font les pitres
Après leur papillon.
Il siffle !… c’est un tic !
Ne sifflote donc pas toujours, comme un aspic.
Nous distinguons le brin d’éteule aux yeux des autres
Et nous ne sentons pas la solive en les nôtres !
Vous avez bien vos tics…
Moi ?
Vous reniflez sans fin, Roi des Enchifrenés,
Le nez toujours noirci d’un vain sternutatoire,
Vous contez six-vingts fois par jour la même histoire
Mais…
Sans balancer le pied comme un gros encensoir ;
À table, vous roulez votre mie en boulettes…
Maniaque, mon cher, ah ! non, ce que vous l’êtes !
Oui, comme maintenant on s’ennuie à moisir,
De m’inventorier vous avez le loisir ;
Vous dénombrez mes tics, vous en dressez la liste,
Mais la vie en commun, cette grande oculiste,
Me désaveugle aussi ! Je vous vois ladre, faux,
Égoïste, et chacun de vos menus défauts
Grossit, — comme la mouche amusante et gentille
Devient un monstre affreux, Monsieur, sous la lentille.
Ce dont je me doutais, maintenant j’en suis sûr !
Quoi ?
Le mur te flattait.
Tu perds beaucoup sans mur.
De te voir tous les jours tu calmas mon envie !
Depuis un mois, Monsieur, ce n’est plus une vie !
C’est bien, Monsieur, c’est bien. Ce que nous avons fait,
Ce n’était pas pour nous, n’est-ce pas ?
En effet !
C’était pour nos enfants !…
Souffrons donc en silence, et supportons la perte
De notre liberté, sans soucis apparents.
Car, se sacrifier, c’est le sort des parents !
Chut ! voici les Amants !
Semblent-ils pas marcher dans une apothéose ?
Depuis que l’aventure exauça tous leurs vœux,
Ils sentent des rayons mêlés à leurs cheveux !
C’est l’heure où, copiant les attitudes lentes
Des Pèlerins d’Amour dans les Fêtes Galantes,
Ils viennent chaque jour, avec componction,
Sur le lieu du combat faire une station !
Voici nos pèlerins.
Coutumier, cela vaut d’être écouté !…
Scène II
Je t’aime !…
Je vous aime…
À l’endroit illustre nous voici !
Oui, c’est ici qu’eut lieu la chose. C’est ici
Que tomba lourdement la brute transpercée !
Là, je fus Andromède !
Et là, je fus Persée !
Combien donc étaient-ils contre toi ?
Dix !
Vingt au moins, sans compter ce grand dernier qui vint,
Et dont tu corrigeas l’humeur récalcitrante.
Oui, vous avez raison, ils étaient au moins trente.
Ah ! redis-moi comment, dague au poing, flamme aux yeux.
Tu les frappas dans l’ombre, ô mon Victorieux !
Je ne sais si ce fut en sixte, ou bien en quarte…
Mais ils tombaient, pareils aux capucins de carte !
Ami, si vos cheveux avaient été moins blonds,
J’aurais cru voir le Cid !
Oui, nous nous ressemblons.
Il manque à nos amours d’être mis en poème.
Sylvette, ils le seront !
Je vous aime.
Je t’aime !
C’est du rêve vécu !… Je m’étais tant juré
D’épouser le héros follement rencontré,
Et pas le bon petit fiancé des familles !..
Ah ?
Le doux Monsieur que cherche à marier sa sœur,
Ou quelque digne abbé, son vague confesseur.
Tu n’aurais surtout pas épousé, que j’espère,
L’inévitable fils d’un ami de ton père !
Ah ! non !… Remarques-tu que mon père et le tien
Sont depuis quelques jours d’une humeur ?…
Oui, de chien
Hum !
Et je sais pourquoi leur bonne humeur s’altère…
Ah ?
Je respecte beaucoup mon père, — et ton auteur ;
Mais ce sont bons bourgeois pas très à la hauteur.
Notre éclat les relègue un peu dans les ténèbres.
Hein ?
Les voilà passés pères d’amants célèbres !
Mon panache excessif leur devient importun.
Ton père a devant toi la gêne obscure d’un…
Je ne sais si je peux dire ?
Tu peux, espiègle
D’un canard ayant fait la couvaison d’un aigle !
Ho ! ho !
Comme il se joua d’eux !…
Hé ! hé !
Joint toujours les Amants par d’imprévus méandres,
Et le hasard se fait le Scapin des Léandres !
Ha ! ha !
Le signer !
Et je vais mander les violons !
Allez vite !
Je cours !
Et je vais vous mener, Monsieur, jusqu’à la grille
Nous égalons, je crois, les plus fameux Amants.
Oui, nous serons parmi ces Immortels Charmants :
Roméo, Juliette, — Aude et Roland…
Et son pâtre !
Pyrame et Thisbé !
Encore…
Et Paolo…
Pétrarque et Laure…
As-tu fini ?
Scène III
Le succès de ton plan, Monsieur l’homme sagace,
Répond à ton espoir, et même il le dépasse !
Résultat qui sans doute était prévu par vous,
Cher maître : nos enfants sont complètement fous !
Il est clair que ta fille est assez énervante
Avec son fameux rapt, que sans cesse elle vante !
Et ton fils, qui se croit un héros, prend des airs
Qui ne me portent pas moindrement sur les nerfs !
Mais le plus irritant, c’est qu’ils nous représentent
Comme deux bons bourgeois dupés, qu’ils nous plaisantent
Sur notre aveuglement voulu, sur ce que nous
Ne surprîmes jamais un de leur rendez-vous !
C’est bête, si tu veux, mais enfin ça m’agace.
Avais-tu prévu ça, Monsieur l’homme sagace ?
Grâce à toi, ton moutard tient d’insanes propos,
Et se croit le premier des moutardiers papaux.
Moutardier dont au nez me monte la moutarde !
Je vais tout leur conter, sans plus tarder.
Il ne faut pas aller leur dire tout de go ;
On parlera sitôt après le conjungo ;
Jusqu’aux derniers accords des nuptiales harpes,
Sachons leur opposer un mutisme de carpes.
Soit, mais nous voilà pris nous-mêmes dans nos rêts,
Grâce à ton fameux plan.
Mon cher, tu l’admirais !
Ah ! il était joli, ton plan !
Il m’exaspère !
Scène IV
Bonjour, mon cher papa. Bonjour, futur beau-père !
Bonjour, future bru !
Oh ! comme vous avez ce matin l’air bourru !
C’est Pasquinot qui me… qui me…
Je viens comme la paix, — et j’agite une palme !
Vous vous boudez encore un peu ? C’est bien permis :
Pouvez-vous vous aimer comme deux vieux amis ?
Ironie !…
Qu’on ne peut…
Oh ! quand je me souviens de ce que vous disiez
De papa, bien souvent, là, parmi vos rosiers,
Sans vous douter que moi j’entendais tout, assise
Derrière le bon mur…
Elle est d’une bêtise !
Car je venais ici chaque jour, vous savez,
Retrouver Percinet ! — Dire que vous n’avez
Jamais eu de soupçons !
Si…
Nous venions pourtant toujours à la même heure.
Ha ! ha ! J’entends encor Percinet vous crier,
Le jour même du rapt : « Je veux me marier
De la façon la plus romanesquement folle ! »
Eh ! dame, dites donc, il a tenu parole !
Vraiment ?… Et vous croyez que si j’avais voulu ?…
Ta ! la ! ta ! Je le sais, pour l’avoir cent fois lu :
Les rêves des Amants toujours se réalisent,
Et les pères, toujours, tôt ou tard, s’humanisent,
Contraints par quelque étrange et fol événement
Qui force, à point nommé, leur attendrissement.
Qui force, à point nommé ?… Non, non, laissez-moi rire !
Mais, nous l’avons prouvé !…
Si je voulais vous dire…
Quoi ?
Rien !
Alors, pourquoi prenez-vous cet air fin ?
Mais, parce que…
Ho !… c’est agaçant, à la fin !
Quand on pourrait d’un mot…
Mais gardons le mystère !
Quand on n’a rien à dire, il le faut bien, se taire !
Rien à dire ! La folle ! Alors, vous croyez ça,
Que tout se passe ainsi que cela se passa ?
Qu’on envahit les parcs malgré les bonnes grilles ?…
Vous croyez qu’on enlève encor les jeunes filles ?
Si je crois ? Que dit-il ?
Assez ! Qu’il était temps que tout se dévoilât !…
Oui, depuis que le monde est monde entre les mondes,
Le succès fut toujours pour les perruques blondes ;
Bartholo, dont la haine en secret s’aviva,
Dut toujours s’incliner devant Almaviva ;
Mais l’heure du triomphe et des justes revanches
Vient enfin de sonner pour les perruques blanches !
Mais…
Cassandre, Orgon, Géronte, Argante, n’est-ce pas ?
Vous en êtes restée à ces vieilles badernes ?…
Mais on n’en trouve plus chez les pères modernes !
Les dupés d’autrefois sont dupeurs à leur tour.
L’ordre donné par nous de vous aimer d’amour,
Ni vous ni Percinet n’eussiez voulu l’entendre ?
Ce fut donc bien joué que de vous le défendre !
Mais alors, vous saviez peut-être…
Sûrement !
Nos duos ?
J’écoutais leur doux susurrement !
Les bancs où nous grimpions ?…
Tout exprès nous les mîmes
Le duel ?
Simple jeu !
Les spadassins ?
Des mimes !
Mon rapt ? — Oh ! ça, c’est faux !…
J’ai la facture, là, de votre enlèvement !
Ah ! donnez !…
Un faux rapt, mis en scène, afin que l’on fiance !… »
Ah ! — « Huit sombres manteaux à cinq francs le manteau ;
Huit masques… »
Nous avons, je crois, parlé trop tôt !
« Une chaise à porteurs, soignée, à coussins roses,
Création nouvelle… »
On a bien fait les choses !
Elle n’est pas fâchée ?
Mais c’est beaucoup d’esprit bien inutilement ;
Cher Monsieur Bergamin, croyez-vous que si j’aime
Mon Percinet, c’est grâce à votre stratagème ?
Elle le prend très bien.
Vous le prenez très bien !
Mais alors… on peut dire à Percinet ?…
Non, ne lui dites rien !… Les hommes, c’est si bête !
Quel bon sens ! voyez-vous cette petite tête !…
Et moi qui la croyais…
Allons nous préparer…
Bons amis ?…
Comment donc !
Vous ne m’en voulez pas du tout ?
Je vous l’atteste.
Ce Monsieur Bergamin, comme je le déteste !…
Scène V
Ah ! vous êtes encore ici ?… Je comprends ça.
Vous ne pouvez quitter l’endroit où se passa
Toute cette aventure inouïe !…
En effet !
Vous me vîtes combattre, ainsi qu’un Amadis,
Ces trente spadassins…
Mais non, ils étaient dix.
Chère, mais qu’avez-vous ? Mais quoi donc vous attriste ?
Ces yeux, où du saphir fond dans de l’améthyste,
Ils semblent obscurcis par quelque ennui, ces yeux ?
Son langage est parfois un peu prétentieux.
Ah ! tenez, je comprends tout ce qu’en vous suscite
De regrets attendris, cet adorable site !…
Vous pleurez le vieux mur aux feuillages grimpeurs,
Témoin de nos espoirs, jadis, et de nos peurs ;
Mais il n’est pas détruit, la gloire le couronne…
Est-ce qu’il est détruit, le balcon de Vérone ?…
Ah !
Ce balcon toujours blanc, trembler sans fin, auprès
D’un grenadier jamais défleuri, son échelle
Inusable, que dore une aurore immortelle ?
Oh !
C’est pourquoi, démoli, le mur se dresse encor,
Sur lequel a poussé, folle pariétaire,
Notre amour merveilleuse…
Il ne va pas se taire !
Mais le vœu fut par vous tout à l’heure exprimé
De voir sur notre histoire un poème rimé…
Donc, ce poème…
Eh bien ?
Moi-même je le rime.
Tu sais faire des vers ?
Écoute mon début, que j’ai fait en marchant.
« Les Pères Ennemis. » Poème.
Oh !…
Premier chant !
Oh !…
Qu’as-tu ?
Le bonheur… les nerfs… une faiblesse.
Laissez-moi me remettre, un instant.
Je vous laisse.
Un jour comme aujourd’hui, ce trouble est naturel !
Notons toujours mes vers.
Feint de choir, transpercé d’une lame ignorante, —
Habit froissé : dix francs ; amour-propre : quarante. »
Qu’est cela ?
J’ai failli me trahir. Prenons garde !
Ho ! — ho ! — ho !
Que dites-vous ?
Moi ? rien, rien !
Son erreur me navre
C’est pour ça qu’on n’a pas retrouvé le cadavre !
Il a l’air de bouder. Rapprochons-nous de lui.
Vous ne m’avez rien dit de ma robe aujourd’hui ?
Le bleu ne vous va pas. Je vous préfère en rose.
Le bleu ne me va pas… Saurait-il quelque chose ?
Mais la facture, au fait, j’ai dû la mettre là !
Qu’avez-vous à tourner, voyons, comme cela ?
Rien…
Un papier, le vent quelquefois le dérobe.
Rien… je tournais pour voir comment me va ma robe !…
Je saurai bien s’il l’a trouvée.
Dire tantôt des vers sur nos amours ?
Dis-les.
Ah ! non !
Dis-les, ces vers…
Non !
Sur notre aventure !
Ils sont mauvais, tu sais… Je n’ai pas…
La facture ?
Non, je n’ai pas la fact…
Pardon, mais…
Mais, pardon..
Ah ! mais elle sait donc ?…
Il sait donc ?
Tu sais donc ?
Ha ! ha ! ha !…
N’est-ce pas que c’est drôle ?
Très drôle !
Non, vraiment, on nous fit jouer un rôle…
Un rôle !
Nos pères étaient donc bons amis ?
Bons voisins.
Ma parole, ils devraient être même cousins.
J’épouse mon cousin !
J’épouse ma cousine !
C’est gentil !…
C’est classique !
Des mariages plus… Mais c’est si bon de voir
Que l’on conciliait l’amour — et le devoir !
Et l’intérêt ! Car ces deux parcs, leurs dépendances…
Excellent mariage, enfin, de convenances.
Elle est loin, notre pauvre idylle sur le mur !
Il ne faut plus parler d’idylle, c’est bien sûr !
Je rentre dans le rang banal des jeunes filles.
Je suis le bon petit fiancé des familles…
Et c’est en Roméo, Sylvette, que je plus !
Ah ! Roméo, c’est clair que vous ne l’êtes plus !
Est-ce que vous croyez être encor Juliette ?
Vous devenez amer.
Dame ! et vous… aigrelette.
Si vous avez été ridicule, eh ! mon Dieu !
Est-ce ma faute à moi ?
Je ne le fus pas seul !…
Ah ! mon pauvre Oiseau Bleu, bien déteintes, vos plumes !
Ha !… un simili-rapt !
De pseudo-coups d’estoc !…
Fi ! la fausse enlevée !
Ah ! notre poésie était une risée !
C’est ainsi qu’en crevant, belle bulle irisée,
Tu n’es plus, disparue à nos yeux étonnés,
Qu’un peu d’eau de savon qui nous pleut sur le nez !
Donc, Amant dont je fus le plus vil des émules,
Amante dont, indigne, elle chaussa les mules,
Ô pâle et noble couple, ô couple shakspearien,
Nous n’avions avec vous de commun rien, rien…
Rien !
Donc, au lieu de jouer le cher et divin drame,
Nous en avons joué la parodie infâme !
Donc, c’était un serin que notre rossignol !
Donc, il était, le mur immortel, un Guignol !
Et quand nous y venions, chaque jour, apparaître,
Chaque jour, à mi-corps, nous étions, au lieu d’être
Deux parangons d’amour aux types éternels,
Deux pantins qu’animaient les gros doigts paternels !
C’est vrai ! Mais nous serions grotesques davantage
Si nous nous aimions moins !
Nous sommes obligés de nous aimer, d’abord !
Mais, nous nous adorons !…
Le mot n’est pas trop fort !
L’amour peut consoler très bien d’un tel désastre !…
N’est-ce pas, mon trésor ?
Certainement, mon astre !
Bonjour donc, ma chère âme !
Et bonsoir, ma beauté !
Je vais rêver à vous, mon cœur, — de mon côté !
Et moi du mien. Bonjour !
Bonsoir !
Ah ! l’on me traite ainsi !… Mais quel est, dans cet ample
Manteau, qui laisse voir cet étrange pourpoint,
Ce Monsieur moustachu que je ne connais point ?…
Scène VI
Qu’est-ce ?
C’est pour toucher une petite somme.
Un fournisseur ?
Dire à votre papa que j’attends.
Votre nom ?
Mon nom est Straforel.
Ah ! non ! ceci devient par trop intolérable !
Tiens, tiens ! vous savez donc, jeune homme ?
C’était toi !
Mon Dieu ! oui, c’était moi : per Baccho !
Oh ! rencontrer cet homme ! Oh ! je fuirais jusqu’au
Bout du monde…
Que la citation, il me semble, s’impose :
Les gens que vous tuez se portent…
Tu vas voir !
La main haute !… le pied en dehors ! n’en savoir
Pas plus long à votre âge, eh ! Monsieur, c’est un crime !
Quoi ! vous cessez déjà votre leçon d’escrime ?
Ah ! je pars !… On me traite en enfant : bien ! j’aurai
Ma revanche ! J’aurai du roman, et du vrai !
Je vais, par des amours et des duels sans nombre,
Scandaliser, ô Don Juan, jusqu’à ton ombre !
Et je vais enlever des filles d’opéra !
Très bien !… Mais, maintenant, est-ce qu’on me paiera ?
Scène VII
Hé ! là-bas ! arrêtez !… En voici bien d’une autre !
Voici votre perruque !
Ouf ! Et voici la vôtre !
Vous comprenez qu’après de pareils procédés !…
Voici votre jabot…
Que revivre avec vous serait un sacrifice
Trop grand pour qu’au bonheur de mon fils je le fisse !
Ma fille !… Cachons-lui d’abord ce qu’il en est !…
Scène VIII
Papa, je ne veux plus épouser Percinet !…
Les témoins !… le notaire !… Au diable !
Hein ?
Ces paroles !…
Ma facture !… payez !… quatre-vingt-dix pistoles !…
Les violons !… Au diable !
Eh bien !… Je tends la main ?
Parlez à Pasquinot !
Parlez à Bergamin !
« Un faux rapt mis en scène afin que l’on fiance… »
Ils sont défiancés ! Donc, cela me dispense
De payer.
Mais, Monsieur…
Maintenant que tout est rompu ? — Vous êtes fol !
Mon fils !… parti !…
Parti ?…
Tiens ! tiens !
Courez ! en chasse !
Parti !
Ensemble ces mignons… eh ! peut-être…
Ah ! ça c’est un peu fort !
Pour te faire payer tes nonante pistoles,
Ce mariage, il faut que tu le rafistoles !
ACTE TROISIÈME
Même décor. On a apporté des matériaux pour la reconstruction du mur, qui est commencée au fond. Sacs de plâtre. Brouette. Auges et truelles.
Quand le rideau se lève, un maçon travaille, accroupi, le dos tourné au public. Bergamin et Pasquinot, chacun de son côté, inspectent les travaux.
Scène I
Tra laï deluriau…
Ces ouvriers sont longs !
Deluriau, de lurot…
C’est cela ! des moellons !…
Pouf ! un tas de mortier !
Paf ! un coup de truelle !
Deluriau delurie — ue — ue — ue — ue — ue — uel — le
Belle voix ! mais travail bien lent !…
Un pan de commencé ! Bon !
Le mur va de deux pieds sortir de terre ! — Ô joie !
Ô cher mur, que bientôt, debout, je te revoie !
Que dites-vous, Monsieur ?.
Je ne vous parle pas.
Que faites-vous le soir après votre repas ?
Rien… Et vous ?
Rien non plus.
De votre fils ?
Mais non. Il court toujours.
Le désargenteront promptement, — et, bien sûr,
Il reviendra.
Merci.
Se relève, Monsieur, je veux bien vous permettre
De venir quelquefois, — en voisin.
Vous ferai-je l’honneur…
Venez faire un piquet ?
Je ne sais si je peux…
Puisque je vous invite…
Mon Dieu !… J’aimerais mieux un bésigue.
Allons vite !
Vous me deviez dix sous de la dernière fois.
Travaillez bien, maçon !
Tralaï !…
Belle voix !
Scène II
Oui, maçon, je le suis, — puisque, sous ce grimage,
Je m’introduis céans pour faire un replâtrage !
Le jeune homme est toujours au pourchas du roman ;
Mais on peut deviner, sans être nécroman,
Qu’il reviendra bredouille et n’en menant plus large ;
Donc, tandis que la Vie elle-même se charge,
Lui donnant de réel un salutaire bain,
De décoquebiner un peu ce coquebin
Et de le renvoyer ici tirant de l’aile,
Moi, par une action savante et parallèle,
Je travaille à guérir des goûts aventureux
Sylvette. — Straforel, homme aux talents nombreux,
Vous jouâtes souvent les marquis et les princes,
Du temps où vous étiez sifflé dans les provinces !
Ceci va nous servir.
Pères, vous me devrez !
C’est elle ! — À mon ciment !
Non, personne !…
Aujourd’hui, trouverai-je la lettre ?
Tous les jours, un galant inconnu vient en mettre
Une, là, dans ce tronc par la foudre entr’ouvert,
Et qui fait une boîte aux lettres peinte en vert !…
Oui, voilà mon courrier.
C’est le dernier billet que produira cet arbre,
Pourquoi n’avez-vous pas, tigresse, répondu
Au poulet que pour vous chaque jour j’ai pondu ? »
— Hein ! quel style !
« L’amour qui dans mon âme gronde… »
Ah ! Monsieur Percinet s’en va courir le monde !
Il a raison ! — Et moi je ferai comme lui !
Croit-on que je m’en vais mourir ici d’ennui ?
Mais qu’il vienne, celui qui m’écrivit ces choses !
Que de ces verts buissons pleins de nids et de gloses
Il surgisse soudain ! et telle que je suis !
— Sans même aller chercher un chapeau, — je le suis !
À tout prix, maintenant, j’en veux, du romanesque !
Qu’il vienne ! ce Monsieur ! — déjà je l’aime presque !
Comme je lui tendrais les deux mains, s’il venait !
Et comme…
Le voilà !
Au secours, Percinet !
L’homme, n’approchez pas !
Je suis pourtant celui dont vous aimiez le style,
Tout à l’heure !… le trop favorisé mortel
Dont le billet vous plut, et sur l’amour duquel
Vous comptiez, si j’en crois les propos que vous tîntes,
Pour vous faire enlever et fuir loin des atteintes !
L’homme !…
Vous me prenez pour un maçon ? Exquis !
C’est exquis ! — Sachez donc que je suis le marquis
D’Astafiorquercita, fol esprit, cœur malade,
Qui cherche à pimenter l’existence trop fade,
Et voyage, façon de chevalier errant
Auquel est un rêveur, un poète, adhérent !
Et c’est pour pénétrer en vos jardins, Cruelle,
C’est par amour pour vous que j’ai pris la truelle !
Monsieur !..
Votre histoire. Un amour insensé m’est venu
Pour la pauvre victime, innocente étourdie,
Contre qui cette ruse infâme fut ourdie !…
Marquis !…
Du rôle qu’il joua ce gueux s’étant vanté,
Je l’ai tué…
Tué !…
D’être un justicier j’eus toujours la toquade !
Monsieur…
Vous voulez du roman, n’est-ce pas, à tout prix ?
Mais, Marquis !…
Donc, c’est dit : ce soir, je vous enlève !
Monsieur…
Et pour de bon !
Monsieur !
Vous avez consenti ! Je l’ai bien entendu !
Oui, ce soir nous prendrons notre vol éperdu !
Si de votre papa la tête se détraque
De douleur, c’est tant pis !…
Monsieur…
— Car on poursuit le rapt avec sévérité, —
C’est tant mieux !
Mais, Monsieur !…
Nous pourrons fuir à pied par une nuit d’orage,
Nos fronts nus sous la pluie et le vent faisant rage !
Monsieur…
Nous nous embarquerons, Madame, incontinent !
Monsieur…
Où nous vivrons heureux sous la bure et la serge…
Ah ! mais…
Que j’eusse quelque chose !…
Enfin !
Seront du pain, — du pain mouillé de douces larmes !
Pourtant…
L’exil pour nous se fleurira de charmes !
Monsieur…
Pas même une chaumière : une tente !… et ton cœur !
Une tente ?
Ou, si vous préférez, rien du tout, — les étoiles !
Oh ! mais…
Vous voudriez aller moins loin, probablement ?
Soit ! nous vivrons cachés, ô ma Déité blonde,
Seuls, ayant encouru la vindicte du monde !
Ivresse !…
Mais, Monsieur, vous vous êtes mépris…
Les gens s’écarteront de nous avec mépris !
Mon Dieu !
Et nous serons heureux des mépris de la foule !
Monsieur…
Que de vous raconter au long ma passion !
Monsieur…
J’aurai de furieux accès de jalousie…
Monsieur…
J’ai la férocité des chacals et des loups !
Monsieur…
Immédiatement vous seriez massacrée !
Monsieur…
Vous frissonnez ?
Ah ! Dieu, quelle leçon !
Est-ce du sang, corbacque ! ou bien si c’est du son
Qui court dans vos vaisseaux artériels ! — Tonnerre !
Vous m’avez un peu l’air d’une pensionnaire,
Pour oser affronter ces destins hasardeux !…
Ça, voyons, pars-je seul, ou partons-nous tous deux ?
Monsieur…
Eh bien ! nous partirons, puisque vous voilà forte.
Je vous enlèverai, tout à l’heure, à cheval,
En travers de ma selle… oh ! vous y serez mal !
Mais la chaise à porteurs, esthétique et commode,
Dans l’enlèvement faux est seulement de mode !
Mais, Monsieur…
À tantôt !
Mais, Monsieur…
Le temps d’aller quérir un cheval, un manteau…
Monsieur !
Et nous fuyons de contrée en contrée !..
Ô la longtemps rêvée et l’enfin rencontrée !
L’âme à qui peut mon âme enfin dire : « Ma sœur ! »
À tantôt pour toujours !
Pour toujours !
Vous allez vivre auprès de l’être aimé, de l’être
Pour lequel vous brûliez avant de le connaître,
Et qui, vous ignorant, pour vous se calcinait !
Et maintenant, tu peux revenir, Percinet !
Scène III
Monsieur… Marquis… Non, pas en travers de la selle !
Ayez pitié de moi, — non, je ne suis pas celle…
Pas du tout ! — Laissez-moi rentrer à la maison !
Une pensionnaire : oui, vous aviez raison !
Il n’est plus là !… Marquis !… Seule ?… Ah ! Dieu, l’affreux rêve !
J’aime mieux que ce soit pour rire qu’on m’enlève !
Eh bien ! Sylvette, eh bien, ma petite, — comment !
Vous appeliez tantôt à grands cris le roman,
Et, le roman venu, vous n’êtes pas contente ?…
Oh ! la serge, l’exil, les étoiles, la tente !…
Non, c’est trop !… Du roman, j’en voulais bien un peu,
Comme on met du laurier dedans le pot-au-feu !…
Mais c’est trop ! Je ne puis supporter ces secousses.
Je me contenterais d’émotions plus douces…
Qui sait si ?…
Scène IV
Je tombe de fatigue, — et je ne suis pas fier.
La fâcheuse équipée !… Ah ! j’en ai vu de dures !
Ce n’est pas amusant du tout, les aventures !
Vous !
Et dans quel état !… Se peut-il ?…
Il se peut.
Mon Dieu !
Que le dessinateur donne à l’Enfant Prodigue ?…
Mais il ne se tient plus !
Je sens quelque fatigue.
Blessé !
Seriez-vous donc pitoyable aux ingrats ?
Les pères seuls, Monsieur, font tuer le veau gras !
Pourtant, cette blessure ?
Elle n’est nullement grave, cette blessure !
Mais qu’avez-vous donc fait, Monsieur le vagabond,
Pendant tout ce long temps ?…
Sylvette, rien de bon.
Vous toussez, maintenant ?
Les grands chemins, la nuit…
Quels étranges habits vous avez !…
Ont pris les miens, Sylvette, — et m’ont donné les leurs.
Et combien avez-vous eu de bonnes fortunes ?
Laissons ces questions, Sylvette, inopportunes.
Vous avez dû sans doute escalader beaucoup…
De balcons ?…
J’ai manqué de me rompre le cou…
De plus d’un doux succès vous gardez la mémoire ?
Je suis resté trois jours caché dans une armoire.
Et vous avez gagné plus d’un galant pari ?
Oui, oui !…
Je me suis fait rosser par un mari.
Guitare en main, chanté plus d’un couplet nocturne ?
Qui fit choir sur mon chef plus d’une petite urne !
Enfin, comme je vois, tâté d’un vrai duel ?
Qui me valut ce coup de peu s’en faut mortel.
Et vous nous revenez ?…
Fourbu, minable, étique !
Oui, — mais ayant du moins trouvé du poétique ?
Non, — je fus chercher loin ce que j’avais tout près !
Ah ! ne me raillez plus !… je vous adore.
La désillusion que nous eûmes ?…
Qu’importe !
Mais nos pères nous ont trompés d’horrible sorte !
Qu’importe ! Dans mon cœur, maintenant, il fait jour !
Mais ils feignaient la haine !…
Avons-nous feint l’amour ?
Le mur fut un Guignol, — vous l’avez dit vous-même !
Sylvette, je l’ai dit ! — mais ce fut un blasphème !
Ou du moins… quel Guignol, vieux mur, tu nous offrais,
Qui pour portants avait les grands branchages frais,
Pour fond le parc fuyant, l’azur vaste pour frises,
Pour orchestre invisible et vif les quatre brises,
Pour accessoires clairs le rayon et la fleur,
Le soleil pour quinquet, Shakspeare pour souffleur !
Oui, comme à ces pantins dont on gante les vestes,
Nos pères nous faisaient exécuter des gestes :
Mais, dans ce Guignol-là, Sylvette, songez-y,
C’est l’Amour qui faisait parler les pupazzi !
C’est vrai, mais nous aimions, croyant être coupables !
Et nous l’étions !… Gardez ces remords agréables.
Comme l’intention compte autant que le fait,
Nous croyant criminels, nous l’étions en effet !
Est-ce bien sûr ?
Nous avons simplement commis une infamie.
J’en atteste ta grâce et ton souffle aromal :
De nous aimer, ce fut très mal, très mal…
Très mal ?…
C’est vrai, mais je regrette un peu, pour notre gloire,
Que le danger couru n’ait été qu’illusoire !
Il fut réel pour nous qui le crûmes réel !
Non. Mon enlèvement, comme votre duel,
Était faux !…
Et, puisque vous avez passé par l’état d’âme
De quelqu’un d’enlevé, Sylvette, en vérité,
C’est comme tout à fait si vous l’aviez été.
Non, le cher souvenir n’est plus ; ces torches folles,
Ces masques, ces manteaux, et ces musiques molles,
Ce combat, tout ce charme enfin, c’est trop cruel
De penser que cela fut fait par Straforel !
Et la Nuit de Printemps, est-ce lui qui l’a faite ?
Est-ce lui qui régla l’inoubliable fête
Que l’amitié d’Avril nous donna ce soir-là ?
Est-ce lui qui, le ciel étoilé, l’étoila ?
Lui, qui d’ombre effaça si bien les rosiers grêles
Que les roses semblaient, comme surnaturelles,
Se tenir en suspens dans l’air mystérieux ?
Dispensa-t-il les frissons gris, les reflets bleus ?
Versa-t-il les langueurs ? Fut-il pour quelque chose
Dans l’apparition de l’Astre d’argent rose ?
Non certe…
Dis-moi, que nous étions deux enfants de vingt ans,
Et que nous nous aimions, car ce fut là le charme,
Tout le charme !
Tout le… c’est vrai, mais…
Il est donc pardonné, le méchant qui partit ?
Je t’ai toujours aimé, va, mon pauvre petit.
J’ai retrouvé ton front, sa puérile frange,
Et ton jeune parfum qui fait un fin mélange
Avec tous les parfums des cytises voisins…
Ah ! les Anges, ce soir, ne sont pas mes cousins !
Oh ! laisse-moi baiser le liséré frivole
Du voile aérien qui de ton front s’envole !
Comme il me rafraîchit les lèvres, ce tissu,
Ce tendre et clair tissu, pour qui je n’ai pas su
Vous dédaigner, satins et velours équivoques !
Quels satins ? Quels velours ?
Oh ! jeune fille, enfant, mousseline est ton nom !
Oh ! que j’aime ce voile frais !…
C’est du linon.
Je l’aime et suis tremblant que mon baiser le souille,
Car ce voile devant lequel je m’agenouille…
Ce léger linon
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Vois-tu, la poésie est au cœur des amants :
Elle n’émane pas des seuls événements.
C’est vrai : ceux dont je sors, quoique très authentiques,
Ne furent pas du tout, Sylvette, poétiques…
Et ceux par nos papas machiavels arrangés
Le furent, Percinet, encor que mensongers.
Car elle peut broder, lorsqu’elle aime, notre âme,
De véritables fleurs sur une fausse trame.
La poésie, amour, mais nous fûmes des fous
De la chercher ailleurs lorsqu’elle était en nous !
Scène V
Refiancés !…
Mon fils !
Me paierez-vous ma note ?
Tu l’aimes derechef ?
Oui.
Tête de linotte.
Palperai-je mon or ?
Vous palperez votre or !
Mais au fait… cette voix !… le marquis d’As-ta-fior…
Quercita ? C’était moi, chère Mademoiselle,
Moi, Straforel !… Daignez me pardonner mon zèle ;
Le moyen que j’ai pris était bon en ceci,
Qu’il vous a fait connaître — en vous laissant ici, —
Tout ce qu’ont d’ennuyeux ces aventures vraies
Dont les femmes toujours sont tôt désenivrées.
Sans doute vous pouviez…
Vous même les courir ; mais, dame ! le moyen
Pour une jeune fille étant trop énergique,
Je vous en ai fait voir la lanterne magique.
Qu’est-ce ?
Rien, rien, — je t’aime !…
D’un coup de pioche on va redémolir ce pan…
Enlever ce ciment, ces pierres et ce sable !…
Non, construisez le mur, il est indispensable !
Et maintenant, nous quatre, — et Monsieur Straforel —
Excusons ce que fut la pièce, en un rondel.
Des costumes clairs, des rimes légères, Bergamin.
Un florianesque et fol quintetto, Pasquinot.
Des brouilles… d’ailleurs toutes passagères, Straforel
Des coups de soleil, des rayons lunaires, Sylvette.
Des costumes clairs, des rimes légères, Percinet
Un repos naïf des pièces amères, Sylvette, dans une révérence.
Des costumes clairs, des rimes légères ! |