Les Rougeurs du ciel

La bibliothèque libre.
Les Rougeurs du ciel
Revue des Deux Mondes3e période, tome 63 (p. 161-182).


LES
ROUGEURS DU CIEL


À la fin du mois de novembre dernier, le 27, au soir, les habitans de Paris furent surpris de voir au ciel une couleur extraordinaire. Elle commença un peu avant le coucher du soleil et se continua plus de deux heures après, jusqu’à la nuit close, donnant aux monumens une teinte étrange de cuivre rouge et rappelant l’aspect d’une aurore boréale. On la prit d’abord pour telle, ce qui était inexact, puisqu’on la voyait vers l’ouest, non au nord, qu’elle n’avait aucune influence sur la boussole, que ce n’était pas un éclairement propre du ciel et qu’elle suivait le mouvement du soleil, dont elle n’était qu’un reflet. C’était simplement le crépuscule, mais un crépuscule extraordinaire, plus accentué que de coutume, et remarquable par son éclat, sa couleur, et sa durée.

Au matin suivant, la même coloration précéda le lever du soleil, offrant les mêmes effets en sens inverse ; elle se renouvela le lendemain et pendant plus de deux mois avec des intensités diverses. Elle ne fut pas particulière à Paris ; on apprit par les journaux qu’elle avait été vue à peu près à la même époque dans l’Europe entière et en Amérique, un peu plus tôt dans l’Inde, l’Australie et l’Afrique : c’était donc un phénomène général, provenant d’une cause unique, et qui paraissait s’être propagé de proche en proche sur la terre entière. Partout il avait excité le même étonnement, la même curiosité, les mêmes appréhensions. On en parla dans tous les salons, et ceux qui ont la réputation ou la prétention de savoir les choses de la nature furent soumis à des interrogatoires qui se renouvelaient tous les soirs avec le phénomène lui-même. Ils étaient mal préparés à y répondre, car rien de pareil ne s’était vu depuis longtemps. Pour échapper à ces examens et sauver l’honneur des savans, je résolus d’insérer dans la Revue une étude sur ce sujet ; j’y ai rencontré des difficultés que je n’avais pas, tout d’abord, prévues. Comme ce fut un phénomène général, il fallait attendre que les documens envoyés de tous les points du monde pussent être recueillis et résumés. Jusqu’au dernier moment, ils affluaient dans les académies et remplissaient les comptes-rendus ; c’est à peine s’ils sont aujourd’hui complétés et si l’enquête est mûre. Nous allons essayer de la résumer et de rendre un jugement scientifique ; mais, tout d’abord, il faut le préparer en rappelant quelques données théoriques.


I.


On appelle transparentes les substances qui laissent passer, sans en rien retrancher, toute la lumière qu’elles reçoivent. Seulement il n’y en a pas qui soient absolument transparentes : ni l’eau, ni l’air, ni aucune matière connue ; toutes affaiblissent les rayons, et, quand l’épaisseur est suffisante, les éteignent. En général, elles agissent inégalement sur les couleurs du spectre, choisissant les unes pour les transmettre, les autres pour les intercepter, d’où il suit qu’elles ont une couleur.

Il est curieux de savoir quelle est la couleur des deux substances les plus répandues dans la nature, l’air et l’eau. Cette question, qui paraît si simple, est très complexe, et, suivant le cas, les réponses étonnent par leur diversité. Dans une carafe, l’eau paraît incolore et diaphane ; l’océan et le lac de Lucerne sont verts ; la Méditerranée est bleue, ainsi que le lac de Genève. Hassenfratz a soutenu que l’eau est rouge. Hassenfratz, qui avait été charpentier, puis conventionnel ardent, ami de Danton et de Robespierre, finissait sa carrière dans les tranquilles honneurs du professorat. Ce n’était ni un savant illustre ni un professeur célèbre ; d’ailleurs il était bègue, ce qui prêtait à rire. On lui doit pourtant une bonne expérience. Ayant rempli d’eau ordinaire un long tube fermé par des glaces à ses deux bouts, il y fit passer un faisceau de lumière solaire. Elle y entrait blanche, elle en sortait avec une teinte orangée ; mais Hassenfratz employait une eau un peu trouble. L’expérience fut reprise par M. Bunsen, par M. Spring, de l’Académie de Bruxelles, et par le professeur Soret, de Genève ; chacun d’eux prit un soin particulier de purifier le liquide employé, et vit la lumière sortir colorée, non pas en orangé, mais en bleu.

On se rappelle que la lumière blanche peut être considérée comme étant composée de trois couleurs principales : rouge, jaune et bleue ; elles sont partiellement interceptées dans leur passage à travers l’eau pure, mais elles le sont inégalement : le rouge et le jaune le sont plus que le bleu, et, à la sortie, ce bleu domine. On doit donc reconnaître que l’eau, quand elle est claire et pure, est bleue. Mais si on la trouble en y versant un peu d’eau de Cologne, ou d’absinthe, ou d’extrait de Saturne ; si, par tout autre procédé analogue, on dissémine dans la masse des particules solides très petites, elles arrêtent et accrochent au passage une partie de la lumière. Or l’expérience prouve qu’elles arrêtent plus de bleu que de jaune, plus de jaune que de rouge, d’où il suit qu’à la sortie la lumière est teintée de jaune, ou d’orangé, ou finalement de rouge. Suivant que l’eau est pure ou troublée, elle offre donc toutes les teintes : bleues, vertes, jaunes, orangées et même rouges.

Ce rayon accroché au passage par les particules solides n’est pas éteint, il est réfléchi par elles, renvoyé dans toutes les directions, disséminé de tous les côtés ; on dit qu’il est diffusé. Tous les corps diffusent, c’est une de leurs propriétés les plus importantes ; tous font deux parts dans la lumière qui leur est envoyée : l’une passe directement et continue son chemin, c’est le rayon transmis ; l’autre s’échappe dans tous les sens ; elle illumine la matière et la rend visible. Ces deux parts se complètent, sont complémentaires. Quand la première décroît, la deuxième augmente. Or, si l’eau trouble laisse passer plus de rouge que de bleu, elle doit diffuser plus de bleu que de rouge, c’est-à-dire qu’étant rouge par transmission, elle doit être bleue par diffusion ; c’est pour cela que l’eau dans laquelle on a laissé tomber quelques gouttes d’extrait de Saturne ressemble à un nuage bleuâtre, mais paraît franchement jaune orangé quand on regarde le jour à travers. M. Soret, à qui l’on doit de savantes études sur ce sujet, fit l’intéressante expérience qui suit : il exposa au soleil un long tube de verre rempli d’eau trouble, ferma une extrémité par un écran noir, et regarda par l’autre bout pour ne recevoir que de la lumière diffusée ; elle était bleue comme le ciel pendant le jour.

Suivant leur origine, les eaux présentent tous les degrés de transparence possibles. Si cette transparence était absolue, il n’y aurait point de diffusion, le liquide se comporterait comme un vide parfait ; ce serait, suivant l’expression de Tyndall, le vide optique ; mais cette condition n’est jamais réalisée ; quoi qu’on puisse faire pour la rendre limpide et claire, l’eau diffuse toujours un peu. C’est ce qui explique la merveilleuse couleur de la Méditerranée ou du lac de Genève. La lumière du ciel, ayant pénétré dans les profondeurs, revient des profondeurs à la surface par diffusion et en rapporte une teinte bleue. C’est à la même action qu’est due la célèbre coloration de la grotte de Capri. Cette grotte est une vaste et profonde cavité naturelle, creusée dans la falaise, qui s’ouvre au dehors par un portique très large ; mais la mer, qui s’élève presque jusqu’au sommet de cette entrée, n’y laisse qu’un étroit passage, à peine suffisant pour qu’on y puisse pénétrer en canot et trop petite pour en éclairer l’intérieur, tandis que la masse de l’eau qui remplit la cavité reçoit de l’extérieur toute la lumière diffusée et la répand sur les parois avec l’éclat le plus vif et la plus étonnante coloration bleue.

Ainsi l’eau pure est bleue, bleue par transparence, bleue par diffusion, mais l’eau troublée par un dépôt de matières solides se teinte de vert, de jaune et même de rouge. Nous allons retrouver dans l’atmosphère les mêmes phénomènes avec une complication plus grande.


II.


L’enveloppe gazeuse qui entoure la terre est composée de couches successives qui pressent les unes sur les autres ; celle qui touche au sol est la plus dense, la pression diminue à mesure qu’on s’élève et la colonne barométrique est d’autant moindre que l’on monte davantage. Elle diminue suivant une loi si régulière et si bien connue qu’on peut mesurer l’altitude par l’observation barométrique : on pourrait apprécier la hauteur d’un étage, comme l’a fait Pascal pour la tour Saint-Jacques. Sur le Mont-Blanc, à 4,816 mètres, la hauteur barométrique est réduite de 0m,760 à 0m,424 ; sur le Chimborazo, à 6,530 mètres, elle est de 0m,340 ; elle ne doit pas dépasser 0m,250 sur le Gaorisankar, qu’on dit s’élever à 8,840 mètres. Au-delà de ces élévations, dans ces espaces supérieurs que l’homme n’a jamais atteints, la pression continue de diminuer, mais on ignore si la loi de décroissement se poursuit avec la même régularité ; et quand M. Crookes affirme qu’à 100 kilomètres la pression atmosphérique se réduit à la millionième partie de ce qu’elle est au niveau de la mer, il avance un fait qu’il n’est point possible de démontrer, puisque personne n’est monté jusque-là. On sait par une catastrophe aussi déplorable qu’inutile quel sort est réservé aux ascensions téméraires et le peu de profit qu’on en a tiré. Quelques bolides qui deviennent lumineux par la résistance que l’air leur oppose ont permis de fixer de 50 à 100 kilomètres la limite appréciable de cet air, mais ce n’est qu’une approximation ; tout prouve qu’il s’étend bien au-delà en se dilatant toujours ; on ne peut pas même affirmer que l’atmosphère soit limitée. M. Schwedoff soutient qu’elle ne l’est pas ; M. Siemens se croit autorisé à dire que l’espace tout entier entre le soleil et la terre est rempli d’un gaz, à la vérité, très dilaté, mais indéfini, et que l’attraction seule le condense progressivement et l’accumule autour de la terre. Ce qui est sûr, et ce qu’il nous importe de savoir, c’est que cet air se raréfie de plus en plus dans les hauteurs.

Sa composition elle-même est variable : la quantité de vapeur d’eau qu’il renferme change perpétuellement ; elle diminue d’abord jusqu’à la hauteur occupée par les nuages ; mais il est certain que la proportion de cette vapeur comparée à celle de l’air sec va en augmentant dans les grandes altitudes et que peut-être les dernières couches ne sont plus formées que de vapeur d’eau. Ce n’est pas tout : l’atmosphère n’est pas uniquement composée de corps gazeux ; au milieu d’eux flottent et voltigent des myriades de particules dont la petitesse est extrême ; les unes sont solides, les autres liquides ; surtout il y a de l’eau sous la forme de cristaux glacés, ou de vésicules creuses, ou de sphères pleines. Ces particules se réunissent en nuages, bas ou élevés, offrant tous les degrés de transparence ou d’opacité, et leurs propriétés changent avec leur grosseur. Tyndall a montré que la condensation de certaines vapeurs constitue des nébulosités spéciales extrêmement divisées et de qualités très curieuses. Il y a, d’autre part, des brouillards secs. En 1783 et en 1831, on en vit qui couvraient une grande partie de l’Europe et qui durèrent plusieurs mois. Enfin il est certain que des poussières cosmiques contenant du fer météorique se déposent peu à peu sur le sol, sur la neige des contrées polaires où M. Nordenskiöld les a recueillies. Plus communément on rencontre des poussières plus grossières, que les vents soulèvent et qui viennent du sol. Leur masse est bien plus considérable qu’on ne le croit généralement : M. G. Tissandier a essayé d’en apprécier la masse par un procédé tout à fait sûr. Il faisait passer un courant d’air à travers un tube où il avait disposé des tampons de fulmicoton ; forcé de les traverser, l’air y déposait des poussières qu’on recueillait ensuite en dissolvant le fulmicoton dans l’éther. M. Tissandier trouva que, sur l’étendue du Champ de Mars, dans une masse d’air de 5 mètres de hauteur, il y a jusqu’à 15 kilogrammes de ces poussières, composées à la fois de matières organiques et minérales.

L’air est donc une masse très complexe, contenant des gaz permanens, de la vapeur en proportion variable, de l’eau à divers états de condensation, et des poussières venues de la terre ou du ciel. Ce sont ces matières qui occasionnent tous les phénomènes lumineux ; ce sont les gouttes de pluie qui forment l’arc-en-ciel ; les sphères ou vésicules des nuages font naître les couronnes autour de la lune, les cristaux de glace produisent les halos et les anthélies ; ce sont enfin ces matières étrangères et accidentelles qui troublent la transparence de l’air.

Il ne faut pas croire qu’elles soient également répandues à tous les étages. Les grandes hauteurs en sont généralement dépourvues, elles sont dans le même cas que l’eau claire, pures de corpuscules et de vapeur condensée ; leur transparence est complète, leur diffusion peu sensible : nous désignerons sous le nom de couches claires ces régions élevées. Mais à mesure que l’on s’approche du sol, les poussières de diverses sortes et les particules d’eau condensée se multiplient ; les couches inférieures sont dans le même état que l’eau troublée par une émulsion : nous les appellerons à l’avenir les couches troubles. C’est à elles qu’on doit l’opacité plus ou moins grande de l’air. J’en citerai un exemple. La ville de Lyon est placée en face du Mont-Blanc, aucun obstacle n’est interposé dans l’intervalle qui les sépare si ce n’est l’air. Lyon est dans la couche trouble, le Mont-Blanc dans la région claire ; en général, la première est épaisse et cache la montagne, mais si elle vient à s’abaisser ou à s’éclaircir, le Mont-Blanc se montre dans les hauteurs comme une montagne d’or, pendant que les objets inférieurs restent plongés dans une brume qui les dissimule. On pourrait ajouter que c’est aux variations de ce trouble qu’il faut attribuer la parfaite transparence de l’air dans les régions montagneuses, le trouble continuel de l’air en Chine, quand soufflent les vents d’ouest, la pureté du ciel après la pluie, son opacité par la sécheresse, la perte d’éclat des astres à leur coucher, et comme nous allons bientôt le voir, les lueurs crépusculaires.


III.


Dans ces conditions, il est bien évident que l’air doit diffuser la lumière, et cela se reconnaît, en effet, dans une foule de circonstances. Tout le monde a remarqué, pendant l’été, les rayons du soleil pénétrant dans une chambre fermée par quelque trou d’un volet. On les voit marquer leur trace dans l’intérieur jusqu’à la paroi opposée, où ils vont peindre l’image du soleil. Dans leur chemin ils rencontrent des poussières, les éclairent, les rendent lumineuses par diffusion. Avec un peu d’attention on distingue les plus grosses, on les voit s’agiter, se déplacer, entrer dans le rayon ou en sortir ; mais si la chambre a été longtemps fermée, si personne n’y est entré, si l’air a été maintenu dans la plus complète tranquillité, ces poussières se sont déposées, la trace lumineuse est à peine visible.

Pendant l’exposition d’électricité, on disposa souvent au sommet de l’édifice une lumière électrique au foyer d’une lentille afin de lancer des rayons dans une même direction. On les voyait de loin, dessiner leur route dans la nuit, parce que les couches d’air rencontrées par eux devenaient visibles et présentaient à peu près les apparences d’une queue de comète. C’est la diffusion qui rend lumineuse pendant le jour toute l’étendue de la voûte céleste, c’est elle qui nous envoie de toutes directions assez de lumière pour masquer et éteindre les étoiles, c’est elle aussi qui estompe dans le lointain le contour des montagnes : elle est comme un voile lumineux qui s’interpose entre elles et notre œil.

Il est facile de prévoir que cette diffusion changera d’intensité et de couleur si elle est développée dans les couches claires ou les couches troubles : commençons par les premières. Si nous regardons au zénith, nous recevons la diffusion de tous les étages atmosphériques, des plus hauts comme des plus bas, des couches claires et des couches troubles. L’effet des premières l’emporte, parce qu’elles vont jusqu’aux limites de l’air, celui des dernières est négligeable, parce qu’elles ne sont guère épaisses : le résultat général est bleu. Ces couches supérieures, sereines et claires, sont donc bleues par diffusion ; elles le sont aussi par transmission, car le soleil et la lune pâlissent au zénith. L’air se comporte donc en tout comme l’eau distillée limpide et pure, il est bleu, c’est l’azur du ciel, qui s’accentue dans les montagnes, où il est plus foncé. À la limite de l’air, le ciel serait noir, parce qu’il n’y aurait plus de cause à la diffusion. Cette couleur tient-elle à l’oxygène, à l’azote ou à la vapeur d’eau, c’est ce que l’on ignore et ce qu’il est impossible de chercher. J’inclinerais à penser qu’elle est due à la vapeur d’eau. La glace est bleue, l’eau liquide offre la même teinte ; il n’est pas probable que sa vapeur ait une couleur différente.

Mais de même que l’eau troublée par une émulsion devient rouge par transparence en restant bleue par diffusion, de même les couches troubles atmosphériques vont nous présenter deux couleurs. Aussitôt que le soleil descend vers l’horizon, il traverse des parties de plus en plus chargées de particules solides ; il les traverse de plus en plus obliquement. Pour ces deux raisons, et à cause d’un plus long trajet comme à cause d’un plus grand trouble atmosphérique, il passe du bleu au vert, au jaune, à l’orangé et finalement au rouge.

Je dois ici combattre une opinion que j’ai longtemps partagée et dont j’ai reconnu l’inexactitude. La couche trouble est celle qui contient non-seulement le plus de poussières, mais aussi le plus de vapeur d’eau. On en avait conclu sans preuves que cette vapeur était la cause de cette coloration. Aucune expérience n’est venue confirmer cette hypothèse ; loin de là, les expériences de M. Lockyer, celles qui, sous son inspiration, ont été exécutées dans l’Inde, celles qu’on doit à M. Janssen, tendent à montrer que la vapeur d’eau éteint l’extrémité rouge du spectre au profit de l’extrémité bleue. En résumé, le haut du ciel est bleu, la couche trouble est rouge, c’est elle qui colore à l’horizon les nuages et les sommets des montagnes, qui met la couleur dans le paysage et les effets de lumière dans le ciel : on peut la nommer chromosphère terrestre.


IV.


Nous pouvons aborder maintenant l’étude du crépuscule. Pour la bien comprendre, il n’est pas inutile de se remettre en mémoire les brillans aspects du ciel, au couchant, par un beau soir d’été. Le soleil vient de disparaître, mais ses derniers rayons éclairent encore le sommet des montagnes ; tout le ciel les reçoit, toute la masse de l’air nous les renvoie et garde une illumination qui, peu à peu, décroît jusqu’à faire insensiblement place à la nuit. Cette lente transition du jour à l’obscurité est le crépuscule. C’est un des plus simples phénomènes de la nature, car il procède d’une cause unique, la diffusion par l’air, — par l’air qui reste éclairé et visible quand le soleil ne l’est déjà plus. Si la terre n’avait pas d’atmosphère, elle n’aurait point de crépuscule ; sur la lune la nuit se fait brusquement sans transition ni couleur. Au matin, l’aurore montre, en sens inverse, les mêmes accidens que le crépuscule.

C’est alors que le ciel développe ses plus magiques clartés, que chacun admire et que les savans observent. Lambert, qui fut un opticien célèbre, ne se lassait pas d’en suivre les phases. Biot les étudia plutôt en astronome qu’en physicien ; puis Bravais, qui était l’un et l’autre, passa près d’un mois sur le Faulhorn, à 2,683 mètres d’altitude, pour voir lever l’aurore et en suivre les progrès, qu’il était facile de prévoir. À l’horizon, les rayons traversent la chromosphère dans sa plus grande longueur et dans la partie où elle est le plus troublée : ils sont rouges. Au zénith, ils ont voyagé dans la couche claire et sont diffusés avec leur couleur bleue ; entre les deux directions, les effets se combinent et la teinte devient en montant orangée, jaune, verte et enfin bleue. À mesure que le soleil s’enfonce, la terre porte vers l’orient une ombre que l’on voit peu à peu s’élever sur les collines, sur les montagnes, sur les nuages, et comme les derniers rayons ont rasé la terre dans la couche la plus trouble, les dernières lueurs sont les plus rouges ; de là les clartés pourpres des plus hauts sommets et des derniers nuages, qui s’éteignent tout à coup quand l’ombre les envahit.

Il n’y a rien de plus à dire sur la théorie, mais il y a des conséquences à en déduire. La marche du soleil étant parfaitement connue, l’astronomie permet de calculer le nombre de degrés dont le soleil est enfoncé sous l’horizon au moment précis où la dernière lueur abandonne une montagne ou un nuage, et tout le monde comprend, sans en connaître le détail, qu’on puisse, par une simple triangulation, calculer la hauteur de cette montagne ou de ce nuage. De même, s’il y avait à l’horizon, vers le couchant, un mât assez élevé pour atteindre les dernières couches de l’atmosphère, on verrait l’ombre y monter, on mesurerait l’heure où elle atteindrait le sommet et l’on pourrait calculer sa hauteur, c’est-à-dire celle de l’atmosphère. Ce mât n’existe pas et ne peut exister, mais l’air existe. Tant qu’il est éclairé, c’est qu’il reçoit encore les rayons du soleil ; au moment où il cesse de l’être, c’est que ces rayons l’ont dépassé. On voit que le moment où cesse le crépuscule dans une direction déterminée permet de calculer la hauteur de l’air, ou du moins la hauteur à partir de laquelle il est trop raréfié pour produire aucune diffusion. C’est à peu près ainsi qu’a procédé Bravais ; il a trouvé environ 30 lieues et, comme le diamètre de la terre en mesure 3,000, on peut dire que l’enveloppe gazeuse n’est que la centième partie de l’épaisseur terrestre : c’est une pellicule ou, comme le dit Tyndall, un vêtement peu épais dont la terre s’est drapée pour se tenir chaude.

Ces dernières lueurs vont nous rendre un autre service encore. Pour le faire comprendre, imaginons qu’on regarde vers le ciel dans la direction de cette belle planète qui accompagne souvent le soleil couchant et qui est Vénus, ou l’étoile du Berger. On ne la voit pas pendant le jour parce qu’il y a dans sa direction une infinité de couches d’air qui toutes nous envoient de la lumière diffusée, qui toutes sont visibles à la fois, se masquant mutuellement, et que la superposition de toutes ces lumières dissimule l’étoile. Mais lorsque le soleil descend et que l’ombre crépusculaire s’élève, elle éteint successivement l’illumination de toutes les couches, en commençant par les inférieures, qui étaient les plus éclairées. Peu à peu, l’étoile prend le dessus et devient visible. Il en est de même de l’air lui-même : on voit d’abord en superposition toutes les couches à la fois ; s’il y a dans les hauteurs un de ces nuages légers qu’on nomme cirrhus, il ne sera pas plus visible que ne l’était l’étoile ; peu à peu, les couches inférieures entreront dans la nuit et le démasqueront. Nous avons par là un moyen sûr, mais un seul, de voir ce cirrhus, c’est d’attendre le moment précieux où le progrès de l’ombre crépusculaire aura fait rentrer dans l’ombre les voiles qui nous le cachaient et nous permettra d’être renseignés sur les événemens dont les couches supérieures peuvent être le siège. Cette remarque nous amène enfin à l’étude des crépuscules rouges.


V.


Quand on veut résoudre une question de cette nature, il n’y a qu’une marche à suivre : se dépouiller de toute idée préconçue, recueillir scrupuleusement les récits des témoins oculaires et, après les avoir groupés et discutés, en extraire les circonstances générales, c’est-à-dire les lois du phénomène. C’est ce que nous allons faire. Heureusement les documens abondent dans les journaux, les revues et les comptes-rendus des sociétés savantes ; on en trouve surtout dans une publication hebdomadaire anglaise, Nature, qui se répand dans le monde entier. Tout Anglais se fait un point d’honneur de la lire et un devoir de lui communiquer ce qu’il sait ; c’est une sorte de bureau de renseignement universel très précieux où nous avons trouvé presque toutes les pièces de notre enquête scientifique.

Le premier point qui s’en dégage est qu’aucune circonstance caractéristique ne venait habituellement préparer et annoncer pendant le jour le crépuscule spécial qu’on devait observer au soir. Tout au plus vit-on quelquefois le soleil bleui, voilé et comme terni par un trouble atmosphérique. Cela restait ainsi pendant le coucher, même quelque temps après. Ce n’est qu’à la nuit commençante que le ciel prenait et répandait sur la terre une teinte de cuivre qui s’exagérait rapidement, passait au rouge sombre et offrait, sauf la place occupée, les apparences d’une aurore boréale. Si l’on se réfère à la remarque précédente, il faut conclure qu’il y avait dans les plus grandes hauteurs de l’air un médium peu dense et cependant capable de diffuser la lumière rouge, masqué d’abord par le crépuscule ordinaire et ne devenant visible qu’au moment où l’ombre projetée par la terre avait éteint l’illumination des couches inférieures. Cette lueur toute spéciale, révélant des conditions extraordinaires, a reçu le nom d’upper-glow, qui a été proposé par miss Annie Ley : en Angleterre, les dames prennent quelquefois une part active au mouvement scientifique.

On a cherché à voir ce médium par le procédé que nous avons indiqué, en scrutant attentivement le ciel et en attendant le moment où les couches inférieures et moyennes sont éteintes. On a parfaitement réussi à distinguer un stratus mince, une brume étalée, filamenteuse et persistante sans déplacement sensible, et d’aspect rouge. Elle était visible pendant longtemps, quelquefois deux heures après le coucher du soleil. Cela montre clairement que cette brume était très haut placée et qu’il est possible de mesurer son altitude par le procédé que nous avons décrit et qui a permis à Bravais de fixer à 120 kilomètres environ la hauteur limite de l’air dans les conditions ordinaires. Le calcul fut d’abord fait par M. Helmholtz, qui avait observé les lueurs, à Berlin, les soirs des 28, 29 et 30 novembre ; elles se voyaient jusqu’à 45 degrés au-dessus de l’horizon ; une heure après le coucher, leur hauteur devait atteindre 60 kilomètres, ce qui est déjà une belle hauteur. Mais M. Hirn va beaucoup plus loin ; ayant fait les mêmes observations et les mêmes calculs à Colmar, il trouva que cette élévation dépassait 500 kilomètres : ce serait environ quatre fois l’épaisseur admise par Bravais pour l’épaisseur totale de l’air. Ce n’est pas à dire que l’atmosphère ait été momentanément surélevée ; cela signifie seulement qu’elle avait été envahie par une brume rouge qui avait reculé et prolongé sa faculté diffusante jusqu’à des limites où elle en est habituellement dépourvue. Il faut laisser à M. Hirn l’honneur et la responsabilité de cette évaluation.

Dès lors, les récits et les descriptions des témoins, toute l’enquête que nous venons de faire se résument en deux mots : les lueurs rouges du crépuscule tardif étaient dues à la présence, dans les confins de l’air, d’une brume légère formée par des poussières diffusantes. Son existence ne peut être contestée ; elle est expérimentalement constatée ; sa hauteur a été mesurée ; elle a été vue par tous les observateurs attentifs, par MM. Manley, Rollo Russel, Michie Smith, Piazzi Smyth, etc. Elle explique les lueurs rouges qui nous ont préoccupés ; elle en a été l’unique cause et nous pouvons considérer comme résolue la première partie des questions qui se présentaient à nous, à savoir quelle circonstance spéciale avait modifié les lueurs crépusculaires d’une si étrange façon, dans le monde entier, presque au même moment.

Mais ce n’est pas tout : il faut chercher la nature de ces nuages élevés et leur cause. Cherchons d’abord s’ils n’ont pas révélé leur présence par d’autres propriétés ; or nous allons voir que de nombreux témoins oculaires ont remarqué pendant le jour, à la même époque, dans les pays chauds, un phénomène bien plus extraordinaire encore, une apparence étrange du soleil, qui, matin et soir, se montrait bleu ou vert ; il communiquait à tous les objets, au sol, aux maisons, aux récoltes, même aux personnes, une coloration bleue ou verte, comme si elles étaient éclairées par un feu de Bengale. Voici, entre mille, trois récits que je trouve dans le journal Nature. M. Arnold communique au Times l’extrait suivant d’une lettre envoyée de la Trinité, 2 septembre : « Nous avons eu un temps bien curieux dimanche dernier. Vers cinq heures, le soleil paraissait comme un globe bleu, et avec l’aide d’un petit télescope, je vis aisément trois taches sur le disque. À la nuit, nous avons cru qu’il y avait un incendie dans la ville à cause de l’éclatante rougeur du ciel. Tous mes correspondans s’accordent sur cette couleur. Cette circonstance, que l’on considère comme un avant-coureur de mauvais temps, eut lieu trois jours avant le cyclone qui balaya la Martinique. »

«… Mon attention fut d’abord appelée sur ce sujet par un de mes professeurs (teachers), à quatre heures environ de l’après-midi du 10 septembre ; mais j’apprends que la même chose fut notée ailleurs le jour précédent. Au moment dont je parle, je vis que la lumière du soleil, à travers une fenêtre ouverte à l’ouest, jetait sur le sol une curieuse lueur d’un bleu pâle ; je remarquai que cette teinte produisait sur la couleur des objets l’effet ordinaire des lumières colorées. En regardant dehors, je vis que le soleil, un peu voilé par une brume, avait décidément une teinte bleue verdâtre ; la même chose fut observée le 11 et le 12 à la fois matin et soir, mais je n’observais que le soir. À quatre heures, la teinte était bleue. » Elle passa ensuite au vert, au jaune et au rouge comme dans les couchers ordinaires, mais « un rouge très profond demeura pendant plus d’une heure après le coucher, tandis que, dans les conditions ordinaires, toute lueur est éteinte ; une demi-heure après la disparition du soleil, la lune à son premier quartier se montra entourée d’un halo vert pâle d’environ 30 degrés de largeur.

« Manley.
« Ongole, 7 septembre. »

« Dimanche 9 septembre, les habitans de Colombo, pendant leur promenade du soir, furent étonnés d’une étrange apparence du ciel ; il était nuageux, et de fréquens grains passaient sur la mer ; l’un d’eux toucha justement Colombo ; aussitôt qu’il fut passé, le soleil sortit d’un nuage avec une brillante couleur verte ; tout le disque était visible et si affaibli qu’on pouvait le regarder fixement. Le même phénomène fut observé lundi et mardi. D’après les nouvelles que je reçois des autres parties de l’île, le soleil était vert à son lever, puis devenait bleu comme la flamme de soufre, donnant peu de lumière, jusqu’à une élévation de 20 degrés environ.

« HOPKINS. »

La couleur bleue ou verte dont il est ici question est évidemment liée au phénomène qui nous occupe, puisqu’elle se transforme le soir et qu’elle semble prédire le crépuscule rouge. Elle est plus facile à expliquer : elle est due à la vapeur d’eau. Des études spectroscopiques nombreuses, par MM. Michie, Piazzi Smyth, Donnelli, etc., ont montré dans la lumière solaire des lignes noires caractéristiques de la vapeur d’eau, lignes qui annoncent la pluie, qu’on a nommées pour cette raison rainband. Aux conclusions précédentes il faut donc ajouter celle-ci : il y avait avec les poussières, dans les parties supérieures de l’air, une énorme quantité de vapeur d’eau qui devait se condenser par le refroidissement au moment du coucher du soleil et contribuer pour une large part à la formation du stratus qui donna naissance aux lueurs rouges. Ces couleurs étaient donc dues à la fois et à des poussières suspendues et à des vésicules condensées, disséminées aux limites mêmes de l’atmosphère, recevant les rayons solaires longtemps encore après le coucher et les renvoyant jusqu’à nous ; la cause des crépuscules rouges et prolongés nous est ainsi complètement dévoilée.

Je pourrais terminer là cette étude, dont le but est atteint, mais rien ne peut contenter la curiosité scientifique. Ses exigences augmentent en raison des efforts qui tendent à la satisfaire ; une question résolue ne sert qu’à engendrer d’autres problèmes : à peine a-t-on découvert ces envahissemens de l’air par des poussières haut placées, qu’on veut savoir d’où elles venaient ; nous allons tâcher de le dire. Cette fois, nous sortirons de la certitude expérimentale pour entrer dans les possibilités théoriques ; nous en appellerons à l’imagination, puisque l’expérience nous fait défaut.


VI

Un savant astronome italien, M. Tacchini, fort autorisé dans ces matières, vient de publier dans la Nuova Antologia, un article curieux et très bien fait dans lequel il cherche à dépouiller le phénomène de ce qu’il paraissait avoir de mystérieux. Ce n’était suivant lui qu’une exagération de circonstances très ordinaires. Comme il y a des années chaudes ou froides, sèches ou pluvieuses, de même il y a des crépuscules courts ou longs, ce sont de simples modifications de la faculté diffusante, résultant de ces mille variations si fréquentes dans l’allure du temps ; il n’y a pas de quoi crier au miracle, chercher des causes extraordinaires, faire intervenir le ciel avec les volcans : tout s’explique en remarquant que la pression était très élevée, la vapeur plus abondante qu’à l’ordinaire, et qu’elle s’élevait plus haut. À la tombée de la nuit, elle se condensait par le refroidissement, formait des stratus fort élevés et le reste s’ensuivait. À cela on peut répondre que même les accidens ont une cause, qu’il est de notre devoir de la chercher, et quand ils se rencontrent au même moment sur la terre tout entière, on doit admettre qu’ils répondent à un état général et rare, que le hasard, cette explication de l’ignorance, ne suffit pas à les justifier. Il en faut chercher l’origine dans les bouleversemens qui, de temps à autre, troublent l’équilibre du monde. Nous croyons donc qu’il est nécessaire d’admettre un envahissement subit par des poussières ; la seule question qui reste à résoudre est de savoir d’où elles venaient, si elles tombaient du ciel ou bien si une force intérieure les avait lancées depuis la terre jusqu’aux limites de son attraction ; de là deux théories : l’une cosmique, l’autre volcanique.

La théorie cosmique est une hypothèse très défendable. Rien ne la contredit, mais rien ne la démontre. C’est peut-être la vérité, ce n’est peut-être qu’un ingénieux roman. Voici en quoi elle consiste. Le système solaire n’est pas sans relations matérielles avec les autres mondes ; l’espace n’est point absolument vide : M. Schwedof soutient qu’il est plein. Il est certain que, deux fois par année au moins, la terre coupe la route suivie par des anneaux d’étoiles filantes, que M. Nordenskiöld a trouvé sur la neige des contrées polaires une poussière noire qui a la composition des aérolithes, qu’on voit souvent des brouillards secs qui pourraient bien n’avoir pas une origine terrestre, que la queue des comètes contient de l’hydrogène carboné, que nous courons dans l’espace vers une destination peu connue et que nous sommes exposés à rencontrer dans le chemin ou de l’eau, ou des gaz combustibles, ou quelque petite nébulosité qui serait capable de nous noyer ou de nous brûler, deux mésaventures également possibles, également redoutables. On dit que nous avons subi la première, un déluge ; la deuxième, qui serait un incendie, vient d’arriver à l’étoile α de la Couronne boréale. C’est une étoile de sixième grandeur qui prit tout à coup un éclat inaccoutumé, elle brûlait. Le spectroscope fit reconnaître une flamme d’hydrogène, et, quand elle fut consumée, l’étoile reprit son aspect des anciens jours. Rien ne dit que la terre ne soit menacée d’une pareille fin, qui ne ferait pas plus d’effet pour les autres mondes que n’en fît pour nous l’incendie de l’étoile α. Pour cette fois, la terre s’en serait tirée à meilleur compte ; elle n’aurait rencontré, vers le mois de novembre dernier, qu’un amas de poussières et d’eau qui l’aurait couverte tout entière et n’aurait révélé son action que par des lueurs rouges. Il est inutile de discuter ces possibilités : le caractère des hypothèses sans fondement est de ne pouvoir être confirmées ni réfutées ; celle-ci est du nombre. On peut dire toutefois que jamais pluie d’étoiles filantes, jamais chute de matériaux cosmiques, jamais aucun indice de cette sorte ne fut accompagné de lueurs rouges. Passons à la seconde théorie.

De temps immémorial, on voyait à l’entrée occidentale du détroit de la Sonde, à distance à peu près égale de Sumatra et de Java, la petite île de Krakatoa. C’était un volcan s’élevant à 800 mètres environ, pareil au Stromboli ou à Santorin. Depuis le 22 mai, il était en travail ; il avait rejeté sur la mer de grandes quantités de ponce flottante et s’était ouvert un nouveau cratère à la base de la montagne ; et, bien que les arbres fussent brûlés et les moissons détruites, la population, qui en avait l’habitude, ne se montrait pas trop effrayée. L’éruption suivait donc son cours avec les circonstances ordinaires et sans présages funestes, lorsque le 27 août au matin, elle devint tout à coup formidable. Ce fut une répétition aggravée du désastre qui a détruit Herculanum et Pompéi en 79 après Jésus-Christ. Une île voisine, Sebessi, fut enterrée avec tous les habitans sous une épaisse couche de boue. À Java et à Sumatra, le littoral fut inondé et cinquante mille personnes furent noyées ; les navires qui, à ce terrible moment, passaient en vue de Krakatoa, furent violemment secoués ; mais aucun ne fit naufrage, et c’est aux marins qui les montaient que nous devons les détails de ce déplorable événement. Nous insisterons sur trois points.

L’éruption fut courte. Commencée le 27, elle était terminée le lendemain. Tant qu’elle dura, on entendit des détonations répétées, si terribles que rien ne peut en donner l’idée ; on les entendit de Batavia et de Ceylan comme des coups de canon lointains et, dans les intervalles, des crépitations tellement semblables à des feux de mousqueterie que les troupes prenaient les armes, croyant à une attaque des naturels. Pendant ce temps, le baromètre, qui était très élevé, éprouvait des oscillations si brusques et si graves qu’on le voyait monter et descendre d’un demi-pouce en quelques minutes. Il faut noter cette circonstance importante.

Une dernière explosion termina tout à coup la lugubre scène. On vit ensuite que la presque totalité de l’île avait disparu, qu’elle avait été disloquée, probablement soulevée en l’air, et que ses débris retombant tout autour avaient pour jamais disparu sous les eaux. À ce moment, une vague immense partait du volcan, et, marchant de l’ouest à l’est, s’engageait dans le détroit ; elle remontait et faisait déborder les rivières, envahissait le rivage, atteignait jusqu’à 50 mètres de hauteur, couvrait les maisons, arrachait les arbres, balayait les plantations et noyait les habitans. Trois fois la vague se retira, trois fois elle revint.

Le volcan lançait vers le ciel une énorme quantité de pierres, de cendres et d’eau. En retombant, ces matières couvraient le pays d’une boue noire : on en recueillit 20 centimètres sur le pont d’un navire ; elle s’attachait aux vêtemens et pénétrait dans les poumons ; elle faisait une nuit si noire que les matelots ne se conduisaient qu’à tâtons ; il tomba jusqu’à 14 pieds de pierre ponce ; la mer en était couverte et l’entrée des ports obstruée. On a remarqué que la chute de ces matières cessa à Batavia un jour avant le retour de la lumière : circonstance remarquable, car elle indique qu’un nuage opaque et persistant s’était formé et se soutenait dans les hauteurs. Laissant de côté la question d’humanité, nous pouvons résumer l’événement au point de vue de la physique générale : de grands bruits, de grands mouvemens du baromètre, de grandes vagues sur la mer, d’immenses nappes de cendres et d’eau lancées vers le ciel.

De pareilles variations dans la pression de l’air ne pouvaient s’éteindre aux lieux mêmes de leur production ; elles devaient se transmettre. Un membre de la Société royale de Londres, M. Scott, remarqua le premier que, vers le mois d’août, le baromètre avait ressenti certaines perturbations tout à fait insolites, consistant en élévations et en affaissemens successifs plusieurs fois répétés ; puis, en relevant les observations météorologiques, il reconnut que les mêmes oscillations avaient été remarquées presque au même moment à Berlin, à Paris, à Londres et à dix autres stations comprises entre Saint-Pétersbourg et Valentia. Il n’en soupçonna point la cause, mais il en inspira le soupçon à un autre météorologiste, le général Strachey. Ce dernier comprit aussitôt que des manifestations si générales et presque simultanées devaient avoir une cause unique, quelque événement grave survenu en un point du globe à un moment déterminé : ce point ne pouvait être que Krakatoa ; cet événement, que les brusques changemens de pression que l’on avait constatés pendant les explosions. Le calcul justifia ces prévisions. La pression s’était transmise de proche en proche, en divergeant comme les ronds qu’on fait dans l’eau ; elle avait marché dans tous les sens avec la même vitesse sur la terre entière ; elle était arrivée au même moment à l’antipode de Krakatoa, avait dépassé ce point en s’écartant de nouveau pour se retrouver au lieu d’origine, après avoir parcouru la terre entière.

À peine fut-elle connue, cette théorie se confirma partout. On sait que les observatoires possèdent aujourd’hui des enregistreurs mécaniques qui écrivent eux-mêmes, sur des feuilles de papier réglé, les hauteurs du baromètre à toutes les heures de la journée. Ces feuilles, scrupuleusement conservées, sont les archives automatiques de l’observatoire ; elles gardent, et on peut y lire après coup la trace de tous les accidens atmosphériques, lors même qu’ils n’auraient pas été aperçus en leur temps ; or ces feuilles furent consultées partout, d’abord à Berlin par M. Foerster, puis à Paris par MM. Renou et Marié-Davy ; à Lyon, à Clermont-Ferrand, à Nantes et à toutes les stations météorologiques, les mêmes troubles avaient été accusés, on en put suivre la trace, on en reconnut la marche et on en mesura la vitesse. Enfin M. Wolf, interprétant rigoureusement les observations, parvint à montrer que l’événement s’était produit à Krakatoa le 27 août, à onze heures du matin, qu’il avait occasionné des variations de pression, que ces variations s’étaient transmises de proche en proche, qu’elles avaient fait au moins deux fois le tour de la terre en 33h 56min chaque fois, et qu’elles avaient marché dans tous les sens avec une vitesse de 327 mètres par seconde. On sait que c’est à peu de chose près la vitesse du son dans l’air, circonstance décisive qui fut une heureuse surprise, mais que la théorie mathématique aurait dû prévoir. On peut dire que l’explosion de Krakatoa fut entendue du monde entier ; pour la première fois, le baromètre avait servi de téléphone.

Les mouvemens qui prennent naissance en un point ne se propagent pas seulement par l’air, ils sont aussi transportés par les solides et les liquides. L’explosion de Krakatoa a dû être dans le même cas ; elle s’est en effet fait sentir par le sol, qui trembla à de grandes distances, mais les observations précises nous manquent. Heureusement il y en a concernant la transmission par l’eau. On se rappelle que trois grandes vagues, partant du volcan, se sont engagées dans le détroit de la Sonde comme le mascaret dans l’embouchure des fleuves et qu’elles y ont causé d’irréparables malheurs. Elles se sont avancées en rond dans toutes les directions ; elles furent reconnues en tous les points de la mer des Indes, à l’île Maurice, à Madagascar ; elles ont passé au cap, remonté l’Atlantique, se sont montrées au marégraphe de La Rochelle, où M. Bouquet de la Grye a remarqué leur passage ; d’autre part, elles s’étalaient jusqu’au cap Horn et probablement dans le Pacifique tout entier : leur vitesse a été mesurée ; elle est égale à 670 kilomètres à l’heure environ, ce qui est très inférieur à la vitesse du son dans l’eau.

Si j’ai tant insisté sur ce phénomène, c’est pour en montrer la puissance, pour faire voir que l’éruption du Krakatoa a été l’un des plus gigantesques événemens qui aient épouvanté le monde et pour préparer le lecteur à ce qui va suivre. En voyant ces vagues immenses se promener sur toutes les mers et ces ondes aériennes faire plusieurs fois le tour de la terre, il comprendra que la force intérieure capable de disloquer une île entière, de la jeter à la mer, et de la remplacer par d’autres qui ont surgi à côté, ait suffi à la besogne plus facile de lancer verticalement une faible masse de cendres et de vapeur à une hauteur comparable à celle de l’atmosphère.

Pour avoir l’idée de cette hauteur, imaginons qu’un canon rayé, de gros calibre et fort chargé, ait lancé verticalement un obus de bas en haut avec une vitesse de 500 mètres, ce qui est une vitesse ordinaire ; cet obus monterait jusqu’à 13 kilomètres. Si la vitesse initiale était simplement doublée et égale à 1,000 mètres par seconde, il s’élèverait jusqu’à 51 kilomètres, dix fois plus haut que le Mont Blanc, et il atteindrait une couche où la pression de l’air n’est pas égale à la millionième partie d’une atmosphère. Or, il n’y a aucune exagération à admettre que la colonne de cendres sortie du cratère a eu au moins cette vitesse, et, comme la vapeur et les gaz continuaient de se détendre par leur expansion après la sortie, c’était une force qui prolongeait son effet comme celle d’une fusée et qui devait encore augmenter la grandeur du trajet. Il est donc certain que le volcan lançait au 26 août un panache formé de cendres et de vapeur d’eau partiellement condensée, faisait dans l’air une trouée verticale, dépassait l’atmosphère, formait une sorte de protubérance dans laquelle il réunissait un amoncellement de matériaux très divisés. Les plus gros retombaient autour du volcan, le reste demeurait flottant comme demeurent les nuages et la fumée, glissait latéralement, s’étalait dans tous les sens comme l’huile sur l’eau, formait une calotte supérieure, un stratus uniquement composé de poussières et de vapeur d’eau, stratus persistant, capable de diffuser les rayons, de prolonger le crépuscule, de colorer la lumière solaire, capable, en un mot, de développer les phénomènes optiques que nous avions le dessein d’expliquer. Telle est la théorie volcanique de ces manifestations. On ne saurait dire quel en est l’auteur ; la pensée semble en être venue à beaucoup de savans à la fois par la concordance indéniable des faits, par la force de l’évidence, par l’effet d’une sorte d’instinct scientifique qui impose la croyance.


VII.

Les objections n’ont pourtant pas manqué. Il y en a deux surtout qui paraissent graves et que M. Tacchini[1] a soutenues avec force : comment peut-on admettre que des cendres aient pu rester suspendues dans l’air sans tomber depuis le 26 août, date de leur émission, et attendre jusqu’au mois de décembre pour se révéler, et comment comprendre, que, de cette bouche unique et perdue dans la mer des Indes qu’on dit les avoir lancées, elles aient pu se disséminer par leur seule tendance au niveau jusque dans les contrées les plus éloignées ? Ces objections n’ont pas le degré de gravité qu’on a pensé. D’abord, c’est un fait connu depuis longtemps ; que les cendres volcaniques sont emportées très loin par les vents. En 1879, celles qui sortaient de l’Etna atteignaient et dépassaient Messine. Le 3 juillet 1880, M. Edward Whymper, dans une ascension au Chimborazo, voyait s’élever du volcan de Cotopaxi une colonne de fumée d’abord entraînée vers l’est, puis ramenée par un courant contraire sur le Chimborazo, où il se trouvait. Elle était à 12,000 mètres d’altitude environ ; elle voilait le soleil et lui communiquait une teinte d’émeraude. M. Tacchini lui-même raconte que, le 17 mai 1879, un cyclone venu d’Afrique, où il s’était imprégné des sables du Sahara, passa la Méditerranée et parcourut la Sicile, où il les déposa si abondamment qu’on en recueillit plus d’une livre sur une seule terrasse. Pendant un séjour au pic de Ténériffe, M. Piazzi Smyth remarquait de véritables strates de poussière qui paraissaient demeurer à l’état permanent à un niveau très élevé. M. Langley fit la même remarque en 1881 pendant l’ascension qu’il fit du mont Whitney. Il voyait s’étendre au-dessous de lui et à perte de vue un océan de poussière qui paraissait rouge par réflexion. En Chine, quand le vent souffle de l’ouest et qu’il a traversé sans pluie les continens d’Europe et d’Asie, il est chargé d’une poudre jaune et la dépose sur les végétaux, les maisons et les habitans. Il faut encore citer les cirrhus formés de globules d’eau, qui se maintiennent dans les hauteurs, les cristaux de glace auxquels nous devons les halos, enfin ces particules solides innombrables qu’un rayon de soleil illumine dans la chambre obscure et qui se déposent, suivant Tyndall, lentement et seulement quand l’air a été tenu dans un repos complet. La suspension des poussières est donc un fait journalier, il ne peut nous embarrasser ; il faut bien l’admettre puisqu’il a été constaté.

D’ailleurs, cette suspension n’est point mystérieuse, on l’explique aisément. La résistance que l’air oppose à la chute des corps augmente avec leur surface : une sphère d’or tombe très vite ; mais quand sous l’effort du marteau on en a fait une lame mince et très étalée, elle se soutient et nage dans l’air comme le fait une plume. Une feuille de papier n’arrive à la terre qu’après de nombreux détours latéraux ; roulée en boulette, elle descend verticalement sans résistance. Or quand on pulvérise un corps, on en augmente la surface totale sans en changer le poids ; on la décuple en le divisant en mille parties ; on la rend cent fois plus grande si on en fait un million de morceaux, et quand ces morceaux arrivent à un degré suffisant de petitesse, ils n’ont plus assez de poids pour déplacer l’air et tomber. M. Preece donne une autre raison. Les déjections volcaniques, quand elles sortent du cratère, partagent l’électricité de la terre, qui est négative et qui les repousse ; elles emportent cette électricité dans des hauteurs si grandes que le vide y est presque complet et elles la gardent indéfiniment suivant les expériences de M. Crookes. Alors la répulsion continue de s’exercer et empêche la chute pendant un temps considérable.

La deuxième objection porte sur la difficulté d’expliquer la dissémination des poussières sur toute l’étendue de la terre. On a invoqué des courans supérieurs que l’on ne connaît pas, mais qu’on suppose exister. Suivant moi, le mécanisme de ce transport est plus simple ; au moment où elle s’élève, la colonne volcanique partage de l’ouest vers l’est le mouvement de rotation de la terre, mouvement qui lui fait parcourir à une latitude moyenne un cercle de 40,000 kilomètres en un jour. Cette vitesse, elle la conserve même quand elle a été lancée, même si elle est parvenue à 200 kilomètres ; mais comme le cercle qu’elle décrit alors est plus grand, elle ne le parcourt pas en entier en vingt-quatre heures ; elle tourne moins vite que la terre, et se trouve en retard de 1,200 kilomètres par jour ; c’est comme si, par rapport à la terre, elle marchait vers l’ouest. Au bout d’un mois, le retard se trouve être de 40,000 kil. ou d’un tour complet. Si cette théorie est exacte, on a dû voir apparaître successivement le crépuscule rouge sur les divers points du parallèle de Krakatoa. C’est, en effet, ce qui fut observé. On le vit aux Seychelles, à Madagascar, au Cap, puis en Amérique, à Panama ; les journaux de bord le suivent dans le Pacifique ; il avait accompli le tour du monde. Quant à la diffusion latérale des poussières vers le nord ou le sud, elle résulterait naturellement des vents réguliers qui transportent l’air du nord à l’équateur dans les couches basses : ce sont les alizés, et de l’équateur au nord, dans les grandes hauteurs, ce sont les contre-alizés ; ce sont ces derniers qui nous auraient apporté les cendres de Java.

À cette théorie, déjà si probable, il manquait jusqu’à présent une dernière confirmation, la découverte de ces cendres dans l’air ; elle vient d’être faite tout récemment. Lentement, mais fatalement ces poussières devaient être entraînées par les pluies ou par la neige et arriver jusqu’au sol. M. Yung a trouvé le premier des corpuscules dans l’eau de fusion de la neige du mont Salève ; un géologue anglais, M. Macpherson, de présence à Madrid, recueillit dans les mêmes conditions une poudre noire dans laquelle étaient de petits cristaux d’hyperstène caractéristique des cendres de Java. Les mêmes circonstances ont été remarquées partout. Du 18 au 19 décembre, entre Aggen et Lenne, il y eut une chute de neige accompagnée d’une poussière foncée. La Gazette de Cologne rapporte qu’à Gimborn la neige tombée pendant la nuit était recouverte d’une couche noire, fine comme de la farine et sous laquelle elle montrait sa blancheur ordinaire. Enfin, à Wageningen, en Hollande, dans la nuit du 13 au 14 décembre, pendant une violente tempête du nord-ouest, on vit tomber une pluie de nature spéciale et extraordinaire qui déposa sur les châssis des fenêtres un sédiment noir. On en fit l’étude au microscope, on y trouva tous les élémens des cendres volcaniques ; on la compara à des cendres provenant du même volcan de Krakatoa conservées au laboratoire du Musée d’agriculture, et l’on n’y vit aucune différence. Cette communication est signée de MM. Beyerinck et van Dam.

Toutes décisives que paraissent ces preuves, quelques personnes persistent à les contester ; elles font remarquer que la présence de ces poussières est aussi favorable à l’hypothèse cosmique qu’à la théorie volcanique ; que, dans les temps ordinaires, une poudre tombée du ciel a été trouvée sur les neiges polaires par M. Nordenskiöld sans qu’on puisse invoquer une éruption. Il y a un dernier argument à leur opposer. Deux fois depuis qu’on observe l’état du ciel, et deux fois seulement, on a observé la prolongation du crépuscule : c’était récemment et cinquante-deux ans auparavant, en 1831. Cette année 1831 fut doublement célèbre ; une île volcanique surgissait au mois de juillet dans la Méditerranée. L’événement était assez curieux et fit assez de bruit pour que le gouvernement français envoyât sur les lieux son meilleur géologue : c’était alors Constant Prévost ; il arriva trop tard, lorsque déjà l’île Julia, qui n’était qu’un amas de cendres, commençait à être démolie par les vagues. Il sut toutefois qu’elle avait été le siège d’une véritable éruption, avec projections de cendres, colonne de fumée et de vapeurs, en un mot, avec toutes les conditions habituelles. D’autre part, il y eut un brouillard sec, ce qui n’est autre chose qu’une accumulation dans l’air de parcelles solides extrêmement ténues. Elles y occasionnaient les accidens ordinaires, le soleil paraissait bleu, les crépuscules étaient rouges et se prolongeaient pendant une partie des nuits : il y avait donc là toutes les conditions que nous venons d’étudier. Personne alors n’eut la pensée de relier les deux phénomènes, mais ce qui prouve qu’ils étaient solidaires, que l’un était la conséquence de l’autre, c’est que l’éruption avait lieu en juillet, que le brouillard sec fut vu le 3 août sur la côte d’Afrique, le 9 à Odessa, le 10 à Paris et dans le midi de la France, le 15 à New-York, qu’il se propageait rapidement et que son centre d’origine était justement l’île Julia, comme le centre d’origine de nos crépuscules se trouvait naguère à Krakatoa.

En cherchant dans les annales des différens pays, on trouverait peut-être d’autres exemples de ce phénomène, qui est partout le même. Et maintenant que les observateurs sont prévenus, ils étudieront avec soin les dernières lueurs crépusculaires pour savoir quels changemens se produisent aux limites de notre atmosphère ; c’est une nouvelle étude qui s’impose à eux, et j’ai la pensée qu’elle ne sera pas stérile. Dans le passé, il est certain que la trop fameuse éruption de 79 avait la plus complète analogie avec celle de Krakatoa. Il est facile de la reconstituer. Le Vésuve était depuis longtemps un vaste cratère régulier, une vraie coupe antique dans sa forme et si parfaitement endormi que le sol en était cultivé. Son réveil fut terrible : une nuit lugubre s’étendit tout autour, une pluie mêlée de cendres couvrit Pompéi, moula les objets, même les corps des habitans ; cinquante mille personnes furent enterrées, une explosion finale démolit la montagne, dont une moitié seulement demeura debout, comme à Krakatoa, c’est la Somma ; l’autre partie disparut sous les eaux. Il est certain que des détonations furent entendues, que des variations de pressions se propagèrent dans le monde entier, que la mer fut soulevée, que le soleil se montra bleu, le crépuscule rouge, et qu’il y eut pendant longtemps des chutes de cendres dans les contrées voisines. C’est ainsi que la science vient en aide à l’histoire.

J. Jamin.

  1. Nuova Antologia, 1er février 1884.