Les Sérails de Londres (éd. 1911)/38

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Albin Michel (p. 301-308).

CHAPITRE XXXVIII

Visite dans Berkeley-Street : amours du lord G...r. Attachement de MM. M..ly..ts, père et fils. Perfection du lord G...r sur les lits élastiques de Gale. Grande capacité des coureurs de Mad. W..st..n. Description et caractère des visiteurs femelles de Mme W..st..n. Les trois Grâces introduites dans les personnes de Miss C..rter, Miss St..nley et Miss Armstr..ng, avec quelques anecdotes frappantes sur leurs vies.

Nous pensons que nous ne faisons pas mal d’aller maintenant dans Berkeley-Street, Piccadilly, d’autant que nous trouverons une mère abbesse célèbre, connue avantageusement sous le nom de Madame W..st..n. Cette dame est la sœur du palfrenier et principal mercure du lord Gro..ner : son frère d’abord l’établit sur le même pied, et en même temps lui procura la pratique, la protection et la recommandation de son lord qui, à cet égard, a pleinement remplit sa promesse ; car, quoiqu’il rode quelquefois dans les séminaires de King’s-Place, ou ceux des environs de Marybone, son principal penchant est pour celui de Berkeley-Street. Il vient constamment trois fois par semaine, et quelquefois plus souvent, chez Madame W..st..n pour y voir Miss Hayw..d.

Aucune duègue n’entend mieux son commerce que Madame W..st..n ; elle a à sa volonté des nonnes de toutes grandeurs et figures différentes, elle n’en a seulement que deux qui demeurent chez elle : Louise Sm.th et Caroline J..nes. La première de ces deux dames est alternativement visitée par Messieurs M..lyts père et fils ; mais comme elle pense de la même manière que monsieur Wilkes, qui est entièrement orthodoxe, elle considère qu’une troisième personne de même sang, devroit être introduite. Le vieux M..ly..t qui a maintenant soixante ans, est toujours un libertin décidé : il a débauché plus de femmes que, peut-être, aucun homme dans le cours de ce siècle ; étant ennuyé de S..e et fatigué de M...x, il pensa que Louise est un friand morceau, quoiqu’il soit rivalisé par son propre fils qui, par l’entremise de Miss Smith, est toujours bien dans les bonnes grâces de son père.

Madame W..st..n n’eut pas plutôt entendu dire que Charlotte Hayes s’étoit retirée du commerce, qu’elle s’adressa aussitôt à elle, et lui acheta tous ses lits élastiques, inventés par le grand génie créatif du comte O’k...ly, et contruits par le célèbre mécanicien et tapissier Monsieur Gale. Cette dame, non satisfaite, d’avoir en sa possession ces lits élastiques, qui, sans peine ni fatigue quelconque, donnent aux deux parties contractantes les mouvements les plus agréables dans les moments les plus vifs, pria le lord Gro..ner (qui a également un beau génie mécanicien, et qui a déjà grandement perfectionné les machines de Madame Phillip, en les assurant de manière qu’elles ne peuvent jamais rompre dans l’action) de vouloir bien lui communiquer ses idées sur la perfection de ces lits élastiques. Le lord Gro...ner imagina sur-le-champ un ressort additionnel à la satisfaction surprenante et à la sensation de l’acteur et de l’actrice, dont Clart Hayw..d, qui en a plus d’une fois fait l’épreuve, peut rendre le témoignage le plus flatteur ; en faveur de ce ressort additionnel nous pouvons, en outre, citer la foule extraordinaire des personnes des deux sexes qu’il attire journellement dans la maison de Madame W..st..n qui est fréquentée des pairs et des pairesses, des femmes lubriques, et encore plus des veuves voluptueuses. Madame W..st..n a, en même temps, en paye constante, les coureurs les plus renommés des trois royaumes, qui sont toujours disposés à monter, à la garantie d’une minute près, et qui peuvent aller au pas, trotter ou galopper, suivant la satisfaction la plus agréable de leurs écolières.

Il vient aussi dans ce séminaire plusieurs Laïs de ton, dont les nécessités les forcent d’accepter des récompenses pécunières ; de ce nombre sont, premièrement, Miss S..br.k, de Newman-Street. Cette dame est la fille d’un brocanteur qui demeuroit dans Round-Court proche le Strand. C’est une superbe fille ; elle a les yeux noirs et très-expressifs, et de beaux cheveux bruns ; elle est d’une moyenne grandeur et très-bien faite ; elle est en général plus recommandable par l’élégance de sa personne, que par la magnificence de son habillement. Elle est nominativement entretenue par le capitaine B...y : mais il est à peine possible que la paye du capitaine (car nous n’avons jamais appris qu’il ait possédé la moindre fortune) puisse le soutenir lui et Miss S..br..k de la manière somptueuse dont elle brille ; mais l’explication de l’énigme est dans ses fréquentes visites dans la maison de Madame W..st..n, où le lord I...m, et quelques autres gentilhommes, lui portent souvent des toasts. Miss D..s..n paroît quelquefois dans ce séminaire, mais ce n’est que lorsqu’on l’envoie chercher comme une artiste habile qui sait parfaitement exécuter sa partie, et que l’on paye sa voiture avant qu’elle fasse cette excursion ; d’autant plus que sa maison n’est pas conséquente, et qu’à son dernier bénéfice, la nuit étoit si humide, qu’une partie de ses ajustements s’en est ressenti le long de la route, en regagnant

IV. — Les étapes d’une courtisane anglaise.
Le médecin avorteur fait mourir la demoiselle de sérail.
(Gravure de William Hogarth.)

pédestrement son logis. Le colonel F..tz..y, comme maître des divertissements de ce séminaire, y préside à ce sujet ; et Miss D..w..n lui fournit des satisfactions telles qu’elles surpassent la douzième nuit. — Miss R..yn.ds, une autre dame de New-Street, vient très-fréquemment chez Mad. W..st..n ; elle est grande, bien faite et gentille ; ses traits sont réguliers et délicats. Nous avons aussi remarqué Miss C..rter, Miss St..nley et Miss A..mst..g, dans le nombre des personnes qui visitent ce séminaire. Ces dames du haut ton sont si généralement connues, que nous croyons nécessaire de donner la description de leurs charmes et de leurs caractères.

La première de ces dames fut, il y a quelque temps, entretenue par le baronet William D... ; mais ce gentilhomme l’ayant trouvée un jour dans des ambrassades amoureuses avec son valet-de-chambre, il la chassa littéralement à coups de pied au cul. Elle fit cependant, bientôt après, la connoissance du lord B... ; et ce fut ce lord qui la mit sur son ton si élégant, que les peintres et les dessinateurs ont pris une remarque particulière de sa personne, et ont exposé sa jolie figure en public. Elle a une passion inconcevable pour le capitaine L... ; mais comme l’argent est l’unique mobile qui dirige sa conduite, et que le capitaine est plutôt dans le cas de lui en demander que de lui en donner, elle se soumet, suivant le cas urgent, à rendre visite à Madame W..st..n, qui ne manque jamais de lui remettre cinq guinées avant son départ.

Miss St..nley est une jeune dame dont les prétentions étoient bien supérieures au rang dans lequel elle est maintenant. Son père étoit un riche commissionnaire dans la ville ; et on répandoit dans le monde qu’elle devoit avoir une fortune de dix mille livres sterlings. Après avoir reçue l’éducation la plus soignée, on la jugea une des jeunes personnes les plus accomplies dans Farringdon Ward. Plusieurs gentilhommes d’une grande opulence lui firent la cour ; mais son cœur étoit fixé sur un homme de rang, allié à une noble famille et qui étoit sur le point d’être revêtu d’un caractère distingué pour une cour étrangère. Les intentions de son amant préféré étoient pures et honorables ; le jour de la célébration de leurs noces étoit fixé, lorsqu’à cette époque critique, la banqueroute d’une maison capitale de la ville, occasionnée par la malheureuse guerre de l’Amérique, enveloppa M. St..nley dans la même infortune. Son nom ne parut pas plutôt dans la Gazette que l’époux destiné de Miss St..nley discontinua ses visites, qu’elle n’entendit parler de lui que lorsqu’elle lut dans les papiers publics son arrivée et sa réception à une certaine cour étrangère : ainsi toutes ses espérances de félicité étant évanouies, le désespoir étoit la seule perspective qu’elle avoit sous les yeux ; et dans un acte de cette nature, et par la médiation de Charlotte Hayes, elle se sacrifia pour une modique somme à M...z le juif.

Miss Armstr..ng, la dernière de ces trois personnes que nous pouvons, avec raison, appeler les grâces, est une jeune dame de talents extraordinaires ; car, outre les charmes de sa personne qui sont bien supérieurs à ceux de la plupart du sexe, elle possède un esprit rare qui a été beaucoup cultivé par la lecture, et qui, joint à une mémoire prodigieuse, lui procure l’occasion de briller sur tous les sujets : elle a une imagination vive et une facilité de s’exprimer qui augmenteroient la réputation de plusieurs personnes qui sont rangées sur la liste des beaux esprits du siècle. George S..lw.n l’appelle sa Sapho ; et elle a été baptisé dans les temps du nom des Neuf-Muses : elle a trop de bon sens pour ne pas être convaincue que le genre de vie qu’elle mène à présent est véritablement méprisable, et elle n’attend que l’occasion pour abandonner le froc de la prostitution ; elle étoit sous la direction et les soins de Monsieur Garrik quelque temps avant sa mort. Cet acteur inimitable lui donnoit les espérances les plus flatteuses de succès dans la carrière dramatique ; mais la perte de cet homme célèbre, que tous les admirateurs de Melpomène et de Thalie doivent, à juste titre, regretter, en fut très-sensible pour Miss Armst..ng qui en lui perdoit son protecteur, son tuteur et son ami. En employant ce dernier mot nous ne prétendons point l’appliquer dans le sens amoureux, mais lui donner sa vraie signification littérale. La nécessité force maintenant Miss Armst..ng de rendre des visites à Madame W..st..n ; sa compagnie est recherchée avec empressement, non pas tant en raison des plaisirs sensuels qu’elle peut procurer, mais plutôt en considération de l’agrément et de l’enjouement aimable que l’on retire de sa conversation. Elle reçoit souvent de fort beaux présents sans avoir accordé la plus petite faveur, hormis celle d’enchanter ses convives par la justesse et la vivacité de son esprit : que l’on ne s’imagine pas qu’elle manque d’attraits personnels ; elle en est très éloignée, et si le lecteur forme le moindre doute sur cette assertion, nous le prions de se transporter chez le marchand d’estampes dans May’s-Building, où il trouvera le portrait très-ressemblant de Miss Armstr..ng.