Les Sérails de Londres (éd. 1911)/43

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Albin Michel (p. 330-335).

CHAPITRE XLIII

Aventures de M. O’Fl..ty dans les couvents religieux étrangers : ses exploits ; il exerce le charlatanisme ; ses raisons pour abandonner ce commerce.

Nous nous flattons que nos lecteurs ne seront pas fâchés de connoître les aventures de Monsieur O’Fl..ty, dont nous avons déjà parlé dans le Chapitre VI de cet ouvrage, et qui étoit le chapelain d’un certain ambassadeur que Kitty-Nelson avoit eu tant de peine à conquérir : ses aventures sont d’autant plus intéressantes, qu’elles donnent une idée de l’intérieur des couvents religieux étrangers.

Il avoit été confesseur d’un couvent à Douay en Flandre. Étant un jour confessant une jeune dame qui avoit pris, depuis quelques jours, le voile, il fut si frappé de ses charmes qu’il ne put s’empêcher de lui faire part de ses sentiments. La jolie nonne lui avoua qu’elle se trouvoit dans une situation peut-être pire que la sienne, et qu’elle avoit toujours désiré de lui en parler la première. Cette agréable liaison dura quelque temps ; mais elle fut à la longue découverte par une autre sœur à laquelle Monsieur O’Fl..ty fut obligé de lui rendre également les mêmes devoirs, afin de prévenir sa disgrâce. Ce second amour ne fut pas long-temps un secret, car la mère abbesse ne tarda pas à le découvrir ; il se vit donc contraint de cultiver son amitié de la même manière. Enfin, plusieurs mois après, les deux sœurs devinrent grosses. Le mère abbesse, pour récompense de ses capacités, le cita en justice. Monsieur O’Fl..ty craignant de voir de trop près les portes de la mort, pensa que, d’après ces deux raisons convaincantes, la démarche la plus prudente qu’il devoit prendre, étoit de décamper à la sourdine.

De Douai il alla à Lille, et dans le dessein de mieux se recommander à Madame de L...s qui étoit très-passionnée de nouvelles, sur-tout lorsqu’elles étoient bonnes ; il lui dit qu’il arrivoit en ce moment de Paris et que le roi ayant pris en considération la cause des religieuses, avoit consenti que chaque demoiselle dans les ordres, qui pouvoit faire une petite bouche auroit un mari. À ces paroles, l’abbesse rétrécissant sa bouche, s’écria : Est-il possible ? — Oui, Madame, répliqua-t-il ; mais ce qui vaut mieux, c’est que le roi ajouta que chaque demoiselle qui pouvoit faire une grande bouche en auroit deux. Alors la mère abbesse reprit avec emphase, en ouvrant la bouche autant que ces facultés le lui permettoient. Oh ! que c’est admirable. Après avoir ainsi tâté le pouls de la mère abbesse et des religieuses de tout le couvent, car elles étoient toutes dans la même opinion, il résolut de se tenir sur ses gardes. Comme chaque nonne et la mère abbesse se persuadoient qu’elles pouvoient se permettre deux maris, il crut prudent d’éviter le même malheur qu’il avoit eu à Douai. Monsieur O’Fl..ty ayant franchement offert ses services à la mère abbesse, il s’en tint strictement à elle, et ce par deux raisons très-plausibles ; la première qu’il ne craignoit point les dangers de la grossesse ; la seconde qu’il espéroit que son ventre profiteroit plus que celui de la mère abbesse. Il se comporta, à cet égard, comme un politique judicieux, aussi bien que comme un vrai jésuite ; car, en peu de temps, il recouvrit son embonpoint, et retira de la mère abbesse près de deux cents livres sterlings, qui lui mirent en état de faire un voyage en Irlande, où, ayant dépensé la grande partie de son argent avec ses parents et ses connoissances, et trouvant que l’état ecclésiastique n’étoit pas d’un bon rapport, il se rendit à Londres. Après avoir séjourné quelque temps dans cette ville, il fut, sur la déclaration et poursuite d’un juge, mis en prison. Ayant alors recouvert sa liberté, il fut recommandé à une certaine veuve de ton qui le prit pour son chapelain, et le récompensa toujours grandement parce qu’il étoit jeune et très-vigoureux ; il continua sa fonction pendant quelques mois ; mais sa dame ayant, en quelque sorte, trop de ferveur pour la religion, étant trop passionnée de la compagnie de son chapelain, et de sa constitution se trouvant chaque jour affaiblie par ses exercices pieux, elle quitta ce monde sans faire mention du chapelain dans son testament.

Étant de nouveau jeté sur le théâtre du monde, il chercha de l’emploi, et fut recommandé à un certain jeune baronet qui le trouva très-utile dans la double capacité de mercure et de prêtre ; mais ayant été malheureusement surpris dans les bras de la dulcinée favorite de son patron, il fut renvoyé de son service.

Dans cette situation, il commença le métier de charlatan ; il fit imprimer, à crédit, un grand nombre d’avertissements dans lesquels il annonça la guérison certaine et radicale de presque toutes les maladies auxquelles sont sujets les corps humains.

Il avoit coutume de se lever à la pointe du jour, et, en imitation du célèbre charlatan qui demeuroit à la Fleur-de-lys près Hedge-Lane, il distribuoit lui-même ses billets dans les quartiers les plus fréquentés de la ville ; mais il avoit la mortification de voir qu’avant midi ils étoient tous déchirés en mille morceaux, et couvroient le pavé d’une telle manière, qu’il étoit entièrement impossible de pouvoir en prendre lecture. Dans cet embarras, et pour prévenir cet accident, il se déguisa en femme ; revêtu d’une vieille robe rouge, il distribua ses billets à Temple-Bar, Royal Exchange, et autres endroits, ce qui, en un sens, lui produisit un si bon effet que les chalans ou malades que ses avertissements lui procuroient, furent en si grand nombre, qu’il n’avoit plus alors le temps de retourner chez lui, et de changer son habillement féminin en masculin. Cependant l’argent qu’il recevoit de ses malades, le mit bientôt en état d’avoir un commis qui pouvoit l’aider en ces occasions ; il se trouvoit dans le chemin du bonheur, quand malheureusement la femme d’un marchand, qui étoit entre ses mains, prit un congé subit de ce monde : son mari convaincu, mais trop tard, de son ignorance, le menaça de le poursuivre en justice ; il crut alors convenable de fermer boutique et d’abandonner le quartier. Il fut ensuite adressé à un certain distributeur de remèdes radicaux qui roule voiture et qui demeure près de Soho, pour être associé : mais trouvant que la médecine, dont il avoit cependant retiré de l’argent, ne lui étoit pas favorable du côté de ses malades, il [ne] céda point par délicatesse de conscience à l’impulsion de son ambition ; il refusa la proposition qui lui étoit faite, et obtint bientôt après la place de chapelain auprès de l’Ambassadeur, contre lequel Kitty Nelson avoit dressé tant de batteries.