Les Sérails de Londres (éd. 1911)/46

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Albin Michel (p. 363-370).

CHAPITRE XLVI

Situation présente et avenir des principaux personnages dramatiques qui figurent dans cet ouvrage.

Ayant donné les différents caractères des entreteneurs de femmes, des personnes pensionnées par le sexe, des vieilles filles, des femmes et des veuves troublées de la furor uterinus, des jeunes libertins énervés, et des vieux débauchés impotents qui sont dans la ferme croyance qu’ils ont encore leur première vigueur et leurs capacités amoureuses ; ayant également fait les portraits des Laïs les plus célèbres et des femmes de ton, d’après leurs ruses, inventions, fantaisies et caprices bizarres, voluptueux et lascifs, nous approchons maintenant du moment où nous allons prendre notre congé absolu de ces dignes caractères, après avoir cependant fait une revue de leur situation présente et avenir.

Le séminaire de Madame Goadby est toujours en grande estime dans Marlborough-Street ; et elle se propose, durant le printemps prochain, de le renouveller de nonnes fraîches et saines ; et de coureurs de poste les plus expérimentés.

Madame Adams, Madame Dubery, Madame Pendergast, Madame Windsor et Madame Matthew, conservent toujours la dignité de leurs maisons et la réputation immaculée de King’s-Place.

Madame Nelson est toujours la même ; mais non pas conformément à la traduction irlandoise de pire en pire ; car cela seroit impossible.

Nelly Ell..t est devenue si grasse et immaniable, qu’elle est forcée d’étudier l’Aretin dans toutes les postures pour se rendre accessible au petit S...t, qui est si petit qu’il peut à peine pénétrer à son medium, même avec le secours des bois de lits élastiques de Gale qui sont maintenant si fort en vogue. Cependant Nelly a fait depuis peu un nouveau choix de connoissances parmi les femmes entretenues du premier ton, dont elle retire un très-grand profit en suppléant au manque de leurs adorateurs qui ne les entretiennent que pour l’honneur d’être jugés des hommes galants.

Madame W...ston possède toujours la bonne opinion de ses nobles et honnêtes pratiques ; et particulièrement la faveur et la protection du lord Gro...r.

Madame Bradsh...w continue d’amuser ses nobles amis, conformément à l’étiquette la plus honnête ; elle est assistée de miss Kendy, de Lady Armst.d, et de plusieurs autres dames du même rang, inscrites sur la liste des dames du haut ton.

Miss Nelson après avoir employé l’usage des pots, dont le premier appareil ne lui a pas été favorable dans la chapelle d’un certain ambassadeur, mais qui par sa persévérance est venue à bout de toucher le cœur du comte, est toujours de bonne intelligence avec son excellence.

Lady Lig..r, après une absence de douze semaines, jugea prudent (sa bourse étant entièrement épuisée) de chercher un autre remède que celui qui avoit été salutaire au rétablissement de sa santé ; ce fut de retourner chez son ancienne amie L...ke, dans Yorkshire.

L’oiseau de paradis continue toujours de conserver sa liaison intime avec sa généreuse dame Tu..n..r qui veille beaucoup sur sa conduite, et qui cependant lui a pardonné d’avoir été figurer au Bal d’Amour chez Madame Pendergast.

L’aimable Émilie, étoit sur le point d’être entretenue par un gentilhomme qui avoit été nouvellement nommé à un emploi important dans le gouvernement, et dont les émoluments de la charge le mettoient en état de le faire paroître sur un ton de luxe et de grandeur.

Kitty Fred..k ; nous avons déjà dit qu’elle avoit une rente de cent livres sterlings par an, et les honoraires de dix gainées par semaines pour l’entretien de sa maison dans New-Buildings.

Les grâces C.rt..r, Arms.st.ng et Stanl..y, paroissent, comme de coutume, avec goût et élégance ; elles sont toujours résolues de ne se lier à aucun homme ; mais d’aller continuellement partout où le plaisir et le profit les attirent.

Lady Ad..ms ayant été beaucoup dans le service, est en quelque sorte battue du temps. Elle a été dans plusieurs tempêtes jetée sur les rochers et les bancs de sable. Peu s’en fallut que cet hiver elle n’ait pas échappée à la tempête qui l’a jetée sur la côte de Tavistock-Row, Covent-Garden. La dernière fois que George S..lw..n la vit, il jura, d’après ces circonstances, que le nom de lady Ad...ms étoit une méprise faite à dessein ; et qu’il ne l’appelleroit plus désormais que sa vieille mère Eve.

Lady G...r est toujours très-généreuse de ses faveurs. Monsieur T.rn.r seroit son homme favori si son avarice ne la forçoit pas à voler dans les bras du baronet G.t..p, et d’autres dont les cordons de la bourse sont plus facilement déliés.

Clara Hayw..d figure sur et hors du théâtre dans différentes parties et attitudes ; elle s’attire partout l’applaudissement général, particulièrement dans les parties de dessous.

Lady Brad..y s’attache comme un morpion à son maître maçon.

Lucy Will..ms a un courant de commerce fort agréable ; elle amuse souvent le comte P...y, par un dialogue sentimental qu’il paye très-généreusement ; et quelquefois dans la pleine vigueur de la jeunesse, il fait un essai impuissant sur ses charmes.

Émilie C..lh.st est toujours dans l’un ou l’autre séminaires de King’s-Place suivant que ces affaires l’exigent.

Les fuites heureuses de Miss P...r et de Miss M...e ont décidées ces jeunes dames à être sur leurs gardes contre les séductions artificieuses de leur propre sexe, et les tromperies du nôtre. La premières de ces jeunes dames est sur le point d’être mariée à un gentilhomme de rang et de fortune considérable ; la dernière reçoit les adresses d’un jeune gentilhomme, qui l’on assure, dès qu’il sera en Age, lui offrira sa main d’une manière honorable.

La Messaline de Stable-yard est toujours restée dans la même situation lubrique dans laquelle nous l’avons laissée : on dit que le général est beaucoup indisposé de ses provocations et des efforts qu’il fait pour se mettre en état de satisfaire ses amples désirs.

Miss Fa..kl.d jouit dans ce moment de la plus grande réputation et de la plus haute faveur ; elle conserve toujours sa société d’amis pour qui elle a les plus grands égards.

Les autres dames dont nous avons parlé dans cet ouvrages reste in statu quo, avec très-peu de changements, excepté sur leur figure qui, dans la matinée, avant l’application de l’art artificiel des petits pots, au lieu d’inviter au défi amoureux, font naître plutôt le dégoût ; mais l’après-midi, elles deviennent par l’assistance de Bailey et Warren, ces grands et illustres manufacturiers des charmes femelles, plus enchanteresses que jamais.

Quant à nos personnages mâles, ils continuent toujours presque la même carrière qu’ils ont couru depuis plusieurs années. Le lord Fumble s’est rendu régulièrement, aussi long-temps que ses finances le lui permettoient, quatre fois par semaine, chez Madame Pendergast, dans le dessein de satisfaire, dans les embrassements de nouveaux visages, ses caprices et ses fantaisies ; mais il n’est plus, au grand mécontentement et à l’affliction de cette dame. Le lord Piedal est toujours à la chasse de la fortune dont il ne peut jamais jouir ; dans ce dessein, il rôde sans cesse aux alentours de New-Buildings ; il est toujours en grand habit ; ayant sur sa tête un grand chapeau, et à son côté une épée, pour dénoter qu’il est gentilhomme. Le comte H..g a toujours un fort penchant pour les femmes de bonne famille et bien élevées ; mais il a grand soin de ne pas se laisser tromper, comme il l’a été par Madame le P... Les autres membres du Corps Diplomatique poursuivent également leur ancienne carrière, qui est de visiter les séminaires après avoir fait leurs dépêches. L’ambassadeur de Suède fit, malheureusement pour la pauvre W.lk.nson, une découverte désagréable, un certain soir qu’étant dans le séminaire de Madame Dubery, elle fut présentée à cet ambassadeur par cette abbesse comme une vierge dans la routine ordinaire, qu’il jugea avoir été conservée pour lui chaste comme Pénélope. La conséquence fut qu’il rompit immédiatement sa liaison avec elle ; elle est maintenant obligée d’aller, par pure nécessité, dans King’s-Place, où, avant cet accident, elle y faisoit des visites seulement par pure badinage ; comme, en pareille occasion, Madame Woffington disoit qu’elle alloit à Bath.

Monsieur M...n P...n, le ministre Russe est maintenant en traité avec une danseuse de l’Opéra, qui a fait un saut si agréable dans son cœur, qu’il a oublié, dès ce moment, toutes les nonnes de King’s-Place. La signora Z..lli demande modestement vingt guinées seulement par semaine, un équipage et une nouvelle livrée pour ses domestiques. On doute que le ministre lui accorde sa demande ; elle lui accorde cependant quelques légères faveurs, et elle croit avoir fait en quelque sorte la conquête certaine de ce membre du Corps Diplomatique. On répand cependant le bruit que ce ministre a changé la direction de ses batteries amoureuses, et a porté ses chaudes canonnades contre la jolie idiote Madame Badd..ly ; mais il y a des raisons de croire que sa pruderie doit se soumettre ou être emportée d’assaut ; et nous sommes bien informés que la forteresse est si vigoureusement défendue et les combustibles si violents, qu’il est impossible à Madame Badd..ly d’admettre aucun autre assaillant tant que Firebrand Tony, le principal ingénieur aura l’inspection des travaux.

Ayant donc ainsi arrangé le plan de notre ouvrage et assigné à nos personnages le lieu qui lui convient, nous allons prendre congé de nos lecteurs et le terminer par une citation d’un poëte célèbre :

Id vero est, quod ego mihi puto palmarium,
Me reperisse, quomodo adolescentulus
Meretricum ingenia et mores posset noscere :
Mature ut cum cognorit, perpetuo oderi
.

Ter. Eun., Act. 5, Sc. 4.

Mais un autre point que je regarde comme le plus beau côté de mon triomphe, c’est d’avoir trouvé le moyen de faire connoître à ce jeune homme le caractère et les mœurs des courtisanes, afin que les connoissant de bonne heure, il les déteste toute sa vie.

Fin.