Les Salaziennes/19
Dix-neuvième
Salazienne.
Pourquoi done as-tu fui dans le
des ames ?
pays
Pourquoi mourir, toi qu’on aimait ?
ELISE MOREAU,
A MES AMIS
E. et L. G.,
SUR LA MORT DE LEUR SŒUR.
Le zephyre amoureux en vain cherche la rose
Qu’il caressait hier de son souffle embaumé,
Et demain ce ruisseau vers les bords qu’il arrose
Peut-être aura cessé son cours accoutume.
Tout brille et tout s’éteint ! tout vit et tout expire !
De la mort tot ou tard nous subissons l’empire.
Sur ces tristes peusers j’aime à fixer mon cœur.
Hélas ! où sont allés ceux pour qui je soupire ?
Heureux ceux qui sont morts dans l’esprit du Seigneur !
170
Sur le fleuve du temps je poursuivais ma route :
D’un esquif, que bercait le flot silencieux,
In chant plaintif montait vers la celeste voute ;
Sur une femme alors j’ai reposé les yeux.
Mais tout à coup la mort l’emporta dans son aile.
Sur les flots attristes j’ai dit : « On done est-elle ? »
Et mon cœur se perdit dans sa vague douleur.
Mais une voix disait de la voûte éternelle :
Heureux ceux qui sont morts dans l’esprit du Seigneur !
Tandis qu’elle passait, les fastes de la terre
Ont couronné son front de leurs vaines splendeurs ;
Maisses yeux les ont vus comme une ombre éphémère
S’évanouir bientôt sous le vent des malheurs ;
Et ce front où brillait l’éclat de la richesse,
A porté sans pâlir le poids de sa détresse.
La fortune a changé sans abattre son cœur.
Mais où reverrons-nous cet objet de tendresse ?…
Heureux ceux qui sont morts dans l’esprit du Seigneur !
Mais nos maux sont d’un jour et la vie est rapide.
L’espérance allégeait sa lourde adversité ;
Car elle avait compris dans son àme intrépide
Que l’onde où nous passons roule à l’éternite.
Ah ! de son jeune enfant pressant la tête aimée,
Elle n’a pu donter, mère heureuse et charmée,
Qu’un immortel amour ne soit le seul bonheur ;
Et son regard lisait sur la voûte enflammee :
Hource ceux qui sont morts dans l’esprit du Seigneur !
Helas ! elle a passé comme une ombre legère !
Et vous, frères cheris, qu’en ses derniers instants
Elle a redemandés à la terre étrangère,
Vous ne l’entendrez plus sur le fleuve du temps
Charmer par ses accords les échos de la rive.
Sa voix vient d’expirer dans sa note plaintive ;
Et vos regards en vain, dans leur morne douleur,
Chercheraient sur les flots sa trace fugitive.
Heureux ceux qui sont morts dans l’esprit du Seigneur !
En vain la tendre fleur d’un parfum solitaire
Embauma les gazons et les bois d’alentour,
En vain la tendre fleur fot l’amour de la terre,
Jamais l’affreux trépas n’eut pitie de l’amour.
Riche encor de beauté, de jeunesse et de sève.
L’impitoyable mort la frappa de son glaive.
Hélas ! près des boutons je ne vois plus la fleur !
Qui leur rendra l’amour que ce jour leur enlève ?…
Heureux ceux qui sont morts dans l’esprit du Seigneur !
Voyez ce chène antique au paternel ombrage,
Où toujours le malheur rencontrait un abri ;
Les souffles orageux ont brisé son feuillage ;
Il n’est plus désormais qu’un auguste débri.
Il a vu ses rameaux mourir dans leur jeunesse :
Deux fleurs restaient encor pour parer sa vieillesse,
Et l’une tombe, hélas ! au souffle du malheur !
Ah ! qui pourra tarir les pleurs de sa tristesse ?
Heureux ceux qui sont morts dans l’esprit du Seigneur !
Ces sanglots, ces soupirs, cette plainte éternelle,
Sont d’une autre Rachel qui pleure et ne veut pas
Qu’on cherche à consoler sa douleur maternelle,
Car ses fils sout tombés sous la faux du trépas.
Pauvre cœur "plore, pauvre mère abattue,
La mort a dispersé ta famille éperdue !
Dieu seul peut te parler dans ta sainte douleur ;
Et sa voix te redit jusqu’à toi descendue :
Heureux ceux qui sont morts dans l’esprit du Seigneur !
Quand le tendre ramier a déployé son aile
Pour chercher la pâture aux fils de son amour,
En convant ses petits, sa compagne fidèle
Meurt sous le bee sanglant du féroce vantour.
C’est ainsi que la mort la trouva sans défense.
Ah ! lorsque le ramier reviendra de l’absence,
Enfants, pour adoucir sa mortelle douleur,
Répétez lui parfois ces doux mots d’espérance :
Heurensceuxqui sont morts dans l’esprit du Seigneur.
M’abreuvant de tristesse à la voix du zéphyre
Qui se plaint et gémit dans le cyprès des morts,
Je viens sur ce tombeau, de ma voix qui soupire,
Mêler l’accent plaintif à de sombres accords.
Et mon front sur mon sein moins tristement retombe.
Ô vous, qu’a délaissés la mourante colombe,
Venez sous ces cyprès consoler votre cœur ;
Car une voix nous dit dans la paix de la tombe :
Heureux ceux qui sont morts dans l’esprit du Seigneur !