Les Sensations de Mlle de La Bringue/11

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Albin Michel (p. 135-141).


XI

LE SABBAT


Et nous voilà tous dans le jardin, sur le petit monticule qu’entourait toute une haie de torches qui laissaient à peine voir une campagne dévastée, avec en tête Félicité Saurien de Champs et Vande de la Janère qui n’avait pas abandonné sa face-à-main.

Toutes les grenouilles, tous les crapauds, tous les serpents même des bassins avaient été retirés et, à cheval sur les balais, nous pataugions là-dedans et le sang qui y était répandu.

Bientôt ce fut charmant.

Grâce à ce que nous avions vu, de la chaudière, dans l’antre, nous fûmes, mi-cauchemar, mi-réalité, dans un authentique sabbat.

Grouillant, grognant, glapissant, hurlant, sifflant, rampant, volant, chargeant, arrivaient et dégringolaient, accrochés aux ailes, aux griffes ou en chaînes formées d’anneaux de serpents, tous les oiseaux de nuit et tous les monstres, chauves-souris et vautours fauves, rats, chenilles, dragons ailés, griffons, grands-ducs, chouettes, hiboux, stryges, larves, harpies, goules, léviathans, loups-garous, boas et crocodiles, zingaros, korrigans, lutins, follets, dracs, mammouths, puis tous les nécromants en robes, sorciers, sorcières, astrologues, squelettes pourris, foies, cervelles, têtes de morts se jouant à la balle, araignées et leurs toiles immenses, poulpes aux yeux de un mètre, qui nous flapaient les faces et les cuisses, mages, sorcières à cheval sur des boucs, pendus, fœtus grouillants, limaces, culs-de-jatte éventrés et guillotinés, pieds-bots, cœurs vivants, phallus, rabbins, nègres, journalistes, acteurs, calicots, sénateurs, dont un au nez crochu et aux favoris blancs…

Tout cela jouait, sur des instruments indescriptibles, un concert plus indescriptible encore.

Puis, ce furent les conjurations.

Satan envoie les loups dans les bergeries, des poux à Lavellan, des amis à Lebreton, des morues à Champsaurien, des almées à La Janère et des petits bouclés à Tibulle Bouc…

Cheville Ajax afin qu’il ne fasse plus son eau, etc., etc… Et bientôt le serment de faire les quinze crimes ci-dessous, plus d’autres :

Nier Dieu et toute religion, maudire, blasphémer, dépiter, faire hommage au diable, l’adorer et lui sacrifier, vouer ses enfants à Moloch, ses parents aux égoutiers, faire le service du diable et jurer en son nom, être incestueux, ne s’accoupler qu’entre père et fille, frère et sœur, fils et mère, manger de la chair humaine et allaiter les enfants de chair et d’urine, faire mourir le bétail, s’accoupler entre hommes, entre femmes, entre gens et bêtes…

Et c’était alors la danse infernale et la mise en action de toutes ces recommandations.

Dans les marais, les femmes essayaient de violer les boucs…

Elles avaient beau caresser et lécher les hippopotames, les singes, les chiens et les boucs, et même les hommes…

Tibulle Bouc s’efforçait sur une latte de cuir, Lebreton cherchait à entraîner un faune et toutes les femmes, cuisses dégouttantes, hurlaient, joues en feu, cheveux au vent, bruyantes de baisers, les yeux fous, écarquillées, sanglantes…

Un pim-poum de sapeurs-pompiers attirés par la rougeur des torches nous mit en fuite. Nous nous réfugiâmes chez Lebreton et le lendemain nous étions chez nous.

Comment ?

On ne le sut jamais.