Les Sensations de Mlle de La Bringue/19

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Albin Michel (p. 213-218).


XIX

INTRIGUE, IDYLLE, PASTORALE


Le lendemain matin, je fus délicieusement éveillée par un agréable chant de flûte sauvage.

C’étaient des notes douces qui me pénétraient l’âme.

Montant avec l’aube, c’était une douceur infinie qui semblait s’irradier dans l’air.

Je passai un peignoir rose et, les cheveux dénoués, je me mis à la fenêtre.

Alors, je vis, tel un Pan antique dans les roseaux, mon pâtre de la veille qui venait ainsi charmer mes oreilles et, oserai-je dire, mon cœur.

Le soleil se levait à peine.

Habituée à une longue paresse, je ne connaissais pas la douceur des matinées.

Le ciel était tout rose, d’un rose tranquille, et la rosée perlait, étincelant doucement sur les feuillages.

Avec le fifre rustique, un bruit de source parvint jusqu’à moi.

Et il me vint une idée dont je me réjouis encore…


Personne à la ronde.

Je laissai glisser ma chemise, enlevai le seul ruban qui tenait mes cheveux.

Et nue je descendis, courant sur les roches.

Je me jetai bientôt dans le ruisseau qui coulait là.

Et entre les herbes, je distinguais toujours mon Pan, avec sa peau de chèvre sur les épaules, qui me flûtait ses pipeaux à mon château.

J’avais beau clapoter dans l’eau, il ne me voyait.

À la fin je chantai.

Il se leva et tourna la tête.

Pan aurait bondi avec un rire aigu.

Mon pâtre devint blême.

Je lui souriais et lui jetais de l’eau.

Il m’avait reconnue.

Je m’enfuis alors.

Il fit quelques pas et s’arrêta.

Alors me retournant je lui fis signe.

Il hésita un peu et enfin courut.

Ce fut une course éperdue à travers les ruisseaux, les bruyères.

Il y mettait de la complaisance.

À la fin il me barra le chemin droit devant moi.

C’était dans une grande prairie, à l’herbe épaisse, aux petites fleurs blanches.

Je me laissai doucement couler à ses pieds.

Je restai là, la tête cachée dans mes mains.

Et quand je me relevai, le monstre avait disparu.

Et je m’en retournai, un tout petit chagrin au cœur.

Et cette fois encore ce fut plus délicieux que si… Le cœur a des raisons que la raison ne connaît pas.

La poésie aussi.

… De même le bonheur.


Roscoff, 1904.