Les Serments indiscrets/Acte I
ACTE PREMIER
Scène première
Qu’on aille dire à Lisette qu’elle vienne. (Le laquais part. Elle se lève.) Damis serait un étrange homme, si cette lettre-ci ne rompt pas le projet qu’on fait de nous marier.
Scène II
Ah ! te voilà, Lisette, approche ; je viens d’apprendre que Damis est arrivé hier de Paris, qu’il est actuellement chez son père ; et voici une lettre qu’il faut que tu lui rendes, en vertu de laquelle j’espère que je ne l’épouserai point.
Quoi ! cette idée-là vous dure encore ? Non, Madame, je ne ferai point votre message ; Damis est l’époux qu’on vous destine ; vous y avez consenti, tout le monde est d’accord : entre une épouse et vous, il n’y a plus qu’une syllabe de différence, et je ne rendrai point votre lettre ; vous avez promis de vous marier.
Oui, par complaisance pour mon père, il est vrai ; mais y songe-t-il ? Qu’est-ce que c’est qu’un mariage comme celui-là ? Ne faudrait-il pas être folle, pour épouser un homme dont le caractère m’est tout à fait inconnu ? D’ailleurs ne sais-tu pas mes sentiments ? Je ne veux point être mariée sitôt et ne le serai peut-être jamais.
Vous ? Avec ces yeux-là ? Je vous en défie, Madame.
Quel raisonnement ! Est-ce que des yeux décident de quelque chose ?
Sans difficulté ; les vôtres vous condamnent à vivre en compagnie. Par exemple, examinez-vous : vous ne savez pas les difficultés de l’état austère que vous embrassez ; il faut avoir le cœur bien frugal pour le soutenir ; c’est une espèce de solitaire qu’une fille, et votre physionomie n’annonce point de vocation pour cette vie-là.
Oh ! ma physionomie ne sait ce qu’elle dit ; je me sens un fonds de délicatesse et de goût qui serait toujours choqué dans le mariage, et je n’y serais pas heureuse.
Bagatelle ! Il ne faut que deux ou trois mois de commerce avec un mari pour expédier votre délicatesse ; allez, déchirez votre lettre.
Je te dis que mon parti est pris, et je veux que tu la portes. Est-ce que tu crois que je me pique d’être plus indifférente qu’une autre ? Non, je ne me vante point de cela, et j’aurais tort de le faire ; car j’ai l’âme tendre, quoique naturellement vertueuse : voilà pourquoi le mariage serait une très mauvaise condition pour moi. Une âme tendre et douce a des sentiments, elle en demande ; elle a besoin d’être aimée parce qu’elle aime, et une âme de cette espèce-là entre les mains d’un mari n’a jamais son nécessaire.
Oh ! dame, ce nécessaire-là est d’une grande dépense, et le cœur d’un mari s’épuise.
Je les connais un peu, ces messieurs-là ; je remarque que les hommes ne sont bons qu’en qualité d’amants ; c’est la plus jolie chose du monde que leur cœur, quand l’espérance les tient en haleine ; soumis, respectueux et galants, pour le peu que vous soyez aimable avec eux, votre amour-propre est enchanté ; il est servi délicieusement ; on le rassasie de plaisirs ; folie, fierté, dédain, caprices, impertinences, tout nous réussit, tout est raison, tout est loi ; on règne, on tyrannise, et nos idolâtres sont toujours à genoux. Mais les épousez-vous, la déesse s’humanise-t-elle : leur idolâtrie finit où nos bontés commencent. Dès qu’ils sont heureux, les ingrats ne méritent plus de l’être.
Les voilà.
Oh ! pour moi, j’y mettrai bon ordre, et le personnage de déesse ne m’ennuiera pas, messieurs, je vous assure. Comment donc ! Toute jeune, et tout aimable que je suis, je n’en aurais pas pour six mois aux yeux d’un mari, et mon visage serait mis au rebut ! De dix-huit ans qu’il a, il sauterait tout d’un coup à cinquante ? Non pas, s’il vous plaît ; ce serait un meurtre ; il ne vieillira qu’avec le temps, et n’enlaidira qu’à force de durer ; je veux qu’il n’appartienne qu’à moi, que personne n’ait que voir à ce que j’en ferai, qu’il ne relève que de moi seule. Si j’étais mariée, ce ne serait plus mon visage ; il serait à mon mari qui le laisserait là, à qui il ne plairait pas, et qui lui défendrait de plaire à d’autres ; j’aimerais autant n’en point avoir. Non, non, Lisette, je n’ai point envie d’être coquette ; mais il y a des moments où le cœur vous en dit, et où l’on est bien aise d’avoir les yeux libres ; ainsi, plus de discussion ; va porter ma lettre à Damis, et se range qui voudra sous le joug du mariage !
Ah ! madame, que vous me charmez ! que vous êtes une déesse raisonnable ! Allons ! je ne vous dis plus mot ; ne vous mariez point ; ma divinité subalterne vous approuve et fera de même. Mais de cette lettre que je vais porter, en espérez-vous beaucoup ?
Je marque mes dispositions à Damis ; je le prie de les servir ; je lui indique les moyens qu’il faut prendre pour dissuader son père et le mien de nous marier ; et si Damis est aussi galant homme qu’on le dit, je compte l’affaire rompue.
Scène III
Madame, voici un domestique qui demande à vous parler.
Qu’il vienne.
Madame, cette fille-ci est-elle discrète ?
Tenez, cet animal qui débute par me dire une injure !
J’ai l’honneur d’appartenir à monsieur Damis, qui me charge d’avoir celui de vous faire la révérence.
Vous avez eu le temps d’en faire quatre : allons, finissez.
Laisse-le achever. De quoi s’agit-il ?
Ne la gênez point, madame ; je ne l’écoute pas.
Voyons, que me veut ton maître ?
Il vous demande, Madame, un moment d’entretien avant que de paraître ici tantôt avec son père ; et j’ose vous assurer que cet entretien est nécessaire.
Me conseilles-tu de le voir, Lisette ?
Attendez, madame, que j’interroge un peu ce harangueur. Dites-nous, monsieur le personnage, vous qui jugez cet entretien si important, vous en savez donc le sujet ?
Mon maître ne me cache rien de ce qu’il pense.
Hum ! à voir le confident, je n’ai pas grande opinion des pensées ; venez çà pourtant ; de quoi est-il question ?
D’une réponse que j’attends.
Veux-tu parler ?
Je suis homme, et je me tais ; je vous défie d’en faire autant.
Laisse-le, puisqu’il ne veut rien dire. Va, ton maître n’a qu’à venir.
Il est à vous sur-le-champ, madame ; il m’attend dans une des allées du bois.
Allons, pars.
M’amie, vous ne m’arrêterez pas.
Scène IV
Que ne m’avez-vous dit de lui donner votre lettre ? Elle vous eût dispensée de voir son maître.
Je n’ai point dessein de le voir non plus ; mais il faut savoir ce qu’il me veut, et voici mon idée. Damis va venir, et tu n’as qu’à l’attendre, pendant que je vais me retirer dans ce cabinet, d’où j’entendrai tout. Dis-lui qu’en y faisant réflexion, j’ai cru que dans cette occasion-ci je ne devais point me montrer, et que je le prie de s’ouvrir à toi sur ce qu’il a à me dire : s’il refuse de parler, en marquant quelque empressement pour me voir, finis la conversation, en lui donnant ma lettre.
J’entends quelqu’un ; cachez-vous, madame.
Scène V
C’est Damis… vraiment, qu’il est bien fait ! Allons, le diable nous amène là une tentation bien conditionnée… C’est sans doute ma maîtresse que vous cherchez, monsieur ?
C’est elle-même, et l’on m’avait dit que je la trouverais ici.
Il est vrai, monsieur ; mais elle a cru devoir se retirer, et m’a chargée de vous prier de sa part de me confier ce que vous voulez lui dire.
Eh ! pourquoi m’évite-t-elle ? Est-ce que le mariage dont il s’agit ne lui plaît pas ?
Mais, monsieur, il est bien hardi de se marier si vite.
Oh ! très hardi.
Je vois bien que monsieur pense judicieusement.
On ne saurait donc la voir ?
Excusez-moi, monsieur : la voici ; c’est la même chose, je la représente.
Soit ; j’en serai même plus libre à vous dire mes sentiments, et vous me paraissez fille d’esprit.
Vous avez l’air de vous y connaître trop bien pour que j’en appelle.
Venons à ce qui m’amène ; mon père, que je ne puis me résoudre de fâcher, parce qu’il m’aime beaucoup…
Fort bien : votre histoire commence comme la nôtre.
A souhaité le mariage qu’on veut faire entre votre maîtresse et moi.
Ce début-là me plaît.
Attendez jusqu’au bout ; j’étais donc à mon régiment, quand mon père m’a écrit ce qu’il avait projeté avec celui de Lucile ; c’est, je pense, le nom de la prétendue future ?
La prétendue ! toujours à merveille.
Il m’en faisait un portrait charmant.
Style ordinaire.
Cela se peut bien ; mais elle est dans sa lettre la plus aimable personne du monde.
Souvenez-vous que je représente l’original, et que je serai obligée de rougir pour lui.
Mon père, ensuite, me presse de venir, me dit que je ne saurais, sur la fin de ses jours, lui donner de plus grande consolation qu’en épousant Lucile ; qu’il est ami intime de son père, que d’ailleurs elle est riche, et que je lui aurai une obligation éternelle du parti qu’il me procure, et qu’enfin, dans trois ou quatre jours, ils vont, son ami, sa famille et lui, m’attendre à leurs maisons de campagne qui sont voisines, et où je ne manquerai pas de me rendre, à mon retour de Paris.
Eh bien ?
Moi, qui ne saurais rien refuser à un père si tendre, j’arrive, et me voici.
Pour épouser ?
Ma foi, non, s’il est possible.
Quoi ! tout de bon ?
Je parle très sérieusement ; et comme on dit que Lucile est d’un esprit raisonnable, et que je lui dois être fort indifférent, j’avais dessein de lui ouvrir mon cœur, afin de me tirer de cette aventure-ci.
Eh ! quel motif avez-vous pour cela ? Est-ce que vous aimez ailleurs ?
N’y a-t-il que ce motif-là qui soit bon ? Je crois en avoir d’aussi sensés ; c’est qu’en vérité je ne suis pas d’un âge à me lier d’un engagement aussi sérieux ; c’est qu’il me fait peur, que je sens qu’il bornerait ma fortune, et que j’aime à vivre sans gêne, avec une liberté dont je sais tout le prix et qui m’est plus nécessaire qu’à un autre, de l’humeur dont je suis.
Il n’y a pas le petit mot à dire à cela.
Dans le mariage, pour bien vivre ensemble, il faut que la volonté d’un mari s’accorde avec celle de sa femme, et cela est difficile ; car de ces deux volontés-là, il y en a toujours une qui va de travers, et c’est assez la manière d’aller des volontés d’une femme, à ce que j’entends dire. Je demande pardon à votre sexe de ce que je dis là ; il peut y avoir des exceptions ; mais elles sont rares, et je n’ai point de bonheur.
Que vous êtes aimable d’avoir si mauvaise opinion de notre esprit.
Mais vous qui riez ; est-ce que mes dispositions vous conviennent ?
Je vous dis que vous êtes un homme admirable.
Sérieusement ?
Un homme sans prix.
Ma foi, vous me charmez.
Vous nous rachetez ; nous vous dispensons même de la bonté que vous avez de supposer quelques exceptions favorables parmi nous.
Oh ! je n’en suis pas la dupe ; je n’y crois pas moi-même.
Que le ciel vous le rende ; mais peut-on se fier à ce que vous dites là ? Cela est-il sans retour ? Je vous avertis que ma maîtresse est aimable.
Et moi je vous avertis que je ne m’en soucie guère ; je suis à l’épreuve ; je ne crois pas votre maîtresse plus redoutable que tout ce que j’ai vu, sans lui faire tort, et je suis sûr que ses yeux seront d’aussi bonne composition que ceux des autres.
Morbleu ! n’allez pas nous manquer de parole.
Si je n’avais pas peur d’être ridicule, je vous recommanderais, pour vous piquer, de ne m’en pas manquer vous-même.
Tenez, votre départ sera de toutes vos grâces celle qui nous touchera le plus ; êtes-vous content ?
Vous me rendez justice ; de mon côté, je défie vos appas, et je vous réponds de mon cœur.
Scène VI
Et moi du mien, monsieur, je vous le promets ; car je puis hardiment me montrer après ce que vous venez de dire ; allons, monsieur, le plus fort est fait ; nous n’avons à nous craindre ni l’un ni l’autre : vous ne vous souciez point de moi, je ne me soucie point de vous ; car je m’explique sur le même ton, et nous voilà fort à notre aise ; ainsi convenons de nos faits ; mettez-moi l’esprit en repos ; comment nous y prendrons-nous ? J’ai une sœur qui peut plaire ; affectez plus de goût pour elle que pour moi ; peut-être cela vous sera-t-il aisé. Je m’en plaindrai, vous vous excuserez et vous continuerez toujours. Ce moyen-là vous convient-il ? Vaut-il mieux nous plaindre d’un éloignement réciproque ? Ce sera comme vous voudrez ; vous savez mon secret ; vous êtes un honnête homme ; expédions.
Nous ne barguignons pas, comme vous voyez ; nous allons rondement ; faites-vous de même ?
Qu’est-ce que c’est que cette saillie-là qui me compromet ?… Faites-vous de même ?… Voulez-vous divertir monsieur à mes dépens ?
Je trouve sa question raisonnable, madame.
Et moi, monsieur, je la déclare impertinente ; mais c’est une étourdie qui parle.
Votre apparition me déconcerte, je l’avoue ; je me suis expliqué d’une manière si libre, en parlant de personnes aimables, et surtout de vous, madame !
De moi, monsieur ? vous m’étonnez ; je ne sache pas que vous ayez rien à vous reprocher. Quoi donc ! serait-ce d’avoir promis que je ne vous paraîtrais pas redoutable ? Eh ! tant mieux ; c’est m’avoir fait votre cour que cela. Comment donc ! est-ce que vous croyez ma vanité attaquée ? Non, monsieur, elle ne l’est point : supposé que j’en aie, que vous me trouviez redoutable ou non, qu’est-ce que cela dit ? Les goûts d’un homme seul ne décide rien là-dessus ; et de quelque façon qu’il se trouve, on n’en vaut ni plus ni moins ; les agréments n’y perdent ni n’y gagnent ; cela ne signifie rien ; ainsi, monsieur, point d’excuse ; au reste, pourtant, si vous en voulez faire, si votre politesse a quelque remords qui la gêne, qu’à cela ne tienne, vous êtes bien le maître.
Je ne doute pas, madame, que tout ce que je pourrais vous dire ne vous soit indifférent ; mais n’importe, j’ai mal parlé, et je me condamne très sérieusement.
Eh bien ! soit ; allons, monsieur, vous vous condamnez, j’y consens. Votre prétendue future vaut mieux que tout ce que vous avez vu jusqu’ici ; il n’y a pas de comparaison, je l’emporte ; n’est-il pas vrai que cela va là ? Car je me ferai sans façon, moi, tous les compliments qu’il vous plaira ; ce n’est pas la peine de me les plaindre ; ils ne sont pas rares, et l’on en donne à qui en veut.
Il ne s’agit pas de compliments, madame ; vous êtes bien au-dessus de cela, et il serait difficile de vous en faire.
Celui-là est très fin, par exemple, et vous aviez raison de ne le vouloir pas perdre ; mais restons-en là, je vous prie ; car, à la fin, tant de politesses me supposeraient un amour-propre ridicule ; et ce serait une étrange chose qu’il fallût me demander pardon de ce qu’on ne m’aime point. En vérité, l’idée serait comique ; ce serait en m’aimant qu’on m’embarrasserait ; mais, grâce au ciel, il n’en est rien ; heureusement mes yeux se trouvent pacifiques ; ils applaudissent à votre indifférence ; ils se la promettaient, c’est une obligation que je vous ai, et la seule de votre part qui pouvait m’épargner une ingratitude ; vous m’entendez : vous avez eu quelque peur des dispositions que je pouvais avoir ; mais soyez tranquille, je me sauve, monsieur, je vous échappe ; j’ai vu le péril, et il n’y paraît pas.
Ah ! madame, oubliez un discours que je n’ai tenu tantôt qu’en plaisantant ; je suis de tous les hommes celui à qui il est le moins permis d’être vain, et vous de toutes les dames celle avec qui il serait le plus impossible de l’être ; vous êtes d’une figure qui ne permet ce sentiment-là à personne ; et si je l’avais, je serais trop méprisable.
Ma foi, si vous le prenez sur ce ton-là tous deux, vous ne tenez rien ; je n’aime point ce verbiage-là ; ces yeux pacifiques, ces apostrophes galantes à la figure de madame, et puis des vanités, des excuses, où cela va-t-il ? Ce n’est pas là votre chemin ; prenez garde que le diable ne vous égare ; tenez, vous ne voulez point vous épouser : abrégeons, et tout à l’heure entre mes mains cimentez vos résolutions d’une nouvelle promesse de ne vous appartenir jamais. Allons, madame, commencez pour le bon exemple, et pour l’honneur de votre sexe.
La belle idée qu’il vous vient là ! le bel expédient ! Que je commence ! comme si tout ne dépendait pas de monsieur, et que ce ne fût pas à lui à garantir ma résolution par la sienne ! Est-ce que, s’il voulait m’épouser, il n’en viendrait pas à bout par le moyen de mon père, à qui il faudrait obéir ? C’est donc sa résolution qui importe, et non pas la mienne que je ferais en pure perte.
Elle a raison, monsieur ; c’est votre parole qui règle tout ; parlez.
Moi, commencer ! cela ne me siérait point, ce serait violer les devoirs d’un galant homme, et je ne perdrai point le respect, s’il vous plaît.
Vous l’épouserez par respect : car ce n’est que du galimatias que toutes ces raisons-là ; j’en reviens à vous, madame.
Et moi, je m’en tiens à ce que j’ai dit : car il n’y a point de réplique ; mais que monsieur s’explique, qu’on sache ses intentions sur la difficulté qu’il fait : est-ce respect ? est-ce égard ? est-ce badinage ? est-ce tout ce qu’il vous plaira ? Qu’il se détermine : il faut parler naturellement dans la vie.
Monsieur vous dit qu’il est trop poli pour être naturel.
Il est vrai que je n’ose m’expliquer.
Il vous attend.
Eh bien ! terminons donc, s’il n’y a que cela qui vous arrête, monsieur ; voici mes sentiments : je ne veux point être mariée, et je n’en eus jamais moins d’envie que dans cette occasion-ci ; ce discours est net et sous-entend tout ce que la bienséance veut que je vous épargne. Vous passez pour un homme d’honneur, monsieur, on fait l’éloge de votre caractère ; et c’est aux soins que vous vous donnerez pour me tirer de cette affaire-ci, c’est aux services que vous me rendrez là-dessus, que je reconnaîtrai la vérité de tout ce qu’on m’a dit de vous. Ajouterai-je encore une chose ? Je puis avoir le cœur prévenu ; je pense qu’en voilà assez, monsieur, et que ce que je dis là vaut bien un serment de ne vous épouser jamais ; serment que je fais pourtant, si vous le trouvez nécessaire ; cela suffit-il ?
Eh ! madame, c’en est fait, et vous n’avez rien à craindre. Je ne suis point de caractère à persécuter les dispositions où je vous vois ; elles excluent notre mariage ; et quand ma vie en dépendrait, quand mon cœur vous regretterait, ce qui ne serait pas difficile à croire, je vous sacrifierais et mon cœur et ma vie, et vous les sacrifierais sans vous le dire ; c’est à quoi je m’engage, non par des serments qui ne signifieraient rien, et que je fais pourtant comme vous, si vous les exigez, mais parce que votre cœur, parce que la raison, mon honneur et ma probité dont vous l’exigez, le veulent ; et comme il faudra nous voir, et que je ne saurais partir ni vous quitter sur-le-champ, si, pendant le temps que nous nous verrons, il m’allait par hasard échapper quelque discours qui pût vous alarmer, je vous conjure d’avance de n’y rien voir contre ma parole, et de ne l’attribuer qu’à l’impossibilité qu’il y aurait de n’être pas galant avec ce qui vous ressemble. Cela dit, je ne vous demande plus qu’une grâce ; c’est de m’aider à vous débarrasser de moi, et de vouloir bien que je n’essuie point tout seul les reproches de nos parents ; il est juste que nous les partagions ; vous les méritez encore plus que moi. Vous craignez plus l’époux que le mariage, et moi je ne craignais que le dernier. Adieu, madame ; il me tarde de vous montrer que je suis du moins digne de quelque estime. (Il se retire.)
Mais, vous vous en allez sans prendre de mesures.
Madame m’a dit qu’elle avait une sœur à qui je puis feindre de m’attacher ; c’est déjà un moyen d’indiqué.
Et d’ailleurs nous aurons le temps de nous revoir. Suivez monsieur, Lisette, puisqu’il s’en va, et voyez si personne ne regarde !
Je suis au désespoir.
Scène VII
Ah ! il faut que je soupire, et ce ne sera pas pour la dernière fois. Quelle aventure pour mon cœur ! Cette misérable Lisette, où a-t-elle été imaginer tout ce qu’elle vient de nous faire dire ?