Les Siècles morts/Les Divinisantes

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Les Siècles mortsAlphonse Lemerre éd.II. L’Orient grec (p. 187-190).

 
Bienheureuse, ô mes sœurs, et bénie entre toutes,
Celle qui vit errer le jeune homme aux doux yeux,
Lorsque, rêvant le soir sous les palmiers des routes,
Il oubliait la terre en contemplant les cieux !

Sa race était sans gloire ; aux lacs de Galilée,
Des pêcheurs fraternels l’ont nommé leur ami,
Qui ne soupçonnaient point qu’en son âme exilée
La tristesse du siècle avait enfin gémi.

Il savait par quels mots, quels gestes et quels charmes,
Ressuscitent les morts au fond des noirs caveaux.
Mais c’est pour les vivants qu’il a gardé ses larmes :
C’est eux qu’il a pleurés avec des pleurs nouveaux.


Car il a pressenti les douleurs éternelles
Du mal qui nous consume et qui ne peut guérir :
Cette humaine fureur des voluptés charnelles,
Jointe à l’effroi d’aimer ce qui devra périr.

Et voici que les cœurs déçus et las d’attendre,
Mais toujours dévorés d’un immortel tourment,
Ont tressailli d’espoir à sa voix grave et tendre,
Comme une amante émue à l’appel de l’amant.

O Maître ! ô cher Seigneur ! ô Préféré des femmes !
Si tu connus jamais, en ton rêve divin,
La grande inquiétude éparse dans nos âmes,
Réjouis-toi ! Le monde expire et tout est vain.

Toutes ont répondu, vierges ou courtisanes,
Au mystique sanglot que tu poussas un jour,
Et toutes, dédaignant les ivresses profanes,
Ont bu la joie austère à ta source d’amour.

Quel es-tu cependant, toi que dans les mystères
L’Hiérophante obscur n’osa point révéler,
Passant qui murmurais des secrets salutaires,
Passant miraculeux, venu pour consoler ?

Quel es-tu, quel es-tu, toi vers qui les extases
Palpitaient vaguement et prenaient leur essor,
Quand les femmes, versant les blonds parfums des vases,
Essuyaient tes pieds nus avec leurs cheveux d’or ?


Tu n’étais point le Grec aux fabuleux mensonges,
Ni le Romain suivi de clients intrigants,
Le Khaldéen nocturne, interprète des songes,
Le Syrien vendeur de philtres et d’onguents.

Sous la bise, dit-on, ta mère, une humble Juive,
Trouva pour t’enfanter l’étable aux murs fendus.
Que m’importe ! Assez beau pour que l’amour te suive,
Foule, ô royal Époux, nos manteaux étendus !

O jeune homme ! ô martyr ! certe elle était divine
Comme la bonne Isis et la grande Astarté,
Celle qui fut ta mère et qui sur la colline
Te vit mort et pendant au bois ensanglanté.

Sanglote, ô Déméter, avec ta sœur jumelle,
La Juive douloureuse, au cœur sept fois percé !
Celui qu’elle a perdu, nous le pleurons comme elle,
Et nos baisers pieux cherchent son flanc blessé.

Nous viendrons, ô mes sœurs, ivres de saintes fièvres,
Vers le roc sépulcral, comme à Byblos jadis,
En longue théorie, user d’ardentes lèvres
La plaie ouverte au sein du nouvel Adonis.

Pâles, le front voilé, sur les places publiques,
Nous traînerons l’attente et l’angoisse et le deuil,
Epiant le réveil des jardins symboliques
Où, le troisième jour, pointe le vert cerfeuil.


C’est nous qui, soulevant le suaire livide,
Fatidiques témoins de sa Divinité,
Annoncerons d’abord que le sépulcre est vide,
Et clamerons : Amour ! vers le Ressuscité.

Et quand, ô Printanier ! luira l’aube future,
Dispersant ta légende et ta gloire en tout lieu,
Nous, cœurs inassouvis qu’un long désir torture,
Du Rêveur adoré nous aurons fait un Dieu.