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Les Stations de l’amour/12

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L’Île des Pingouins (p. 116-131).

XII

Paris, 15 février 18…

Cher Léo, au début de cette lettre, ma plume hésite à commencer le récit d’une aventure qui prend à mes yeux les proportions d’une faute.

Je sais bien que le pardon m’a été accordé d’avance, et que personne n’a rien à me reprocher : « Mon mari seul, me dis-je, aurait le droit de se plaindre, et c’est lui, au contraire, qui m’a engagée dans la voie où je suis actuellement et je ne fais qu’obéir à ses conseils… »

Mais, malgré tous mes raisonnements, je ne me sens pas complètement rassurée ; j’ai peur d’être allée trop loin et d’avoir dépassé le but. Cette fois, ce n’est pas seulement mon corps qui a été en jeu, mais c’est aussi mon cœur, ou au moins une parcelle de ce cœur que j’ai donnée à un autre que toi, tandis que j’aurais dû, pour rester fidèle à nos conventions, te le garder intact.

Mon roman d’hier ne ressemble aucunement à tes folles escapades, cher mari au cœur fidèle et aux sens volages… Chez toi, c’est l’homme, le mâle, qui donne libre cours à ses appétits, et boit sans vergogne, à la première coupe de volupté qui se trouve à portée de ses lèvres. Mais moi, je suis une femme, c’est-à-dire un être fragile, fait d’éléments divers, et je me suis donnée (et non prêtée, comme tu le fais), je me suis livrée corps et âme aux baisers d’un étranger, d’un inconnu, et cet amour nouveau a pris sur moi un étrange empire…

Le mal est récent, la blessure est encore toute fraîche, mais je garderai pour jamais, je le crains, le souvenir de sa douce morsure.

Ma conscience se trouvera peut-être soulagée par l’aveu sincère de mon erreur, mais je ne sais si j’aurai la force de te promettre de n’y plus retomber…

Hier matin, nous nous trouvions dans ma chambre, Thérèse et moi, attendant l’heure du déjeuner. Je relisais une lettre de papa, reçue le matin, dans laquelle il me priait de me rendre sans tarder à Saint-Germain et de visiter, une dernière fois, la petite maison de campagne qu’il convoite depuis longtemps.

J’étais énervée, je me sentais toute drôle et comme envahie par une molle langueur que je n’avais pas éprouvée depuis longtemps. Il faisait un beau temps clair, assez doux pour la saison, et le soleil brillait gaiement, tout joyeux de se sentir débarrassé, au moins pour quelques heures, des vilaines brumes de l’hiver. Et m’adressant à Thérèse, je lui dis : « Ma chérie, ne t’effarouche pas de ce que je vais te dire : j’ai envie de… de faire l’amour… » Elle ouvrit des yeux étonnés, en me répondant : « Mais mon ange, tout de suite si tu veux… »

— Non, tu ne comprends pas, j’ai envie de baiser pour de bon, de me faire baiser, si tu aimes mieux, par un homme, avec un vrai membre… »

— Oh ! Cécile, quelle idée vous prend aujourd’hui… Et si votre mari venait à le savoir ?…

— Mon mari !… Mais il m’a laissé carte blanche et je suis parfaitement libre de faire, sur ce chapitre, tout ce qui me passera par la tête. Or, ce matin, je me suis éveillée avec l’idée fixe de me payer cette fantaisie ; il y a deux jours que cela me tient, c’est une envie folle, et il faut que je la satisfasse…

— Folle ! oui, murmura-t-elle… Ah ! Cécile, vous ne m’aimez plus, ou vous m’aimez moins…

— Écoute, ma chère Thérèse, repris-je : tu n’as jamais eu d’amant sérieux, tu n’as jamais éprouvé auprès d’un homme les mêmes émotions, les mêmes ravissements voluptueux que j’ai goûtés moi-même dans les bras de mon Léo. Tu aimes trop les femmes, d’ailleurs, pour ne pas dédaigner un peu les hommes : leur contact te déplaît plutôt qu’il ne t’enivre ; c’est dans ta nature, dans tes goûts, et je ne t’en veux pas… mais de ce fait, ma pauvre amie, tu ignores le vrai plaisir aigu, foudroyant, presque douloureux, que peut verser un homme jeune et ardent dans le sein d’une femme amoureuse. Certes, un amant peut être moins habile qu’une femme dans l’art raffiné des accompagnements et des hors-d’œuvre préparatoires ; son doigté est moins savant, sa langue moins perspicace ; il lui manque la faculté de comparaison, et il ne sait pas toujours exactement où se trouve le nœud délicat qui retient ou déchaîne les écluses du plaisir. Mais crois-moi, rien ne vaut, dans un conin bien excité, cinq bons pouces de verge masculine vigoureusement maniée et aspergeant la matrice enflammée d’un jet abondant de liqueur… Là, seulement, est le vrai bonheur : tout le reste n’est qu’amusette de petites filles…

— Thérèse resta un moment silencieuse.

— Alors, dit-elle d’une voix légèrement altérée, vous allez prendre un amant…

— Qui te parle de cela ? répliquai-je… Je veux bien m’amuser un peu, mais sans me compromettre ni rendre Léo ridicule…

— Alors ?…

— Alors, voilà : après le déjeuner nous sortirons, nous prendrons le landau et nous irons d’abord à Saint-Germain faire la commission dont papa m’a chargée. Ensuite nous rentrerons à Paris par le chemin de fer, nous irons dîner au restaurant, n’importe où, et… nous tâcherons de rencontrer quelqu’un qui me plaise, soit au café-concert, soit aux Folies-Bergères. Ce serait bien étonnant qu’on ne nous adressât pas la parole ; sans nous flatter, nous valons bien autant que ces dames qui fréquentent les cafés des boulevards… Dans ces endroits-là je ne courrai pas le risque d’être reconnue, et une fois mon envie passée, j’enverrai promener l’homme qui m’aura possédée pendant quelques instants, et je ne le reverrai jamais. Si le cœur t’en dit, tu pourras en tâter aussi…

— Mais réfléchis donc, Cécile, aux suites de ton imprudence… Si la police allait nous arrêter ?… Si tu attrapais du mal (car enfin, ce sera le premier venu !…) Si on nous menait dans quelque sale maison ?… Si…

— Tu m’ennuies, Thérèse, avec tes si et tes mais… Il me faut un homme, n’importe lequel…

— Allons, dit-elle d’un ton résigné, il faut faire tous vos caprices.

Le déjeuner fut court. Nous nous habillâmes très simplement, mais assez chaudement, pour pouvoir rester dans la voiture découverte. Nous avions l’air, toutes deux, de petites bourgeoises en tenue de promenade.

Nous parlâmes peu durant le trajet. La voiture suivait la route directe qui coupe la Seine en plusieurs points, selon le caprice de ses méandres.

Arrivées au sommet de la Terrasse, nous nous fîmes conduire au carrefour de la forêt où se trouve la propriété en question, que je visitais pour la troisième fois. L’inspection terminée, nous nous rendîmes chez le notaire de la ville et, de là, à la gare, dans l’intention de revenir à Paris avant la nuit. Je renvoyai le landau et dis au cocher de rappeler que nous ne rentrerions pas pour dîner.

Nous avions une heure à attendre le train, ayant manqué le départ précédent de quelques secondes. Cette minute de retard a décidé du sort de toute ma journée.

J’entraînai Thérèse dans ce petit sentier tracé entre les vignes, sur le flanc du coteau qui relie en pente douce la Terrasse à la Seine. Puis dans ce petit restaurant, près du pont, où nous avions mangé de la bonne friture avec Férard.

Quelques minutes après nous étions assises devant un groc chaud. Une longue yole à quatre rameurs s’arrêta en face de l’établissement : une voix héla le patron et l’embarcation accosta. L’équipage sauta aussitôt à terre et s’installa en plein vent, autour d’une table de marbre, vis-à-vis de notre fenêtre.

C’étaient des jeunes gens de vingt à vingt-cinq ans. Une femme était avec eux. Dès qu’ils furent arrivés, cet endroit tranquille s’emplit de rire et d’éclats de voix. Au ton de la conversation il était facile de reconnaître que ces joyeux canotiers étaient de bonne famille. Leur gaieté gardait un air de bonne compagnie, et les lazzis qui se croisaient sans interruption, s’ils froissaient, quelque peu la morale, respectaient toujours la grammaire.

La femme qui les accompagnait était le point de mire de leurs traits ; elle ripostait vertement avec blague du gavroche parisien habitué aux joutes poissardes.

— Celui des quatre qui me plairait le mieux, dis-je à Thérèse, c’est le petit brun qui est à notre gauche. J’aime son regard vif, ses sourcils noirs, sa barbe naissante qui tranche sur sa peau blanche, et ses lèvres si rouges. As-tu remarqué les jolies dents qu’il montre lorsqu’il sourit ?

— Moi, dit Thérèse, j’aime assez ce garçon blond, élancé, presque sans barbe, qui a les joues roses et le cou blanc comme celui d’une femme. Celui que tu préfères est très gentil aussi, il a un air tout à fait distingué…

Elle s’arrêta brusquement : « Mais, je ne me trompe pas, ma chère Cécile… Je l’ai déjà vu… il venait quelquefois chez mon ancienne patronne, accompagner sa mère, Madame de… je ne sais plus… Il a beaucoup changé, il y a trois ans de cela, c’était encore un collégien… Ah ! j’y suis !… c’est Monsieur Adrien… Adrien de Cerney, j’en suis sûre à présent… »

Le geste d’étonnement qu’avait fait Thérèse et le bruit de nos paroles attirèrent l’attention du jeune homme ; il leva les yeux vers notre fenêtre et son regard croisa le mien. Ma physionomie exprimait sans doute une vive sympathie, car il rougit légèrement et resta tout songeur.

— Il est timide, votre don Juan, me souffla Thérèse, il me fait l’impression de n’être encore qu’un apprenti.

— À son âge ? répliquai-je, ce serait un oiseau rare. Les jouvenceaux d’à présent n’attendent pas d’être majeurs pour jeter leur pucelage au vent… Et ne serait-ce qu’avec cette femme, que ces gaillards-là m’ont l’air de se partager en bons camarades, ton Monsieur Adrien a déjà vu le loup…

— Sa mère le tient de très près, reprit Thérèse, et elle l’élève comme une fille. D’ailleurs, si je calcule bien, ce garçon n’a pas plus de dix-neuf ans… il n’y a pas encore de temps perdu…

— Je le gobe, moi, ce garçon, dis-je alors ; il a une figure agréable qui ne peut appartenir à un imbécile…

— Eh bien ! puisqu’il te plaît tant, répondit Thérèse, pourquoi ne cherches-tu pas à lui parler ?…

— Ce n’est pas l’envie qui me manque, ma chère, et s’il était seul… Mais je ne puis l’aborder au milieu de ses amis, et surtout en présence de cette femme. Lui aussi, j’en suis sûre désire me voir de plus près…

Le jour baissait : l’équipage reprit ses avirons et la yole quitta le bord sans qu’aucun des canotiers, sauf Adrien, eût remarqué notre présence. Nous nous étions levées, et restâmes un instant sur le seuil, les regardant s’éloigner.

Un regret cuisant me serrait le cœur. À un moment, il me sembla que le rameur placé au dernier banc me faisait un signe d’adieu ; mais ce ne fut qu’une vision vite effacée, et le canot disparut au tournant de la rivière.

Nous revînmes vers la gare, sans nous parler. Thérèse voyait bien à ma mine déconfite que j’étais d’assez méchante humeur et ne trouvait rien à dire pour me consoler. De mon côté, je pensais qu’il n’était pas aussi facile que je l’avais cru d’abord de trouver un galant à même la rue.

Tout à coup Thérèse s’arrêta, prise d’une idée subite : « Voyons, ma chère Cécile, fit-elle, si tu tiens réellement à connaître ce garçon, il y a un moyen bien simple de le retrouver : c’est de demander au patron du café le nom et l’adresse de ses clients de tout à l’heure, il est probable que ce sont des habitués. »

— Que tu es gentille, ma bonne Thérèse, je n’y avais pas songé…

Et nous voici retournant sur nos pas, sans plus penser à l’heure du train.

Ces allées et venues avaient pris un certain temps, et il faisait presque nuit lorsque nous arrivâmes au restaurant. Au moment où Thérèse franchissait la porte, un jeune homme, qui sortait de la maison, me croisa sur la chaussée. À mon grand étonnement je reconnus Adrien.

Il avait changé de costume, mais ses traits étaient gravés si profondément dans ma mémoire que je ne pus réprimer un cri. Il eut de son côté, en me voyant, un mouvement de surprise ; puis il resta immobile, partagé entre le plaisir de me revoir et la crainte de m’aborder. Voyant que je ne lui adressais pas la parole, il allait s’éloigner, quand je l’arrêtai d’un geste. Enhardie par la demi-obscurité, je lui dis d’une voix dont le ton me surprit moi-même : « Monsieur, excusez-moi, je vous prie ; je vais sans doute vous paraître indiscrète, mais il m’a semblé tantôt, pendant que vous étiez avec vos amis, que vous aviez quelque chose à me dire… peut-être me suis-je trompée ?… En ce cas, je vous demande pardon… j’avais cru voir que… enfin, j’espère que vous ne m’en voudrez pas… »

Me voyant ainsi troublée, le jeune homme reprit un peu d’assurance. Il me salua respectueusement et dit : « Vous avez deviné juste, Madame, et si j’avais été seul avec vous, j’aurais certainement essayé de vous dire… que vous me plaisez beaucoup… Mais vous étiez accompagnée, et je n’osais vous adresser la parole en présence de votre amie. Dès que j’ai pu quitter mes camarades, je suis accouru ici dans l’espérance de vous revoir ; malheureusement, vous étiez déjà partie… »

— C’est vrai, fis-je à mon tour, mais je suis revenue sur mes pas… N’est-ce pas un heureux hasard ? ajoutai-je gaiement.

Je lui tendis la main qu’il prit dans la sienne : il était ému, et moi agitée d’un frisson délicieux.

Par discrétion, Thérèse se tenait éloignée ; je l’appelai, et nous reprîmes ensemble tout doucement le chemin de la gare.

Le premier pas était fait : une charmante intimité s’établit rapidement entre nous. Tout occupé de moi, Adrien ne reconnut pas Thérèse qu’il n’avait vu qu’une fois ; je la lui présentai comme une cousine éloignée et me donnai pour une jeune femme libre de sa personne. Je lui demandai son petit nom, et il se nomma sans hésiter.

Arrivés à la station, il nous demanda la permission de monter avec nous dans le train, étant obligé, dit-il, de retourner à Paris le soir même.

Quoique je ne voulusse point précipiter les choses, de peur qu’Adrien ne me confondît avec une vulgaire cocotte, je mis à profit les vingt-cinq minutes de solitude que nous donnait le trajet ; nous étions seuls dans notre compartiment : Thérèse s’accota dans un coin, prétextant une grande fatigue, baissa le store de la lampe, et sommeilla. Nous occupions l’autre coin, Adrien et moi, étroitement serrés l’un contre l’autre. Dès que le train fut en marche, il passa un bras autour de ma taille, se pencha vers moi d’un geste caressant et m’embrassa dans le cou.

Le frais contact de ses lèvres me fit passer un frisson par tout le corps : je tournai la tête et lui rendis son baiser sur la bouche.

Je crus qu’il allait s’évanouir : son bras faiblit et sa tête s’inclina sur mon épaule. Mais il se remit aussitôt et tendit ses lèvres avides sur la coupe qui venait de lui verser une telle ivresse.

Je reconnus alors l’exactitude de ce que m’avait dit Thérèse : cet aimable garçon, si bien fait pour plaire aux femmes, était pur de tout contact antérieur : il avait gardé cette fraîcheur d’expression qui est l’apanage des cœurs neufs et qui s’émousse, hélas ! si vite pour faire place à l’allure cavalière que prennent les jeunes hommes dès le lendemain de leurs débuts amoureux.

Il est évident, pour moi, qu’Adrien ignorait encore les douces pratiques de l’art d’aimer : tout était nouveau pour lui dans le pays du Tendre, et il me fallut ouvrir à la première page le bréviaire des amoureux.

Quelle tâche délicieuse pour une femme experte que d’enseigner le baiser à de jeunes lèvres si ardentes et si dociles !… Vraiment, j’envie le sort des filles de mauvaise vie à qui revient le plus souvent l’aubaine exquise d’initier les adolescents aux plaisirs de l’amour. Connaissent-elles leur bonheur ?… Elles effeuillent sans doute d’une main brutale la fleur délicate des premières caresses ; l’ingénuité de l’amoureux leur semble ridicule, et elles s’empressent de le débarrasser de ce fardeau inutile.

La première expérience que les hommes font de leur virilité devrait laisser au fond de leur cœur un parfum inoubliable : presque toujours, au contraire, ils ne gardent de cette initiation que le souvenir d’une souillure.

Je pensais à tout cela, cher Léo, tandis que je serrais tendrement dans mes bras ce grand garçon tout affolé de désirs. Ses yeux fixés sur les miens imploraient de nouvelles caresses ; ses narines se dilataient et battaient par moment, et sa poitrine gonflée laissait échapper de gros soupirs.

Pourtant ses mains restaient inactives ; soit par retenue, soit par ignorance, il se laissait dorloter, couvrant seulement de baisers innombrables mon cou et ma figure. Pour donner à ses lèvres un champ d’action plus étendu, je dégrafai le haut de mon corsage et laissai paraître un triangle de peau blanche ; il respira avec force le parfum qui s’en échappait, et se serrant passionnément contre ma poitrine, il pâlit encore… mais ce fut tout.

J’avais pitié du pauvre garçon, qui souffrait réellement. Quant à moi, j’étais excitée au suprême degré : mes désirs, longtemps contenus, s’exaspéraient dans cette attente prolongée ; des bouffées de chaleur me montaient au visage. Une autre partie de ma personne était non moins embrasée, si je puis m’exprimer ainsi, en parlant d’un endroit que je sentais tout inondé…

Puisque j’avais entrepris l’éducation de mon élève, autant la mener à bonne fin et en tirer pour moi-même un résultat pratique… Nous avions encore quelques minutes devant nous ; je pris la main du novice amoureux et la glissai sous mes jupons.

Ce geste éloquent fit envoler toutes ses hésitations ; sa timidité disparut pour faire place à une ardeur charmante. D’un mouvement vif et continu, ses doigts grimpèrent le long de mes cuisses. Je sentis une main frémissante qui fourrageait mes poils, cherchant à tâtons le but désiré de son voyage ; j’écartai les jambes et m’avançai à sa rencontre. Ainsi aidé, son doigt trouva bientôt le point sensible ; après avoir plongé trop profondément dans la fente, il revint sur les bords et se mit à caresser un bouton impatient qui se consumait d’une ardeur dévorante. Quelques mouvements de sa main suffirent à me mettre hors de moi, sans avoir eu la force de lui exprimer autrement que par de petits cris étouffés le plaisir inouï qu’il me faisait ressentir.

Quand je rouvris les yeux, Adrien me fixait avec une curiosité inquiète, étonné sans doute du prompt résultat de sa manœuvre. Je l’embrassai avec transport, puis sans quitter ses lèvres entre lesquelles je pointais une langue affolée, j’entrouvris son pantalon et saisis à pleine main un épieu qui se dressait furieusement et qui me parut de belle taille.

J’avais à peine commencé un léger mouvement de va-et-vient, qu’un jet pressé en jaillit, si rapidement que je n’eus que le temps de coiffer l’indiscret de mon mouchoir pour préserver ma robe d’une inondation compromettante. Adrien se tordait dans mes bras… je partis moi-même encore une fois, tant j’étais excitée…

Pendant toute cette scène, la pauvre Thérèse s’était tenue immobile dans son coin. Elle ne dormait pas, et je l’avais entendue soupirer à plusieurs reprises. Nous entrions en gare : je me rajustai de mon mieux et m’adressant à Adrien : « Ne m’avez-vous pas dit que vous aviez à faire en ville ce soir ?… Vous êtes sans doute obligé de rentrer chez vous à heure fixe… »

— Mais, pas du tout, répondit-il avec empressement, et si vous voulez bien accepter mon invitation, vous et votre amie, cela me fera grand plaisir : nous dînerons ensemble et nous passerons la soirée où vous voudrez…

Je refusai d’abord, pour la forme, puis j’acceptai, et nous allâmes dîner dans un restaurant peu fréquenté, aux environs de la Madeleine. Le repas fut charmant : Adrien était un gentil cavalier, plein d’esprit et d’entrain, aimable sans fatuité et rempli d’attentions respectueuses.

Il me parut plus ferré sur la théorie de l’amour qu’il ne l’était sur la pratique. Au dessert, je ne pus m’empêcher de faire une allusion discrète à son inexpérience. Il répondit en rougissant un peu que, jusqu’à ce jour, il n’avait trouvé aucune occasion de se lancer auprès des femmes : « Je n’en ai pas encore rencontré une seule qui me plût réellement, ajouta-t-il, du moins parmi celles qui auraient consenti à se laisser aimer… Quant aux autres (je veux dire les filles de brasserie et les femmes de trottoir), j’ai quelquefois essayé d’aller avec elles, mais elles me dégoûtent tellement qu’au moment de céder je trouve toujours un prétexte pour les lâcher… Mes amis se moquent de moi : ils me disent que je resterai rosière jusqu’au soir de mes noces, comme les demoiselles bien sages. Pour ma part, je trouve qu’ils ne sont pas assez exigeants en fait de maîtresses : ils vont avec n’importe laquelle, changeant de femme tous les mois, se font gruger et tromper, et n’en ont pas pour leur argent… »

— De sorte, interrompit Thérèse, qu’il faut pour vous plaire être honnête d’abord, ensuite rentière, et peut-être duchesse ?…

— Je ne dis pas cela, répondit-il tranquillement, je sais bien que l’on ne peut fréquenter une femme, quelle qu’elle soit, sans que cela coûte… Mais je prétends que le premier bon garçon venu, s’il est aimable et fidèle, vaut cent fois plus que toutes les cocottes de Paris ensemble…

Il parlait d’or cet écolier, et nous nous regardâmes, Thérèse et moi, avec un sourire.

— Vos parents, demandai-je, vous défendent sans doute de faire connaissance avec des demoiselles…

— Maman, oui ; elle est très dévote, m’a fait élever chez les Pères et elle me croirait perdu… Quant à papa, c’est tout le contraire : il dit qu’un garçon de mon âge doit s’amuser un peu, et il s’imagine certainement que j’ai déjà eu pas mal de maîtresses.

— Alors, fis-je tout bas pendant que Thérèse mettait son chapeau, c’est bien vrai, monsieur Bébé, que vous n’avez jamais…

— Non, parole d’honneur, répondit-il d’un ton enjoué…

Puis il ajouta, en m’embrassant derrière l’oreille, pendant que nous descendions l’escalier : « Voulez-vous me donner des leçons ?

Je répondis par un sourire.

Une fois dans la rue, je fis signe à Thérèse de s’en aller de son côté pour me laisser seule avec Adrien. Elle esquissa une grimace boudeuse et me menaça du doigt, mais elle consentit enfin à nous quitter et annonça qu’elle était obligée de rentrer de suite chez sa tante.

Adrien ne se tenait pas d’aise et serrait fortement mon bras. Mon amie partie, il me demanda la permission de me reconduire jusque chez moi, ce que je refusai, bien entendu ; je lui offris comme dédommagement, de faire une courte promenade et de le mettre sur le chemin de son domicile. Il faisait nuit noire, j’avais rabattu ma voilette et relevé le col de mon manteau : je ne risquais donc rien à traverser, au bras du jeune étudiant, la place de la Concorde.

Nous marchions en bavardant, comme deux amoureux. Je t’assure, mon cher mari, qu’à ce moment j’avais tout oublié et que je ne pensais guère à M. Léo Fonteney… Je parlais pour ne rien dire et riais comme une folle, étourdie sans doute par le grand air et la liberté.

— Où demeurez-vous ? lui demandai-je.

— Au no 25 de la rue de Bourgogne, derrière les Invalides ; ma chambrette donne sur la rue de Varenne. Tous les matins je vais à l’École de Droit, dont je suis les cours ; c’est maman qui a choisi pour moi ce quartier tranquille, loin de Bullier et des brasseries du Boul’ Mich’.

— Quel jeune homme modèle ! fis-je : vous voici devant votre porte, monsieur Adrien, je vous quitte…

Cela ne faisait pas l’affaire de mon jeune amoureux, aussi me retint-il de toutes ses forces, me suppliant de monter jusqu’à sa chambre et jurant qu’il serait bien sage… Je me décidai enfin à accepter la tasse de thé qu’il m’offrait, et cette victoire le combla de joie.

Nous passâmes rapidement devant la loge du concierge, dont Adrien redoutait l’œil investigateur. C’était une vieille demeure aux hautes fenêtres, et j’étais un peu essoufflée en arrivant au quatrième étage.

La porte se referma et nous nous trouvâmes dans l’obscurité : Adrien me tenait par la taille comme s’il eût craint de me laisser échapper ; il alluma la lampe et mit feu aux bûches de bois préparées dans la cheminée. Une vive lumière éclaira la pièce et me fit voir une chambre à coucher meublée et décorée avec goût ; un piano occupait l’un des angles, faisant face à un large divan, et le lit dissimulé dans une alcôve profonde était drapée d’étoffe cramoisie.

Je m’assis dans un fauteuil, au coin du feu, et pendant que j’examinais cet intérieur de garçon, qui ne sentait pas du tout la bohème, Adrien disposait sur une table encombrée de bouquins, un service à thé japonais, une assiette de petits fours, un flacon de muscat et des cigarettes.

— Mon Dieu ! fis-je, en voyant ces préparatifs, vous attendiez donc quelqu’un ?…

— Non… ou plutôt oui, répondit-il d’un ton ému.

— Peut-on savoir qui ?…

— Vous !… oui, vous-même, c’est-à-dire l’Inconnue que je désire depuis longtemps, que j’ai enfin trouvé et que j’aime déjà de tout mon cœur…

Il s’était assis à mes pieds sur un coussin et me tendait les bras en me regardant avec une adoration passionnée. Pour tout réponse, je l’attirai vers moi, appuyai sa tête sur ma poitrine, et… nous recommençâmes le jeu charmant que nous avions dû interrompre dans le chemin de fer. Mais cette fois, sûr de plaire et d’être aimé, mon gentil amoureux se montra plein de dispositions : il trouva d’instinct, parmi les cent manières d’embrasser et de caresser une femme, le baiser profond et lent qui fait passer sur la peau un frisson de volupté et vient enflammer délicieusement les sens.

Je ne sais comment je me trouvai tout à coup à demi nue entre ses bras ; ses doigts malhabiles avaient sans doute été aidés des miens, sans que j’en eusse conscience, dans l’extase qui m’enivrait. Je l’étreignis furieusement, en proie à de violents désirs, et lorsqu’il m’eût portée sur le lit et qu’il se fut allongé tout habillé à mon côté, je frémis d’impatience.

D’un mouvement nerveux, je l’enlevai et le plaçai entre mes jambes écartées, qui se serrèrent comme un étau et le retinrent collé contre mon ventre ; écartant alors d’une main le fouillis des poils qui auraient pu barrer la route, je saisis son membre très raide, le guidai dans le chemin du plaisir et l’y enfonçai jusqu’à la garde… : « Va, chéri, lui dis-je d’une voix altérée… va tout seul, maintenant… pousse… entre dedans moi autant que tu le pourras… va… va… »

Et j’activai ses mouvements en l’éperonnant de mes talons croisés sur ses reins. Ainsi stimulé, le jeune cavalier n’avait plus qu’à se tenir solide en selle et suivre le galop de sa monture…

Ah ! cher Léo… je te jure qu’avant cette inoubliable minute de suprême félicité, je n’avais encore éprouvé, ni avec toi, ni avec aucun autre homme, un plaisir aussi intense, aussi délirant… Je jouis avec frénésie, sans discontinuer, sans reprendre haleine, absolument plongée dans un abîme de volupté. La sensation amoureuse ne s’arrêtait que pour recommencer aussitôt avec une force croissante, chaque fois plus pénétrante et plus vive…

Enfin, je retombai, brisée, anéantie…

Quant à Adrien, il me parut avoir partagé les mêmes délices : il jouit une première fois dès qu’il se sentit au fond de ma grotte brûlante, puis animé d’une nouvelle ardeur, il déchargea encore deux fois, prolongeant et décuplant les transports surhumains qui m’agitaient…

Il était près d’une heure du matin lorsque la voiture qui me ramenait au faubourg Saint-Honoré s’arrêta devant ma porte ; Thérèse, inquiète, guettait mon retour avec impatience. Mes traits fatigués et ma démarche chancelante lui donnèrent l’explication de cette absence prolongée ; elle poussa un gros soupir et, sans me demander l’emploi de ma soirée, me déshabilla et m’aida à me mettre au lit.

Lorsque je fus couchée, elle se pencha vers moi, m’embrassa sur le front et me dit d’un ton de doux reproche ; « Vilaine !… c’était donc bien bon ?… »

Je levai les yeux sans répondre…

. . . . . . . . . . . . . .

Ta Cécile.