Les Stromates/Livre premier/Chapitre II

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Texte établi par M. de GenoudeSapia (Tome cinquièmep. 13-14).
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Livre premier
CHAPITRE II.
Il prévient l’objection de ceux qui le blâmeraient d’avoir inséré dans ses ouvrages de nombreux fragments de la philosophie grecque.

À l’égard de mes livres qui, selon la nécessité du moment, ont reproduit les opinions des Grecs, je me contente de répondre en ces termes à ceux qui aiment à critiquer. D’abord, la philosophie fût-elle inutile, s’il est nécessaire de prouver son inutilité, elle est par le même motif utile. Ensuite on n’a pas acquis le droit de condamner les Grecs si on ne s’est attaché qu’à la lettre de leurs doctrines, sans être préalablement descendu dans l’examen de chacune de ces doctrines. Car, la réfutation qui s’appuie sur l’expérience est la seule digne de la foi la plus entière ; la connaissance des choses que l’on a condamnées tient alors lieu de la démonstration la plus complète. En outre, il est beaucoup de choses qui, bien qu’inutiles au salut, ornent les discours de celui qui enseigne. Et d’ailleurs, l’érudition du maître qui cite les principaux dogmes des Grecs, le recommande à la confiance de ses auditeurs ; elle fait naître l’admiration dans l’esprit des catéchumènes et les prépare à l’intelligence de la vérité. Or, le charme de cette admiration qui amène les esprits studieux à la vérité, et que le vulgaire décrie, les convaincra que la philosophie ne corrompt nullement la vie humaine, bien qu’elle soit la cause de beaucoup de vices et d’erreur. Aussi quelques écrivains assurent à tort qu’elle est la vive image de la vérité et un don fait aux Grecs par Dieu même ; on les convaincra en outre que nous ne nous laissons pas entraîner loin de la foi par la philosophie, comme si nous étions fascinés par les prestiges de quelque art trompeur, mais que, pour ainsi dire, couverts d’un rempart plus solide, nous trouvons dans cette étude le moyen de donner à notre foi une démonstration plus entière. Bien plus, du contact de deux dogmes contraires que l’on compare entre eux, jaillit la vérité ; et de là une connaissance plus certaine. Car la philosophie ne s’est pas produite d’elle-même et pour elle-même ; elle n’existe que pour les fruits que l’on retire de la science, parce que la science des choses découvertes par l’esprit de l’homme affermit en nous la confiance que nous sommes dans la vérité. Je ne dirai pas que c’est à dessein qu’on a caché les semences de la science dans ces Stromates qui réunissent en un seul ouvrage les fragments nombreux de diverses doctrines. De même que l’homme passionné pour la chasse, après s’être mis en quête de l’animal qu’il veut atteindre, après en avoir découvert la piste et suivi les traces, après avoir lancé ses chiens sur lui, le prend enfin et le tue ; ainsi la vérité paraît douce à celui qui l’a cherchée longtemps et qui l’a découverte avec peine. Mais pourquoi vous a-t-il paru bon de disposer ainsi vos commentaires ? Parce qu’il est fort dangereux de révéler les mystères de la véritable philosophie à ceux qui, hardiment et à tout propos, veulent parler contre tout, et sans raison, et qui prodiguent les noms les plus grossiers, se trompant eux-mêmes, et éblouissant les yeux de ceux qui les entourent. « Car les hébreux demandent des miracles, comme dit l’apôtre, et les gentils cherchent la sagesse. »