Les Tableaux vivants/06
VI
LA FRAISE
— Assez dormi, ma belle… Le ciel est pur, le temps est doux, les oiseaux gazouillent sous la feuillée toute neuve ; mets ta robe blanche, ma mie, nous irons tous deux au bois.
Laurette y consentit de grand cœur vraiment ; nous montons en chemin de fer, nous descendons à la gare de Sèvres, nous montons vers la forêt.
Arrivés sous les ombrages, bien sûrs d’être seuls et sans témoins, nous nous reposâmes un moment. Laurette me présenta sa bouche, j’y mis un baiser, deux baisers, dix baisers. Mais Laurette était distraite. Je suivis la direction de son regard, j’aperçus une source fraîche filtrant sous l’herbe et qui formait un petit bassin naturel entouré de pâquerettes. Je compris l’envie de ma maîtresse et je la menai vers la source. Elle se mit à cheval au-dessus de l’eau, je voulus la laver moi-même.
Alors nous nous enfonçâmes sous le bois. Au bord d’une allée je vis des églantiers en fleur. Je dis à ma mie :
— Laurette, regarde ces églantines. Si j’étais poète, je les comparerais au bout de tes seins.
— Oh ! dit-elle, ils sont moins roses.
— Je parie que non.
— Je gage que si !
Ma foi, j’ouvris son corsage et nous voilà comparant. C’est moi qui avais raison.
Un peu plus loin Laurette aperçut des fraises.
Elle se mit à les picorer au milieu des ronces et bientôt, s’en trouvant les mains pleines, à les manger avec délices. Je demandai ma part du festin ; elle m’invita à venir la prendre sur sa bouche.
Nos lèvres se poursuivent, se mêlent toutes barbouillées de ce jus rouge et parfumé. Cependant ce jeu ne pouvait que nous conduire à un autre. Laurette commençait à rouler de grands yeux blancs. Je devinai bien vite ce langage.
— Eh bien ! lui dis-je tout bas, couche-toi donc dans l’herbe.
Quand elle y fut couchée, je relevai sa robe et ses jupons blancs. Elle ne disait rien, ne bougeait pas et tenait ses deux cuisses serrées. Je me mis à frapper sur son ventre blanc, ferme et rondelet en disant :
— Toc, toc ! Ouvrez, madame.
Les deux cuisses de Laurette s’ouvrirent doucement.
— Bonjour, l’autre petite bouche, disais-je. Ah ! Laurette, si nous lui faisions aussi manger des fraises ?
— Mets-en donc une au bout de ton doigt, soupira-t-elle, et essayons.
— Pas si sot ! m’écriai-je. C’est bien au bout de ma langue que je la mettrai.
Je le fis comme je l’avais dit. Je poussai la fraise du bout de ma langue. Laurette pâmée me disait :
— Pousse, pousse encore… Ah ! Richard ! ah ! quel régal ! La jolie façon de manger des fraises !
Telles étaient mes amours alors. J’avais vingt ans. Mon cœur se réjouit encore au souvenir de ces jouissances naïves et de cette heureuse journée. Ô vérité ! ô nature !