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Les Transformations de l’Agriculture/02

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Les Transformations de l’Agriculture
Revue des Deux Mondes5e période, tome 33 (p. 110-147).
LES
TRANSFORMATIONS DE L’AGRICULTURE

III[1]
LES SYNDICATS AGRICOLES


X. — SYNDICATS AGRICOLES : ORIGINE, NOMBRE, CLASSEMENT

Les lois, comme les livres, ont leurs destins, et il n’appartient qu’à un petit nombre d’hommes d’État de déterminer leurs effets dans l’avenir, d’avoir raison et de deviner qu’ils auront raison pendant deux ou trois siècles, cette éternité politique. Princes et ministres, assemblées parlementaires et foules populaires ne prévoient guère les conséquences de leurs actes : ils vont au plus pressé, se préoccupent d’aujourd’hui, de demain, recherchent un succès immédiat, personnel, et ne s’inquiètent point des lointains résultats, tantôt moutons de Panurge, tantôt lancés éperdument dans la voie des présomptueuses audaces, souvent aussi paraphrasant le mot connu : « Cela durera toujours autant que moi ! » Par instans, on dirait qu’ils jouent à qui perd gagne, qu’ils comptent sur la collaboration de Sa Sacrée Majesté le Hasard : et il est vrai que ce même hasard influe aussi sur le sort des lois, ordonnances et décrets ; comme dans la parabole divine, beaucoup de bonnes semences tombent sur la route, sur un sol rocailleux, stérile, et ne fructifient point. Mais il y a aussi le bien joué, la stratégie en quelque sorte et la tactique de la loi, sa préparation savante, l’art de s’élever au-dessus des passions du jour, de faire amitié avec l’âme intime, les mœurs, les profonds désirs du peuple, en les interprétant dans un mélange de prudence et de divination hardie, d’idéalisme pratique et de prévoyance ingénieuse. Et ces qualités demeurent rares dans les conseils des souverains aussi bien que dans les couloirs des parlemens. C’est pourquoi l’on rencontre tant de lois mort-nées, contre lesquelles les nations font la révolution silencieuse du mépris, qu’elles laissent tomber en les ignorant, ou qu’elles méconnaissent en les tournant, comme le recommande certain notaire du théâtre d’Emile Augier : ce sont vêtemens trop longs ou trop courts, tirés d’étoffe incommode ou mauvaise, bientôt mis au rebut ; ils vont grossir la vieille défroque de l’esprit humain. Par contre, d’autres lois produisent des conséquences inattendues pour ceux-là mêmes qui sont familiers avec la philosophie de l’histoire ; on dirait d’un poirier qui donne des pommes, d’un rosier sur lequel viendraient s’épanouir des orchidées. De même qu’une petite virgule change entièrement le sens d’une phrase, un mot ajouté ou retranché peut modifier le caractère d’une loi, lui infuser la vie ou la replonger dans le néant. La loi du 21 mars 1884, faite pour les ouvriers industriels, aurait passé inaperçue, ou peu s’en faut : un mot, un seul mot lui a apporté l’immense clientèle reconnaissante du monde agricole qui la considère comme une des meilleures votées depuis un siècle.

Deux délibérations à la Chambre, une délibération au Sénat, avaient eu lieu sans qu’on soufflât mot des agriculteurs : on allait les oublier une fois de plus, lorsqu’un sénateur républicain du Doubs, M. Oudet, s’avisa de proposer qu’on ajoutât agricole à l’article 6, qui est ainsi conçu : « Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des intérêts économiques, industriels, commerciaux et agricoles. » La grande dédaignée était admise, d’une manière incidente, en quelque sorte à la dérobée, comme un pauvre honteux qu’on laisse pénétrer par la porte de service ; et la plupart de ceux qui votèrent l’amendement de M. Oudet ne s’imaginaient nullement que ce simple mot recouvrît tant de choses nouvelles ; mais les agriculteurs ne se demandèrent point si celle-ci avait été inspirée par Lokis ou Thor, par Ormuzd ou Ahriman.

Quelques hommes d’action, MM. Jules Méline, Deuzy, Sénart, Milcent, Welche, A. de Fontgalland, Delalande, le marquis de Vogué, de Gailhard-Bancel, Courtin, le comte d’Hespel, etc., comprirent aussitôt quel parti on pouvait tirer de la situation : ils se mirent à l’œuvre et prêchèrent avec ardeur la croisade des syndicats agricoles. Véritable Pierre l’Ermite de l’idée, M. Deuzy parcourait la France, annonçant la bonne nouvelle, stimulant les indécis, réveillant de sa torpeur la nation rurale, sonnant en même temps la charge et la victoire. Agir, agir sans cesse, donner l’exemple du dévouement, prendre partout l’initiative, marcher sagement, progressivement, se cantonner sur le terrain purement agricole et économique, tel est le programme. Rien de plus simple que les formalités à remplir : réunir les agriculteurs d’un canton dans un local quelconque, faire approuver et signer les statuts, nommer un bureau, et voilà le syndicat formé ; pour qu’il ait la personnalité civile, il suffira de déposer à la mairie les statuts avec les noms des directeurs ; le plus souvent la cotisation ne dépasse pas deux francs. Les groupes cantonaux peuvent se concerter pour constituer le syndicat départemental. Aucune obligation de débuter par le canton plutôt que par la commune ou le département. Les uns estiment qu’il vaut mieux aller du petit au grand, que le syndicat doit se mouvoir dans un cercle restreint, entre gens du même terroir, ayant un intérêt identique ; les autres veulent une sphère plus étendue : les deux modes ont leur raison d’être, et tous les types ont réussi. Il y a en agriculture des intérêts généraux et des intérêts particuliers qui exigent des instrumens appropriés : pour les premiers, la puissance sera en raison du nombre ; les seconds réclament une solidarité plus étroite, une plus grande intimité ; à chacun son genre, à chacun sa tâche. Il faut s’accommoder aux circonstances, aux besoins de chaque région, imiter les époux qui se marient, réviser le contrat de mariage en y introduisant ou retranchant certaines clauses au gré de leurs intérêts, de leurs inclinations. L’outil est forgé : il se prête aux modifications avec une rare souplesse.

L’Assemblée Constituante de 1789 avait anéanti les corporations, défendu de les rétablir sous une forme quelconque, sacrifié l’intérêt collectif comme l’ancien régime avait méconnu l’intérêt individuel, en édictant cette loi de 1791, surnommée la loi martiale de l’industrie. En fait, grâce à la législation de 1852 sur les sociétés de secours mutuels, à celle de 1864 accordant la faculté de se coaliser, mais sans concert préalable, grâce au droit de réunion, et surtout grâce à la tolérance du pouvoir, la loi de 1791 était escamotée, traitée comme un Géronte de la comédie politique ; et la loi de 1884 n’avait qu’à mettre d’accord le droit et la pratique, en enregistrant les faits accomplis, en fondant ensemble deux principes trop longtemps opposés l’un à l’autre : la liberté individuelle, la liberté d’association. Mais le commerce et l’industrie seuls avaient profité de cette complicité bienveillante du gouvernement : l’agriculture n’en tirait aucun parti ; les sociétés ou comices agricoles n’avaient pas pris l’initiative ; leur composition, leurs tendances, leurs procédés, les empêchaient de pénétrer jusqu’au tréfonds du mouvement coopératif, de rendre tous les services qu’on eût été en droit d’attendre de tant d’hommes distingués et dévoués qui les dirigeaient.

Le mot de l’article 6 fit cesser cette demi-léthargie, suscita par centaines, par milliers, les courages : c’était le fil conducteur du labyrinthe, le phare libérateur apparaissant au marin dans la nuit, le remède possible à la crise agricole qui commençait. « Nous sommes le nombre, s’écriait M. Deuzy, nous serons la force. Quand Lacordaire, en 1848, parut à la Chambre, enveloppé de sa robe blanche de dominicain, à ceux qui s’étonnaient de sa présence en un tel lieu, il répondit : « Je suis une liberté. » La loi du 21 mars 1884 n’est pas seulement une liberté ; si vous savez en user, c’est le relèvement et la prospérité de l’agriculture. Nous voulons, avec l’aide d’une puissante association, fournir aux cultivateurs les moyens de soutenir la lutte contre la concurrence étrangère ; nous voulons que nos fabriques, nos usines, nos ateliers, rallument leurs feux ; que les fermes abandonnées retrouvent, avec leurs habitans, le mouvement et la vie ; que l’ouvrier agricole et industriel puisse mettre la poule au pot le dimanche. » Il faut demander beaucoup à l’idéal, aux hommes et aux choses, pour obtenir un peu : et c’était de bonne politique d’agrandir dans tous les sens l’horizon économique et moral des intéressés. Les défenseurs de l’agriculture voulaient que celle-ci ne remplît pas plus longtemps dans l’État le rôle de la femme dans la société japonaise, qu’on ne la traitât plus de malade imaginaire quand elle se plaint ; ils voulaient faire en sorte que les ruraux, émiettés sur la surface du sol, isolés, disséminés, fussent groupes en corps d’armée solides, afin de lutter avec succès contre les ennemis de tout genre, et contre les fonctionnaires qui, trop souvent dénaturent les enquêtes, et majorent la valeur des propriétés pour augmenter l’impôt. Une longue expérience leur avait enseigné que, selon le mot de l’ancien, a avec l’impuissance de chacun on peut faire la puissance de tous. »

En 1897, M. Méline, président du Conseil, ministre de l’Agriculture, montrait avec force que s’il restait beaucoup à faire, on avait beaucoup fait déjà… « C’est de ce monde agricole, qu’on avait cru pendant si longtemps voué à l’esprit de routine invétérée et dépourvu de toute initiative, qu’est partie l’étincelle qui doit régénérer le monde moderne. C’est lui qui, le premier, a compris et appliqué la grande formule de solidarité et de mutualité qui contient la vraie, la seule solution possible du problème social. C’est d’elle que procède ce mouvement immense qui est en train de s’accomplir sur tous les points du territoire, et qui ne fait que commencer. Après avoir entendu le rapport si précis et si lumineux de M. le comte de Rocquiguy, vous avez dû être frappés, comme moi, de l’infinie variété et de la fécondité des œuvres enfantées par l’esprit d’association, et de la souplesse de ce merveilleux instrument des syndicats qui se prête à toutes les combinaisons, à toutes les évolutions du progrès. Quel chemin parcouru depuis le jour où ils n’étaient que de simples intermédiaires pour l’acquisition des semences et des engrais ! Rien ne les effraie ni ne les décourage. Dès qu’un problème se pose, ils en cherchent tout de suite la solution pratique, et ils la trouvent presque toujours[2]. »

Il est probable que les syndicats agricoles arrivent aujourd’hui au chiffre de 2 500, avec plus de 800 000 membres, presque tous chefs de famille, ce qui représente trois millions de personnes affiliées directement ou indirectement. Les syndicats horticoles, d’autres encore, ne figurent pas dans les statistiques officielles ; mais certains syndicats n’ont qu’une existence nominale, et d’aucuns ont disparu sans que leur mort ait été enregistrée.

I Certains syndicats agricoles forment de véritables corps d’armée : tels le Syndicat des Agriculteurs de la Sarthe, 14 000 membres ; le Syndicat central des Agriculteurs de France, 10 000 membres ; le syndicat des Agriculteurs de la Vienne, 9 000 ; celui des Agriculteurs du Loiret, 7 500 ; le Syndicat agricole de l’Arrondissement de Chalon-sur-Saône, 7 000, etc. C’est dans les régions de petite culture, dans les régions viticoles, que l’action syndicale s’exerce le plus largement : ici aussi, l’énergique apostolat des hommes d’initiative transporte les montagnes, et le proverbe grec trouve son application : mieux vaut une armée de cent moutons commandés par un lion que cent lions commandés par un mouton. La Sarthe est le département qui présente le plus grand nombre de syndiqués : 23 376 en 1898 ; viennent ensuite le Rhône, l’Isère, la Vienne, l’Ain.

Au point de vue de leur sphère d’action, on distingue : 1° les syndicats généraux qui s’étendent sur tout le territoire de la France ; 2° les syndicats départementaux ; 3° les syndicats de région ou de canton ; 4° les syndicats communaux. Quant à la nature de leurs opérations, les uns s’occupent exclusivement d’actes coopératifs ; d’autres y ajoutent des œuvres philanthropiques, se font les défenseurs de la profession vis-à-vis des pouvoirs publics, les champions d’une cause ou d’une idée. Il en est qui poursuivent un objet spécial : syndicat des sériciculteurs de France, syndicat des distillateurs agricoles, syndicat des éleveurs de Durham français, syndicat des éleveurs de chevaux en France, syndicat central des forestiers et des sylviculteurs de France et des colonies, syndicat pomologique, syndicat des primeuristes français, etc. Voilà les syndicats généraux à objet spécial. Voici les syndicats locaux à objet spécial : syndicats viticoles, horticoles, betteraviers, laitiers, apiculteurs, syndicats de hannetonnage, contre le maraudage, pour la destruction des corbeaux, syndicats purement ouvriers, etc.

Il convient de mentionner les syndicats fondés sous l’inspiration du clergé ou se rattachant à l’œuvre des Cercles catholiques d’ouvriers : en tête de leurs statuts, sur leurs bannières, ils inscrivent l’idée chrétienne, le sentiment religieux, qui jadis tempéraient l’orgueil et la dureté des vieilles corporations ; ils visent à reconstituer celles-ci en les modernisant. Leurs fondateurs, auxquels on reproche d’être un parti de contemplation historique, prennent cette double devise : Religion et Liberté, Libres à l’entrée, libres à la sortie sont les nouvelles unions de métiers, mais leurs membres auront un idéal autre que la philanthrophie ou l’amour du gain, le lien si intense d’une même foi. Rien de plus intéressant, en un sens, que cette entreprise conduite par des hommes tels que MM. de Mun, Ancel, La Tour du Pin, Harmel ; mais elle ne peut embrasser qu’une sphère d’action limitée, et il semble plus prudent de ne mettre dans l’agriculture ni la politique ni la religion, qui écarteront la masse des indifférens et des dissidens, et qu’on accusera toujours de tendre au principal, de chercher à se faire la part du lion. Commune devise, sérieux efforts pour faire régner la fraternité, améliorer les rapports entre patrons et ouvriers, développer le bien-être matériel et moral par la prévoyance, par l’arbitrage dans les contestations sur les intérêts agricoles, repos du dimanche, assistance aux funérailles des adhérens, tels sont leurs traits distinctifs. Trois catégories de membres : fondateurs ou bienfaiteurs, propriétaires ou chefs d’exploitation, simples associés. À l’instar des confréries, la plupart célèbrent une fête patronale : Saint-Isidore, laboureur, pour les syndicats d’agriculteurs ; Saint-Fiacre, jardinier pour les syndicats horticoles ; Saint-Vincent, vigneron, pour les syndicats viticoles ; d’autres choisissent Saint-Joseph, Saint-Sébastien, Saint-Martin, Notre-Dame des Champs.

L’abbé Lemire, député du Nord, a fondé, dans l’arrondissement D’Hazebrouck, un certain nombre de sociétés agricoles communales, qui s’adressent aux petits propriétaires, fermiers et ouvriers, et se réunissent deux fois l’an en assemblées générales ; celles-ci émettent des vœux et des pétitions sur les réformes législatives et les questions économiques ; la cotisation est de 25 centimes par an. Ces syndicats ne s’occupent pas directement des intérêts matériels, mais ils s’efforcent de réaliser l’union des cultivateurs en constituant un instrument de progrès moral et intellectuel.

À peine formés, les syndicats locaux ont voulu profiter de l’article qui leur confère le droit d’avoir une union syndicale, capable de donner une impulsion et une direction, de coordonner les efforts, de les éclairer et les guider. L’Union centrale des syndicats des agriculteurs, fondée en 1886, grâce à l’initiative de la Société des Agriculteurs de France, avait, au 1er janvier 1900, 936 syndicats affiliés. Service de renseignemens et de consultations, bulletin mensuel, enquêtes, étude des questions économiques qui touchent les intérêts professionnels des agriculteurs syndiqués, examen des questions législatives, fiscales, douanières, pendantes devant le Parlement, facilités pour assurer l’usage du laboratoire de la Société des Agriculteurs de France, efforts multiples pour organiser une représentation effective de l’agriculture, encouragemens à la création de nouveaux syndicats, voilà le champ d’action de l’Union, action théorique plutôt que pratique, puissante toutefois par la force morale qui s’en dégage : d’ailleurs la loi de 1884 permet aux syndicats de se fédérer, mais n’accorde pas aux unions la personnalité civile.

Elles se sont formées cependant, tantôt par départemens, tantôt par régions, celles-ci ayant parfois un caractère plus rationnel que le département, présentant une sorte d’unité au point de vue des mœurs, coutumes, besoins, dialectes et cultures. Notre rural, si individualiste, si réfractai re à l’association (le premier essai qui en ait été fait remonte à la tour de Babel, me disait l’un d’eux), notre rural, après quelques hésitations bien naturelles, a adopté les syndicats, compris que par l’union leur force se multipliait au lieu de s’additionner seulement. Nous avons maintenant dix unions, chacune embrasse un groupe de départemens, et ce groupe forme en général la circonscription d’une ou plusieurs anciennes provinces. La première en date, la première aussi par le nombre et l’influence agissante, l’Union du Sud-Est créée en 1888, recrute ses syndicats dans la Savoie, Haute-Savoie, Ain, Drôme, Isère, Loire, Saône-et-Loire, Rhône, Ardèche et Haute-Loire. — Viennent ensuite : l’Union des syndicats agricoles de la région du Nord, fondée en 1891 pour les départemens du Nord, du Pas-de Calais, de la Somme et de l’Oise ; — l’Union des syndicats agricoles de Normandie, qui siège à Caen, rayonne sur les cinq départemens. de l’ancienne province de Normandie, Seine-Inférieure, Calvados, Orne, Eure et Manche ; — l’Union des syndicats agricoles et viticoles du Centre, qui comprend le Loiret, Eure-et-Loir, Loir-et-Cher, Indre-et-Loire, Indre, Cher et Nièvre : la Nièvre est revendiquée comme mixte par l’Union de Bourgogne et de Franche-Comté qui y possède aussi des syndicats affiliés ; — l’Union des syndicats agricoles et viticoles de Bourgogne et de Franche-Comté, ayant dans sa sphère la Côte-d’Or, l’Yonne, le Doubs, le Jura, la Haute-Saône, la Haute-Marne et le territoire de Belfort ; — l’Union des syndicats agricoles des Alpes et de Provence, dont la circonscription se compose de sept départemens : Basses-Alpes, Hautes-Alpes, Alpes-Maritimes, Bouches-du-Rhône, Gard, Vaucluse, Var ; elle a encore la Corse, l’Algérie, la Tunisie ; l’Ardèche et la Drôme sont mixtes entre cette Union et celle du Sud-Est ; — l’Union de l’Ouest, ou Union d’Anjou, Maine, Vendée, Poitou, s’étend sur les départemens de Maine-et-Loire, Sarthe, Vendée, Vienne, Mayenne et Vendée ; — l’Union des syndicats agricoles et horticoles bretons, groupant les cinq départemens de l’ancienne province de Bretagne : Ille-et-Vilaine, Loire-Inférieure, Morbihan, Côtes-du-Nord, Finistère ; — l’Union des syndicats agricoles du Sud-Ouest, avec les Hautes-Pyrénées, Basses-Pyrénées, Gers, Charente-Inférieure, Charente, Dordogne, Landes et Gironde ; — l’Union des syndicats agricoles du Midi, comprenant onze départemens : Ariège, Aveyron, Aude, Haute-Garonne, Lot-et-Garonne, Tarn, Hérault, Tarn-et-Garonne, Lot, Pyrénées-Orientales et Cantal ; le Lot-et-Garonne, les Hautes-Pyrénées et le Gers, sont mixtes entre cette Union et celle du Sud-Ouest.

Ainsi l’Union centrale englobe toute la France, et les Unions enferment dans leur réseau une région, une ou plusieurs provinces ; quelques départemens restent en dehors de ce groupement, se suffisent à eux-mêmes ou se contentent d’unions départementales, de syndicats isolés, de syndicats sauvages, comme disait le comte de Chambrun. Au 1er janvier 1900, les dix Unions embrassaient soixante-douze départemens, représentant environ 224 000 cultivateurs, presque tous chefs de famille, répartis entre 615 syndicats affiliés : quinze départemens demeuraient en dehors de leur influence.

On peut tenir pour assuré que les plus grands efforts ont été tentés déjà, seront tentés encore pour leur communiquer, s’ils en ont besoin, les merveilleux bienfaits de l’association. Cette loi de 1884 a suscité des énergies, des dévouemens, des talens qui sommeillaient, parce qu’ils ne trouvaient pas leur emploi ; par centaines, par milliers, les hommes de bien sont accourus, heureux de dépenser sans compter leur temps, souvent aussi leur argent, pour le succès d’une idée généreuse, d’une cause qui représente toutes sortes d’intérêts : intérêts matériels, intérêts moraux, intérêts nationaux. La politique, la spéculation, l’industrie, la littérature, la science, l’art, ont leurs colonels, leurs généraux, leurs maréchaux : l’agriculture a les siens, d’une célébrité moins retentissante, moins consacrés par les suffrages de la presse, du public parisien et des Académies, plus profondément connus et appréciés par ce monde agricole qui lui aussi confère à ses héros une réputation digne d’envie, qui embaume leur mémoire dans son fidèle souvenir. Cette grande église contient toutes les petites chapelles, et, derrière ce drapeau marchent des soldats qui, à côté de la terre, reconnaissent d’autres divinités : je pourrais citer des grands, des petits propriétaires, des fermiers, de simples ouvriers appartenant à toutes les opinions, que cette passion, bien conduite, guidée vers l’idéal de la mutualité, a exaltés jusqu’au sentiment le plus noble du devoir, en les révélant à eux-mêmes et aux autres. Ainsi, tout en luttant avec un courage intelligent pour conserver ou agrandir leur domaine, sont-ils devenus de précieux serviteurs de la chose publique. Que leur réputation n’ait point dépassé les limites d’un canton, ou qu’elle ait rayonné sur le pays tout entier et traversé nos frontières, elle s’élance des sources les plus pures, et concourt à la grandeur de la patrie, les vertus de l’individu, les vertus de l’association se multipliant en quelque sorte par les vertus de la terre. La vie rurale a déjà son livre d’or, et si nombreux, dès les premières pages, se pressent les noms des inscrits que pessimistes, incertains, optimistes y trouvent de puissans motifs de consolation et d’espérance, des argumens qui ébranlent leurs doutes ou fortifient leur confiance dans l’avenir de la France.


XI. — L’ACTION DES SYNDICATS AGRICOLES

Les organisateurs des syndicats ne sont pas des abstracteurs de quintessence sociale, ni des assembleurs de nuages : ils n’ignorent point qu’en agriculture comme en industrie, le temps vaut de l’argent ; mais ils avaient compris la nécessité de ne rien brusquer, de courir au plus pressé, en commençant par le commencement, en procédant du simple au composé, du facile au difficile. Et c’est pourquoi ils prirent pour premier champ d’action l’achat des engrais chimiques. C’est là une des industries les plus sujettes à la fraude, et que la loi du 4 février 1888 a essayé de réprimer. Phosphates garantis, contenant 80 p. 100 de sable et d’argile ; noir animal qui n’était qu’un mélange de tourbe pure ou de poudre de schiste ; phospho-guano mirifique, vendu 18 francs les 100 kilogrammes et valant 2 fr. 50 au maximum, on n’en finirait pas d’énumérer les ruses indélicates de certains fabricans plus dignes du titre de chevaliers d’industrie que de celui d’industriels. Mêmes dangers pour les semences : substitution de variétés nuisibles ou de qualités secondaires aux variétés de première qualité ; addition de graines artificielles fabriquées avec du sable et du quartz coloré au moyen de sels de chrome et de cobalt, etc. L’agriculteur ne pense guère à faire analyser, et le marchand l’en empêchait souvent en stipulant que la prise d’échantillon aurait lieu à la gare de départ. En face du syndicat, la scène changea complètement : celui-ci traitait de puissance à puissance avec le fabricant, le contraignant à accepter des conditions de vente et de livraison qui permettaient le contrôle, opérant l’analyse, exerçant au besoin des poursuites.

La question des engrais avait une importance capitale pour nos cultivateurs, obligés de produire sur une terre vieille de deux mille ans, de subir la concurrence des terres vierges de l’Inde et de l’Amérique. Choisir des maisons irréprochables, supprimer des intermédiaires parasites, augmenter les rendemens pour une même somme de frais généraux, initier les agriculteurs à l’emploi raisonné des engrais, voilà le premier résultat obtenu. Du seul fait de leur intervention, les syndicats suppriment pour leurs adhérens les commis-voyageurs en engrais, une des plaies de l’agriculture. Par le syndicat isolé, le paysan achète au prix du demi-gros ; par l’union des syndicats, il obtient le prix du gros : le voilà donc, pour cette question capitale, sur le pied du grand cultivateur de tous les pays. C’est l’application féconde du principe d’économie et de sûreté par l’achat collectif, par la coopération. Mille moyens, un seul but : les procédés des syndicats varient suivant les régions, les cultures, les mœurs des populations. Ceux-ci provoquent les commandes à des intervalles réguliers, concluent ensuite des marchés de gré à gré avec des fournisseurs connus ; ou bien ils organisent une adjudication au rabais sur soumissions cachetées, avec des garanties sérieuses ; ensuite ils prennent livraison des marchandises, vérifient les dosages, opèrent la distribution entre les membres syndiqués. Ceux-là préfèrent le système des prix de vente applicables aux divers produits ; d’aucuns, pour tenir compte des besoins des retardataires, se réservent le droit d’augmenter, dans certaines proportions, les fournitures qui font l’objet du marché ; d’autres recourent au procédé des achats fermes, achètent en prévision des besoins, et conservent dans leurs dépôts les marchandises qu’ils mettent à la disposition de leurs membres. Quelques grands syndicats ont créé des dépôts dans les petites villes pour assurer aux adhérens l’avantage de l’achat en gros presque sans se déplacer : ainsi le Syndicat des agriculteurs de la Sarthe ne comptait pas moins de 68 dépôts en 1900 ; celui de la Vienne, 70.

Dans les achats de prévision, le rôle du syndicat mandataire a pu être comparé à celui d’une simple boîte aux lettres interposée entre l’acheteur et le vendeur. Les grands syndicats fabriquent eux-mêmes, dans leurs magasins, les engrais composés que réclament les adhérens.

En général, les syndicats n’acceptent pas la responsabilité des engagemens pris et des commandes : aussi le fournisseur doit-il faire traite sur chaque acheteur, mais les factures sont vérifiées et visées par le bureau du syndicat. Et voici un des prodiges de l’institution : presque jamais la traite ne revient protestée, faute de paiement à l’échéance ; d’ailleurs un membre qui ne ferait pas honneur à ses engagemens serait rayé de la liste du syndicat. Le paysan français a acquis les habitudes commerciales, cette probité de l’exactitude précise qui semblait répugner si fort à cette race rurale aux yeux de laquelle le temps n’a pas une valeur rigide, car elle ne le mesure pas avec cette sorte d’angoisse qui étreint les habitans des villes, elle ne compte pas à la minute, à l’heure, au jour ; elle dit volontiers : la semaine prochaine, plus tard, sent vaguement que les années conspirent avec elle. Et l’on comprend que son génie, fait de patience, de lente persévérance, d’esprit traditionnel, plus près des lois éternelles de la nature, accepte moins facilement les lois passagères des parlemens, les dates inflexibles.

Les semailles attendent, la récolte attend, le bétail attend, le propriétaire attend au besoin ; le chemin de fer, le fournisseur du syndicat n’attendent pas ; notre cultivateur a accepté leurs exigences, et c’est là une excellente préparation au crédit agricole.

Diminution de prix qui s’élève parfois jusqu’à 40 et 50 p. 100, augmentation parallèle de la consommation, économie pour le cultivateur, moralisation de la vente des engrais, extension des avantages de la grande propriété à la petite et à la moyenne culture, grands syndicats devenus les régulateurs du tarif des engrais, voilà les résultats de cette révolution économique. Ou évalue l’importance annuelle des achats coopératifs à deux cents millions de francs : vingt-cinq syndicats font, en bloc, un chiffre d’affaires d’environ 23 millions de francs. On ne déclare la guerre à personne : quand un consommateur s’aperçoit qu’il paie trop cher le vin à la bouteille, et quand il l’achète moins cher et meilleur à la pièce, le détaillant n’a nullement le droit de se plaindre. Le commerce honnête trouve sa meilleure clientèle parmi les syndicats agricoles : ainsi les syndicats agricoles de la Côte-d’Or commandent douze millions de kilogrammes d’engrais à deux usines locales qui ne vendent que trois millions de kilos aux acheteurs non syndiqués. Et quant aux intermédiaires parasites ou véreux, on nous permettra de ne pas nous apitoyer sur leur sort ; un de mes amis, à propos d’eux, me rappelait la réponse de d’Argenson au protecteur d’un pauvre diable, alléguant : « Il faut bien que tout le monde vive ! — Je n’en vois pas la nécessité ! » D’ailleurs rien ne les empêche de vivre, ces parasites ; les fermes, les terres en friche abondent, qui donneront du pain, du bétail, des pommes de terre aux laborieux ; qu’ils les occupent d’abord, et, quand il n’y en aura plus, il y en aura encore, puisque nous possédons des colonies sans colons, avec des millions d’hectares qui attendent la collaboration de l’homme. Ce n’est pas la terre qui manque à l’homme, c’est l’homme qui manque à la terre. Mais aux paresseux le pain tout gagné semble meilleur que l’autre. Ils ont poussé des cris d’orfraie, et tout d’abord entraîné avec eux les producteurs et négocians sérieux qui craignaient qu’on ne voulût pousser à l’extrême les rabais : ceux-ci luttèrent avec habileté, réclamant qu’on assujettît les syndicats à la patente, organisant les ententes entre producteurs qui s’engageaient à ne pas vendre en dessous d’un cours déterminé, traitant avec les agriculteurs non syndiqués aux mêmes conditions qu’avec les syndicats. Et la bataille continue, bien que beaucoup aient compris leur véritable intérêt. Donnez en effet au producteur la facilité d’écouler rapidement ses marchandises, la certitude d’un prompt remboursement, vous lui procurez un bénéfice énorme dont il doit trouver légitime d’abandonner une partie à qui lui permet de le réaliser.

L’outillage agricole démocratisé, popularisé, facilitant une culture plus intensive et plus rémunératrice, est aussi par excellence un bienfait de ces syndicats agricoles que les collectivistes poursuivent de leur haine bien naturelle ; car l’association libre demeure le contrepoison de leurs doctrines. Concours spéciaux, essais publics, remises, subventions, primes, récompenses, ont reçu une nouvelle impulsion par cette propagande, par l’acquisition, pour un usage commun successif, des machines que l’élévation de leur prix ou leur emploi peu fréquent rendaient inabordables au petit cultivateur. Charrues défonceuses, faucheuses et moissonneuses, semoirs, houes à cheval, scarificateurs, alambics, trieurs, hache-paille, moulins à farine, pulvérisateurs, pressoirs mobiles à vendanges, égrappoirs, fouloirs, etc., sont placés dans les dépôts organisés par le syndicat, loués pour un prix minime, quelquefois même prêtés gratuitement aux adhérens : au besoin, on leur montre la manière de s’en servir. Dans la Manche, les instrumens sont répartis en deux classes : instrumens ambulans et instrumens stationnaires dans les dépôts où les syndiqués peuvent les utiliser sans déplacement. Le syndicat agricole du canton de Delle (Haut-Rhin) possède dix-neuf trieurs. Quelques syndicats ont un matériel de battage perfectionné qui fonctionne dans des conditions déterminées par un règlement spécial, et produit une économie considérable.

Il est des syndicats qui ont trouvé le moyen de ne pas acquérir un matériel coûteux tout en procurant les avantages de celui-ci à leurs adhérens ; ils ont conclu des traités, soit de gré à gré, soit par adjudication, avec des entrepreneurs spéciaux, qui consentent des remises sur leurs tarifs ordinaires.

L’achat d’un outillage agricole se fait par l’emprunt, parfois aussi avec le patrimoine propre du syndicat, ou grâce à des subventions officielles et donations particulières : M. Eugène Rostand, membre de l’Institut, a obtenu de précieux résultats dans les Bouches-du-Rhône, en mettant à la disposition des syndicats une partie des bonis de la Caisse d’épargne qu’il préside ; les économies des agriculteurs alimentent cette Caisse, il les leur rend d’une manière avantageuse pour eux et pour elle ; l’Œuvre de l’outillage agricole, installée par lui en 1893, n’a plus cessé de prospérer. Et la loi du 20 juillet 1895 a consacré cette initiative, en autorisant les Caisses d’épargne à favoriser les syndicats agricoles par des prêts faits sur les bonis annuels et les revenus de leur fortune personnelle[3].

Les syndicats dits d’Industrie agricole, ayant pour unique objet l’achat et l’usage en commun de bons instrumens de culture, combinent ingénieusement la coopération et le crédit, fonctionnent grâce au concours d’une caisse rurale établie dans le voisinage, en général dans la commune rurale : chaque membre peut utiliser l’outillage, le prix de location paie l’entretien, les intérêts et l’amortissement du capital emprunté. Fondés en 1897 par le Syndicat agricole pyrénéen, ils possédaient, deux ans après, quinze trieurs à blé, trois batteuses à vapeur, onze défonceuses à manège, des faucheuses, des houes à cheval, etc. On rencontre surtout ces syndicats dans les Bouches-du-Rhône, la Meuse, la Meurthe-et-Moselle, le Jura, le Nord, le Loiret, le Lot-et-Garonne.

La solidarité syndicale a eu aussi de très heureux effets pour l’entretien et l’amélioration du bétail ; il a contribué à en accroître la valeur et la production par l’achat collectif des fourrages, pailles, sons, tourteaux, sels dénaturés, tourbes pour litière, etc. Ainsi, pendant cette terrible sécheresse de 1893, certains syndicats ont facilité la conservation des animaux, en s’approvisionnant même à l’étranger. Les syndicats des régions viticoles passent des marchés dans les pays de production fourragère, avec d’autres syndicats agricoles, avec des particuliers ou avec le commerce. Ainsi, le syndicat de Narbonne, le syndicat de Montpellier et du Languedoc, ont, en 1894, acheté, le premier pour 500 000 francs, le second pour plus d’un millier et demi de fourrages, pailles, grains et tourteaux.

La Suisse et la Belgique nous donnent un excellent exemple, peu suivi jusqu’à présent, avec les syndicats d’élevage qui appliquent le principe coopératif à l’industrie du bétail ; mais nombre de syndicats emploient des moyens qui remédient à cette lacune : achat de reproducteurs choisis et revendus aux enchères, ou cédés de gré à gré aux seuls adhérens, stations de monte, importation de génisses de race pure, établissement du système des primes d’approbation, création de Stud-books destinés à vérifier la race. Le syndicat agricole de Bourg organise des concours de taureaux, des achats de veaux à sevrer, des expositions de volailles vivantes, des concours de tenue de basses-cours. Le syndicat de Chalon-sur-Saône, présidé par M. Prosper de l’Isle, a importé en 1899 quatre-vingts animaux de race bovine fribourgeoise, et un étalon du Perche, inscrit au Stud-book percheron. Fondé en 1893, et énergiquement présidé à ses débuts par M. de Léobardy et M. Jarrit-Delille, le syndicat de la race bovine limousine compte des associations et des membres affiliés dans six départemens, organise des concours spéciaux, alloue des primes, élargit les débouchés de la race limousine qu’il veut maintenir pure de tout croisement, et améliorer par une judicieuse sélection. Le syndicat agricole du canton de Saint-Amant-de-Boixe (Charente) a créé une caisse mutuelle peur l’élevage, véritable société coopérative qui répartit les bénéfices réalisés entre les adhérens : les fonds sont consacrés à l’achat d’animaux qui appartiennent à la caisse, l’éleveur demeurant tout à la fois le mandataire et le colon partiaire de l’association : lors de la vente des animaux, les bénéfices, après le prélèvement du prix d’achat, sont pour un tiers attribués à la caisse, pour les deux tiers à l’éleveur : quant aux bailleurs de fonds, ils touchent un dividende de 4 à 5 p. 100, selon les années.

Parmi nos principales industries agricoles, la viticulture doit tout spécialement rendre grâces à l’action des syndicats. Engrais spéciaux pour la vigne, sucres pour vendanges, acide tartrique, achat collectif des machines, des bois américains et des plants greffés, pépinières de pieds-mères, cours et concours de greffage, inspection des vignes des syndiqués, enseignement des connaissances techniques et pratiques nécessaires pour lutter contre les maladies de la vigne, conférences, congrès, excursions viticoles dans les vignobles renommés, stations œnologiques, répression de la fraude dans la vente des vins, expositions, — rien ne semble avoir été négligé, et bientôt, sans doute, nous verrons se répandre dans nos provinces les Winzervereine des provinces rhénanes, les Sociétés vinicoles de la Suisse, et les Cantine sociali de l’Italie qui pratiquent la fabrication collective par l’apport des raisins à un pressoir commun. Le syndicat régional agricole de Cadillac et Podensac, le syndicat agricole de la Haute-Garonne, le syndicat des viticulteurs des Charentes, le syndicat professionnel agricole du Gard, l’Union des syndicats de colons des vignes à complant et agriculteurs de la Loire-Inférieure[4], le syndicat de la Côte dijonnaise, se sont signalés dans cette surenchère de dévouemens féconds. Dans la région du Beaujolais, l’achat des plants américains était entouré de précautions minutieuses : marchés provisoires avec les pépiniéristes du Midi, visite de délégués experts en septembre aux pépinières achetées, nouvelle visite en décembre, la taille, le triage des bois, faits en présence des délégués : l’un d’eux assistait aussi au départ des cépages, cadenassait lui-même le wagon dont il envoyait directement la clef à l’agent du syndicat destinataire. C’est ainsi qu’on a livré aux adhérens des millions de mètres de bois de greffage, très pur, très authentique, avec une réduction de 25 pour 100 sur les prix du commerce local.

Il n’a pas suffi aux syndicats d’avoir résolu le problème de l’achat en commun, ils ont aussi tenté la vente en commun des produits agricoles, tâche que la nature même des choses rend bien autrement compliquée, car il n’y a pas de liaison assez réelle entre la demande et l’offre des marchandises ; les acheteurs ne manquent pas, mais la livraison n’est pas certaine, les agriculteur hésitant à abandonner leurs anciens débouchés. Répartir les ordres reçus, grouper les marchandises, vérifier la qualité, organiser en un mot la livraison, tout cela présente les plus grandes difficultés pour le syndicat qui ne peut offrir qu’une garantie toute morale, sans recours efficace, si les marchandises sont de qualité inférieure. « Le syndicat a moins de prise sur l’ensemble du marché que sur le groupe formé par ses adhérens, son action est moins efficace et plus lente ; ce qui s’explique parce que le champ de cette action lui est extérieur, et, en quelque sorte, étranger. » Et cependant, de graves raisons commandent de rompre le cercle magique où se débat l’agriculture. Rapprocher le producteur du consommateur, réduire le nombre des intermédiaires qui les rançonnent en faisant payer cher au second des produits que le premier a vendus bon marché, déjouer les manœuvres de la spéculation qui fausse les cours des marchés, et devient un véritable danger public, européen et mondial, n’est-ce pas une question vitale, peut-être même la question sociale par excellence ? Si le problème n’est pas encore résolu, ce n’est pas faute d’y songer. En attendant, la vente directe aux consommateurs a surtout réussi pour des produits spéciaux à certaines contrées et ne rencontrant qu’une concurrence restreinte : alors le syndicat agit par la publicité, les renseignemens et le courtage gratuit dont bénéficient ses adhérens ; aussi préfère-t-il s’adresser à un groupement déjà formé, à d’autres syndicats par exemple.

Le comte de Rocquigny rapporte que, dans l’Hérault, les Pyrénées-Orientales, l’Aude, des syndicats placent des vins garantis naturels, en envoyant des échantillons, et d’après un roulement déterminé entre les syndiqués par le sort ; de même en Normandie, en Bretagne, pour les cidres, pommes à cidre, beurres de table et fromages frais qu’on expédie facilement par colis postaux de dix kilos. D’autres syndicats vendent des huiles d’olive, des chevaux, des bestiaux limousins et cotentins, des porcelets de race craonnaise, des semences, des cocons, du lait, de la fleur d’oranger, des légumes en primeur, des fruits frais ou secs, des fleurs coupées. Le syndicat des agriculteurs de la Manche place cidres, grains, pailles, bestiaux, pour 150 000 francs par an. Le commerce et l’industrie ont besoin de trouver des lots uniformes de produits, ou de matières premières, sans frais de déplacement et de courtage : les syndicats peuvent les livrer en quantité considérable. Leur participation aux marchés publics a donné lieu, en 1890, à un essai de vente en commun : le syndicat de Romorantin a entrepris cette vente pour les primeurs, telles que pommes de terre, asperges, haricots, et il l’a organisée d’une façon fort ingénieuse sur le marché de Paris : Une commission des ventes, des marchés fixes passés par cette Commission, sa surveillance, sa responsabilité dans les livraisons, une exacte administration, ont permis un bénéfice de 30 pour 100 sur les cours des années précédentes.

Afin de suppléer à l’insuffisance de leurs moyens d’action, beaucoup de syndicats ont créé des rouages ou organismes spéciaux, qui tantôt, possèdent une autonomie propre, deviennent sociétés coopératives de production et de vente, mais, le plus souvent, demeurent sous le contrôle du syndicat, et, renseignant ses membres, s’entremettant entre ceux-ci et les consommateurs, centralisant les offres, facilitent la vente des produits. Un agent ou courtier responsable, accrédité par le bureau du syndicat, gère ces offices de vente. Parmi les plus florissans au début, il convient de nommer celui de Fleurie (Rhône) organisé par l’Union Beaujolaise, qui compte 6 000 viticulteurs : les ordres des cliens, transmis à l’office, sont exécutés à la propriété même, où l’on soutire le vin sous le contrôle du syndicat qui garantit l’origine en apposant sa marque sur le fût ; il publie des prix courans et organise des expositions collectives ; et l’on ne peut que désirer de voir ces rapprochemens entrer dans les habitudes du consommateur, car celui-ci continue de payer son vin beaucoup trop cher au commerce[5]. Que de fois n’ai-je pas entendu ce dialogue avec de très honnêtes négocians de la Bourgogne ou du Bordelais qui se plaignaient eux aussi de la dureté des temps ! « Mais combien payez-vous la barrique (228 litres) au propriétaire ? — Quatre-vingts, quatre-vingt-dix, cent francs. — Et combien la revendez-vous au consommateur ? — Cent quarante à cent quatre-vingts francs ; nous soignons le vin deux et trois ans, et nous avons de grands frais. » Rien de plus vrai, mais le syndicat agricole pourrait vendre le même vin, soigné pareillement, fait aussi avec du raisin et du soleil, vingt-cinq ou trente francs de moins ; et il importe que le consommateur sache cela, il importe qu’on le proclame, qu’on le répète sur tous les tons, car l’acheteur est un animal d’habitude, me disait-on, un être de routine, qui craint les physionomies inconnues des choses et des personnes, et qui a besoin d’être averti, rassuré, confirmé cent fois avant de modifier ses erremens. Il faut donc que dans cette conjoncture le syndicat lui offre toute garantie, que les produits soient toujours excellens, sans quoi le consommateur quitterait bien vite la nouvelle route et reviendrait au vieux chemin battu, accrédité par un long usage. Tartarin de Tarascon avait doubles muscles, le syndicat doit avoir double loyauté, exercer double surveillance, inspirer double confiance ; le paradis est toujours à perdre.

Le syndicat des propriétaires et fermiers de Toulon, Ollioules et environs, a pour objet la production et la vente collective des oignons à fleurs, qu’il expédie à l’étranger, surtout en Allemagne et en Angleterre. Les producteurs syndiqués de Plougastel-Daoulas, qui affrètent des bateaux pour le transport des fraises en Angleterre, ont ainsi vu doubler leurs bénéfices. Ceux de Gaillon ont aussi obtenu des résultats très satisfaisans en abordant directement les marchés anglais ; les prunes, les cerises, les poires sont les principaux fruits ainsi exportés. Quelques membres du syndicat on fait les avances nécessaires pour l’acquisition du matériel d’emballage, sièves, cageots, etc. Un agent du syndicat contrôle les colis à la gare, délivre une fiche à chaque expéditeur ; celui-ci ne sait pas où ses fruits seront vendus, c’est l’affaire du syndicat, mais, la semaine suivante, il reçoit régulièrement le prix de sa vente, et celle-ci est toujours bonne. Le bureau du syndicat choisit les marchés les plus favorables, d’après les dépêches qu’il reçoit chaque jour, il discute, bataille avec les Compagnies de chemins de fer pour assurer la régularité des livraisons, et obtenir des réductions de frais de transport ; et ce n’est pas là une simple sinécure, mais le succès, toujours grandissant, le récompense de ses peines. Ces efforts intelligens ont un autre résultat : ils rattachent l’homme à la terre, augmentent la valeur de celle-ci. C’est un producteur syndiqué qui répondait devant moi à un mauvais conseiller : « Vendre ma terre, ce serait comme vendre mon père et ma mère, et moi-même dans tout mon passé ! » Et c’est au syndicat agricole du Comtat (Carpentras) qu’il faut attribuer la prospérité de la culture des fraises dans le département de Vaucluse : avant lui, les fraisiculteurs ne connaissaient d’autre débouché que les Halles centrales de Paris ; mais, s’arrogeant un monopole du triage et de la revente sur les places étrangères, les commissionnaires exportateurs des Halles bénéficiaient sans scrupule de la différence des cours. Après de longues négociations conduites avec une persévérance habile par M. Georges Maurin, la Compagnie Paris-Lyon-Méditerranée et la Compagnie du Nord accordèrent un service de transport rapide, permettant l’exploitation directe ; à Londres, une maison de commerce. Draper and Son, consentit à représenter le syndicat, et accrédita un représentant spécial à Carpentras. En 1898, les expéditions de fraises sur Londres atteignaient le chiffre de 350 000 kilos ; un nouveau centre commercial, qui s’étendit aux autres primeurs de la région, fut ainsi créé, le danger de la surproduction évité, un bénéfice très appréciable réalisé : le syndicat agricole du Comtat, devenu membre correspondant de la Chambre de commerce française à Londres, contrôle les mouvemens du marché anglais.

Un très grand succès obtenu, dans cet ordre de phénomènes économiques, est celui des syndicats de Roquevaire, Lascours, Cuges et Solliès-Toucas, qui ont organisé le plus complètement et le plus heureusement la préparation en conserves et la vente collective des câpres, puis des abricots, que leurs adhérens vendaient autrefois à des négocians spéciaux : le plus complètement, parce que le bénéfice résulte du partage global des revenus de l’association ; le plus heureusement, parce qu’ils ont réagi contre la baisse qui ne cessait de s’accentuer, et parce que la transformation industrielle faite en commun accroît la valeur marchande des produits livrés[6]. Les bénéfices sont répartis entre les syndiqués au prorata de leurs livraisons et en tenant compte de la qualité, car les câpres sont classées en six qualités, non-pareilles, surfines, capucines, capotes, fines et mi-fines : et ceci constitue une prime à la bonne exploitation des caprières et à l’habileté de la cueillette. Le syndicat a su se créer une importante clientèle d’acheteurs directs en Allemagne, Suède, Norvège, Belgique, Hollande, Russie, Angleterre et Amérique. En 1895, le syndicat de Roquevaire a vendu aux épiciers en gros, pâtissiers, confiseurs, quatre cent mille kilogrammes de pulpe d’abricot ; il accorde à ses courtiers spéciaux une commission de 3 pour 100 ; les frais de fabrication s’élèvent en moyenne à 14 francs les cent kilos, le produit se vend 24 à 26 francs, et l’on estime de 30 à 40 pour 100 le bénéfice qui résulte de ce système[7]. Voilà un argument précieux en faveur des sociétés coopératives de production, et de la vente collective : un argument qui, dans une certaine mesure, explique cet aphorisme de P.-J. Proudhon : « Le XXe siècle ouvrira l’ère des fédérations, ou l’humanité recommencera un purgatoire de mille ans : le vrai problème n’est pas en réalité le problème politique, c’est le problème économique. »


XII. — L’ŒUVRE SOCIALE ET MORALE DES SYNDICATS AGRICOLES

Les circulaires ministérielles ressemblent à certains traités diplomatiques : il faut souvent lire ce qui n’est pas écrit pour les comprendre, et leur appliquer une foule de sous-entendus. Le gouvernement prescrivait, en 1884, à ses préfets, de témoigner les plus grands égards aux syndicats, de leur servir de conseillers, de collaborateurs dévoués : mais, lorsque certains ministres virent quel parti l’agriculture tirait de cette loi, ils parurent éprouver un sentiment assez voisin de la mauvaise humeur, et cette mauvaise humeur se traduisit par une conduite qui permettait de se demander s’ils n’avaient pas deux poids et deux mesures. La formation de certains syndicats agricoles rencontra des entraves regrettables : contre toute évidence, des journaux plus ou moins officieux, un ministre de l’Intérieur, les accusèrent d’être des comités politiques déguisés. Faut-il voir un prolongement de cet état d’esprit dans certaine loi qui soumet à la patente les syndicats, dans une tendance fâcheuse à favoriser les sociétés qui votent bien ? Il est vrai que M. Louis Barthou, rapporteur d’un projet qui modifie la loi du 21 mars 1884, demande, au nom de la Commission du travail, la capacité la plus large pour les syndicats professionnels, le droit d’acquérir, à titre gratuit et à titre onéreux, des meubles et des immeubles : même il veut qu’on admette les personnes exerçant une profession libérale, les ouvriers qui ont cessé de pratiquer le métier auquel se rattache le syndicat, les employés de l’Etat, des départemens et des communes, lorsqu’ils ne détiennent aucune portion de la puissance publique. Et, bien que plusieurs modifications préconisées dans le remarquable rapport de M. Barthou semblent fort contestables, on peut espérer que l’agriculture n’en souffrira pas, et que ses défenseurs ne la laisseront ni oublier. ni sacrifier. Du moins n’ergotera-t-on plus comme faisaient certains casuistes empressés à interpréter les textes dans leur sens le plus étroit. « La loi, disaient-ils, exige une profession ou un métier ; or, être propriétaire de terres qu’on loue à prix d’argent, ce n’est ni une profession ni un métier. » Le gouvernement encourageait les professeurs d’agriculture, qui n’ont pas un sou vaillant dans nos départemens, à faire partie des syndicats pour les guider, sans doute aussi pour y contrebalancer l’influence de personnes moins dociles à ses désirs. Et voilà un propriétaire qui, soit par lui-même, soit par ses ancêtres, a rassemblé des terres, formé un corps d’exploitation : ii livre cet instrument de travail à un fermier, et vous refuseriez de le ranger dans la classe des producteurs agricoles ! Mais ne fait-il pas acte de propriétaire, quand il surveille l’exécution de son bail, contribue aux marnages, aux drainages, à la conversion des terres en prairies, embellit son jardin ? On raconte qu’un candidat interrogé en 1848 sur sa profession, s’avisa de répondre : ouvrier notaire. Un autre se disait ouvrier de la pensée. Le mot avait un sens profond : ne sommes-nous pas, tous ou presque tous, les ouvriers de quelque œuvre, et, après la trop longue déchéance du travail manuel, ne serait-ce pas une singulière revanche de lui conférer des privilèges, une sorte d’aristocratie ? Le propriétaire d’aujourd’hui, c’est l’ouvrier d’hier qui a peiné, qui a épargné : l’ouvrier, c’est le propriétaire de demain, s’il fait de même.

En entrant dans les syndicats, les adhérens laissent à la porte leurs opinions politiques, comme ces nobles d’autrefois qui, lorsqu’ils voulaient faire du commerce à l’étranger, consignaient leurs titres au greffe du parlement, et ne les reprenaient qu’au retour. On serait fort mal venu sans doute à chercher noise aux membres des syndicats ouvriers au sujet de leurs théories avancées, et, sans aboutir à une espèce d’inquisition, comment soumettre à une sorte d’examen de conscience ceux qui invoquent la liberté d’association ? Il semble que ces vérités élémentaires ne devraient pas avoir besoin d’être répétées, mais l’esprit de parti est un Procuste qui couche fort mal la justice, et la politique d’exception, toujours habile à trouver des prétextes qui autorisent la licence pour ses amis et l’arbitraire contre ses ennemis, fait songer à cette réponse d’un ministre, devenu autoritaire par la grâce subite de son portefeuille, auquel on demandait compte de ses anciennes doctrines : « La liberté, je la défendrai toujours dans l’opposition. »

Après les hommes politiques, mais d’une autre manière, certains comices agricoles s’étaient émus de cette rapide éclosion des syndicats ; mieux armés par la loi, moins platoniques, plus agissans, ceux-ci pouvaient élever le conflit, ériger autel contre autel, attirer à eux les forces vives de l’agriculture, en réduisant les vieux comices au rôle de rois fainéans. Les défenseurs des intérêts ruraux n’ont eu garde de se heurter à cet écueil, et se sont appliqués à souder le présent au passé, en mariant les jeunes syndicats aux antiques associations, en empêchant le choc des jalousies et des ambitions humaines. Les deux institutions ne sont-elles pas attelées au même char, ne tirent-elles pas dans le même sens ? Tantôt les comices se transforment en syndicats, tantôt le bureau du comice devient en partie le bureau du syndicat. La politique des concordats n’est-elle pas la meilleure pour les sociétés, comme pour les individus et les puissances laïques ou religieuses ?

On a vu l’hostilité des socialistes, la méfiance ombrageuse d’une partie du commerce honnête, la haine des parasites véreux qui rappelle le mot cité par Chamfort : « Ils craignent la publicité comme les voleurs craignent les réverbères. » Ajoutez-y la phalange, toujours considérable, des sceptiques, des routiniers, des gens superficiels ou paresseux qui ment pour se dispenser de s’éclairer, et répètent les formules toutes faites. Ainsi les uns reprochent aux syndicats de ne rien faire, les autres de trop faire, ou de sortir de leurs attributions ; ceux-ci craignent qu’ils ne deviennent les régulateurs du marché, et ne ramènent les bénéfices exagérés à un chiffre raisonnable ; ceux-là redoutent l’examen, l’analyse consciencieuse du syndicat qui dévoilerait leurs… indélicatesses : comment ne le détesteraient-ils pas, puisque chaque recrue faite par lui leur enlève un client, une dupe ?

Oui, certaines gens accusent les syndicats de ne rien faire. Ce sont de ces griefs qu’on pourrait réfuter par un sourire ou un haussement d’épaules ; les syndicats vont de l’avant, un de leurs présidens me disait gaiement : « Les chiens aboient, la caravane passe ; j’ai passé. » Ils ont passé, et il convient de relever les nouvelles traces de leur passage, car, semblables à l’explorateur d’un pays inconnu, ils laissent des points de repère, des postes, des établissemens, dérouillent les intelligences, plantent le drapeau du progrès dans des régions jusqu’alors inexplorées, défrichent des âmes, prennent possession de celles-ci au nom de la science, du bonheur général.

Pour faire court, j’invoquerai un exemple décisif, celui de l’Union du Sud-Est, exemple qui a rencontré de nombreux imitateurs, et qui suscite tous les jours de nouveaux émules.

Fondée en 1888, elle groupe, en 1906, trois cent quarante syndicats qui comprennent plus de 85 000 adhérens, et se répartissent sur dix départemens dont Lyon est le centre. Par rapport aux rentiers du sol, pour employer la formule de Chevallier, le nombre des travailleurs du sol dans les syndicats communaux, s’élève à 93 p. 100. C’est l’Union qui organise en 1894 à Lyon le premier congrès des syndicats agricoles, grâce auquel ceux-ci prennent conscience de leur force et « se révèlent à eux-mêmes ; » ses vœux servent à la préparation de plusieurs lois nouvelles : par ses soins, quatre boucheries sont ouvertes à Lyon, et ces boucheries prospèrent. Elle adjoint à son office une société coopérative pour l’achat et la vente de toutes sortes de produits, société à capital variable, civile, ne traitant qu’avec les adhérens, et qui, avec un capital de cent mille francs, a fait en moins de sept ans 9 515 471 francs d’achats, réparti ou mis en réserve près de cinq fois son capital ; elle intéresse à l’œuvre le personnel salarié, crée à son profit une caisse des retraites[8]. La coopérative, en dehors des économies qu’elle a fait réaliser directement ou indirectement, a, d’après le compte-rendu de 1903, distribué aux syndicats unis 282 250 fr. 75, placé aux réserves ou aux comptes spéciaux de garantie 110 465 fr. 05.

L’Union s’occupe de l’enseignement professionnel : publication d’un Bulletin mensuel tiré à 32 500 exemplaires ; almanach annuel de deux cents pages environ avec gravures, vendu dix centimes, tiré à 100 000 exemplaires ; (la plupart des syndicats le distribuent gratuitement) comité de législation et de contentieux avec consultations gratuites aux adhérens ; conférences aux adultes, éducation agricole des enfans, programmes d’enseignement adressés aux instituteurs de toutes les communes rurales. À ceux-ci, lorsqu’ils en expriment le désir, on envoie des examinateurs chargés de faire subir aux élèves des examens pratiques qui, passés avec succès, procurent un certificat d’études primaires agricoles pour le premier degré, et un diplôme pour le second degré ; ce diplôme donne le droit de prendre part à un concours pour l’obtention d’une demi-bourse dans l’une des écoles pratiques d’agriculture de la région.

En 1901, les jurys de l’Union faisaient passer 2 244 examens, 1 854 en 1902, 1 292 en 1903. Dans la plupart des départemens, les instituteurs de l’État reçurent l’ordre de ne pas envoyer leurs élèves devant ces jurys ; presque seules les écoles libres fournissaient le contingent, et leur fermeture va sans doute porter un coup terrible à cet enseignement agricole qu’il avait fallu créer de toutes pièces, et qui donnait déjà d’excellens résultats. Cependant le nombre des candidats aux examens agricoles du 1er et du 2e degré a été de 873 et de 301 en 1905 : la charité, l’amour du bien public, semblent devoir ici réaliser des miracles : « Il y aurait, dit un moraliste, de quoi faire bien des heureux avec tout le bonheur qui se perd dans ce monde ; » et aussi, peut-on ajouter, avec l’abnégation, le courage, le talent qui se perdent. Eh bien ! ils trouvent ici leur emploi ; les hommes fléchissent trop souvent, les femmes sont entrées en scène, et leur effort, pour n’être pas toujours dirigé avec l’ordre, la méthode et le sentiment du possible, n’a pas été stérile. Dans le Beaujolais et ailleurs, des femmes d’élite ont organisé des ouvroirs où elles enseignent la couture et les choses de la terre ; tant et si bien qu’elles reconstituent dans une certaine mesure l’enseignement agricole. Et l’on ne saurait trop encourager, admirer cette décentralisation du devoir social, si longtemps paralysée par la centralisation parisienne. Les belles dames qui fondent des œuvres par centaines dans les grandes villes, se doutent-elles que par là même elles contribuent à dépeupler nos campagnes, à développer la mendicité, la maladie, à s’appauvrir elles et leurs familles, surtout à appauvrir la France ? Savent-elles que si elles avaient fait, pour les paysans, le quart de ce qu’elles ont fait ailleurs, elles auraient détourné les émigrans des fausses délices de la vie d’employé, de la vie citadine, conjuré en partie la crise, préservé les foyers de l’abandon, resserré les liens de solidarité et de confiance sympathique ? Elles auraient montré à des milliers d’êtres les dangers des existences bohèmes, des existences de chemineau, la douceur du home, de la maison paternelle, nid d’âmes, nid de petits bonheurs, les bienfaits du soleil, de l’air nourrissant qu’on respire à pleins poumons, de la terre qu’on embellit comme les abeilles font leur ruche, la certitude d’une maison de retraite cantonale ou communale, du secours à domicile pour les vieux serviteurs de l’agriculture passant leurs dernières années dans leur village, au milieu de ceux qu’ils ont toujours connus, des champs et des bois aimés[9]. Elles auraient aussi maintenu des influences de tradition, de modération, de sérénité, aussi nécessaires que les influences de mouvement, d’inquiétude, d’évolution, et qui sont en quelque sorte le lest, le contrepoids de celles-ci dans la grande balance mystique de l’humanité : il semble qu’elles commencent à comprendre leur rôle ; mais il sera bien plus difficile maintenant de réussir, parce qu’on a longtemps abandonné la route sans l’entretenir, que ravins, fondrières, épines et ronces de toute sorte l’ont envahie.

Il m’arriva, un jour de mauvaise humeur, de comparer à des malfaitrices inconscientes les femmes qui se consacrent très noblement au soin des pauvres dans les villes : boutade de rural mécontent de voir tant de vertus mal dirigées, tant de bienfaits prodigués aux uns, l’oubli presque complet des autres. La charité privée elle-même doit être organisée, disciplinée, soumise à des vues d’ensemble, libre sans doute de s’épanouir à son gré, mais sa liberté même implique sa responsabilité : et qui ne sait qu’avec les meilleures intentions du monde on peut produire beaucoup de mal ? Bien entendu, le mot de Talleyrand ; « Pas de zèle, » est d’un sens profond. Pas de faux zèle, pas d’engouemens irréfléchis, pas d’élans inconsidérés ! Cent francs donnés à propos peuvent faire plus d’effet que mille francs dispersés au hasard. La noblesse française qui se ruait follement contre l’ennemi à Poitiers et Azincourt, qui partait pour l’émigration en 1790, croyait sauver son roi et son honneur. Les révolutionnaires qui s’imaginaient jadis servir leur cause par des émeutes, des tentatives de régicide, ne songeaient guère qu’ils fortifiaient les idées de gouvernement. Les catholiques trop ardens qui prêchaient la politique du tout ou rien, la politique des catastrophes, n’ont-ils pas fourni des armes contre eux-mêmes et leur foi ? Dans tous les ordres, on ne saurait trop le répéter, faire le bien n’est pas seulement un instinct, c’est aussi un art et une science très compliquée qui exigent un grand cœur et une intelligence universelle.

Dans la Loire, autour de Saint-Etienne, Roanne et Montbrison, un certain nombre de paroisses sont dotées d’écoles ménagères ; voici quelques lignes du rapport de M. de Jerphanion : « L’école est ouverte une fois par semaine, le jeudi ; quelquefois aussi, mais sous forme de patronage, le dimanche. Les enfants admises appartiennent à toutes les écoles de l’endroit, aussi bien aux écoles communales qu’aux établissemens catholiques et libres. La famille a été intéressée aux travaux de la jeune fille, et un certain contrôle est demandé à son père ou à sa mère. Ceux-ci doivent signer le carnet des notes de chaque semaine, indiquer les causes d’absence de leur enfant ; par contre, ils sont prévenus de l’inexactitude de leur fille et de toute prolongation extraordinaire à l’école… Les études sont généralement divisées en cinq cours, dont le premier, qui sert de ba.se à l’enseignement, est celui de couture, continué par ceux de raccommodage, coupe, repassage et cuisine, auxquels se joint le nettoyage, parfois aussi le blanchissage. Au cours de cuisine, l’économie pratique est enseignée aux élèves qui vont elles-mêmes avec leurs maîtresses acheter leurs provisions de chaque jour, et apprennent ainsi, avec la valeur de l’argent et son sage emploi, le moyen d’établir un repas sain et peu onéreux. »

Mlle Rochebillard a organisé, à Lyon, des cours normaux ménagers auxquels elle ajoute la partie agricole contenue dans le programme de l’Union du Sud-Est : un premier examen a eu lieu en juillet 1903, et les candidates, toutes jeunes filles de dix-huit à vingt ans, quelques-unes appartenant aux meilleures familles de la ville, l’ont passé brillamment : aujourd’hui les élèves diplômées du cours normal sont les professeurs des cours ménagers institués dans toute la ville. Mlle Laure Le Tellier continue avec dévouement l’œuvre fondée en 1864 par sa tante, Mme Michel Perret, dans les environs de Grenoble. Tous les jeudis, cinq cents fillettes et jeunes filles viennent à l’ouvroir de Tullins, où elles sont initiées aux détails de la vie ménagère. Beaucoup habitent à dix, douze kilomètres, c’est cependant une fête pour elles. Mme Perret et sa continuatrice ont résolu le problème du travail attrayant. Signalons aussi le Syndicat des Institutrices libres (5, rue de l’Abbaye), qui a fondé à Paris un cours normal destiné à fournir des institutrices diplômées pour la direction des écoles ménagères. Les examens sont passés devant des inspectrices venues de Belgique, et devant un jury composé de membres de la Société des Agriculteurs de France. La Belgique, la Russie, l’Allemagne, la Suisse, nous avaient devancés dans cette voie. C’est à quelques femmes d’élite, Mmes Louis de Mérode, John d’Oultremont, etc., que la Belgique doit la création des écoles ménagères : en moins de dix ans, celles-ci ont dépassé le chiffre de sept cents.

Partant de cette idée, que l’assistance mutuelle des malades, des orphelins et des vieillards, est une fonction normale des syndicats, M. Emile Duport, président du syndicat agricole de Belleville-sur-Saône (Rhône), fit d’abord adopter un règlement, et voter un crédit pour permettre d’exécuter les travaux urgens d’un sociétaire empêché par maladie ou accident : « il ne s’agissait point là d’une aumône, mais de l’aide que se doivent des associés. » M. Duport a créé la première caisse rurale, du type de la loi de 1894, une des premières caisses régionales de crédit agricole mutuel : fondée le 30 juin 1899, aussitôt après la promulgation de la loi, celle-ci déploie une grande activité, et par exemple elle aide les petites caisses rurales de la Savoie qui prêtent à leurs adhérens pour l’achat de bestiaux à inalper.

Par une propagande perpétuelle, l’Union du Sud-Est a fortement développé la pratique des assurances contre l’incendie, contre les accidens, contre la mortalité du bétail. Son rôle a été plus décisif encore dans l’éclosion des sociétés de secours mutuels et de caisses de retraites : c’est d’ailleurs la coopération qui, en créant l’organisation, la clientèle, les ressources, a engendré ce mouvement si fécond. L’Union préconise la prévoyance, elle conseille sagement à ses syndicats de réclamer le concours personnel, fût-il minime, de celui dont on veut assurer les vieux jours. Sa caisse régionale de crédit a groupé 80 caisses locales, et son chiffre d’opération en 1905 a triplé, dépassant 2 500 000 fr. Les Assurances-Accidens comptent près de 9 442 polices, les sociétés Assurances-Bétail sont au nombre de 55, les Sociétés contre la grêle 23, et les Sociétés de Secours mutuels en vue de la retraite, 19. Enfin, la caisse régionale Assurances-Incendie, bien qu’assez récente, présente déjà 149 caisses locales affiliées. En fait, beaucoup de syndicats[10] fonctionnent comme des sociétés de secours mutuels, pratiquant l’assistance, fournissant à leurs membres les soins médicaux, remèdes, indemnités de chômage, secours en argent ou en nature quand il s’agit de sinistres exceptionnels. Ici la voie était tracée par les anciennes sociétés vigneronnes de Bourgogne et de Touraine qui exécutaient gratuitement les travaux des adhérens malades ou besogneux. La loi de 1884, celle de 1898, ont propagé cette pratique, facilité la création des retraites ouvrières. Maintenant les sociétés de secours mutuels peuvent posséder, gérer leur fortune, se fédérer en Unions générales : ce qui accroît singulièrement leur crédit et leur force d’expansion. Leurs versemens à la Caisse des dépôts et consignations reçoivent un intérêt de faveur de 4 et demi pour 100. Il faut d’ailleurs observer que l’organisation des retraites ouvrières rencontre un obstacle sérieux : la modicité même des cotisations, qui rend indispensable l’appel à d’autres ressources, te ! les que les dons et legs, bénéfices provenant des entreprises agricoles, économies des sociétés coopératives.

Ce qui caractérise depuis quelques années le mouvement syndical, c’est un effort ingénieux, universel, pour appliquer à l’agriculture toutes les formes de mutualité : mutualités de crédit, mutualités contre l’incendie, mutualités contre la mortalité du bétail, mutualités de retraites. Voilà les quatre branches où s’exerce actuellement l’action des syndicats agricoles, qui caractérise leur action sociale, et cela constitue un progrès sensible sur le premier mouvement qui, on l’a vu, était coopératif pour l’achat des engrais.

« Il y a coopération, dit Emile Chevalier, chaque fois que la société est contractée entre ceux sur lesquels serait prélevé le bénéfice de l’entreprise, si, au lieu de coopération, il y avait entreprise ordinaire. Qu’est-ce qu’une société coopérative de production, sinon la société contractée entre ouvriers, avec l’intention de s’attribuer le gain ? La société de consommation groupe les consommateurs qui veulent échapper au bénéfice que réalise sur eux le commerce de détail… Et si nous passons aux sociétés formées entre cultivateurs, nous dirons qu’il y aura coopération chaque fois qu’ils se seront associés pour percevoir eux-mêmes le profit que prélève sur eux un intermédiaire. » Tantôt les syndicats ont recours à la forme de la société coopérative pour les achats de toutes les denrées nécessaires aux besoins précis de leurs adhérens ; tantôt ils préfèrent, pour la vente des produits agricoles, une sorte de filiale qui prend la forme de société coopérative ; tantôt enfin, ils adoptent un type spécial de société coopérative mixte, d’achat en commun des matières premières, et de vente des produits : parmi ces dernières, citons : la Société coopérative de production et de consommation des Agriculteurs du Lot-et-Garonne, la Coopérative agricole des Alpes et de Provence.

Malheureusement les coopératives syndicales viennent d’être soumises à la patente, lorsqu’elles possèdent des magasins : tous les syndicats protestent contre une loi si malencontreuse ; comment a-t-on pu en effet assimiler aux sociétés commerciales les coopératives, puisque celles-ci ne réalisent aucun bénéfice ?

Un admirable exemple de solidarité coopérative nous est donné dans la Meuse par la Caisse départementale des Incendiés, cette mère des Mutualités et même des Assurances, qui va bientôt célébrer le centenaire de sa fondation, et qui assure les neuf dixièmes des habitans du département. Assurance gratuite des bâtimens et mobiliers affectés à un service public, subventions considérables aux communes pour acquérir leur matériel d’incendie, tarifs très réduits, de 35 à 50 pour 100 inférieurs à ceux des compagnies ; la Caisse payant de ses propres deniers tous droits de timbre et d’enregistrement pour les sommes versées par les assurés ; un capital de huit millions de francs, qui rapportent plus de 160 000 francs de revenus annuels, sert de garantie aux assurés, et permet d’entrevoir l’assurance presque gratuite ; celle-ci d’ores et déjà accessible aux plus modestes bourses, l’union parfaite des grands et petits, des opinions les plus diverses, pour le succès de l’œuvre, des secours très larges aux indigens non assurés, et à toute personne blessée en combattant le feu, une administration modèle, des commissions d’expertise composées et fonctionnant en perfection, la facilité de s’assurer en bloc, et pour un an, — tout ceci n’a pas peu contribué au succès de l’institution : elle est en toute vérité une grande école de morale, de progrès et de sagesse. Les recettes de l’année 1905 s’élèvent à 844 407 francs, les dépenses à 560 340 francs ; là-dessus, 298 144 francs ont été distribués en indemnités et secours aux incendiés, et des sommes importantes placées en valeurs de premier ordre. En cas d’incendie, le rapport des experts est soumis à une commission, désignée sous le nom de Bureau particulier, composé : 1° du juge de paix du canton, président ; 2° du conseiller général ; 3° du conseiller d’arrondissement du canton ; 4° du maire de la commune ; 5° du curé ou desservant ; 6° de l’adjoint ou premier adjoint au maire ; 7° des trois membres du conseil municipal inscrits les premiers sur le tableau. Si l’accord ne se fait pas, le sinistré peut recourir au Bureau central (Conseil d’administration de la caisse) et enfin aux tribunaux. Voici la composition du Bureau central : le préfet, président de droit, les membres du Conseil général du département, sept citoyens notables nommés par le préfet sur la présentation du bureau central ; celui-ci choisit son président qui est indéfiniment rééligible et qui préside en l’absence du préfet. La caisse garantit les dommages provenant d’un accident, du feu du ciel, ou des démolitions ordonnées pour arrêter les progrès des flammes. M. Daniel Laumonier a dit très justement que contre l’incendie les Meusiens forment une grande famille.

L’action des syndicats s’effectue ici de deux manières : tantôt ils s’entendent directement, en écartant les intermédiaires, avec les compagnies d’assurances ; tantôt ils organisent entre leurs adhérens l’assurance mutuelle par la répartition des risques sur la collectivité.

La loi du 4 juillet 1900, sur les sociétés mutuelles agricoles administrées gratuitement, a ouvert une voie nouvelle pour le développement des caisses d’assurances mutuelles contre l’incendie, en les exemptant de l’impôt de 13 pour 100 sur les primes. Leur organisation est d’une simplicité remarquable qui explique leur rapide progrès. Les caisses se constituent par commune, là où tout le monde se connaît ; elles font ainsi la sélection des risques. Chaque caisse locale garde deux dixièmes des risques et deux dixièmes des primes : elle se réassure pour le surplus à une caisse régionale qui garde aussi deux dixièmes des risques et deux dixièmes des primes ; le surplus est réassuré aux grandes compagnies d’assurances. La fédération de toutes ces caisses est établie à l’Union centrale des syndicats, au siège de la Société des Agriculteurs de France, 8, rue d’Athènes. Ces tarifs sont ceux des grandes mutuelles, c’est-à-dire inférieurs de 20 pour 100 à celui des compagnies par actions. Grâce à ce système, la réduction des primes est d’environ 33 pour 100. Dans le seul département de la Haute-Marne, deux cent cinquante caisses communales ont été créées pendant les premiers mois de 1905.

L’assurance contre la mortalité du bétail est, par essence même, tout autre que les deux premières ; un groupement limité, un contrôle sévère, continuel, entre les associés, voilà proprement l’office du syndicat communal. Tantôt les membres versent une cotisation fixe, proportionnelle au nombre des têtes de bétail ; tantôt ils s’engagent mutuellement à réparer les préjudices causés. En cas de dommages exceptionnels provenant d’épidémies, la société de secours mutuels s’adresse à la caisse régionale, caisse de compensation qui répartit plus également les chances de perte et équilibre les risques, en vertu de la loi des grands nombres. Les fonds de prévoyance des syndicats sont alimentés par des contributions qui, en général, n’excèdent pas 2 pour 100 de la valeur de l’étable assurée.

Un rapport du ministre de l’Agriculture fournit ici une statistique fort intéressante. À la fin de 1897, il existait 1484 sociétés d’assurances mutuelles agricoles ; au 31 octobre 1904, il y en avait 4 820, assurant un capital de 250 048 217 francs, représentant un personnel de 265 015 membres, et se partageant ainsi : sociétés contre la mortalité du bétail, 4 719 ; sociétés contre la grêle, 16 ; sociétés contre l’incendie, 83 ; sociétés contre les accidens, 2. L’assurance du bétail était organisée dans tous les départemens, sauf un : comme on voit, l’immense majorité des sociétés a été constituée pour cet objet exclusif, et il convient de reconnaître que l’administration supérieure n’a jamais cessé de favoriser cet essor. Dès 1897, les assurances mutuelles florissaient dans les Landes et le Loiret ; depuis, des progrès remarquables se sont accomplis dans les régions de l’Est, de l’Ouest, et dans les pays d’élevage de la région du Sud-Est. Dans la Haute-Saône, la Haute-Marne et les Vosges, la valeur du capital assuré a passé de deux à vingt millions ; dans la Charente-Inférieure, les Deux-Sèvres, la Vendée, la Loire-Inférieure et la Sarthe, elle a augmenté de vingt-quatre millions ; dans l’Isère, la Savoie et la Haute-Savoie, elle s’est élevée de un à dix-sept raillions ; même progression dans les Côtes-du-Nord et le Morbihan. Pour que des résultats aussi magnifiques ne soient pas compromis, M. Henry Sagnier et les hommes les plus compétens demandent deux choses : 1° que les subventions octroyées par le ministère de l’Agriculture ne servent pas de prétexte à des menées d’ordre politique ; 2° que chaque société, tout en demeurant limitée à un rayon peu étendu, s’appuie sur une réassurance bien organisée ; car c’est la méthode qui garantit contre les risques de pertes exceptionnelles provoquées par une épizootie. La méthode prévoyante est en quelque sorte Je diamant de l’esprit, le Sésame magique qui ouvre toutes les portes dans le palais mystérieux du monde de l’intérêt.

L’assurance contre les accidens de travail, assez rare autrefois dans les campagnes, se généralise avec les progrès de la mécanique agricole, de la culture industrielle, avec la législation et la jurisprudence qui consacrent, étendent la responsabilité du patron : (lois du 9 avril 1898, du 30 juin 1899). Les machines agricoles se multiplient dans les campagnes, où elles font des mutilés comme dans l’industrie. Que devient l’ouvrier vieilli, infirme, abandonné à la charité publique ? Pourquoi n’aurait-il pas, lui aussi, une indemnité viagère, une petite retraite ? Ce vétéran du travail rural n’a-t-il pas accompli une tâche aussi rude que le service militaire ?

Rappelons que l’Angleterre, la Belgique, et les États-Unis s’en tiennent au système de la prévoyance libre, tandis que l’Autriche et l’Allemagne ont adopté le système de l’assurance obligatoire. Ou bien les syndicats ont organisé eux-mêmes des mutualités agricoles, ou bien ils servent d’intermédiaires entre une société déjà constituée et leurs adhérens, et alors ils obtiennent pour ceux-ci des tarifs de faveur. Four l’Union du Sud-Est, la prime va de 30 à 70 centimes par hectare. S’agit-il d’accident survenu à l’ouvrier, la compagnie assume la responsabilité civile du propriétaire ; l’accident atteint-il celui-ci ou un membre non salarié de sa famille, il reçoit une somme déterminée. Comme type de l’organisation directe de l’assurance, la Solidarité orléanaise mérite une mention spéciale : elle s’est étendue à tout le reste de la France, est devenue la Caisse syndicale d’assurance mutuelle des agriculteurs de France contre les accidens du travail agricole. La cotisation, qui varie suivant la nature de l’exploitation et le degré de garantie demandée, s’écarte peu de la moyenne de 50 centimes par hectare. Les frais ne sont pas considérables, et les bénéfices réalisés reviennent aux sociétaires sous forme de bonis ou de dégrèvemens des cotisations : celles-ci, en 1905, atteignaient le chiffre annuel de 400 000 francs.

Maint syndicat agricole a organisé des offices de placement gratuit pour les ouvriers sans travail. La loi du 21 mars 1884 n’encourage-t-elle pas la création d’ « offices de renseignemens pour les offres et les demandes de travail ? » Dans le même ordre d’idées, on a institué des commissions de conciliation ou d’arbitrage, qui évitent souvent le recours aux tribunaux et l’établissent la bonne harmonie ; parfois l’arbitrage est obligatoire, d’ordinaire il demeure facultatif. Ces comités de conciliation revêtent aussi le caractère de comités de contentieux, dirigent les membres du syndicat : à travers le dédale des lois, dans leurs rapports avec l’administration et les entreprises de transport.

Dans cette manifestation économique des syndicats, les laiteries et les sucreries coopératives jouent un rôle assez important. Sans parler des vieilles fruiteries de la Franche-Comté et de la Savoie, les laiteries coopératives depuis dix-huit ans ont à peu près ressuscité l’agriculture dans la Charente-Inférieure, la Charente, les Deux-Sèvres et la Vendée. Le phylloxéra avait détruit les vignes vers 1880, le découragement gagnait de proche en proche, les terres abandonnées n’étaient plus qu’une charge pour les propriétaires ; la viticulture, profession héréditaire, une fois tombée, tout semblait perdu. Mais quelques hommes avisés montrèrent à leurs concitoyens que les terres pouvaient rendre et fourrages et céréales, ils les poussèrent vers les laiteries coopératives ; leurs paroles, leur action, déterminèrent une révolution économique. La production du lait a remplacé celle du vin ; des communes où l’on comptait autrefois quatre vaches en ont aujourd’hui quatre cents ; une propriété de 140 hectares, inculte, achetée en 1889 trois cents francs l’hectare, nourrissait en 1900 une tête de gros bétail par hectare, et rapportait un profit net de 40 000 francs.

L’Association centrale des laiteries coopératives a réalisé d’énormes progrès dans le matériel, la fabrication, organisé le transport des beurres à Paris par wagons frigorifiques, affectés au service exclusif des laiteries, et escortes d’agens convoyeurs ; un camionneur attitré livre les marchandises aux destinataires. Beaucoup de coopératives ont installé des machines à glace ; aussi les beurres des Charentes jouissent-ils d’une légitime réputation sur le marché parisien. Dans quelques laiteries, on fabrique aussi du Camembert, du fromage de Hollande, du lait stérilisé. Ce n’est pas tout : l’Association se charge de faciliter les relations commerciales, de faire certains achats, d’appuyer les demandes qui intéressent les sociétés : et elle constitue une sorte de tribunal arbitral pour les difficultés qui peuvent survenir entre les laiteries voisines.

Les sucreries agricoles coopératives méritent une mention spéciale. Celle de Wavignies (Oise) a pour objet la fabrication du sucre de betterave et la vente de tous les produits de cette fabrication ; les associés doivent posséder un nombre d’actions proportionnel à l’importance de leur culture, une action par hectare de culture : tous les produits sont répartis proportionnellement aux fournitures de betteraves, suivant le poids et la richesse saccharine de celles-ci ; rien de plus précis que les règles relatives à l’analyse des échantillons, elles ne permettent ni fraude, ni soupçon de fraude. En 1900, le produit total de l’hectare s’élevait en moyenne à 978 francs, chiffre plus rémunérateur que celui qu’ils auraient reçu d’un fabricant de sucre. La société autorise ses membres à profiter de tous ses marchés ; en 1900, elle leur livrait le charbon de Charleroi à raison de 37 francs la tonne, alors que le commerce le vendait 60 francs.

Des sociétés coopératives de battage à vapeur se fondent et prospèrent. Celle d’Haudivillers (Oise) date de 1870 : renouvelée pour douze ans en 1881 et en 1893, elle a pu établir le prix d,e revient du battage à 17 francs pour les 1 000 gerbes, et 12 francs pour l’avoine, alors que les entrepreneurs de battage exigent 25 à 28 francs ; le prix de revient de l’aplatissage est de 50 centimes par quintal, celui du concassage de 1 fr. 50 : ces opérations donnent au grain une plus grande valeur nutritive. Pour l’usage de la machine commune, on a établi un ordre de roulement assez rationnel. A Vineuil (Loir-et-Cher), le battage commence de plein droit par ceux qui font leurs vingt-huit jours d’exercices militaires, ceux qui délogent, ou qui ont des réparations graves à exécuter dans leur logement. A Flaucourt (Somme), l’assemblée générale, réunie le premier dimanche d’août, détermine l’ordre à suivre pour les battages, et cet ordre est tiré au sort. Ces petites sociétés de battage amortissent rapidement leur capital ; à Montreuil-sur-Brèche (Oise) ce capital est inférieur à 8 000 francs, et, en vingt-cinq ans, l’entreprise procure à 42 associés un bénéfice de 35 000 francs. Voici le budget moyen de cette société pendant dix ans : Recettes : 112 000 gerbes de blé à 18 francs le mille, 2 016 francs ; 49 000 gerbes d’avoine à 13 francs le mille, 337 francs ; 23 000 gerbes de graines de trèfle et de luzerne à 10 centimes le kilo, 230 francs ; total, 2 583 francs. — Dépenses : amortissement d’un capital de 5 500 francs : 770 francs ; salaires de deux employés : 1033 francs ; combustible et réparations : 780 francs total ; 2 583 francs. — Lentement, mais sûrement, l’idée coopérative s’infiltre dans le monde agricole ; par l’entente des intérêts collectifs, le sens de l’intérêt individuel s’affine, s’élargit et se moralise ; des milliers de petites patries économiques se créent sur tous les points du sol, et développent l’intelligence de la grande patrie : l’intérêt du voisin ne semble plus l’ennemi, puisqu’il se concilie avec le nôtre, puisque cette union nous permet d’acheter moins cher, de vendre mieux, de lutter contre le péril économique étranger.

Beaucoup de syndicats ont au chef-lieu un immeuble qu’ils louent ou qui leur appartient en propre : et, lorsqu’ils l’ont acquis de leurs deniers, ils l’aiment davantage encore, ils y vont les jours de marché, comme le député va à la Chambre, le curé à l’église, le chasseur au bois ; c’est bien réellement, selon la formule de M. de Rocquigny, et la maison du peuple, la maison des paysans. » Et il n’est pas rare qu’on y prenne son repas à des prix très modérés, qu’on y trouve une bibliothèque, des journaux agricoles, les causeries familières, des consultations juridiques et médicales gratuites. « Ce qui fait surtout plaisir, c’est d’être entre braves gens, disait un associé à M. Louis Milcent ; dans l’auberge on en entend de toutes les couleurs, sans pouvoir rien dire, afin d’éviter les disputes. » On ne se contente pas de se réunir pour causer des intérêts communs et des affaires privées, on s’assemble de loin en loin pour se divertir, pour faire descendre un rayon de gaieté dans les âmes. Les syndicats ont leurs banquets annuels, où ne manquent ni les discours, ni les chansons, précédés ou suivis de cavalcades, de concerts, de représentations théâtrales.

L’Union Beaujolaise célébrait, en 1898, le dixième anniversaire de sa fondation par un banquet de 1 200 convives. A Blacé (Rhône), le syndicat de Villefranche, pour fêter la millième inscription de bête bovine aux sociétés d’assurances, a organisé un festin appelé : le banquet de la millième vache.

On m’a rapporté qu’à l’une de ces agapes, un riche cultivateur, arrivant fort en retard, s’excusa en ces termes : « Je demeure loin, comme vous savez ; étant descendu un instant de voiture, je me mis à regarder le pays, les champs, les prés, le soleil qui se couchait sur la forêt voisine, et, ma foi, à force de contempler tout cela, je me suis attardé à rêver. »

Devant cette grande paix qui descend d’un beau paysage rural, je me mets souvent à rêver de paix sociale, de sympathie entre les hommes, de confiance et d’estime réciproques. Le progrès est lent, il semble parfois qu’il marche à la façon des écrevisses, que d’effroyables misères lui servent de cortège ou l’anéantissent. Il existe cependant, fît per inscios, donnant des démentis nombreux à ceux qui le nient, comme à ceux qui l’affirment trop. Le comte de Chambrun considérait les syndicats agricoles comme « le chef-d’œuvre de la sociologie. » Tout au moins peut-on dire que ces syndicats d’affaires, de bon sens, de concorde, sont le contrepoison des syndicats de destruction, d’utopie, de haine. J’ai rappelé quelques-uns de leurs titres ; il faut ajouter celui-ci : les membres de la bourgeoisie et de l’aristocratie qui les dirigent, ont appris à mieux connaître les paysans, à les aimer, et par là ils ont commencé de désarmer les méfiances séculaires de ceux-ci, d’obtenir leur estime et un peu d’affection. Tous les hommes de la terre ne raisonnent pas comme celui qui étant allé demander un secours au marquis de S. M... et ayant reçu vingt francs, grommelait en retournant la pièce : « Qu’est-ce que cela pour lui ? Il paraît qu’il a des tonneaux pleins d’or dans sa cave ! » En faisant les affaires de leurs affiliés, en s’efforçant de résoudre les mille difficultés qui surgissent, les chefs du mouvement font mieux leurs propres affaires ; mis en contact avec les choses, ils ont reçu la forte leçon de l’expérience. A côté ou à la place des vieilles croyances, un nouvel idéal, la vision du devoir social, a illuminé leurs âmes. Louis XIV demandant au cardinal de Janson où il avait ai bien appris à traiter les plus grands problèmes, reçut cette réponse : « Sire, c’est lorsque j’étais évêque de Digne, en parcourant la nuit avec une lanterne sourde les rues de la ville d’Aix, pour y trouver un maire. » Quelle que soit la destinée de chaque citoyen, qu’il monte vers les besognes d’État, ou qu’il demeure dans la sphère des travaux privés, il doit pousser à leur plus haut degré ses qualités propres. Non seulement notre métier nous affine à mesure que nous l’exerçons, mais il nous prépare à d’autres tâches en augmentant notre capacité générale. Et comme un horticulteur prévoyant trouve dans ses pépinières tous les sujets d’élite dont il a besoin, la France doit avoir ses pépinières d’hommes d’initiative, heureux de rester dans le rang ou d’en sortir, capables de répondre à son appel, de dépenser du talent, du dévouement, pour les petites questions comme pour les grandes.


VICTOR DU BLED.

  1. Voyez la Revue du 1er décembre 1904 et du 15 juillet 1905.
  2. Annuaire des Syndicats professionnels. — Comte de Rocquigny, les Syndicats agricoles et leur œuvre, 1 vol. ; Colin, les Syndicats agricoles et le socialisme agraire ; la Coopérative de production dans l’agriculture. — Rapport d’Emile Chevallier sur l’Agriculture à l’Exposition universelle de 1900. — Couvert, l’Industrie agricole, 1901. — Marx Turmann, les Associations agricoles en Belgique. — G. Maurin, les Syndicats agricoles et la crise sociale. — De Laurens-Castelet, les Caisses de retraites dans les syndicats agricoles. — Revue du Musée social. — Journal de l’Agriculture. — Journal d’Agriculture pratique. — Léopold Mabilleau, le Mouvement agraire en France, 1897. — Bulletins de la Société nationale des agriculteurs de France, de la Société des agriculteurs de France. — Rapports des Congrès internationaux d’agriculture de 1889 à 1903. — Paul Deschanel, La Question sociale. — Ludovic de Contenson, Syndicats, mutualités, retraites, 1 vol. Perrin. — Elie Coulet, Le Mouvement syndical et coopératif dans l’agriculture française. — Gustave Rouanet, Du Danger et de l’avenir des syndicats agricoles. Revue socialiste, février 1899. — Guière, Les Associations agricoles du département de la Côte-d’Or. — Georges Bord, Le Mouvement syndical et coopératif agricole dans le Sud-Ouest.
  3. Léon Aymard, Les Syndicats agricoles, leur œuvre professionnelle, économique, sociale. — Fontan, Les Machines agricoles à la portée de tous : le Syndicat d’industrie agricole.
  4. Cette Union a provoqué le vote de la loi du 8 mars 1898 sur les vignes à complant ; elle a coupé court aux prétentions des propriétaires qui cherchaient à reprendre possession du sol donné à bail aux colons, lorsque le phylloxéra avait détruit la vigne.
  5. Malheureusement le Syndicat agricole et viticole du Haut-Beaujolais a cru devoir renoncer à la vente directe des vins de la région ; et c’est le gérant de l’office qui a pris l’affaire à son compte. De même M. Georges Bord, président du Syndicat agricole de Cadillac et Podensac, a lutté dis ans avec une rare ténacité ; l’Association vinicole du Haut-Bordelais a fini, elle aussi, par se dissoudre. M. Bord, qui m’a fait passer des notes intéressantes à ce sujet, accuse la routine, l’indifférence des consommateurs ; et il n’a pas tort ; mais les consommateurs ont besoin d’être séduits par la bonté et le bon marché des produits, et je crois fermement que les propriétaires syndiqués ont vendu trop cher, que, du moins, la différence avec les prix des négocians n’était pas assez appréciable. D’ailleurs les difficultés de la vente collective se décuplent, par la nature même des choses, quand il s’agit de denrées de production générale, comme les vins, les céréales ; et jusqu’ici le succès a porté sur des spécialités, dont la production est localisée dans quelques centres, et le marché assez limité.
  6. Voyez le livre de M. de Rocquigny, déjà cité p. 202 et suivantes.
  7. Un de ces syndicats capriers, encouragé par une réussite si heureuse, vient de se constituer en société commerciale.
  8. M. Silvestre, secrétaire général adjoint de l’Union du Sud-Est, a publié deux volumes sur elle en 1900. Voyez aussi les comptes-rendus annuels des Assemblées générales, Rocquigny. Chevallier.
  9. Un écrivain belge, Jacques Jacquier, a écrit là-dessus des pages imprégnées d’une émotion délicate et d’un profond sentiment de la vie rurale.
  10. Louis Dubois, Les Sociétés vigneronnes de la Touraine dans : Réforme sociale du 1er octobre 1899. — Emile Chevallier, rapport déjà cité p. 168 et suiv. — Comte de Rocquigny, Le Comte de Chambrun et son œuvre sociale. — Musée social, Les Lauréats du travail agricole, 1898. — Léopold Mabilleau, La Mutualité française, 1904.