Les Travaux du Métropolitain et l’histoire géologique de Paris

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Les travaux du métropolitain et l’histoire géologique de Paris
Stanislas Meunier

Revue des Deux Mondes tome 35, 1906


LES
TRAVAUX DU MÉTROPOLITAIN
ET
L’HISTOIRE GÉOLOGIQUE DE PARIS

La science et l’industrie ont une origine commune : l’homme utilisa immédiatement sa première connaissance des choses pour la satisfaction de ses besoins matériels et, par un instinct tout aussi irrésistible que la nécessité de se nourrir, chercha à s’en fournir à lui-même une explication.

A peine distincts l’un de l’autre à leurs débuts, ces deux rameaux industriel et scientifique de l’activité humaine sont destinés fatalement à réagir mutuellement l’un sur l’autre. L’industrie demande à la science un guide sûr dont l’intervention se traduit invariablement par une augmentation de bénéfices et, réciproquement, la science reçoit de l’industrie des matériaux de travail et jusqu’à des sujets de recherches qui contribuent efficacement à l’extension de ses progrès.

Il n’y a guère d’industrie chimique qui n’ait procuré, dans ses résidus, des matières imprévues dont les laboratoires ont tiré parti pour le développement de la science pure. L’iode, le brome, ont été retirés des déchets des salines et des salpêtrières ; une série de métaux rares se sont trouvés inopinément concentrés dans les produits latéraux de l’extraction du platine, du plomb et d’une foule d’autres corps.

En retour, la chimie de laboratoire met à la disposition du praticien des notions convertibles en procédés nouveaux : l’industrie de la soude, comme celle de l’aluminium, comme celle des becs à incandescence, et mille autres ne sont que des prolongemens de la science.

Dans les industries fondées sur les propriétés physiques des corps, on sait avec quelle fréquence des incidens d’atelier mettent le théoricien sur la voie des découvertes les plus hautes. La liste serait bien longue des observations fortuites faites chez les constructeurs et qui sont devenues l’origine de découvertes nouvelles, soit en électricité, soit en optique, soit en toute autre branche de la physique. Et il est presque oiseux de rappeler qu’à l’inverse, des résultats de laboratoire qui semblaient devoir à tout jamais rester renfermés dans les limites de la science abstraite, se sont transformés en résultats industriels, depuis le noircissement à la lumière du chlorure d’argent constaté par Charles, jusqu’au déplacement, observé par Œrstedt, de la boussole par le courant électrique et la phosphorescence déterminée au travers de corps opaques par M. Rœntgen, au moyen des rayons cathodiques : de là nous sont venues la photographie, la télégraphie, la radioscopie.

En histoire naturelle, on peut affirmer que la géologie est née des travaux empiriques des premiers mineurs et que, réciproquement, tous les grands progrès si immédiatement tangibles, de l’exploitation minérale, ont été procurés par les découvertes de la géologie pure.

On doit même, à ce sujet, remarquer qu’il s’est fait progressivement comme une manière de renversement dans l’importance relative de la science et de l’industrie, en ce qui concerne leurs rapports mutuels depuis l’origine des choses. Au début, tous les initiateurs de la géologie sont des mineurs : Werner, Agricola, et tant d’autres, cherchent à codifier, à exprimer en corps de doctrine et à résumer sous forme de lois, les faits que l’exploitation a mis accidentellement sous leurs yeux ; les premiers traités de géologie sont des manuels de praticiens. Aujourd’hui, on peut dire que les directeurs des grandes entreprises minérales sont avant tout des géologues.

Qu’il s’agisse d’ouvrir une mine de houille, ou de creuser un tunnel au travers d’une montagne ou de forer un puits artésien, c’est au géologue que l’industriel commence par s’adresser et, s’il est avisé, il relire de sa consultation des résultats immédiats : les exemples des houillères découvertes dans le Boulonnais par Désandrouin, du percement du Saint-Gothard par Stappf, du forage du puits de Grenelle par Mulot, sont restés célèbres dans ce genre.

Je sais bien qu’il peut, ici comme partout, y avoir des mécomptes tels que ceux qui se sont produits dans le tunnel de Meudon près de Paris et dans l’immense percée du Simplon : on peut rencontrer, au cours des travaux les mieux préparés, des circonstances imprévues. C’est que nous ne sommes qu’au début de nos études, et que des quantités de traits de la structure du globe nous ont jusqu’ici échappé. En outre, les lois naturelles sont infiniment compliquées et la disposition instinctive qui nous porte à les simplifier, pour leur donner une forme quasi géométrique, est une cause fréquente d’erreurs. Et c’est pour cela que, malgré ces insuccès d’ailleurs exceptionnels, la géologie continuera de guider l’industrie dans les grands travaux dont le sol est le théâtre, et que, de leur côté, ces travaux continueront à augmenter le nombre des notions scientifiques acquises.

Or, voilà précisément le double résultat qui vient d’être réalisé au cours de la construction du chemin de fer métropolitain, cette dernière transformation, et la plus remarquable, depuis longtemps, de la Ville de Paris.

La région que recouvre le « pavé de Paris » a été soumise dès l’origine de la cité, de la part de ses habitans, à des remaniemens incessans, et certaines portions en ont été artificiellement supprimées d’une façon complète. Telles sont les assises désignées sous le nom de marnes de Saint-Ouen qui ont été enlevées à la surface de la plaine Monceau, afin de mettre à peu près au même niveau toutes les voies du quartier. La même soustraction s’opéra aux dépens d’une partie de la montagne Sainte-Geneviève lorsque furent percés le boulevard Saint-Michel et la rue Monge et aux dépens de la Butte des Moulins, quand on ouvrit l’avenue de l’Opéra. Dans-ces différens cas, la science eut à faire des découvertes intéressantes. On peut voir au Muséum les restes d’un animal fossile, le Pernatherium, trouvé justement dans les couches dont l’ablation précéda la construction de l’église Saint-Augustin.

Pourtant, c’étaient là des travaux très locaux. Le tracé du Métropolitain y vient ajouter un ensemble très vaste. On ne s’étonnera pas, d’après ce qui précède, que des notions bien plus importantes en soient immédiatement résultées.

Dans toutes les formations géologiques intéressées, des échantillons ont été prélevés avec le plus grand soin et déposés dans les collections du Jardin des Plantes où elles sont tenues à la disposition des naturalistes qui désirent les étudier. M. Auguste Dollot, correspondant du Muséum, à qui sont dues la plupart de ces récoltes précieuses, leur a donné une valeur plus grande en en présentant les particularités principales sous la forme de grandes coupes qui nous donnent maintenant d’un seul coup d’œil une représentation scrupuleusement exacte de la structure souterraine de Paris. Grâce à ces belles recherches, nos descendans auront un témoignage palpable et un souvenir permanent de toute une région destinée à disparaître totalement, puisqu’elle doit sans aucun doute être remplacée en tous ses points par des substructions artificielles.

La situation géographique de Paris est telle que les travaux du Métropolitain conduisent, malgré leur profondeur relativement si faible, à des considérations d’un intérêt général.

Remarquons avant tout, en nous reportant par la pensée à l’époque où la grande ville a commencé à se développer et à prendre de l’importance, qu’il était décisif pour elle de posséder, dans son propre sous-sol, tous les matériaux indispensables à la construction et à l’embellissement d’une cité.

A cet égard, les choses sont naturellement arrangées dans notre région d’une manière si profitable qu’on pourrait les croire agencées à plaisir. A côté l’une de l’autre, et dans des situations facilement accessibles, se trouvent de volumineuses accumulations d’une argile propre à faire les tuiles et les briques, les tuyaux de conduite et les tuyaux de cheminées ; de pierre à bâtir de toutes les variétés fournissant, suivant les cas, des moellons ou des pierres de taille, avec toutes les qualités diverses que les entrepreneurs les plus exigeans peuvent désirer ; de sables souvent purs comme du cristal de roche en poussière, parfois chargé de fer ou d’argile, ou d’autres substances, en tous cas tout à fait convenables pour la préparation des mortiers ; de pierres meulières aussi légères que résistantes, procurant des constructions d’une solidité à toute épreuve, comme en témoignerait au besoin le mur des fortifications ; enfin de pierre à plâtre qui constitue la merveille dans la série et qui contient le secret même de l’ancienne réputation de Paris.

Avec le plâtre en effet, Paris a toujours disposé, non-seulement d’une matière conjonctive d’un emploi commode et d’une solidité parfaite, mais encore d’un revêtement qui fait disparaître toutes les irrégularités des matériaux mis en œuvre et permet d’embellir économiquement les constructions. Le plâtre de Paris est si universellement estimé qu’on l’exporte jusqu’aux États-Unis.

Avant le perfectionnement des moyens de transport qui permettent de charrier sur tout le territoire des matériaux provenant de Lorraine ou de Bourgogne, des environs de Caen ou des environs de Grenoble, on se figure ce que devait être une ville comme Paris, disposant de tous les élémens architectoniques, en face de localités comme Londres, qui devait se contenter des briques fabriquées avec ses argiles, ou comme Clermont-Ferrand, bâti de blocs de lave, impossibles à tailler, difficiles à réunir, ou comme Brest, fait de granit rebelle. On s’imagine comment l’attrait des constructions de la capitale, alors si correctes par comparaison, devait s’ajouter à ses autres causes de succès.

Et c’est dans le même ordre d’idées, qui nous ramène d’ailleurs aux points de vue mêmes d’où nous sommes partis, qu’il faut ajouter que si Paris a reçu de la géologie de son sol des avantages si grands qu’une portion de sa prospérité peut légitimement lui être rapportée, — Paris, en échange, a été le berceau, et toujours à cause de son sol, d’un très grand nombre de progrès purement scientifiques.

C’est à Paris, par exemple, que Guettard, le propre maître de l’immortel Lavoisier, a réalisé le premier cette idée si riche en applications, de représenter sur la carte géographique la constitution du sol en chaque point. Dès sa première tentative, il a ainsi mis en évidence que Paris réside en un véritable centre géologique, en un point autour duquel les élémens terrestres sont nettement coordonnés, et tellement que, bien plus tard, Élie de Beaumont et Dufrenoy seront autorisés à faire de la capitale l’un des « pôles géologiques » de la France entière.

C’est à Paris, et en raison même des caractères des terrains qui le supportent, que Cuvier a fondé la paléontologie : nos lecteurs savent l’histoire des carrières de Montmartre. C’est encore à Paris que le collaborateur de Cuvier, Alexandre Brongniart, a trouvé la localisation, à des niveaux géologiques parfaitement déterminés, de corps fossiles spéciaux. A Paris également est née la paléontologie végétale, grâce aux travaux d’Adolphe Brongniart ; et c’est à Paris enfin que fut formulée, par Constant Prévost, la doctrine féconde entre toutes, dite des causes actuelles.

C’est plus qu’il n’en faut pour montrer que la région de Paris se signale à l’attention des curieux de la philosophie naturelle par des titres aussi sérieux que variés, et la remarque doit rendre tout spécialement dignes de considération les études dont sa constitution géologique peut être l’objet.


I

Avant tout, les travaux du Métropolitain témoignent de l’activité extrême avec laquelle nos pères ont remanié le sol de Paris. Il n’y a guère de points de la surface qui ne soit complètement fouillé, creusé et remblayé et parfois sur une échelle considérable.

Tout l’ancien Paris est sorti des catacombes à l’état de moellons et de pierres de taille ; les parcs de Montsouris et des Buttes-Chaumont sont de vieilles carrières qu’on a eu la bonne idée de transformer en élégans jardins, au lieu de les combler pour y construire des maisons. Enfin les quartiers les plus corrects sont établis sur des points naguère bouleversés par les exploitations et où toute la surface du terrain a été artificiellement rapportée.

Grâce au Métropolitain, on peut admirer l’ampleur avec laquelle la pierre à plâtre a été extraite tout le long des boulevards extérieurs du Nord de Paris. Sur les boulevards Rochechouart, Barbes et de la Chapelle, jusqu’à la place de la Nation, le tracé de la voie ferrée a traversé les vestiges de carrières dont les dimensions sont parfois énormes. Par exemple, sous le boulevard de la Chapelle, c’est sur une longueur de plus de 300 mètres que les couches ont été entaillées le long d’escarpemens de 12 mètres de hauteur, au travers de lits de gypse marneux intéressans par comparaison avec les variétés exploitées aujourd’hui. Au boulevard Barbes, les remblais sont également gigantesques, et on retrouve, au-dessous d’eux, le profil très bien conservé des escarpemens abandonnés par les anciens ouvriers. Dans la rue de Meaux, non loin de l’hôpital Saint-Louis, on a recoupé, à une dizaine de mètres sous le pavé, des galeries d’exploitation soigneusement remblayées à une époque inconnue mais selon la méthode encore en usage. C’est le pendant exact des galeries retrouvées au Sud de Paris le long du boulevard Saint-Jacques, mais qui sont percées dans le calcaire grossier ou pierre à bâtir et se rattachent directement au réseau des catacombes.

A quelle époque remontent les débuts de ces ouvrages ? C’est ce qu’il n’est pas facile de préciser ; on sait seulement que beaucoup d’entre eux se sont continués jusqu’au XVIIIe siècle et même jusqu’au commencement du XIXe siècle.

A côté des vieux travaux d’exploitation minérale, les tracés du chemin de fer métropolitain ont rencontré des remblais destinés à faire disparaître des inégalités du terrain et à favoriser ainsi l’extension progressive de la cité.

Par exemple, place de la République, et dans les régions circonvoisines, on rencontre immédiatement sous le pavé, et avec plusieurs mètres d’épaisseur, les remblais dont furent comblés les fossés qui bordaient la ville au temps de Charles V, tout le long du boulevard Saint-Martin. L’ancienneté de ces travaux est, comme on voit, tout à fait relative et, au point de vue géologique, on serait porté à croire qu’elle ne compte pas. Cependant, elle suffit pour que des phénomènes chimiques aient réalisé la production d’effets variés et spécialement la genèse de minéraux bien imprévus.

Les eaux infiltrées dans la terre, chargée des impuretés résiduelles de la surface, sont venues agir, lentement mais sans relâche, sur la substance des remblais : ceux-ci étaient surtout composés de débris de vieux plâtras provenant des démolitions. On sait que le plâtre est du sulfate de chaux, c’est-à-dire une matière contenant du soufre. Sous l’influence des corps organiques en dissolution ou en suspension dans les suintemens aqueux, vraisemblablement sous l’action de microbes multipliés dans ce milieu fétide, les plâtras se sont décomposés et ils ont donné naissance à des corps sulfurés très divers, reconnaissables à l’odeur de bain de Barèges qui s’en dégage. En même temps, et ceci est encore plus remarquable, ils ont mis en liberté une notable quantité de soufre parfaitement pur, qui a cristallisé de toutes parts et qui brillait comme du diamant aux lueurs des lampes des ouvriers.

Ces plâtras, dont l’accumulation s’étend sur une vaste surface et jusque dans la rue Meslay, sont si sulfurifères qu’ils rappellent les tufs de la solfatare de Pouzzoles.

La réaction d’où le soufre résulte et qui avait déjà été signalée par le créateur de la cristallographie, l’illustre abbé Haüy, sur cette même place du Château-d’Eau, comme on l’appelait alors, explique la production, dans le sol de Paris, de filets d’eaux sulfureuses dont, malgré leur origine plutôt répugnante, vu le rôle qu’y jouent les eaux vannes et même les exsudations des fosses d’aisance, les propriétés thérapeutiques ont été offertes aux malades d’humeur sédentaire, comme équivalant dans leur efficacité (ce qui est d’ailleurs bien possible) à celles d’Enghien ou même à celles d’Aix en Savoie.

Ajoutons que l’histoire du gisement sulfureux de la place de la République a été singulièrement élargie par les trouvailles faites au cours des travaux du Métropolitain, puisqu’ils ont montré que la production minérale n’est pas localisée dans les remblais artificiels et s’étend au contraire aux couches sous-jacentes d’argiles naturelles. Celles-ci constituaient le fond du fossé et aussi le fond du « marais » voisin, qui a donné à tout le quartier le nom qu’il porte encore. Elles renferment en abondance des fragmens de roseaux et d’autres herbes, brunis maintenant mais qui verdoyaient sous Charles V, et des coquilles de limaçons et d’autres mollusques qui vivaient en même temps et qui ont conservé leurs colorations et les ornemens de leurs tests, identiques à ceux de leurs congénères du XXe siècle.

Or, en pleine masse de ces argiles noires, on trouve, comme dans les plâtras eux-mêmes, d’innombrables géodes de soufre cristallisé et parfois en si grande abondance qu’on a été jusqu’à parler de la « soufrière de la Place de la République. » Ce titre de fait divers ne fut même pas sans troubler quelques personnes craintives dont la catastrophe de la Martinique venait d’exciter l’imagination.

La genèse du soufre dans les argiles noires doit évidemment être rattachée à l’extension des plâtras au-dessus d’elles et à la petite quantité de sulfate de chaux qu’ils ont fournie aux infiltrations. Toutefois, on va voir que ce travail chimique a été compliqué dans cette singulière localité d’une façon aussi imprévue qu’intéressante.

Il se trouve que l’un des lits de l’argile qui est précisément recoupé par le tunnel du Métropolitain, est criblé de minéraux blancs, anguleux, de la grosseur d’un grain d’avoine et où l’on retrouve, jusque dans les détails les plus intimes, la forme caractéristique de ce sulfate de strontiane que les spécialistes qualifient de « célestine. » Ce joli nom est bien justifié par les belles variétés, de couleur azurée, provenant des célèbres mines de soufre de la Sicile.

A Paris toutefois, les cristaux ne sont pas bleus, et un examen attentif conduit même à reconnaître que, si la forme en est celle de la célestine, la composition en est tout autre : l’analyse n’y montre ni soufre, ni strontiane, mais seulement du carbonate de chaux. Ces échantillons représentent comme des moulages naturels par du calcaire d’arrivée plus récente de la célestine disparue. C’est là un exemple de ce qu’on appelle une « épigénie. »

Le travail lent, mais incessant, qui s’accomplit dans la masse des roches, dans l’argile noire par exemple, dérive d’abord des suintemens de sulfate de chaux venant de la surface. Cette dissolution prodigieusement diluée rencontre en quelques points des composés solubles aussi, et qui contiennent de la strontiane, matière assez rare relativement et que, cependant, les analyses délicates décèlent dans la pierre à plâtre, d’où elle provient vraisemblablement. Il se fait alors de la célestine, mais celle-ci, qui est complètement insoluble, — et c’est même pour cela qu’elle se produit, — se dépose au fur et à mesure de sa production, et c’est ainsi que, par un mécanisme véritablement merveilleux, les particules qui se précipitent, au lieu de rester distinctes les unes des autres et de se répartir uniformément dans l’argile, s’attirent mutuellement et viennent se réunir en certains points d’élection. En outre, elles se groupent régulièrement et s’arrangent de façon à constituer ces édifices sur lesquels les mesures géométriques trouvent à s’exercer et qu’on appelle des cristaux.

Les cristaux grossissent peu à peu, comme grossissent les grains de sel qui se produisent par l’évaporation de l’eau salée, mais cette fois dans des conditions que l’insolubilité de la substance rend fort différentes, et progressivement ils atteignent plusieurs millimètres de longueur.

Tout cela, comme on voit, présente le sous-sol comme une région d’une prodigieuse activité. Toutefois la merveille n’est pas finie encore, car à un moment donné, et par suite de circonstances qui nous échappent, les conditions du milieu souterrain se modifient complètement ; les cristaux cessent de s’accroître et même, bientôt, ils subissent une action corrosive qui les dissout et remet en circulation leur substance constituante. Soustraits progressivement à la pâte argileuse dans laquelle ils étaient enchâssés, ils y laissent vide l’espace qu’ils remplissaient et qui apparaît à l’état de cavités ayant exactement leur forme ; — ce qui suppose, dans le réactif inconnu qui intervient, autant de délicatesse que d’énergie.

Enfin, plus tard encore, les petites chambres ainsi vidées se sont trouvées toutes préparées pour recevoir les incrustations de calcaire qui composent les épigénies et qu’à première vue on prendrait pour des cristaux ordinaires.

On peut croire d’ailleurs que la célestine n’a pas été simplement dissoute, mais bien plutôt décomposée et sans doute réduite (selon l’expression des chimistes), de telle sorte que c’est son soufre constitutif qui s’est isolé en certaines régions de l’argile noire pour donner naissance aux géodes.

Nous avons insisté sur ces réactions chimiques parce qu’elles nous révèlent d’une manière particulièrement sensible l’intensité et la continuité de l’activité qui règne dans l’épaisseur des couches du sol.

Cette vérité fondamentale de la science de la terre, dont l’admission est de nature à modifier des points de vue admis jusqu’ici en géologie, se trouve en même temps, comme on le voit, recevoir un appui décisif de véritables expériences instituées à leur insu par les Parisiens du temps de Charles V et qui exigeaient des siècles de durée pour donner un résultat tangible.


II

D’une région à l’autre de la ville, les terrains intéressés par le nouveau réseau varient dans de très larges limites, et c’est à cause de la diversité des horizons stratigraphiques recoupés que nos études vont nous procurer les élémens d’une véritable histoire géologique de Paris.

Pour en pouvoir tirer le plus grand parti possible, nous choisirons successivement des exemples parmi les coupes relevées dans les formations de plus en plus anciennes. Remontant ainsi peu à peu dans le passé, aussi loin que les matériaux d’étude nous le permettront, il nous suffira de revenir en quelques mots sur nos pas, pour concevoir l’évolution de la région parisienne et pour expliquer l’acquisition successive de ses différens caractères.

Commençons donc par un coup d’œil sur quelques points du réseau où l’ingénieur a dû attaquer ces formations superficielles qui portent le nom très peu compromettant, faute de signification, de terrains quaternaires. Ce sont des dépôts relativement très récens et qui même se soudent fréquemment de la manière la plus ménagée avec les couches en voie actuelle d’édification.

A Paris leur type principal est appelé « diluvium » et consiste en placages de galets, de graviers, de sables et de unions abondans surtout dans les portions basses du pays, au voisinage plus ou moins immédiat de la rivière. Souvent ces matériaux ne se distinguent, par aucun caractère de structure ou de forme, de ceux que la Seine déplace sous nos yeux, et l’on ne peut douter que leur origine ne soit rigoureusement la même. Pourtant, il faut reconnaître que leur formation remonte à une date reculée, comparée aux dates historiques, puisqu’on trouve dans leur masse, enfouies comme le sont actuellement dans le lit du fleuve les ossemens des animaux qui se noient, des portions du squelette de bêtes qui n’existent plus en aucune région de la terre, comme l’éléphant à fourrure, le rhinocéros à narines cloisonnées, le cerf à bois gigantesques, ainsi que des armes et des outils en usage aux temps où l’homme, ignorant encore les métaux, se servait exclusivement de la pierre.

Parmi les localités où le diluvium a été attaqué par les travaux du Métropolitain, il faut citer d’abord la place de la Concorde dans le prolongement de la rue de Rivoli. Les graviers, en ce point, étendus très au-dessus du fleuve, à un niveau que celui-ci ne saurait plus atteindre même par ses plus fortes crues, ont des caractères absolument identiques à ceux des graviers actuels, et il est certain qu’ils ont été accumulés de la même manière, par un cours d’eau ayant le même volume, ou à peu près, et la même allure que la Seine contemporaine.

Les échantillons recueillis de ces dépôts nous montrent qu’il s’est accompli dans leur épaisseur, depuis le moment de leur constitution, de ces phénomènes de transformation sur lesquels nous venons de nous arrêter, et parmi lesquels il y a lieu de mentionner l’accumulation progressive du minerai de manganèse qui à la place de la Concorde teint tout le gravier en noir profond.

Sans insister sur ce point, nous ajouterons seulement que le « diluvium » se révèle comme bordant la Seine, à droite et à gauche, sur une grande largeur et comme accompagnant également les affluens du fleuve, Bièvre, rivière de l’Opéra, rivière de la rue des Saussaies et bien d’autres, dont la plupart coulent maintenant sous terre, et offrent des particularités en rapport avec les modifications très amples, subies au cours des temps par les méandres de la Seine.

On est frappé de l’énorme lacune stratigraphique partout existante entre l’âge quaternaire des graviers et l’âge dit éocène des masses sous-jacentes. Toutes les formations dépendant des temps qualifiés de miocène et de pliocène manquent totalement, et il en résulte des conséquences très curieuses.

Il faut en effet admettre, pour rendre compte de leur absence, ou bien que ces formations n’ont jamais existé dans la zone aujourd’hui parisienne, ou bien qu’ayant existé elles ont été ultérieurement supprimées avant l’extension des dépôts quaternaires. Tout à l’heure, le diluvium nous faisait remonter à un moment où les rives de la Seine étaient habitées par des troupes d’éléphans à fourrure. Nous pouvons nous demander maintenant quelles conditions avaient précédé celles-là.

Les documens nouvellement recueillis nous permettent de penser que la période depuis laquelle la région de Paris est continentale, a été prodigieusement longue. Déjà à la fin des temps tertiaires la vallée de la Seine était différenciée, et il reste encore çà et là des lambeaux de diluvium de cette époque renfermant des débris d’animaux qui ont précédé la faune quaternaire et parmi lesquels figurent les grands hippopotames, qui étaient éteints déjà quand apparurent les mammouths et leurs contemporains.

Depuis lors, la pluie a, sans relâche, fait son œuvre sur le sol et elle a arraché peu à peu, et d’une façon presque occulte, des épaisseurs gigantesques de terrains appartenant à des niveaux tertiaires qu’il n’est plus possible de déterminer. L’énergie de cette ablation ne saurait non plus s’évaluer avec quelque précision, et il faut bien nous résigner, au moins provisoirement, à laisser dans le vague ce qui concerne les époques comprises entre les temps actuels et la période quaternaire ancienne, pour laquelle les documens se sont conservés. Du reste, n’oublions pas que leur conservation est provisoire : si le pays continue longtemps encore à subir le régime continental, ses portions superficielles disparaîtront successivement et la lacune mentionnée tout à l’heure ira constamment en augmentant. Déjà, dans l’enceinte de Paris, les assises désignées sous les noms de meulières de Beauce et de sables de Fontainebleau ont presque entièrement disparu et c’est avec un intérêt d’autant plus grand qu’après en avoir étudié les vestiges au sommet de la Butte Montmartre, on en retrouve des traces, grâce aux travaux du Métropolitain, en un tout petit nombre de points, comme sous le pavé du boulevard de Clichy, de la place d’Anvers, de la rue d’Aubervilliers et du boulevard de Charonne. Mais partout, la formation, que nous connaissons intacte, à Bellevue par exemple, avec 60 mètres d’épaisseur, est réduite à de simples lambeaux pénétrant dans des cavités d’érosion des masses sous-jacentes.

C’est là un des exemples des services que rendront nos études de géologie parisienne à nos descendans, pourvus, grâce à elles, de documens relatifs à des formations qui avant peu auront disparu d’une manière complète : combien d’autres productions stratigraphiques n’ont-elles pas été supprimées, dont la notion certaine nous permettrait maintenant de trancher des questions qui nous sont interdites !


III

D’une façon générale, et abstraction faite du diluvium, le gypse ou pierre à plâtre est le terrain le moins ancien qui soit touché par les travaux du Métropolitain.

C’est une formation bien connue, largement entaillée tout autour de Paris et où les observations géologiques ont été multipliées par milliers. Et cependant, le Métropolitain est venu nous enseigner beaucoup de choses curieuses à son égard.

Par exemple, la ligne circulaire « n° 2, » qui va de la place de l’Étoile à la place de la Nation, y montre de grandes variations d’un point à l’autre, ce qui suppose, ou bien une grande diversité de régime lors de la production du gypse, ou bien des phénomènes ultérieurs très compliqués. Sous le boulevard Barbès, les coupes font voir le terrain normal composé de quatre « masses » superposées. Ces masses sont si reconnaissables que c’est au vocable des ouvriers que leur qualification a été empruntée : chacune d’elles est définie par des caractères de structure et de composition en même temps que par l’existence constante, au sommet comme à la base, de lits marneux faciles à caractériser. Or, quand on arrive à la région de la rue Ménilmontant, et jusqu’à la place de la Nation, on constate que la quatrième de ces masses, la plus profonde, c’est-à-dire la plus ancienne, n’est représentée par aucun vestige : les marnes qui devraient l’encadrer sont en contact mutuel, et sa place qui n’est occupée par rien est, au propre, une « lacune » selon la langue des géologues. Pour eux, la constatation des lacunes est des plus instructives parce qu’elle révèle des circonstances successives dont s’est accompagnée l’évolution de la région où on les rencontre.

Sous le boulevard Barbes, les coupes du sol nous montrent qu’à l’époque du gypse, la localité était pourvue de caractères fort analogues à ceux que l’on observe à l’heure actuelle sur les points du littoral où se constituent des marais salans : qu’on s’imagine les entours de la Chapelle avec la physionomie du Bourg de Batz. On sait que les lagunes où l’on recueille le sel parce que l’eau de mer s’y est évaporée, tapissent leur fond de vases argileuses dans lesquelles du gypse cristallise en abondance. Et si, à Paris, le sel ne figure pas parmi les élémens du sol, c’est qu’il en a été extrait postérieurement, par le fait de la circulation des eaux. La preuve c’est qu’on retrouve, dans certaines argiles du terrain de gypse, des moulages ou des empreintes de cristaux de sel, bien reconnaissables à leur disposition spéciale dite en trémies.

Ainsi donc, voilà qui est acquis : de larges surfaces, comprises maintenant dans les limites de Paris, étaient situées, à l’époque de l’éocène supérieur, sur le littoral, souvent submergé, d’une mer très peu profonde, qui venait y déposer par évaporation une portion de ses matériaux dissous, gypse et sel gemme. Les coupes enseignent que les rapports de la nier et de la terre ferme étaient fort changeans d’un moment à l’autre, car les dépôts de pierre à plâtre, plus ou moins épais et mesurant parfois 10 mètres et plus de puissance (ce sont les « masses »), sont séparés les uns des autres par des intercalations de marnes. Lors du dépôt de celles-ci, le sol, qui recevait un sédiment argileux, n’était jamais exondé et les sels en dissolution ne s’y concrétionnaient pas. Il résulte en même temps de la grande épaisseur des gypses accumulés que les conditions de voisinage de la mer ont duré fort longtemps.

Comment ne pas être séduit par un ensemble d’études qui fait revivre le passé, au point de restaurer toute une géographie physique entièrement disparue et de nous révéler, dans un quartier de Paris, le siège de conditions qui règnent à présent dans un des pays qui diffèrent le plus profondément du nôtre ? Il s’agit de la portion orientale de la mer Caspienne qu’on désigne sous le nom de Kara-Boghaz et où, par une espèce très particulière de capture des eaux marines, il se fait un gigantesque gîte de sel gemme et de pierre à plâtre. C’est un espace de 200 kilomètres en tous sens, où l’eau en couche mince, s’évapore avec une très grande activité et dépose en abondance toutes les substances qu’elle tenait en dissolution. La mer, alimentée par la Volga et les autres cours d’eau douce qui se jettent dans son bassin, répare les diminutions de niveau du Kara-Boghaz par des afflux incessans et les concrétions cristallines croissent sans relâche. On peut entrevoir une époque où les flots de la Caspienne seront entièrement dessalés : tout leur sel et tout leur gypse auront alors été immobilisés dans le bassin évaporateur et la mer aura véritablement été lavée par les contributions fluviatiles qui la traversent sans jamais s’arrêter.

Donc, ce n’est pas seulement à la région du Bourg de Batz. c’est aussi à celle de Kara-Boghaz qu’il est légitime de comparer le boulevard de la Chapelle à l’époque gypsienne !

Mais pendant que, dans ce coin du futur Paris, les actions géologiques donnaient naissance à la grande complication des quatre masses gypseuses superposées, il y avait des localités toutes voisines où (du moins pendant le début) les phénomènes d’évaporation ne se faisaient pas si aisément. Par exemple, à Ménilmontant, la mer, après avoir déposé des sables verts qu’on retrouve partout sous les gypses, continua de faire succéder les lits de marne aux lits de marne pendant que le régime lagunaire était déjà en plein fonctionnement à la Chapelle ; et c’est seulement quand la troisième masse commençait à s’étendre sur la quatrième, que l’évaporation des eaux donnait enfin lieu, à Ménilmontant, à la production de bancs de pierre à plâtre.

En y réfléchissant, on trouve que la seule explication possible de circonstances en apparence si capricieuses, consiste à invoquer un déplacement horizontal de la mer : pendant que son rivage passait à la Chapelle, Ménilmontant était encore sous les flots. Mais le soulèvement du fond se propageant peu à peu, mettait au bout d’un temps qui correspond à la constitution de la quatrième masse tout entière, la seconde localité dans les mêmes conditions littorales que la première.

La pierre à plâtre est ordinairement si finement cristalline qu’elle rappelle le grain du sucre ; mais souvent aussi elle est à élémens beaucoup plus larges et des lits s’y signalent par leur structure en grands cristaux, longs de 10 centimètres, rangés verticalement les uns contre les autres : ce sont « les pieds d’alouettes » des ouvriers. Ils abondent dans le sol, par exemple au boulevard de Clichy. En outre, au sein des marnes séparatives des masses de gypse, et spécialement dans celles qui sont intercalées entre la première et la deuxième, le sulfate de chaux est en énormes groupes de deux cristaux lenticulaires associés de telle façon que leur fracture donne lieu, par exemple sous la place d’Anvers, aux « fers de lance » que tout le monde connaît. Il suffit d’une étude même superficielle pour reconnaître que ces formes ont été acquises par le gypse après son dépôt et probablement longtemps après.

C’est sans doute l’un des innombrables effets de l’active circulation souterraine des eaux, qui déjà nous a procuré tant de notions remarquables. Seulement cette fois, il ne s’agit plus, comme pour les productions minérales de la place de la Concorde, de phénomènes actuels, mais de réactions qui ont pris naissance à des époques antérieures. On constate ainsi que des faits correspondant les uns aux autres se sont répétés aux divers momens de l’histoire de la terre, dès que les conditions leur ont été favorables.

Il faut mentionner, dans la même catégorie, la rencontre de la pierre à plâtre, en plus d’un point du sol de Paris, sous la forme d’albâtre. L’albâtre gypseux, d’aspect cireux et si analogue à l’albâtre calcaire, — si inférieur du reste à celui-ci par son peu de dureté, qui permet de le rayer avec l’ongle, — est une matière ayant la même composition que la pierre à plâtre mais dont l’origine est entourée d’un profond mystère. C’est comme la solidification d’une gelée où le minéral n’a pas pris les contours cristallins qui lui sont ordinaires ; à moins qu’elle ne résulte au contraire de la perte par le minéral de son état saccharoïde habituel.

On est d’autant plus disposé à accepter cette seconde manière de voir qu’en une foule de points de notre région, la pierre à plâtre montre les traces manifestes de ces travaux secondaires dont la constatation est si éloquente pour nous révéler l’état d’activité intense des profondeurs souterraines. A chaque pas, on rencontre des roches qui, par un mécanisme inverse de celui qui concerne l’albâtre, ont gardé la structure du gypse tout en en perdant la composition et ces pseudomorphoses peuvent avoir été si actives qu’elles ont souvent intéressé des bancs de roche tout entiers. Dans ce genre, la silice a donné lieu à des effets tout spécialement frappans : beaucoup de couches de gypse recoupées par les travaux du Métropolitain nous ont procuré des nodules de silex noyés dans la roche, à peu près comme le sont, dans la craie blanche, les tubercules de pierre à fusil. Mais si on les regarde de plus près, si par exemple on y débite des lames, minces de deux à trois centièmes de millimètre d’épaisseur et devenues ainsi parfaitement transparentes, pour les soumettre aux observations microscopiques, on y constate des traits de constitution tout à fait intéressans. On s’aperçoit alors que la matière siliceuse dont ils sont exclusivement faits a rigoureusement la même architecture moléculaire que le gypse lui-même.

C’est du reste un fait facile à interpréter, car il reproduit les circonstances qui ont accompagné la pétrification des troncs d’arbre, dans la substance desquels se retrouvent les détails de l’anatomie végétale. Tout le monde a vu les luxueux objets, guéridons, cuvettes, amphores, boîtes de toutes formes, taillés à même le bois fossile de la forêt silicifiée de l’Arizona. Même à l’œil nu, on y reconnaît les couches concentriques de l’accroissement végétal annuel, on retrouve les rugosités de l’écorce, les veines qui signalent l’embranchement des rameaux, et si on s’aide du microscope, on distingue tous les tissus des plantes, et on est à même de déterminer le genre botanique des représentai d’une ancienne flore. Il a fallu, pour que de semblables effets se produisissent, que la matière siliceuse arrivât dans le bois enfoui, de façon à se substituer tout doucement aux tissus et à en conserver la structure jusque dans les détails les plus ténus.

Le même phénomène a certainement eu lieu dans l’épaisseur de la pierre à plâtre et il continue sans aucun doute de se produire dans de certaines localités : la roche se pétrifie, exactement comme se pétrifiait le végétal, et rien ne saurait témoigner plus nettement de la condition éphémère des éléments dont les roches sont formées et qui, comme les molécules vivantes de notre propre corps, sont en voie perpétuelle de remplacement.

Toute cette histoire de la surface du sol de Paris à l’époque où se formait la pierre à plâtre est complétée, de la plus heureuse façon, par l’examen des débris organisés arrachés par les travaux aux couches gypseuses. Et il est d’autant plus impossible de ne pas faire au moins une allusion aux fossiles du gypse que c’est de leur étude que Cuvier a su faire sortir la paléontologie tout entière. Les échantillons qu’il a étudiés sont soigneusement conservés au Muséum, et on vient de consacrer, par une plaque de marbre scellée dans le mur de l’une des rues les plus escarpées de Montmartre, le souvenir de l’origine entièrement parisienne de la science des fossiles.

Les débris organiques renfermés dans les couches de gypse sont très variés, depuis les os de mammifères, comme le palæotherium, jusqu’à ceux des poissons et aux coquilles des mollusques. Leur étude confirme la notion, rappelée déjà, de la condition lagunaire du pays aux temps gypseux, car certains de ces êtres sont terrestres, tandis que d’autres sont lacustres et que d’autres encore sont marins ou saumâtres.


IV

En maints endroits, depuis le quartier de Courcelles jusqu’à Ménilmontant et au-delà, le terrain de gypse, attaqué par les travaux du chemin de fer, repose sur des masses bien différentes et connues depuis longtemps sous le nom de travertin de Saint-Ouen.

Dans la plupart des localités, c’est une formation remarquable tout d’abord par son contraste avec la précédente, car on n’y voit que des couches dont l’origine est franchement lacustre, avec des fossiles qui rappellent les habitans de nos étangs : lymnées, planorbes et autres. Nulle part ne se retrouvent, comme dans le gypse, ces intercalations si curieuses de bancs saumâtres et pendant bion longtemps on a pensé qu’il n’y avait aucun trait commun de formation entre les deux étages superposés.

Cependant, le Métropolitain vient nous mettre sous les yeux des faits déjà aperçus de-ci de-là, mais pourvus cette fois d’une ampleur inusitée, et d’où ressort le fait d’une continuité parfaite entre les couches de Saint-Ouen et celles du terrain de pierre à plâtre.

Dans la région du boulevard de la Chapelle, ces grandes carrières antiques, déjà mentionnées, se continuaient de plus de 10 mètres au-dessous des niveaux ordinairement exploités et allaient chercher, en pleine masse du terrain de Saint-Ouen, des bancs d’un gypse saccharoïde tout pareil à celui d’Argenteuil et propre aux mêmes applications.

Cette découverte suffirait pour montrer combien sont artificielles et précaires les divisions qu’on est obligé d’admettre, pour se reconnaître dans les descriptions, entre les terrains successifs. En réalité, les sédimens se sont accumulés les uns sur les autres depuis l’origine, sans qu’il se soit jamais produit d’interruption dans le processus de leur formation. Seulement, en chaque point, des incidens locaux sont venus marquer de leur empreinte les résultats réalisés.

Pour ce qui est du gypse, sa présence dans le terrain entièrement lacustre de Saint-Ouen pourrait être regardée comme contrariant singulièrement la théorie lagunaire exposée tout à l’heure, et l’on aura sans doute quelque peine à expliquer avec elle comment aucun vestige saumâtre n’est venu se mêler aux contributions lacustres dans l’épais ensemble de couches du boulevard de la Chapelle. En tous cas, il invite les théoriciens à la prudence, et nous ne pouvions manquer de noter que cet avertissement leur vient avec une force nouvelle à la suite des récentes observations dont le sol de Paris a été le théâtre, au cours des travaux du réseau métropolitain.

Du reste, la formation de Saint-Ouen a livré aux ingénieurs bien d’autres faits remarquables, et dans le nombre, il convient de signaler les ménilites. Leur nom dérive de celui de Ménilmontant, où on les observa pour la première fois. Bien que rien ne les désigne pour en faire des objets de parure, leur composition est rigoureusement celle des opales. Elles se présentent, au sein de marnes, en masses tuberculeuses, en rognons, avec une écorce grisâtre qui contraste avec la nuance tantôt bleuâtre, tantôt café au lait, de leurs parties intérieures. Quant à leur structure, elle reproduit, avec une précision qui s’étend aux détails les plus microscopiques, la structure de la marne enveloppante : elles sont donc des pseudomorphoses de ces marnes.

Il ressort de là que les ménilites ont pris naissance au sein de roches préexistantes, grâce à la concentration progressive et sans doute extrêmement lente, autour de certains points fonctionnant comme centres d’attraction, de la matière siliceuse qui les constitue.

Parfois, et spécialement sous le pavé du boulevard de Courcelles, on trouve dans les marnes des lits de matières végétales dérivant par altération de matières végétales qui, à la faveur d’un enfouissement suffisamment prolongé, pourraient acquérir les qualités du charbon de terre. Nous avons le droit de dire qu’il existe sous nos pieds des mines de houille en formation.

Ajoutons qu’il est arrivé souvent, au cours des travaux, qu’on ait rencontré sous les assises de Saint-Ouen les couches qui les supportent normalement parce qu’elles sont plus anciennes, et que nous désignerons sous le nom adopté de sables de Beauchamp. Beauchamp est une petite localité du département de l’Oise, où l’on a exploité longtemps des bancs de pierre à paver noyés dans des sables fins et contenant des myriades de coquilles fossiles admirablement conservées.

C’est spécialement autour de l’Arc de triomphe de l’Etoile, sous le parc Monceau et sous l’avenue de Villiers, que les sables de Beauchamp sont abondans ; on les trouve aussi du côté de l’Observatoire de Montsouris. Rue de Rome, ils supportent les rails du chemin de fer de l’Ouest, et l’égout collecteur de la place Clichy est établi dans leur épaisseur. A la Chapelle, ils sont intimement associés aux marnes de Saint-Ouen qui les recouvrent, et on trouve, parmi les bancs dont ils sont formés, des assises de gypse présentant encore des vestiges de très anciennes exploitations.

Il y a là un fait d’une portée scientifique très considérable. Cette répétition de la pierre à plâtre au travers de ces trois terrains superposés : le niveau de Beauchamp, qui est d’origine marine, puis le travertin de Saint-Ouen qui est lacustre, enfin le terrain gypseux qui est saumâtre ; cette répétition, dis-je, semble bien indiquer que la condition de la surface, aux diverses époques, n’a guère influé sur la production de la substance. Sans doute y a-t-il eu dans ces formations de grands changemens réalisés postérieurement à leur dépôt. Nulle matière n’est plus prédisposée que le sulfate de chaux à émigrer dans l’épaisseur du sol, à se substituer à des élémens préexistans. Les coupes du Métropolitain apportent des documens spécialement précis avec lesquels il faudra compter désormais.

Dans bien des points où les terrassemens ont atteint les sables de Beauchamp, on trouve dans leur masse des blocs de pierre à paver, de grès comme on dit, en conservant une expression celtique qui désigne la pierre par excellence.

L’histoire du grès est bien curieuse et tout à fait conforme au sens général de l’économie souterraine telle que nous l’avons indiquée, car on trouve qu’à l’origine l’ensemble du terrain de Beauchamp était composé de grains de sable englobant parfois des coquilles et d’autres débris organiques de façon à présenter les caractères généraux de nos plages arénacées actuelles. C’est plus tard, quand la couche meuble fut déjà recouverte d’autres sédimens parfois très épais, que la circulation des eaux amena entre les particules incohérentes des dissolutions conjonctives diverses, calcaires, siliceuses, ferrugineuses, qui, suivant les cas, les agglutinèrent d’une façon plus ou moins intime et plus ou moins solide. Les particules juxtaposées et les coquilles furent ainsi empâtées en nodules rocheux. C’est là un phénomène très tranquille dont on peut suivre toutes les étapes dans la nature et dont on peut imiter tous les détails par des expériences de laboratoire.

Dans les pays où, comme la forêt de Fontainebleau, des couches de sable contenant des nodules de grès sont soumises à l’intempérisme, la pluie dégage peu à peu ces blocs, les lave de leur gangue mobile et constitue tout doucement les amoncellemens si pittoresques de roches que l’on qualifie de « chaos » et dont la production a semblé témoigner du déchaînement des énergies les plus cataclysmiennes : les chaos de Franchard et d’Apremont sont des produits de la pluie, et ils continuent à recevoir chaque jour de ce même agent géologique, aussi efficace dans ses résultats qu’il est insignifiant dans son apparence, des modifications successives.


V

Dans toute la zone attaquée par les travaux du Métropolitain, comme dans bien d’autres parties encore de la région de Paris, le sable de Beauchamp se présente comme lié d’une façon très intime à la formation qui le supporte et dont il est comme le chapiteau. Cette formation, c’est l’ensemble des couches du calcaire grossier ou pierre à bâtir, la roche parisienne par excellence, et dont l’histoire, pleine d’intérêt, reçoit des observations faites au cours de ces dernières études, des accroissemens notables.

C’est surtout vers la place de l’Etoile, vers la Porte Maillot, à Neuilly, à Passy, au Trocadéro, puis du côté des boulevards Saint-Jacques et de Vaugirard, qu’on rencontre le calcaire grossier. Attaqué d’habitude par ses régions supérieures, il offre à l’étude la portion de son épaisseur qui est ordinairement désignée sous le nom de « caillasses, » et nulle formation géologique ne renferme plus de détails curieux, plus de faits difficiles à interpréter ; nul terrain n’est plus riche en argumens favorables à la constatation des incessantes modifications des couches du sol par des phénomènes souterrains.

Dans les caillasses, en effet, on rencontre à chaque pas de ces produits singuliers que nous citions plus haut sous les qualifications de pseudomorphoses et d’épigénies. Ce sont des minéraux qui, à la composition chimique d’une espèce donnée, associent la forme cristalline d’une espèce toute différente : par exemple du cristal de roche ayant la forme du calcaire.

Il y a, parmi ces accidens minéralogiques, des productions qui sont d’autant plus intéressantes qu’elles nous font rencontrer, en pleine masse de terrains très récens, des cristaux qu’on est plutôt habitué à recueillir dans des formations où, comme dans les filons métallifères, d’énergiques réactions semblent être intervenues. Nos caillasses parisiennes présentent en effet, et parfois en abondance, de la « fluorine, » qui est une des gangues les plus ordinaires des minerais de plomb et aussi de la célestine qui nous remet en mémoire les trouvailles faites récemment dans le sol de la place de la République. Parmi les détails les plus frappans et aussi les plus vulgaires des caillasses, il faut citer des lits entiers de sables dont chaque grain, parfois gros de plus d’un centimètre, est formé d’un cristal de roche parfait dans sa forme et limpide comme ces « cailloux du Rhin » dont on ne dédaigne pas toujours de faire des parures.

Que s’est-il passé dans les assises parisiennes, bien postérieurement d’ailleurs à leur dépôt, pour qu’une semblable collection d’espèces cristallisées, si variées dans leur composition, ait pu y prendre naissance ? Évidemment des phénomènes compliqués dérivant de la circulation lente de dissolution prodigieusement diluée de matériaux, contractant entre eux et défaisant les associations les plus diverses.

Par exemple, on assiste dans un même lieu à la soustraction de la matière constitutive d’une coquille fossile et à la concrétion du cristal de roche. Avec les considérations abstraites de la chimie classique et qu’on pourrait presque qualifier de géométrique à cause de la simplification et de la précision des cas qu’elle considère, — cela ne se peut guère comprendre. Et la conclusion, c’est qu’il faut faire intervenir dans l’interprétation des phénomènes naturels, au lieu de liquides chimiquement définis, les sèves minérales qui baignent les tissus du grand organisme tellurique, et qui sont aussi compliquées dans leur composition que les humeurs physiologiques.

On a déjà insisté sur l’abus, commis tant de fois en géologie, des considérations purement géométriques, et l’on a montré sans peine qu’il en est résulté, pour beaucoup de théoriciens, la substitution, à la terre, d’une terre complètement artificielle où l’on ne découvre que les caractères dont on l’a gratifiée par hypothèse.

Ce qu’on a moins souvent remarqué, c’est que d’autres géologues se comportent à peu près de même au point de vue chimique : ils isolent certains principes des masses rocheuses qu’ils étudient, les placent dans des conditions très simples et les mettent en présence de réactifs parfaitement définis. C’est, il est vrai, la seule méthode qu’ils puissent suivre, vu les moyens si restreints dont nous disposons ; mais il n’en est pas moins vrai qu’ils commettent une imprudence quand ils cherchent à conclure de leurs résultats des applications directes et trop formelles à l’interprétation de la nature. Celle-ci est bien plus complexe que nous ne pouvons la concevoir, et il nous est aussi impossible de réduire la chimie de la terre à des formules rationnelles que la morphologie du globe à des équations. Dans les deux cas, nous obtenons des résultats partiels plus ou moins approchés, en dehors desquels se maintient toujours la réalité des choses ; nous faisons des caricatures chimiques, comme nous faisons des caricatures géométriques.

Pourtant, ce n’est pas une raison pour renoncer à la synthèse chimique, puissamment instructive dans ses limites ; pas plus qu’à la géométrie qui nous procure également des notions de première valeur. Seulement, c’est une raison d’user, dans ces voies spécialement difficiles, d’une prudence de tous les instans.

Sous les caillasses et avec une épaisseur de beaucoup supérieure à la leur, la pierre à bâtir superpose ses assises : assises innombrables, les unes très cohérentes et propres à la fabrication des pierres d’appareil et des matériaux des constructions les plus solides ; les autres, tendres, comme les moellons qu’on taille à la hachette ou même tout à fait sableuses et coulantes. A de certains niveaux, la pierre calcaire est presque pure ; ailleurs, elle est mélangée d’argile et passe aux marnes : ou bien elle est arénifère ou encore remplie de concrétions siliceuses qui rappellent de très près les rognons mentionnés précédemment.

Du haut en bas, et à maintes reprises, le calcaire grossier, roche si éminemment protéiforme, présente des fossiles et spécialement des coquilles de mollusques dont on fait des collections aussi remarquables par l’infinie variété et par le charme des formes que par la ressemblance générale de l’ensemble avec les animaux qui vivent à l’heure actuelle dans la mer. À ce titre, il y a autour de Paris des localités qui sont devenues célèbres dans le monde entier à cause de la facilité qu’on a d’y recueillir des collections admirables : Grignon entre autres est universellement connu, et personne en effet ne peut rester insensible à cette chose imprévue de ramasser dans le sol, à 8 ou 10 mètres de profondeur, des coquilles élégantes et fragiles pourvues encore bien souvent de leurs couleurs rosées ou jaunâtres et de leurs ponctuations, de leurs stries et de leurs autres ornemens. A vrai dire, les travaux du Métropolitain ne nous ont pas mis en présence de gisemens ayant la manière d’être de la « falunière » de Grignon, mais ils nous ont montré la continuation sous la capitale de couches synchroniques et qui seulement ont été cimentées, enrichies ou appauvries de substances spéciales par les mécanismes souterrains.

Il faut à cet égard faire une place à part aux assises où la roche calcaire est criblée de milliards de cavités dont chacune a la forme d’un coquillage conservée avec une si grande perfection que le moulage par pression à la cire à modeler procure des spécimens déterminables zoologiquement avec autant de certitude que l’eussent été les coquilles elles-mêmes originairement empâtées dans la roche et maintenant disparues.

Si l’on réfléchit aux conditions nécessaires à la réalisation d’un semblable état de choses, on est émerveillé de leur complexité. Les coquilles, au moment de la mort des mollusques qui les avaient sécrétées, ont été enfouies dans la vase calcaire, et la différence de leur composition avec celle de la matière enveloppante est si faible que nos réactifs eussent été bien impuissans à opérer leur séparation chimique. Cependant, après que la roche, sous l’influence du poids des sédimens superposés, se fut consolidée, le passage prodigieusement lent de solutions étendues amena la corrosion et la disparition totale des fossiles, sans que leur gangue en souffrît la moindre atteinte : théoriquement ce fait si fréquent est tout simplement impossible et son explication, malgré de nombreuses tentatives où l’on s’est surtout payé de mots, est encore à trouver. On n’est pas même renseigné sur la nature du dissolvant auquel les coquilles ont cédé toute leur substance : il semble d’abord que ce doive être l’acide carbonique. Mais la masse calcaire générale n’aurait pas manqué dans ce cas de céder elle-même à ce corps si avide de carbonate de chaux. En outre, on ne voit pas d’où le dissolvant pourrait provenir, car la dissolution des coquilles s’est faite uniformément et complètement dans toute l’épaisseur de la couche, sans que l’on constate une région d’arrivée où l’effet serait plus accentué que dans les autres. Enfin et comme comble, il faut ajouter que les lits où les tests d’animaux ont été ainsi supprimés, peuvent être compris entre des assises également calcaires, de composition pour ainsi dire identique, et où, au contraire, ces fossiles se sont conservés en nature avec la plus grande perfection. On voit, comme conclusion, avec quel discernement il importe d’appliquer à l’histoire de la Terre les notions de la chimie pure.

On ne saurait d’ailleurs considérer le volume du calcaire grossier, son énorme épaisseur, l’étendue de la zone qu’il recouvre, sans revenir par la pensée aux grands changemens successifs éprouvés par un même point de la terre. Le sentiment se dégageait très net, quand on circulait dans les travaux du Métropolitain, qu’on se mouvait dans quelque fond de mer, au-dessus duquel les flots auraient pu continuer leur œuvre sédimentaire. Les choses ne se présentaient pas autrement par exemple dans les tronçons de tunnel pratiqués naguère sous le lit de la Manche, aussi bien en France qu’en Angleterre, et les sensations dans l’amorce de Sangatte comme dans celle de Douvres m’ont laissé des souvenirs analogues aux impressions ressenties dans la visite des conduits souterrains du boulevard Saint-Jacques.


VI

Ce qui rend ici d’autant plus frappante la rencontre des assises marines du calcaire grossier dans le sous-sol parisien, c’est qu’elles reposent, dans certains points louches par le réseau de la voie ferrée, sur des argiles dont les conditions de production peuvent être considérées comme tout à fait opposées. Le fait se présente dans la zone Sud-Ouest de Paris, et il est à son tour riche en enseignemens variés. Nous pouvons à ce sujet recourir à des documens très précis, relevés par M. Dollot, et qui lui ont été procurés par l’étude des travaux exécutés le long de la ligne qui s’étend de Courcelles-Ceinture à Passy et au Champ-de-Mars.

A partir de la rue Gustave-Nadaud, et jusqu’à l’île des Cygnes, on trouve le calcaire grossier reposant sans discontinuité sur l’argile plastique. Et tandis que la pierre à bâtir, fissurée et lâche, est extrêmement perméable aux eaux d’infiltration, l’argile au contraire, fine et serrée, pâteuse et toujours prête à fermer d’elle-même les fissures qui pourraient s’ouvrir dans sa masse, est pratiquement étanche. Elle retient donc à sa surface supérieure les infiltrations venant d’en haut, et c’est ainsi que se constitue sur elle et dans le calcaire grossier, une zone saturée constituant un « niveau d’eau. »

Les travaux en ont été plus ou moins compliqués et il a fallu opérer dans l’air comprimé, mais ce qui doit seulement nous arrêter ici c’est la notion qui en résulte quant à l’économie du sous-sol parisien. Non seulement celui-ci est formé d’une superposition d’assises minérales de composition diverse, mais encore il contient des nappes aqueuses, imprégnant des couches perméables reposant sur des lits argileux. C’est encore là un élément de richesse de la région considérée et pendant bien des siècles, Paris s’est désaltéré, non seulement à la rivière, mais encore à l’eau de ses puits, creusés, suivant les points, dans des formations géologiques très différentes les unes des autres.

L’argile plastique est une substance singulière par sa composition qui contraste avec celle des formations voisines et par ses propriétés physiques qui en font la base même des industries céramiques. Ce qui la rend pour nous tout spécialement intéressante, c’est qu’elle renferme fréquemment dans notre région des vestiges fossiles permettant d’affirmer sans hésitation son origine au sein de quelque grand lac recouvrant une portion notable du territoire et donnant la vie à des mollusques assez analogues à ceux dont les coquilles, mentionnées plus haut, sont enfouies dans les assises du terrain de Saint-Ouen.

De temps en temps, entre les couches très régulières de l’argile plastique, sont intercalés des lits de sables parfois très blancs ou des veines tout à fait noires de lignite dont une coupe de la rue de Boulainvilliers a fourni des exemples particulièrement nets.

Ce lignite n’est pas autre chose qu’une variété de charbon, formé par l’accumulation de débris végétaux bien modifiés, comme on pense, dans leur composition première par l’enfouissement qu’ils ont subi depuis des durées dont notre chronologie historique ne saurait donner aucune idée.

Pourtant, on peut reconnaître encore les végétaux d’où viennent ces charbons maintenant fossiles et on distingue des feuilles et des tiges de palmiers et d’autres plantes comparables à celles qui vivent maintenant dans les forêts tropicales ; ce qui conduit à nous révéler qu’avant l’extension à Paris de la mer où s’est déposé le calcaire grossier, la région était continentale, pourvue d’un grand lac et ombragée d’essences arborescentes qui supposent une météorologie très différente de celle dont nous subissons aujourd’hui les vicissitudes.

En plusieurs points, et tout spécialement à la traversée de la Seine, là où la rivière sort de Paris, l’argile plastique laisse atteindre, au-dessous d’elle, des terrains qui sont nettement différens de tous ceux que nous avons précédemment énumérés. Ils sont si caractérisés que les classificateurs les ont rangés dans la catégorie des formations secondaires pendant que les autres sont presque tous de la division des terrains tertiaires : contraste qui semble d’ailleurs bien plus profond qu’il ne l’est en réalité.

Car on me permettra de rappeler ici le caractère essentiellement artificiel de ces distinctions auxquelles on a par erreur, et durant si longtemps, attribué une importance si considérable : on sait maintenant, et de science certaine, que les phénomènes de la sédimentation se sont poursuivis sans interruption depuis l’origine des choses et que toutes les coupures faites dans les série » stratifiées, indispensables comme procédé d’étude et d’enseignement, sont dépourvues de toute réalité objective.

Les formations secondaires qui rentrent dans notre sujet, parce que les travaux du chemin de fer infra-parisien ont pénétré dans leur masse, peuvent être désignées sous les noms de marne de Meudon et de craie blanche. Il y a quelques remarques à faire sur chacune d’elles.

La marne blanche, dite de Meudon, peu épaisse et pauvre en fossiles, présente cette particularité d’être exactement contemporaine d’une très puissante formation marine qui fait le sol d’une notable partie de la Belgique et que l’on désigne couramment sous le nom de calcaire de Mons. Deux savans belges, Cornet et Briart, se sont rendus célèbres en en décrivant la faune, riche et compliquée, et en montrant que cette légion d’animaux fossiles constitue la transition la plus ménagée qu’on puisse imaginer entre la zoologie de l’époque de la craie blanche, qui est franchement secondaire, et celle du calcaire grossier parisien qui est essentiellement tertiaire. De sorte que le calcaire de Mons vient témoigner d’une façon éloquente de la parfaite continuité des phénomènes sédimentaires.

Si la marne de Meudon est incomparablement plus pauvre que le calcaire de Mons, elle a cependant ce grand intérêt de prouver que l’Océan belge se prolongeait à Paris, au moins sous la forme de lagunes, et c’est une notion de géographie passée qu’il peut être utile de retenir. D’un autre côté, on trouve dans son épaisseur la trace d’actions très multiples et avant tout des concrétions siliceuses dont la rencontre nous prépare à l’étude des silex de la craie.

Car la craie qui supporte à Passy la marne de Meudon se montre, là comme bien ailleurs, toute remplie de rognons de silex dont l’histoire peut être refaite dans tous ses détails : elle confirme la notion, développée plus haut, de travaux moléculaires poursuivis sans relâche dans l’épaisseur des roches sous l’influence des circulations aqueuses ; elle montre en même temps comment les rognons, concrétionnés d’abord avec une structure compacte et uniforme rappelant celle des ménilites, peuvent s’arranger peu à peu de façon à prendre à la fin l’état tout à fait cristallin. Les rognons de silex en effet montrent souvent en leur milieu des géodes de cristal de roche, et on peut dire que c’est pas à pas que les échantillons permettent de suivre la transformation de l’une de ces matières dans l’autre.

Un autre exemple de faits procurant à la craie blanche une haute signification, concerne sa constitution intime aussi bien que sa composition chimique. On peut poursuivre, jusque dans les plus intimes détails, la comparaison entre cette antique formation et certains dépôts de nos grands océans actuels.

Il se trouve en effet que, parmi les myriades d’objets de si grande valeur scientifique qui ont été extraits des abîmes sous-marins par les expéditions dont le souvenir est dans toutes les mémoires, figurent les vases déposées dans l’Atlantique par plusieurs kilomètres de fond et coïncidant pour l’ensemble de leurs caractères avec la craie proprement dite. L’analogie est même si intime que, malgré la prodigieuse durée des temps écoulés, on peut croire que, de l’époque crétacée à l’heure présente, la formation de la craie n’a subi aucune interruption.

C’est que la craie, parmi les roches calcaires, représente l’un des types les mieux définis et, en même temps, l’un de ceux qui peuvent nous frapper le plus à cause de la part considérable qu’a prise à son édification la collaboration des forces biologiques : une importante proportion de sa substance résulte de l’accumulation de vestiges animaux.

Ce sont des coquilles microscopiques, et d’autant plus nombreuses, d’êtres dont les très proches voisins pullulent encore dans la mer : elles se présentent comme de minuscules ampoules infiniment légères, d’une variété et d’une élégance de forme et de structure vraiment merveilleuses. On ne se lasse pas de les admirer avec l’aide de l’appareil grossissant et l’on reste confondu, en étudiant leurs représentans actuellement vivans, de constater que les êtres qui les ont fabriquées sont si simples qu’on chercherait en vain, dans la matière homogène qui constitue leur corps, le moindre délinéament d’un organe quelconque. Chacun d’eux est une simple gouttelette d’aspect huileux dans laquelle le besoin de locomotion, de préhension détermine la production des membres, membres provisoires d’ailleurs, aussi éphémères que le besoin qu’ils ont à satisfaire et qui ne sont que des filamens poussés pour la circonstance au travers des perforations dont la coquille est véritablement criblée.

Les « foraminifères » de la craie, aussi fragiles qu’ils sont délicats, ont dû être détruits, pour le plus grand nombre, au sein du sédiment qu’ils contribuent à former, et ils ont dû aussi, bien souvent, se dissoudre dans la mer où ils avaient vécu. C’est en effet une particularité singulière de ces êtres, de se tenir à la surface des eaux comme élémens de la gelée vivante dite « plankton, » où tant de bêtes, poissons et cétacés, trouvent leur alimentation principale. Après leur mort, ils abandonnent leur coquille vidée, à l’action de la pesanteur qui tend à la précipiter sur le fond sous-marin. Mais dans les grandes mers, le voyage vertical est si long qu’au cours de huit ou dix kilomètres à franchir, les infimes tests calcaires éprouvent, de la part du liquide océanique qu’ils traversent, une action chimique à laquelle ils ne peuvent pas toujours résister.

Et malgré ces circonstances, la craie de Passy est vraiment pétrie de ces incontestables témoignages de l’activité de la vie marine aux temps secondaires dans une localité dont les conditions générales ont si complètement changé depuis lors.

Si les travaux de nos chemins de fer urbains ne font qu’écorcher la formation crayeuse, nous savons par d’autres entreprises industrielles que celle-ci constitue dans notre sous-sol des couches superposées d’une épaisseur colossale : les puits artésiens de Grenelle, de Passy, et d’une série d’autres points dispersés dans la ville, sont restés, plus de cinq cents mètres durant, dans le système de celle même formation dont, par conséquent, les conditions d’origine se sont continuées fort longtemps.


VII

Nous pouvons maintenant résumer en quelques lignes l’histoire des vicissitudes nombreuses d’un sol qui a pris, depuis que l’homme s’y est établi, une signification si particulière et qui a été le berceau et le foyer de tant de grandes choses.

En reprenant la question à l’époque où s’est déposée la craie blanche, nous savons que toute la région était alors submergée sous les flots d’un océan très profond et dont les rivages étaient lointains. Il y avait déjà sur la terre et depuis bien longtemps, des continens et des îles, mais ils affectaient une distribution absolument différente de celles qu’ils présentent maintenant. Les traits principaux du futur substratum de Paris ressemblaient beaucoup à ceux qu’on retrouverait aujourd’hui dans les régions centrales de l’Atlantique.

Peu à peu cependant, le littoral se rapprocha, parce que le sol inondé se souleva progressivement, en repoussant doucement les eaux devant lui, et nous savons déjà que sa surrection résulta des déformations infligées à la croûte du globe par la contraction continue du noyau fluide de la terre.

C’est dans les parties suffisamment relevées, mais encore couvertes d’une médiocre épaisseur d’eau marine, que s’accumulèrent ces marnes de Meudon, blanches et plastiques, dont la contemporanéité avec le calcaire de Mons suffirait pour prouver que déjà la surface terrestre était variée d’un point à l’autre comme elle l’est de nos jours.

Le soulèvement continuant, Paris devint continental : le fond crayeux de la mer antique qui subsiste encore par lambeaux en diverses régions des profondeurs souterraines, vint en conséquence s’exposer à l’influence des agens atmosphériques et, sans doute, il perdit du fait de l’intempérisme et par une sorte d’écroûtement, une grande portion de ses régions superficielles. Il s’y établit des plantes et des animaux, témoignant par leur ressemblance générale avec les êtres de nos zones tropicales, d’une climatologie beaucoup plus chaude que celle dont nous jouissons dans les mêmes lieux. Et la condition continentale de cette flore et de cette faune contraste si absolument avec le régime marin sous l’influence duquel s’étaient déposées les assises précédentes, que les géologues, supposant d’abord que le changement s’était opéré simultanément dans tous les points de la terre, placèrent entre ces deux formations successives l’une des divisions principales de l’échelle stratigraphique : à cette division correspond le contact des formations dites tertiaires sur les dépôts qualifiés de secondaires.

Nous avons constaté qu’en raisonnant ainsi, les premiers observateurs se trompaient et que la brusque substitution d’un régime à l’autre est toute locale et ne contredit nullement la continuité parfaite des phénomènes évolutifs de la surface terrestre. Pendant que des terres fermes surgissaient à Paris au-dessus du niveau de la mer, le régime marin se continuait imperturbablement en d’autres localités très nombreuses, où les assises sédimentaires ne laissent voir aucun incident à ce niveau si remarquable ailleurs.

Le continent émergé de la région de Paris reçut, dans quelque dépression de la craie blanche qui devait en faire comme une sorte de Champagne ou de Picardie, un grand lac où se déposa l’argile plastique. Nous ne savons pas à quelle distance de la mer se trouvait cette étendue d’eau douce, ni quelles étaient sa surface et sa forme, et cette ignorance provient de ce que, pendant les époques suivantes, le pays fut profondément érodé par la pluie, puis décapé par la mer, qui revint envahir son ancien domaine.

En effet, après un laps de temps qu’aucune donnée ne nous permet d’évaluer, mais qui, sans aucun doute, fut prodigieusement long, les assises du calcaire grossier vinrent se constituer progressivement par-dessus l’argile plastique. Du reste, la submersion du pays fut accompagnée de nombreux incidens, et les coupes procurées par le chemin de fer métropolitain soulignent des changemens très nombreux dans la profondeur de la mer, en nous mettant sous les yeux des intercalations, dans la série des sédimens marins, de couches témoignant d’une origine saumâtre comme celle des dépôts d’estuaires ou de lagunes, et d’autres présentant des caractères franchement lacustres. Cette complexité signifie sans doute que le point où Paris devait s’établir fut, pendant bien longtemps, situé à une très médiocre distance de la ligne littorale, dans une zone où luttaient sans cesse les eaux marines et les écoulemens aqueux provenant d’un continent tout voisin.

On peut même constater que le calcaire grossier fut soulevé assez au-dessus des flots pour affecter la disposition de falaises, et pour être démoli par la mer, désagrégé en débris qui subirent un triage dont le résultat fut la concentration en certains points de ses élémens les plus lourds. Ceux-ci, qui consistent en grains de sable, en galets de diverses grosseurs et en coquilles déjà fossilisées dont les formes émoussées révèlent les frottemens qu’elles ont subis de la part des vagues, font la base du sable de Beauchamp, qu’on imite si facilement dans sa composition comme dans sa structure, par la désagrégation et le lavage artificiel d’échantillons bien choisis du calcaire grossier.

On voit qu’il s’est rigoureusement produit à cette époque ce qui se passe sur certaines côtes du Portugal et du Brésil, au mont Saint-Élie, dans l’Alaska et aux Barbades, où les flots démantèlent des falaises formées de dépôts tout à fait récens, c’est-à-dire appartenant à la période géologique immédiatement antérieure à celle où nous vivons nous-mêmes. Les spécimens, recueillis au cours de l’établissement du Métropolitain, montrent que l’océan générateur du sable de Beauchamp fut toujours à Paris de profondeur modérée. Il recula même un temps, devant la surrection du sol, sur une large zone à la surface de laquelle s’établit un grand lac dont les vases ont conservé toute une faune et toute une flore qui présentent avec celles de nos eaux douces actuelles des traits de ressemblance générale qui n’empêchent pas de constater de profondes différences spécifiques. Les sédimens de ce lac « de Saint-Ouen, » au sein duquel devaient, avec le temps, se produire les concrétions et les autres modifications intestines dont nous avons parlé, acquirent en quelques points une épaisseur notable, après quoi il leur fallut battre en retraite devant le retour progressif de l’océan.

Il résulte de cette circonstance que l’ensemble des dépôts lacustres a la forme générale d’une lentille colossale, dont le biseau correspond à la plus grande extension des eaux douces en surface. La mer, en revenant, continua d’étaler les sables qu’elle charriait et que lui fournissaient les falaises voisines, et le phénomène prit un temps relativement si court, que certaines espèces animales persistaient encore dans les eaux marines et se retrouvent presque sans changement au-dessus comme au-dessous des couches lacustres. Toutefois, la nouvelle incursion océanique qui a laissé les lits très minces des « sables infra-gypseux » fut éphémère aussi et le régime lagunaire s’établit sur une énorme longueur de côtes et avec une largeur qui prouve l’incessante palpitation du sol, renvoyant et rappelant alternativement un grand nombre de fois les eaux salées sur les mêmes points. Et c’est ainsi que se constituèrent les magnifiques massifs de la pierre à plâtre.

L’étude attentive des gisemens de gypse, même de ceux relativement restreints, que les coupes ont entaillés sous Paris, montre que, pendant leur production, l’activité souterraine ne s’est pas arrêtée un instant : le niveau du pays a changé par rapport à la mer voisine et les couches ont subi des inflexions et même des cassures verticales rappelant les failles des pays de montagnes.

Ces remarques, qui pourraient s’appliquer à tous les niveaux géologiques de notre région, viennent confirmer maintenant la notion désormais acquise que le pays de Paris n’est pas, comme la chose semblait tout d’abord évidente, formé de couches tout à fait horizontales, mais qu’au contraire, ses assises ont, au cours des âges, été déplacées, brisées, tourmentées de mille façons, de sorte qu’elles sont maintenant fort éloignées de leurs conditions originelles.

Après la période lagunaire du gypse, la région parisienne poursuivit pendant un certain temps son mouvement de soulèvement et prit de plus en plus l’état continental. Aussi s’établit-il à sa surface un lac rappelant intimement celui de Saint-Ouen et dans lequel se déposèrent les roches connues sous le nom de travertin de la Brie.

Ce nom rappelle l’extension de la formation lacustre sur une surface géographique coïncidant presque exactement avec l’ancienne province de Brie, et ce serait une occasion de rappeler comment les « régions naturelles » dont les « provinces » étaient des exemples si éloquens, doivent avant tout leur existence à la qualité particulière de leur sol, qui entraîne forcément avec elle tout un ensemble de circonstances donnant à leur tour des qualités spéciales à la faune, à la flore et par conséquent aux cultures et aux ressources de tous genres dont les populations humaines ont besoin.

La période lacustre ne persista pas longtemps : un nouvel affaissement général du pays permit à la mer de revenir une autre fois et de déposer, sur plus de 60 mètres de puissance, les couches arénacées, pures et fines, des « sables de Fontainebleau. » A Paris, les érosions modernes, c’est-à-dire poursuivies depuis la fin de l’époque tertiaire jusqu’à nos jours, ont presque supprimé cette formation qui, tout au voisinage, est l’étoffe des collines de Meudon et de Montmorency, et n’en a laissé subsister que les lambeaux, parfois très circonscrits, dont nous avons donné des exemples.

L’intensité de ces ablations de roches superficielles, par le jeu de l’intempérisme, nous empêche de savoir avec certitude les incidens qui, postérieurement au dépôt des sables, ont accidenté les progrès de l’évolution du sol parisien. Sans répéter les remarques suscitées plus haut par l’examen du « diluvium » et des autres formations caractérisant les vallées, il suffira de remarquer que l’apparition de l’homme sur la terre paraît dater sensiblement du moment où le pays de Paris a été émergé pour la dernière fois. Les plus anciens délinéamens des phénomènes fluviaires y sont pliocènes, c’est-à-dire de la fin des temps tertiaires, et c’est là qu’il paraît de plus en plus légitime de placer le jour solennel où l’homme sortit des mains du Créateur. Il ne nous est pas indifférent de faire coïncider ainsi ces deux grands événemens, la naissance de l’humanité et l’acquisition par la région parisienne des conditions continentales indispensables à l’établissement de notre espèce.

En tous cas, ce que nous avons dit suffit pour montrer que notre sous-sol est comme un musée naturel où se sont accumulés des témoignages de toutes les circonstances successives dont le pays a eu à subir les effets. C’est comme un prolongement colossal de quelque Carnavalet souterrain où l’histoire des temps préhistoriques s’est inscrite page à page, au fur et à mesure de la réalisation des choses, et dans une langue qui devient plus claire chaque jour, grâce à l’infatigable persévérance des chercheurs. Comme pour le Carnavalet municipal, les conséquences des travaux parisiens s’étendent à chaque instant bien au-delà des limites de Paris, et la structure du sol de la Ville éclaire une foule de problèmes qui concernent la terre entière, comme les incidens de la vie sociale de la capitale se répercutent à tous momens dans l’histoire universelle.


STANISLAS MEUNIER.