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Les Tremblements de terre/I/03

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J.-B. Baillière et Fils (p. 61-68).

CHAPITRE III


DIRECTION DES SECOUSSES


La situation de l’épicentre peut encore être établie par l’observation des azimuths, dans lesquels s’effectuent les oscillations séismiques. Cependant, ce procédé est moins précis que les précédents, car il ne fournit que des renseignements vagues sur les limites de l’épicentre. Si le centre de l’ébranlement était unique et étroitement limité ; si, en outre, le sol était homogène, la verticale du centre d’ébranlement rencontrerait la surface du sol en un point où se croiseraient tous les plans d’oscillations dont il vient d’être question. Ce point mériterait véritablement, à l’exclusion de tout autre, le nom d’épicentre. Mais il n’en est jamais ainsi. Les points de croisement des plans d’oscillation sont multiples ; tout ce que l’on peut dire, c’est que ces points de croisement se trouvent groupés dans un espace plus ou moins nettement circonscrit, qui correspond à peu près à l’épicentre, tel qu’il a été précédemment défini. Néanmoins, lorsqu’un tremblement de terre a eu lieu, il est très important de rechercher, ne fusse que comme moyen de contrôle, quelle a été, en chaque localité ébranlée, la direction du mouvement ondulatoire constaté.

Les séismographes pendulaires dont il vient d’être question remplissent parfaitement ce but. On peut aussi en imaginer de plus simples ; employer, par exemple, comme on l’a fait, des quilles de hauteurs inégales que les secousses jettent de côté sur un lit de sable. Ces quilles demeurent en place sur le lieu de leur chute et attestent ainsi la direction de l’ébranlement qui les a renversées. On s’est servi également de boules en ivoire ou en métal mobiles sur un plan horizontal et allant, au moment d’une secousse, tomber sur ses bords dans des cavités disposées pour les recevoir. Enfin, on a employé aussi des godets ou des tubes de forme spéciale, remplis de mercure et disposés de telle façon que les secousses déversent le liquide du côté d’où vient la poussée. Tous ces dispositifs plus ou moins sensibles peuvent montrer l’orientation du plan vertical dans lequel s’opère le mouvement[1].

À défaut d’instruments, l’observation directe ou les renseignements que fournissent les personnes qui ont été témoins du tremblement de terre peuvent encore conduire à de bonnes indications sur l’orientation du plan vertical suivant lequel s’est effectué le choc. Fréquemment, on a des indications assez précises sur la direction dans laquelle ont oscillé les objets suspendus, tels que les lampes, les lustres, etc. ; on peut connaître le sens de la chute des objets meubles, tels que les statues, les candélabres, les vases placés sur une table, un buffet ou une étagère. On recueille souvent d’excellents renseignements dans les boutiques des pharmaciens. Du côté faisant face à la direction d’où vient l’ébranlement et du côté opposé les flacons sont généralement jetés par terre, tandis que contre les deux autres parois ils sont simplement dérangés et culbutés sur place. L’observation du tremblement de terre du 25 décembre 1884 en Andalousie a fourni plusieurs exemples de ce genre.

Enfin, l’examen des édifices en ruine peut encore procurer quelques données utiles. Ainsi, par exemple, les maisons dont la façade est perpendiculaire à la direction des secousses sont, en général, relativement très maltraitées et leurs façades sont renversées du côté d’où vient le choc. Dans le cas, au contraire, où l’alignement des murs coïncide avec la direction de propagation du mouvement, le dommage est moins considérable. Si la maison est prise en diagonale par le choc, il s’y détache deux encoignures opposées, limitées chacune par une fente en forme de V ; le plan de la fente est moyennement incliné sur l’horizon (souvent voisin de 45°). L’encoignure antérieure, celle qui la première a reçu le choc, est située à la base du bâtiment ; l’encoignure postérieure, placée à l’extrémité de la diagonale opposée, en haut de la construction, est fréquemment jetée en bas par les secousses.

Ces règles, établies en 1857 par B. Mallet, à la suite de l’examen des ruines d’un tremblement de terre qui venait de causer de grands désastres aux environs de Naples, se trouvent vérifiées dans certains cas ; mais elles souffrent de nombreuses exceptions à cause de l’hétérogénité des constructions ébranlées, et aussi à cause des perturbations que les inégalités de structure et de composition du terrain apportent à la direction de propagation du mouvement. De telles inégalités sont la cause des résultats étranges que l’on obtient parfois quand on cherche à déterminer la direction des mouvements séismiques dans une certaine région. Lorsque l’épicentre est connu, que sa position est bien fixée, par la considération des intensités, par exemple, il arrive en effet que les pendules installés dans les meilleures conditions de sensibilité indiquent pour l’orientation du choc, des directions absolument différentes de celles auxquelles on devait s’attendre. Quelquefois même, le mouvement se fait à angle droit de l’orientation prévue. Pour expliquer de telles anomalies, il faut admettre nécessairement que la secousse en se propageant a subi, soit brusquement au contact d’un accident géologique, soit peu à peu par suite de l’hétérogénéité du terrain ébranlé, des modifications profondes dans sa direction de propagation. Certains tremblements de terre n’offrent, pour ainsi dire, aucune difficulté au point de vue de la détermination des directions d’ébranlement. D’autres, au contraire, ne permettent d’arriver à aucune donnée positive sur cette question spéciale. Tel a été le cas par exemple, d’une manière très frappante, pour le tremblement de terre du 23 février 1887. Non seulement dans les localités de l’épicentre les pendules ont oscillé dans tous les azimuths, mais encore tout à l’entour de la zone épicentrale, le choc s’est manifesté dans les directions les plus inattendues. C’est ainsi qu’à Turin les pendules se sont balancés principalement de l’est à l’ouest au lieu d’osciller exclusivement du nord au sud comme on aurait pu le présumer, puisque l’ébranlement venait de la côte de Ligurie. De même, à Florence, le mouvement qui aurait dû arriver dans un azimuth N.O.–S.E., s’est manifesté dans la direction perpendiculaire.

Ces faits montrent bien la complexité du phénomène et la difficulté que l’on aura probablement toujours à étudier les questions, même les plus simples, parmi celles qui se rapportent aux tremblements de terre.

Ces perturbations dans les directions constatées s’observent particulièrement dans les pays qui offrent des accidents orographiques considérables, conséquences de dislocations profondes du sol nombreuses et importantes. C’est pourquoi en Suisse M. Forel insiste sur ces variations désordonnées des directions d’ébranlement, et, dans l’Amérique centrale, M. de Montessus déclare qu’après avoir cherché dans un grand nombre de tremblements de terre à déterminer les directions d’ébranlement, il n’a jamais pu arriver à aucune conclusion certaine. Il attribue le fait à ce que les secousses, en se communiquant dans un sol hétérogène, subissent des phénomènes de réflexion et de réfraction. Il en résulte des ondes secondaires qui se superposent à l’onde principale et en masquent la direction de propagation. Pour une secousse donnée, dit-il, les directions indiquées en des lieux très voisins font presque tout le tour du cadran. C’est aussi à des interférences d’ordre secondaire avec l’onde principale, que l’on attribue les espaces immobiles (ponts) au milieu d’une surface agitée, et réciproquement, les maxima inattendus de la commotion dans une région médiocrement éprouvée par le séisme.

Dans les localités appartenant à l’épicentre, l’onde séismique directement transmise est essentiellement caractérisée par les mouvements trépidatoires qu’elle produit ; par conséquent, lorsqu’on y constate un mouvement ondulatoire, il est probable qu’il est le résultat de l’arrivée d’une onde réfléchie. Ce qui rend surtout cette hypothèse probable, c’est que, en général, les mouvements ondulatoires de ce genre y succèdent souvent dans un même lieu à de violentes trépidations. Cependant, nous devons dire que Falb a donné une autre explication de ce fait ; partant d’idées théoriques sur la cause des tremblements de terre, il admet que dans un séisme composé de plusieurs secousses se succédant rapidement, le centre d’ébranlement se déplace de bas en haut, se rapproche de plus en plus de la surface du sol. Il en résulte qu’en même temps l’épicentre se rétrécit et tel point compris au début des phénomènes dans son intérieur se trouve en dehors de ses limites au moment de la fin de la secousse : d’où il suit qu’en un tel point, à des trépidations doivent succéder des ondulations du sol. Le seul reproche que l’on puisse adresser à cette théorie telle qu’elle est formulée par Falb, c’est que rien ne justifie l’hypothèse qui lui sert de base.

Au contraire, l’explication en question devient plausible, si on se contente d’admettre en général un déplacement du centre d’ébranlement pendant la durée de la secousse sans en fixer les conditions.

C’est à l’observation à déterminer dans chaque cas particulier le sens dans lequel s’est opéré ce déplacement. Cependant, dès maintenant on peut dire que, contrairement aux idées de Falb, il s’effectue bien plus souvent dans des directions horizontales que dans le sens vertical.

En général, l’observation fait connaître seulement l’angle que forme la direction de la secousse avec la méridienne ; elle n’en indique pas le sens. Les impressions personnelles, par exemple, ne permettent pas de démêler si le choc a été dirigé du nord au sud ou inversement du sud au nord. L’examen des ruines, suivant la méthode de Mallet, est tellement difficile, qu’on en tire rarement quelque conclusion sûre. C’est donc uniquement par une série d’observations faite dans les divers points de la surface ébranlée que l’on arrive à fixer la position du centre superficiel du mouvement. Cependant, contrairement à l’opinion de Heim, nous pensons que l’étude des tracés fournis par les instruments enregistreurs peut aussi conduire dans une localité donnée à la détermination du sens de propagation du mouvement dans le sol. Il suffit pour cela que ce tracé soit assez net pour que l’on puisse apercevoir le trait correspondant à la première ondulation simple, et que l’on sache le sens dans lequel il a été inscrit. Heim objecte que la commotion peut être due à la mise subite en mouvement du sol, ou au retour subit au repos après un mouvement qui avait commencé progressivement, et que les deux phénomènes opposés produisent sur les instruments les mêmes impressions. À cela nous répondrons simplement que la conception d’un repos brusque répondant à une commotion progressive, nous paraît bien hypothétique. Les théories principales qui, jusqu’à présent ont eu cours dans la science pour expliquer les séismes, sont en désaccord avec une pareille manière de voir.

Nous ne pouvons clore l’examen de ce qui est relatif à la direction des secousses séismiques sans appeler l’attention sur une cause d’erreur signalée par Forel, bien qu’elle n’ait pas à nos yeux la gravité qui lui a été attribuée par le savant physicien. « Il ressort, dit-il, des documents entre nos mains, que la plupart des observations sont influencées par le fait d’avoir été prises dans des maisons à façades rectangulaires ; le mouvement d’oscillation est modifié par la direction des façades ; les mouvements obliques à ces façades se transforment le plus souvent dans la maison en balancements perpendiculaires ou parallèles aux murailles principales du bâtiment. Dans une rue, la direction de la secousse est neuf fois sur dix indiquée comme étant ou parallèle ou perpendiculaire à l’axe de la rue. »

Pour éviter l’objection, il est évident que dans la construction des observatoires séismiques, on devra donner aux bâtiments des formes arrondies et autant que possible disposer les instruments le plus près que l’on pourra de l’axe de l’édifice.

  1. Voir l’emploi des séismographes analyseurs, p. 80.