Les Tremblements de terre/II/03

La bibliothèque libre.
J.-B. Baillière et Fils (p. 268-285).

CHAPITRE III


TREMBLEMENT DE TERRE D’ISCHIA
― 28 juillet 1883 ―


L’île d’Ischia est presque entièrement de formation volcanique. La majeure partie du sol qui la compose a été formée, en effet, par des éruptions, les unes sous-marines, les autres sub-aériennes. Depuis le commencement de l’époque historique, elle a été fréquemment ébranlée par des tremblements de terre, mais aucun de ceux qui sont connus n’est comparable à celui du 28 juin 1883.

Avant de présenter au lecteur le récit de cet événement, il est nécessaire que nous entrions dans quelques détails sur la constitution du sol de l’île et sur les principaux phénomènes d’origine endogène dont il a été le théâtre.

Au centre de l’île s’élève une montagne haute de 792 mètres au-dessus du niveau de la mer. Elle a la forme d’un cône isolé taillé à pic du côté sud et s’inclinant sous des pentes plus ou moins fortes du côté opposé. C’est l’Épomeo. Cette éminence est constituée par une masse énorme d’un tuf ponceux d’un blanc verdâtre recouvert en grande partie à sa base par des courants de lave trachytique, par d’autres tufs plus récents de couleurs variées et aussi, en quelques points, par des lambeaux de roches sédimentaires. Celles-ci sont des argiles marneuses formées par l’altération et la désagrégation des tufs. Ce sont des cendres volcaniques décomposées. Cette argile tufacée contient des coquilles marines identiques pour la plupart à celles qui vivent encore dans le golfe de Naples. Les fossiles s’observent jusqu’à une hauteur de près de 500 mètres, ce qui montre qu’il est formé par un noyau puissant de projections volcaniques accumulées sous l’eau de la mer. Une partie de la montagne au moins est donc de formation sous-marine. Les géologues admettent généralement que la cime de la montagne est un débris du bord d’un ancien cratère dont toute la partie septentrionale aurait disparu par suite des érosions. On fait remonter le début des éruptions, qui ont donné naissance à l’île d’Ischia, au commencement de l’époque quaternaire, et on les considère comme contemporaines de celles qui ont produit les cônes des champs phlégréens.

Parmi les roches trachytiques massives que l’on rencontre dans l’île d’Ischia, il en est quelques-unes qui sont aussi de formation sous-marines, car leurs tufs sont encore mélangés de débris de coquilles ou même renferment des coquilles qui paraissent provenir d’animaux ayant vécu sur place.

Les éruptions, qui se sont produites après que la majeure partie de l’Épomeo était devenue sub-aérienne, se sont manifestées principalement sur ses flancs septentrional et oriental. À l’aide d’une étude attentive, on a pu déterminer à peu près l’âge relatif de chacun des cônes et des amas de lave que l’on rencontre dans cette partie de l’île. Les mieux conservés sont naturellement les plus récents ; ils sont connus sous les noms de Rotaro, Montagnone, Bagno et Cremate. Le cratère de Bagno était un petit cratère-lac, très voisin de la mer, dont on a récemment fait un port. Les monts Rotaro et Montagnone présentent deux cratères remarquables par leur régularité. Le cratère connu sous le nom de Cremate est celui qui a été formé par l’éruption de 1302.

Depuis le commencement de l’époque historique, les éruptions dans l’île d’Ischia ne se sont produites qu’à de très longs intervalles. Pendant les périodes de tranquillité, les forces volcaniques se sont manifestées seulement par des émanations gazeuses et des sources thermales. L’éruption la plus célèbre et la mieux connue est celle de l’année 1302, qui s’est produite après un repos de mille ans et qui, depuis lors, n’a été suivie d’aucune éruption nouvelle. Elle a vomi une longue coulée d’une lave noire vitreuse, semée de gros cristaux de sanidine. Cette coulée, qui s’étend du pied de l’Épomeo jusqu’à la mer, à peu de distance de la ville d’Ischia, est connue sous le nom de coulée de l’Arso.

Il est à remarquer que tous les produits volcaniques de l’île d’Ischia ont la plus grande ressemblance de composition avec ceux des champs Phlégréens et qu’ils sont, au contraire, essentiellement différents de ceux du Vésuve et de la Somma. Ils ne sont pas leucitiques.

Les émanations gazeuses de l’île d’Ischia possèdent, en général, une température assez élevée ; on leur donne le nom de fumerolles ; citons les principales :

1o Celle de Montecito émet de la vapeur d’eau à une température qui varie de 90° à 100°, en même temps que de l’acide sulfhydrique ; elle est située au nord de l’Épomeo, entre le pied de la montagne et la ville de Casamicciola.

2o Une autre, située au-dessus de Selva Masarra, à l’ouest de Montecito, présente à peu près la même température.

3o La fumerolle delle Frane, située à peu de distance à l’ouest au-dessus de Fango, siège sur des fentes du tuf, qui, en ce point, est fortement altéré par les vapeurs.

Ces trois fumerolles appartiennent à un même groupe, auquel nous rattacherons encore les fumerolles et les sources thermales suivantes :

4o Les sources thermales de Casamicciola sont situées à l’ouest de la ville, dans les petites vallées de Gurgitello et d’Ombrasco ; elles sont à quelques mètres l’une de l’autre et environ au nombre de quinze. Quelques-unes sont très abondantes ; leur température varie de 62°à 70°.

5o Les fumerolles de Laco Ameno forment trois groupes à l’ouest de Laco, situés à une petite distance l’un de l’autre ; leur température est comprise entre 40° et 45°. Sur la plage de San Montano et sur celle de Laco, il existe des sources thermales alcalines et salées, et le sable de la plage, en divers points, présente des températures comprises entre 50° et 75°.

6o Dans le cratère du Mont-Thabor et sur ses flancs s’observent des fumerolles dont la température est comprise entre 43° et 65°. Celle du sable de la plage à Castiglione s’élève jusqu’à 75°.

7o Les fumerolles du Monte Corvo, sur le flanc occidental de l’Épomeo, au tiers environ de sa hauteur, occupent une surface de près de 100 mètres carrés ; elles sont constituées par des jets violents de vapeur d’eau à 100° avec une petite quantité d’acide sulfhydrique.

8o À l’ouest de l’île, sur la plage de la Citara, se trouve une fumerolle, dont les émanations possèdent des températures variant entre 80° et 92°.

9o Au sud de l’île, la plage des Maronti présente des fumerolles et des sources thermales très chaudes ; le sable est brûlant sur une grande étendue ; un thermomètre qu’on y plonge à une petite profondeur indique une température de 100°. En plusieurs points, on constate la formation d’incrustations de soufre.

10o Citons encore les sources très chaudes de Saliceto et les fumerolles de Testaccio et de l’Arso qui sont moins importantes.

Toutes les éruptions historiques qui ont eu lieu sur les flancs de l’Épomeo ont été accompagnées de violents tremblements de terre. Jusqu’à la fin du siècle dernier, on a peu de renseignements sur les séismes qui ont ébranlé l’île en dehors de ceux qui se rattachent aux éruptions. En voici la liste :

28 juillet 1762.

28 mars 1706. Violentes secousses avec maximum à Casamicciola.

26 juillet 1805.

15 septembre 1812.

2 février 1828. Ce tremblement de terre fut assez violent ; il fut précédé d’un fort grondement souterrain que Covelli compare au bruit du choc d’un gros marteau frappant au-dessous de la voûte de sa maison. La secousse, d’abord ondulatoire, se transforma en une forte trépidation. Le maximum d’intensité se fit sentir à Fango et dans la partie occidentale du district de Casamicciola ; beaucoup d’édifices furent renversés, il y eut trente morts et cinquante blessés. On n’a pas signalé alors de changement permanent dans les sources thermales ni dans les fumerolles. Les secousses se firent sentir assez fortement sans produire de graves dommages à Lacco et à Fontana. Elles furent à peine perçues à Forio et dans la ville d’Ischia.

Le 14 février, le 30 juin et le 24 septembre de la même année, il y eut encore quelques ébranlements peu importants.

1834. Quelques secousses à Casamicciola.

1841. Ébranlement très fort dans la même localité.

1851. Le désastre de Melfi, qui eut lieu le 14 août, à 2h 20min du jour, se fit ressentir dans l’île d’Ischia sans y produire de dommages.

7 juin 1852. À 10h 35min du matin, trépidations à Casamicciola, à Lacco et à Forio.

30 janvier 1863. Ébranlement violent à Casamicciola.

22 mars, 29 avril de la même année. Secousses avec maximum dans le même district.

30 octobre 1864. Petite secousse à Forio.

15 août 1867. Forte commotion du sol à Casamicciola.

23 janvier 1874. Légère secousse dans la même localité.

13 juillet 1875. Violent mouvement ondulatoire, suivi de trépidations. Le centre est toujours à Casamicciola.

Du 24 au 28 juillet 1880, tremblement de terre dont le point épicentral paraît s’être trouvé à Ventosene, une des îles Ponces. Il y a une perturbation dans le débit des sources thermales d’Ischia et dans leur température.

Le 4 mars 1881, à 1h 5min après-midi, un tremblement de terre très violent se manifesta encore dans le district de Casamicciola. La majeure partie des maisons de Casamenella furent renversées. Quelques édifices furent endommagés à Forio et à Fontana. Dans le reste de l’île, le tremblement de terre fut ressenti sans produire de dommages. L’ébranlement ne fut perçu ni à Naples, ni à l’Observatoire du Vésuve.

Janvier et mars 1882. Quelques légères secousses à Casamicciola.

L’indépendance que nous avons signalée entre les produits éruptifs qui figurent, soit à la Somma, soit au Vésuve, et ceux que l’on rencontre dans l’île d’Ischia, se retrouve quand on compare les séismes des deux régions pourtant si voisines. En effet d’une part, les tremblements de terre les plus désastreux de l’île d’Ischia ne se sont point fait sentir dans la région du Vésuve ; tout au plus, en constate-t-on les effets éloignés dans les Champs Phlégréens et dans les îles Ponces. D’autre part, les plus violents tremblements de terre du district napolitain semblent avoir passé inaperçus à Ischia. C’est ainsi, par exemple, que, dans l’histoire des tremblements de terre si violents de 1456, 1570, 1594, 1665, 1688, 1694 et 1857, on ne trouve aucune mention de dommages produits dans l’île d’Ischia, quoique plusieurs de ces séismes aient couvert de ruines Naples et ses environs.

Le tremblement de terre d’Ischia, sur lequel nous devons maintenant fournir des détails circonstanciés, a eu lieu le 28 juillet 1883 à 9h 25min du soir. Il ne paraît y avoir eu aucun signe précurseur. La première secousse a été de beaucoup la plus violente. Toutes les personnes qui, habitant Casamicciola, ont donné leur impression sur cette commotion, la comparent au choc produit par une explosion. Il semblait, dit l’un des témoins oculaires, que la ville tout entière de Casamicciola sautait en l’air comme le bouchon d’une bouteille de champagne. On est en droit d’après cela de penser que le premier mouvement a été dirigé de bas en haut ; cependant, il n’est pas douteux qu’à Casamenella même, et dans toute la partie occidentale de Casamicciola où le désastre a été le plus grand, un mouvement ondulatoire n’ait presque immédiatement succédé à la trépidation primitive. L’un des témoins de l’événement, le professeur G. Palma, qui est demeuré enseveli sous les ruines pendant plus de douze heures, a montré par son récit avec quelle rapidité le mouvement ondulatoire était devenu le mouvement dominant : « J’étais, dit-il, occupé dans ma chambre à ranger ma malle et à compléter mes préparatifs de départ pour le lendemain, lorsque je me suis senti violemment secoué. J’ai levé immédiatement les yeux et aperçu sur ma table ma bougie qui oscillait rapidement en s’écartant d’une trentaine de degrés de la verticale. À peine avait-elle effectué trois ou quatre oscillations qu’elle se renverse et s’éteint. Je me trouve dans l’obscurité et en même temps, de toutes parts, recouvert des débris du plafond. La maison s’écroule, et les ruines en tombant produisent un horrible fracas qui se joint au bruit dont la secousse est accompagnée. » Ainsi, le professeur Palma a senti à peine la trépidation initiale, tandis qu’il a eu la notion très distincte du mouvement ondulatoire dont il a même pu indiquer la direction nord-sud d’après les oscillations de sa bougie.

D’autres témoins, entre autres G. Lombardi, ont eu la sensation très nette de trépidations, suivies d’un mouvement ondulatoire et même ce sont surtout les trépidations qui les ont le plus vivement impressionnés. G. Lombardi a raconté que dans sa maison tous les objets meubles avaient été projetés verticalement, mais qu’ils étaient retombés sur place et qu’il n’y avait eu de renversé qu’un verre qui s’était brisé en tombant.

Le bruit souterrain a été extrêmement intense, et, d’après les descriptions recueillies à Casamicciola, il a présenté un caractère particulier. M. Palma dit qu’il ressemblait au bruit occasionné par un vent d’ouragan dans une forêt ; d’autres personnes l’assimilent à un sifflement puissant, d’autres encore à des grincements. D’après G. Palma, le bruit n’aurait pas précédé la secousse, mais l’aurait exactement accompagnée, tandis que certains témoins affirment qu’il a commencé une ou deux secondes plus tôt.

À Lacco et à Penella les trépidations ont été très marquées, cependant la secousse s’est terminée par un mouvement ondulatoire dirigé S.E.-N.O. ; le bruit ressemblait à celui d’une explosion et se continuait sous forme d’un grondement prolongé. Il semble que là il ait à peu près accompagné la secousse.

Des faits du même genre ont été signalés à Forio ; le mouvement trépidatoire a été d’une grande intensité et suivi d’ondulations dont la direction dominante était E.O. ; cependant certains objets sont tombés dans la direction N.S., comme si la composante horizontale du mouvement avait offert successivement deux directions à angle droit l’une sur l’autre.

Un fait assez curieux a été raconté par un habitant de Forio, nommé G. Milone. Il était en marche dans une rue étroite lorsque tout à coup il entend un bruit strident comme celui d’une tempête et voit crouler un mur en face de lui, à 2 mètres de distance ; il avait à peine senti sous ses pieds l’ébranlement souterrain, tandis que les cris provenant d’une maison voisine montraient la terreur des habitants.

À Panza et à Giglio, la grande secousse du 28 juillet a commencé par des trépidations et s’est terminée par des ondulations. Le grondement souterrain a accompagné la secousse sans la précéder. La commotion principale a été suivie de deux autres beaucoup plus faibles, l’une vers minuit, l’autre vers deux heures du matin. En outre, dans la matinée du 29 juillet, à diverses reprises on a entendu des grondements souterrains. Cependant ces secousses accessoires ne paraissent pas avoir été ressenties à Casamicciola, car G. Palma ayant conservé toute sa présence d’esprit au milieu des ruines qui le recouvraient raconte que pendant toute la nuit il n’a pas perçu le moindre mouvement.

À Fiajano, la secousse ondulatoire principale a été dirigée E.-N.E. Un fait arrivé dans cette localité mérite d’être raconté. Un vase presque plein d’huile se trouvait placé sur un coffre ; par l’effet de la secousse, la moitié du liquide a été lancée à plus de 1 mètre de distance dans la direction E.20°.S. ; non seulement le vase n’a pas été renversé, mais encore il n’a pas été déplacé. De cette observation, le professeur Mercalli, conclut que la direction de propagation du mouvement devait être fortement inclinée sur l’horizon.

Les observations suivantes faites à Fontana amènent le savant physicien à la même conclusion pour cette localité : dans une maison deux bouteilles, l’une d’un demi-litre, l’autre de 3 à 4 litres, contenues dans un buffet ouvert, ont été lancées la première à 1m,50 sur un coffre placé au S.-E. du buffet, la seconde s’est trouvée à terre à plus de 2 mètres de sa position primitive.

Presque au sommet de l’Epomeo, dans une petite chapelle dédiée à Saint-Nicolas, les trépidations ont été peu marquées, mais on a senti un mouvement ondulatoire principal dirigé N.S. et un autre secondaire E.O. C’est la conclusion à laquelle conduit l’observation d’une statuette, de chandeliers et de divers autres objets qui ont été jetés par terre.

À Barano, le clocher a oscillé dans la direction N.S. et les cloches se sont mises en branle. Le bruit souterrain a été assez fort. D’après le récit de l’un des témoins cités par Mercalli, il aurait précédé la secousse ; d’après un autre témoin, l’ébranlement aurait commencé avant la production d’aucun bruit.

À Moropane, des objets meubles sont tombés vers l’est, d’autres vers E.30°.S.

À Testaccio, on a entendu le bruit, puis on a senti la trépidation et en dernier lieu le mouvement ondulatoire. La secousse a été très violente, il en a été de même à Campagnano où la direction du mouvement a été N.E.-S.O.

Dans la ville d’Ischia, bien que les dommages se soient bornés à quelques fentes dans les murs des habitations, la secousse a été assez violente ; l’évêque a été jeté à bas de son lit. Le bruit entendu ressemblait à un roulement métallique assourdissant.

À Procida, et sur le continent à Pouzolles, la commotion a été extrêmement faible.

À Naples, le professeur Palmieri a indiqué que le séismographe de l’Université avait enregistré une première secousse de 2 secondes de durée à 9h 15min du soir et une seconde plus forte et de plus longue durée à 9h 25min. Toutes deux ont été ondulatoires.

Les séismographes du professeur de Rossi, à Ceccano, à Velletri et à Rome, ont indiqué une secousse avec ondulations très lentes à 9h 30min du soir.

Par l’effet de la secousse, des masses considérables de tuf se sont détachées de l’Epomeo et ont glissé sur la pente en produisant un nuage de poussière. Les fumerolles ont augmenté d’activité, mais leur température ne paraît pas avoir beaucoup varié, ou au moins, la variation ne s’est pas maintenue, sauf, cependant, à Montecito. On y a surtout remarqué une augmentation dans la quantité d’acide sulfhydrique émise. En beaucoup de points, le sol s’est crevassé et sur les fentes se sont établies de nouvelles fumerolles. Les crevasses les plus importantes ont été observées au-dessus de Fango. Leur largeur variait de 50 centimètres à 1 mètre.

La considération de la direction des secousses, corroborée d’ailleurs par l’examen des désastres produits, a permis au professeur Mercalli de déterminer la position de l’épicentre. La région la plus éprouvée est évidemment celle qui se trouve située dans la partie occidentale de Casamicciola ; là, sur une longueur d’environ 1200 mètres et une largeur de 200 à 300 mètres, toutes les constructions sont jetées par terre, les maisons les mieux bâties ont été renversées, ou fortement endommagées ; ce lieu encore aujourd’hui présente l’aspect d’un amas de ruines. C’est aussi dans cet espace que la mortalité a été la plus grande. On évalue à 1200 le nombre des maisons renversées ; dans toute l’île il y a eu 2313 morts et 800 personnes grièvement blessées sur une population de 1400 habitants, mais si l’on considère le district qui comprend Casamicciola, la partie haute de Forio et la partie haute de Lacco, on trouve que presque tous les effets désastreux de la catastrophe sont concentrés dans cet espace ; on y a constaté effectivement 2245 victimes.

La carte ci-jointe (fig. 34), tracée par le professeur Mercalli, met sous les yeux du lecteur le tracé graphique qui correspond à ses conclusions dont nous donnons ci-après les principales :

1o La position de l’épicentre coïncide avec la fracture radiale de l’Epomeo sur laquelle sont alignées les fumerolles d’Ignazio Verde et de Montecito, et les sources thermales de la Rita et du Capitello.

2o À Casamenella, on a senti un choc de bas en haut extrêmement violent, ce qui prouve que ce lieu appartient bien à l’épicentre.

3o C’est près de Casamenella qu’ont eu lieu les plus importants bouleversements du sol. Les changements survenus dans les eaux thermales de Gurgitello et de Lacco ont été seulement passagers, tandis qu’à Montecito, le prolongement de la fissure et l’augmentation de l’activité des fumerolles ont été permanents.

4o Le grand tremblement de terre du 4 mars 1881 a eu également son centre près de Casamenella, et il en a été de même pour ceux de 1796 et de 1828.

Ces trois tremblements de terre, de même que celui de 1883, ont eu leur centre d’ébranlement à une petite profondeur ; car, tout en étant très violents, ils ont eu une aire séismique relativement restreinte. Cette aire a été en augmentant d’un tremblement de terre à l’autre ; en 1796 les ruines ont été limitées à la paroisse de Casamicciola ; en 1828, elles se sont étendues au district occidental de Casamicciola jusqu’à Fango ; en 1881, elles comprenaient tout Casamicciola et une partie de Lacco ; et enfin, le 28 juillet 1883, des maisons se sont écroulées à Penza et à Barano. L’aire de ce tremblement de terre est donc dix-huit fois plus grande que celle de 1881. Il y a donc lieu de croire, comme l’a pensé le professeur Palmieri, que le centre d’ébranlement s’est de plus en plus approfondi.

Le professeur Mercalli a cherché à calculer la profondeur du centre d’ébranlement pour le tremblement de terre de 1883 en appliquant la méthode de Mallet. Le tableau ci-dessous contient les données sur lesquelles il s’est appuyé et les nombres qu’il en a déduit.

localités distance
à l’épicentre
angle
d’émergence
profondeur du centre
d’ébranlement
km km
Casamicciola Marina 1,200 45° 1,200
Casamicciola 1,000 45 1,000
Forio 2,500 15 0,669
Fiajano 3,000 30 1,732
Moropane 3,000 25 1,399
La moyenne de cinq nombres trouvés pour la profondeur du centre d’ébranlement est égale à 1km,200.


Fig. 34. — L’île d’Ischia, carte présentant les aires successives des tremblements
de terre depuis 1796 et la position de l’épicentre de la secousse du 28 janvier 1883,
d’après M. Mercalli.

Bien que le tremblement de terre de 1883, dans l’île d’Ischia, n’ait été ni accompagné ni suivi d’aucune éruption, tous les savants qui s’en sont occupés sont d’accord pour lui attribuer les caractères d’un tremblement de terre volcanique proprement dit, semblable à ceux qui de temps en temps agitent les flancs du Vésuve ou de l’Etna. À l’appui de cette opinion, on a fait remarquer que les tremblements de terre d’Ischia avaient leur siège sur le flanc de l’Epomeo, montagne essentiellement volcanique dont le pourtour a été à diverses reprises et à de longs intervalles le siège d’éruptions. Il y a lieu de noter aussi que l’épicentre du tremblement de terre de 1883 a la forme d’une ellipse dont le grand axe coïncide avec une fracture radiale du volcan bien caractérisée. Si dans un avenir plus ou moins éloigné, une éruption se manifeste dans cette île, il est extrêmement probable que la fissure qui lui correspondra sera celle dont il est question, et que le cratère nouveau se trouvera placé sur l’épicentre actuel. On sait, en effet, que dans les massifs volcaniques, les éruptions débutent par l’ouverture d’une fente radiale et que cette fente s’établit de préférence en des points où les forces souterraines manifestent en temps normal d’une façon ou d’une autre leur vitalité. Le signe principal de cette activité consiste dans le développement de fumerolles ou de sources thermales. De plus, le siège de prédilection des cratères adventifs se trouve à l’endroit où la fissure rencontre la ligne de jonction de la gibbosité centrale et de la pente modérée qui lui succède vers le bas de la montagne.

On a encore cité comme preuve de la nature volcanique des tremblements de terre de l’île d’Ischia, les modifications qu’ils avaient entraînées dans le régime des fumerolles et des sources thermales de l’île. À ce point de vue il y a lieu de tenir compte des changements qui ont été observés, mais il faut avouer cependant que ces changements ont été trop peu importants pour pouvoir servir de base à une argumentation sérieuse.

Enfin, les tremblements de terre d’Ischia et surtout le dernier, sont remarquables, comme nous l’avons dit, par l’étroitesse de l’épicentre, par la violence et le caractère trépidatoire des secousses initiales qui s’y sont produites.

Ces caractères n’appartiennent pas exclusivement aux tremblements de terre dits volcaniques ; cependant, il ne leur font jamais défaut et, d’autre part, ils se montrent bien rarement, en dehors des régions bouleversées par les fentes souterraines. Le tremblement de terre d’Ischia de 1883 peut donc être considéré comme un type de séisme, produit sous l’influence d’une poussée explosive et servant ainsi de témoin à une éruption étouffée.