Les Tristesses/L’Oubli

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Les TristessesAlphonse Lemerre, éditeur (p. 20-21).
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L’Oubli.


À Edouard Dronsart de Cantin.


 
J’avais vu ― l’an dernier ― au fond d’un cimetière
Une petite tombe étroite et toute entière
Recouverte de fleurs qui s’effeuillaient au vent.
C’était le jour des Morts et la foule en rêvant
Sentait près des défunts combien la vie est vaine.
Tout était blanc sur ce tombeau ; pas une veine
Dans le marbre caché sous un amas tremblant
De roses, de jasmins, de lis ; tout était blanc.
On eût dit qu’en partant vers la voûte éternelle
La morte comme un cygne avait ouvert son aile
Et perdu son duvet au bord de ce chemin.
En écartant un peu les bouquets de la main

Je lus qu’elle était morte à peine fiancée ;
Et je compris alors cette exquise pensée
D’un triste amant, perdu là-bas dans l’horizon,
Qui le matin, quittant sa funèbre maison,
Sans doute était venu couvrir sa bien-aimée
De ce voile de neige épaisse et parfumée
Que la pluie automnale avait mouillé de pleurs…

Je viens d’aller revoir la tombe…elle est sans fleurs.