Les Trois Dames de la Kasbah/XVIII

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Calmann Lévy (p. 30-31).
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XVIII


Les bruits de cette journée de dimanche n’étaient pas montés jusqu’aux trois dames de la Kasbah. Derrière leurs murs et leurs grilles de fer, elles avaient gardé leur tranquillité de momies.

À la même heure que de coutume, elles s’étaient levées, et l’inexorable ennui avait, comme chaque jour, présidé à leur réveil.

Le soleil plongeait déjà, en long triangle de lumière, dans leur cour profonde, lorsqu’elles avaient ouvert leurs yeux. Elles sortaient des pays enchantés où les fumées de l’ambre et du kief, les parfums de certaines fleurs ont le pouvoir de conduire, durant les belles nuits de printemps, les filles cloîtrées des harems. Elles avaient vu la Mecque, et le voile vert de la Sainte-Kasbah, sur lequel le Coran tout entier était brodé en lettres d’argent par la main des anges. Elles avaient vu Stamboul, — et les jardins du Grand Seigneur, où des groupes de femmes qui étaient couvertes de pierreries et qui avaient chacune trois grands yeux dansaient dans des vapeurs d’ambre gris, sous les cyprès noirs. Elles avaient vu Borak, le cheval volant à visage de femme sur lequel voyage le Prophète, passer sans bruit avec ses grandes ailes, dans un ciel rose d’une profondeur infinie, où des zodiaques mystérieux s’entre-croisaient dans le vertige des lointains, comme de grands arcs d’or.