Les Trois Frères (trad. Bories)

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Traduction par René Bories.
Les Trois FrèresDieterich1 (p. 344).

Les Trois Frères


Il était une fois un homme qui ne possèdait que la maison dans laquelle il habitait avec ses trois fils. Chacun aurait bien voulu en hériter à la mort de leur père mais celui-ci aimait autant l’un que l’autre et restait indécis. Il aurait pu répartir l’argent d’une vente, cependant, il ne souhaitait pas cèder la maison car elle lui venait de ses ancêtres. Enfin il lui vint une idée et dit à ses fils : "Allez sur les chemins et apprenez chacun un métier, lorsque vous reviendrez, celui qui fera le meilleur chef-d’oeuvre recevra la maison."

Cela satisfaisait les fils. L’ainé choisit d’être maréchal-ferrant, le puiné barbier et le benjamin maître d’armes. Ils se mirent ainsi d’accord sur la date de leur retour et se séparèrent.

La Providence fit si bien que chacun trouva un maître compétent auprès duquel ils apprirent avec justesse. Le forgeron devait panser la monture royale et déclara : maintenant tu es paré tu auras la demeure. Le barbier qui rasait de nombreux gentilhommes pensa aussi : la bâtisse ce serait bien. Le maître d’armes recevant quelques coups mais serrrant les dents et ne s’en laissant pas compter, pensait : ne crains pas les coups ainsi tu hériteras de la maison.

Lorsque vint le moment du retour, ils se retrouvèrent de nouveau chez leur père. Mais ils ignoraient comment ils devraient trouver la meilleure occasion de démontrer leur art. Ils se réunirent pour y réfléchir et alors qu’ils étaient assis, un lièvre vint à passer devant leurs yeux.

« Eh », s’exclama le barbier, « Ça tombe à pic » il se saisit d’un bol de savon, fit de la mousse, jusqu’à ce que le lièvre revint, puis le savonna et lui tailla une barbe de bélier en pleine course et cela sans le couper et sans lui abîmer le poil. « Ça me plait bien », dit le père, « si les autres ne font pas mieux, alors la maison est à toi. »

Peu après, arriva un chevalier dans une voiture lancée en pleine course. « Vous allez voir père, ce dont je suis capable », affirma le maréchal-ferrant. Il bondit après la voiture, empoigna le cheval qui menait le train, lui ota les quatre fers et le ferra à neuf en pleine cavalcade.

« Tu es un sacré bonhomme », s’enthousiasma le père, « tu fais les choses aussi bien que ton frère, je ne sais pas à qui je dois céder la maison. »

Alors le troisième annonça : « Père, laisse moi aussi une fois tenter ma chance, » et alors qu’il se mettait à pleuvoir, il tira son sabre et le balança si habilement au dessus de la tête de son père qu’aucune goutte ne lui tomba dessus. Et bien que la pluie redoublât et qu’enfin elle fut aussi forte que si quelqu’un vidait sa baignore du haut du ciel, il agita son sabre toujours plus vite de sorte que le père resta aussi au sec que s’il se fut tenu sous un toit.

Voyant cela, le père s’etonna et déclara : » Tu as réalisé le meilleur ouvrage, la maison est maintenant à toi. »

Les autres frères en furent aussi satisfaits et parce qu’ils s’aimaient comme ils s’étaient toujours aimés ils restèrent tous les trois ensemble dans la maison. Ils travaillèrent si bien leur art qu’ils gagnèrent beaucoup d’argent. Ainsi vivèrent-ils dans la joie jusqu’à un âge avancé et lorsque l’un d’eux tomba malade et mourut, les deux autres aussitôt en furent si attristés qu’ils en devinrent malades et moururent à leur tour. Ainsi, tous trois furent étendus dans le même tombeau car ils avaient été ainsi décidé et qu'ils s’étaient tant aimés.

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