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Les Véritables régles de l’ortografe francéze/Chapitre I

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LES
VÉRITABLES RÉGLES
DE
L’ORTOGRAFE
FRANCÉZE.

CHAPITRE I.
De la conformité de l’Ortôgrafe Francéze avec la prononſiaſion.


C Omme les régles que je donnerai dans ce petit Traité, ſont opozées à céles que les Grammairiens ont établies ſur l’üzaje ordinaire ; je prie le Lecteur de le lire antiéremant, avant que d’an jujer : car les opinions des hommes ſont trés-diferantes, touchant l’Ortôgrafe Francéze.

Les uns panſent qu’éle doit étre conforme à la parole ; & les autres âſûrent qu’éle doit marquer l’origine des mos que nous amploïons pour exprimer nos panſées.

Ceus qui ne ſavent pas la Langue Latine, & qui ont de l’eſprit, dizent que nous devons écrire comme nous parlons : mais quelques Savans ſoûtiénent que céte metôde, nous faizant perdre l’origine des paroles, nous ampécherét d’an conétre la propre ſignificaſion.

Il ſample que les premiers, qui n’ont pas âſés de force pour bien établir leur opinion, n’aient pas âſés d’autorité pour nous oblijer à la ſuivre. Comme les autres ne peuvent ſoûfrir que l’on face injure à la Langue Latine, ni à la Gréque, ils s’atachent à leurs ſantimans avec beaucoup d’opiniâtreté.

Ie ne veus pas condamner ces deus Langues ; puî qu’éles ont leur beauté, aûſi bien que leur üzaje : mais je puis dire (ſans m’élogner de la vérité) que ceus qui ont un atachemant particulier pour éles, ne ſont pas ordinairement les plus éclairés dans la Langue Francéze. Ils ſont ſamblables à ceus qui parlent continuélemant de ce qui regarde les autres, ſans panſer à leurs propres âfaires : & il ârive ſouvant que dans le chois des chozes qui ſont utiles pour le bien public, le jujemant de ceus qui ont beaucoup de lumiére ſans étude, doit étre préferé à l’opinion de ceus qui ont une Bibliétéque antiére dans leur téte.

Cété vérité parét dans la diſpute que l’on fait ſur l’Ortôgrafe Francéze, où il faut plûtôt ſuivre le ſantimant de ceus qui n’ont point d’étude, que celui de quelques Savans qui le méprizent.

Il peut étre confirmé par de bonnes raizons ; car les mémes principes qui nous enſégnent que la beauté des Siances dépand de l’ordre ; & que la Langue Francéze ét trés-parfaite, prouvent que la prononſiaſion des mos qui la compozent, doit étre la régle de l’Ortôgrafe que nous ï devons obſerver. Car comme nos conſepſions ſont le portrait des chozes que nous pouvons conétre ; & que la parole ét celui de la panſée, il ét aûſi trés-certain que l’écriture ét le portrait de la parole.

L’ordre ne relüit pas dans les écris de tous les Filozofes ; ils avoüent pourtant d’vn commun conſantemant, qu’il nous aide à bien conſevoir les chozes que nous pouvons conétre : car les conſepſions que nous pouvons avoir des chozes qui ſont dans la nature, ou des axions que nous faizons, ſont des portrais qui les reprézantent ; & le portrait d’une choze la doit reprézanter comme éle ét pour étre véritable.

Les chozes qui ſont dans la nature, ï ſont diſpozées par ordre ; & cét ordre ét une preuve tres-évidante de la ſajéſe divine ; c’ét pourquoi il faut conétre les chozes par ordre pour les bien conétre.

Il faut faire le méme jujemant des axions de l’antandemant, de la volonté, & de l’apétit ſanſüel ; c’ét à dire, qu’il faut âſûrer, que celui qui an veut avoir une parfaite conéſance, an doit conétre l’ordre : car éles ſont reſûës par ordre dans les facultés qui les produizent.

Comme la parole ét le portrait de la panſée, la beauté d’une langue conſiſte principalemant à exprimer les chozes ſelon l’ordre des conſepſions : d’où vient que la Langue Francéze ét trés-parfaite, à cauze que l’ordre de ſes expréſions répond à celui des panſées. Comme les Noms ï précédent les Verbes, on ï ſuit l’ordre de la nature ; car les Noms, qui ſignifient les chozes, ou les perſonnes, doivent précéder les Verbes, qui ſignifient ordinairement les axions.

Anfin puîque l’écriture ét le portrait de la parole, la prononſiaſion des mos qui compozent la Langue Francéze, doit étre la régle de l’Ortôgrafe que nous ï devons obſerver.

Nous ſuivrons céte métôde, ſi nous conſidérons les avantajes que le public an poûra reſevoir.