Les Vaillantes/II/5

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Marc Imhaus et René Chapelot (p. 197-218).

CHAPITRE V


Sur le champ de bataille


En août 1914 — L’héroïne de Loos.


Les formes de l’héroïsme de nos compagnes sont innombrables. À côté des infirmières qui se sacrifièrent à leur tâche, il faut citer les femmes qui, l’amour et la pitié suscitant en elles une irrésistible vocation, s’improvisèrent brancardières pour relever sous le feu nos soldats ou les ravitailler au delà des lignes allemandes, celles qui par des indications précieuses facilitèrent le mouvement de nos troupes, celles enfin qui surent combattre et triompher.

Au début de l’invasion, c’est dans un village de Lorraine, Mlle Simmer qui ravitaille nos soldats en pleine bataille, ce sont les sœurs de l’hospice Saint-Vincent-de-Paul de Roye qui, ayant facilité l’évacuation d’un officier anglais gravement blessé, payent de dix ans de détention leur générosité, c’est la sœur Philomène qui, non contente de ramasser les blessés sous une pluie de balles et de continuer tranquillement un pansement tandis qu’un obus tombe à ses pieds, indique encore aux troupes françaises les retraites où se sont dissimulés des soldats allemands.

À S... dans la Marne, une jeune institutrice voyant passer des prisonniers français, les ravitaille sous les yeux de leurs gardiens, dispute les provisions à la voracité teutonne et réussit — miracle ! — à empêcher les envahisseurs de boire le vin qu’elle destine à nos soldats !

À Saisonnières (Seine-et-Marne), un couple d’instituteurs, M. et Mme Bougreau, aide, au péril de sa vie, quatre cavaliers français à se cacher dans leur maison puis à s’enfuir pour rejoindre leur régiment.

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Au premier mois de la guerre également, une jeune paysanne chargée de remettre à un officier français des plis contenant d’importantes indications stratégiques, franchit à pied cinquante kilomètres dans un pays battu par l’ennemi, échappe aux Allemands et décide ainsi du sort d’un engagement.

Enfin, toujours en août 1914, Mlle Marie Pierron eut l’idée d’entreprendre le sauvetage de ceux qui avaient été signalés comme disparus.

En conséquence, elle alla elle-même dans les bois, presque sous le feu des balles, chercher les blessés dont elle avait, d’avance, organisé le transport et qu’en attendant, elle pansa et soigna nuit et jour. Mlle Pierron a été justement citée à l’ordre du jour de l’armée.

La bataille de la Marne surtout, fit éclore en ses gigantesques mêlées des dévouements dont le sublime confine parfois au romanesque.

Nombreuses sont, alors, celles qui se dévouèrent pendant l’action même, pour relever les blessés, trop nombreuses pour qu’on les puisse toutes citer, Mlle Lorrazil, au plus fort de la bataille alla, sous la mitraille, ramasser nos blessés pour les conduire à l’ambulance. Elle renouvela six ou sept fois le même voyage, jusqu’au moment où elle tomba, les deux jambes traversées. Mlle Bossuat agit de même à Lizy-sur-Ourcq.

Mme Meunier, fermière du Lessart, près de Nanteuil le Haudoin semble échappée de quelque roman d’aventures.

C’est une forte luronne, aux traits accuentués, dont la pose révèle une Madame Angot rustique. Son regard franc, la vivacité de ses reparties, sa cordiale bravoure font comprendre que nos soldats l’aient appelée Madame Risque-Tout.

Tandis qu’à la fin d’août 1914, tous les habitants du Lessart, comme ceux des villages environnants, fuirent vers le Sud, Mme Meunier, seule dans sa ferme avec une veille mère et trois jeunes servantes, décide d’affronter les hordes. Elle prend seulement la précaution — justifiée — d’enterrer le vin et l’eau-de-vie.

Au début de septembre, les Allemands passent d’un pas de victoire. Le 3 au matin un officier se présente à la ferme avec une longue liste de réquisitions. La fermière donne les vivres. L’allemand — honnête par hasard — tend un billet de banque. Elle le repousse. « Je ne veux pas de votre argent… vous pouvez tout prendre à une condition : j’irai et je viendrai à ma guise ».

Mme Meunier a son projet. Et, l’officier parti, elle se précipite à l’écurie, attelle le cheval et bourre sa charrette de victuaille. Elle s’est assignée la tache de ravitailler les blessés français de Nanteuil-le-Haudoin, occupé par les Allemands.

Et c’est un voyage héroï-comique à la rencontre du flot des uniformes gris qui ne cesse de défiler. Sans trembler, Mme Meunier passe et lorsque des patrouilles l’arrêtent. « Vivres pour l’État-major allemand ! » Pendant huit jours se succèdent ses extraordinaires randonnées. Gouailleuse et débrouillarde, la fermière trompe toujours la vigilance des officiers et soldats ennemis. Et nos blessés sont, par elle, pourvus des mille douceurs qui rendront leur sort moins pénible.

Le 12 septembre, au moment où elle rentre, sa voiture se trouve soudain sous une avalanche d’obus. Elle ramasse une fusée et reconnaît une fusée française. C’est donc que les nôtres reviennent ! En effet, autour d’elle affluent les colonnes allemandes. Sur leurs traces, Mme Meunier se précipite ; elle a hâte de savoir.

Elle ne redoute ni le feu croisé des deux artilleries, ni les colonnes allemandes affolées. Sur la route, la carriole vole au pas vif du cheval que la fermière talonne. Elle s’arrête seulement à l’appel plaintif d’un blessé gisant sur le sol. C’est un Allemand ; n’importe ! la bonne fermière le juche dans la charrette gardant seulement son fusil comme trophée ; et, récompense de tant d’efforts elle trouve l’hôpital de Nanteuil occupé par nos troupes. Mme Meunier n’aura pas vu la victoire finale ; elle est morte en avril 1915 et nos soldats ont déposé sur sa tombe des fleurs tricolores. Mais elle a pu se voir citée à l’ordre de l’armée pour « n’avoir pas hésité à traverser les lignes allemandes, ravitaillé l’hospice de Nanteuil, et recueillir sur le champ de bataille de nombreux blessés ».

Mme Meunier eut des émules. Fermière comme elle, Mme Danré, établie au Puisieux près Moulins sous Touvent « se prodigua du 13 au 20 septembre pour donner ses soins aux blessés français. « Sous le feu, elle est allée elle-même chercher les soldats tombés et les a soignés dans sa ferme bombardée, donnant à tous l’exemple du courage et du dévouement. »

À la Fère-Champenoise, quatre jeunes filles, les demoiselles Vatel, de Vertus (Marne), ont découvert sept de nos soldats qui, cernés par les Allemands et dans l’impossibilité de regagner nos lignes avaient pu cependant fuir dans les bois.

Du 8 au 12 septembre, elles ont, courant elles-mêmes les plus grands dangers, pénétré dans les lignes ennemies, ravitaillé et soigné journellement nos soldats égarés. Le 12 septembre, après la retraite des Allemands, elles les ont aidés à regagner nos lignes. Toutes les quatre ont été citées à l’ordre du jour de l’armée et décorées de la Croix de Guerre.

À Hannonville-les-Côtes, en Lorraine, et pendant la même bataille, Mlle Mathilde Mauger a vu arriver les troupes allemandes qui, non loin de là, se sont établies. Elle a pu observer leurs positions, leur nombre, se rendre compte de leurs intentions. Peu après, les Français s’installent au village. Mlle Mauger va trouver les officiers de l’État-major et leur communique ses indications précieuses qui décideront du sort de l’engagement.

Le fort de Troyon a vu une toute jeune enfant comparable à l’héroïne d’Avrechy. C’est la fille de l’aubergiste du fort de Troyon.

Située au pied de l’ouvrage, l’auberge recevait chaque jour la visite de nos artilleurs. Un jour l’enfant aperçoit une troupe de uhlans. C’est le moment où les soldats français doivent venir. Il faut gagner les Barbares de vitesse pour prévenir les Français. Au risque d’être surprise, faite prisonnière, tuée peut-être — car elle connaît les bruits sinistres qui courent sur les Allemands — la brave petite court jusqu’au fort. Elle prévient les officiers. Une petite troupe en armes s’organise et les uhlans battent en retraite. Toute simple, en son héroïsme inconscient, la petite fille du fort de Troyon ne mérite-t-elle pas d’être chantée par un grand poète ?

Rares sont chez nous, les femmes soldats. Trois cependant au moins, restées d’ailleurs anonymes — prirent part à la bataille de la Marne. Une jeune blanchisseuse parisienne, ressentant toute l’ardeur dont brûle alors la capitale réussit, on ne sait comment, à se revêtir d’un uniforme de zouave et à se faufiler parmi nos troupes. Elle combattit avec vaillance aux grands jours de septembre puis, découverte, rentra dans le rang, dans la foule obscure de « celles qui attendent ».

Une autre jeune femme a le malheur d’être unie à un mauvais Français qui s’est dérobé à ses obligations militaires. Il n’a pas rejoint et son épouse ne peut supporter pareille flétrissure. Elle paiera donc la dette et servira pour lui. La voilà qui prend l’uniforme du déserteur et rejoint à sa place. On est alors en pleine fièvre des premières batailles. Les soldats qui arrivent sont, sans formalités, dirigés vers le front. La supercherie n’est pas découverte et c’est avec éclat que l’épouse remplit la tâche de l’époux défaillant. Tout le mois d’août elle se bat ; gravement blessée, au début de septembre, elle est transportée dans un hôpital où, reconnue, elle peut raconter avant de mourir sa glorieuse histoire. Ainsi pendant l’épopée révolutionnaire on vit des femmes combattre — et mourir — pour leurs maris. Aux mêmes batailles, apparaît, comme échappée à l’épopée arabe des premiers jours de l’Islam, Fathima la Marocaine qui, enrôlée parmi nos spahis a partagé à la Marne la gloire des cavaliers d’Afrique et les a suivis dans toutes leurs batailles.

Un beau chapitre de l’histoire de la guerre et qui malheureusement ne peut encore qu’être à peine esquissé : l’attitude des femmes françaises dans les pays envahis. Nombreuses sont celles qui, restées là-bas, par force ou de plein gré, ont su alléger les souffrances physiques ou morales de leurs concitoyens.

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Ce ne sont pas des faits d’exception.

Partout ailleurs, dans les autres villes et villages, l’abnégation des vaillantes qui demeurent est égale au courage de ceux qui se battent. Les soldats eux-mêmes en rendent témoignage.

La Directrice de la Vie Féminine a pu ainsi recueillir les confidences d’un rescapé du Nord.

Il était seul, traqué, la nuit, caché à l’abri d’un recoin, dans une ville du Nord que venait de submerger le flot de l’invasion. Au petit jour, il avise une femme. Il l’appelle, lui fait signe qu’il veut se couvrir de son long manteau. Elle le lui jette et l’attend quelques pas plus loin. Il la rejoint et la supplie de lui donner l’hospitalité pendant quelques heures, afin de prendre un peu de repos. Sans hésiter, elle accepte et le cache dans un grenier. De là, il entend des commères qui, en bas, tiennent conseil avec son hôtesse. Toutes la dissuadent de garder le soldat : les Allemands ont édicté la peine de mort contre quiconque cacherait des Français. Ils brûleront la maison. Elle ne va pas courir inutilement de tels risques ? Mais la femme ne veut rien entendre. Elle est Lorraine. Son mari est sous-officier. Peut-être, lui aussi, s’évade-t-il en ce moment ?

— Je serai peut-être fusillée. Mais je ne le livrerai pas.

La patrouille allemande surgit et perquisitionne. La femme tient tête aux soldats, leur offre ses clefs, leur verse à boire. Ils s’éloignent sans avoir découvert le réfugié dans son grenier.

Ses vicissitudes ne se bornent pas là. Vêtu en ouvrier, se cachant le jour, marchant la nuit, se nourrissant de betteraves arrachées à la terre, il s’achemine vers les lignes françaises. Souvent, dans les villages, on lui refuse l’hospitalité. La terrible menace a produit son effet : peine de mort contre qui abritera un soldat français. La porte qu’il heurte reste close ou s’entr’ouvre prudemment : « Non. Non. Plus loin. Là-bas, peut-être… » Et l’huis se referme. Et c’est encore une femme qui l’accueille ».

Combien de soldats ainsi rendus à la patrie !

La grande héroïne des premières batailles du Nord est Marcelle Semmer en qui se réunissent toutes les vaillances, le courage actif et la ténacité, l’abnégation de l’infirmière, le sang froid de l’agent de liaison, l’élan du soldat. C’est dans ces rôles, multiples en effet, qu’elle apparaît pendant le mois de septembre 1914.

Elle habite un petit village de la Somme, l’Éclusier, d’où tous les gens valides ont fui après Charleroi, craignant avec raison l’occupation allemande. Les malades restent et avec eux les vieillards, les infirmes, les femmes en couche. Mlle Semmer ne peut se résoudre à les abandonner. Elle les installe dans une carrière, à l’abri, puis, pendant plusieurs jours va de leur refuge au village occupé cependant par les Allemands. Elle rapporte des vivres, soigne les blessés, adoucit par sa bonne grâce et sa charité les misères des abandonnés. À elle et à elle seule, cent vingt-cinq personnes doivent de n’être pas mortes de faim.

Là ne s’est pas borné son rôle. Demeurée dans le village, elle se trouve au milieu des Allemands et peut apercevoir leurs prisonniers. Se représente-t-on quelle somme d’habileté, quel talent d’organisation, quel mépris de la mort, il faut à une jeune fille pour lier conversation avec ces prisonniers, leur permettre d’échapper à leurs gardiens et leur fournir les costumes civils qui leur permettront de sortir des régions envahies ? C’est ce que Mlle Semmer fit maintes fois.

Bientôt les Allemands soupçonnent : la jeune fille se sait surveillée. Cela ne l’empêche pas de faire mieux encore. Un seul pont permet de franchir le canal qui passe près du village ; qu’il soit relevé et l’avance des nouvelles colonnes ennemies est un instant arrêtée. L’éclusier est parti ; elle prend sa place, et coupe le pont. Cette fois c’en est trop, un officier allemand furieux lui annonce qu’elle va être fusillée. « Soit, mais je vous demande seulement de me tuer avec des fusils français ! » Cependant, grâce à l’entrée en action de notre artillerie, Marcelle Semmer peut encore s’échapper. Nous reprenons le village. La position est précaire, d’ailleurs ; les Allemands ont reculé seulement de quelques centaines de mètres et placent leur artillerie sur une hauteur d’où ils dominent la position. De l’avis des officiers français c’est la retraite obligatoire si l’on ne veut sacrifier inutilement des hommes et consommer l’anéantissement du village. Ici encore Marcelle Semmer intervient. Elle connait merveilleusement le pays et a pratiqué des sentiers ignorés de la carte d’état-major. Éclaireuse et stratégiste à la fois, elle indique aux cavaliers français le plus court chemin pour atteindre l’ennemi. « Par le bois, dit-elle, on peut le surprendre. Nous arriverons encore à temps ». Elle-même précède et guide la colonne. Blessée l’une des premières elle reste cependant jusqu’à la fin de l’action qui se déroule comme elle l’a prévu. Les nôtres remportent la victoire, s’emparent des pièces, font des prisonniers. « Sous l’influence d’un ravissement extatique écrit un témoin, la jeune fille apparaît aux habitants de l’Éclusier comme un ange libérateur ». Et voici, grâce à une femme, le succès d’un « engagement local » décidé.

Des tranchées creusées en avant du village, le front fixé un peu en avant de l’Éclusier, Marcelle Semmer continue à partager la vie de nos soldats, désormais ses compagnons d’armes, de les ravitailler sous le feu ; un jour elle se propose pour faire le service d’un poste avancé placé en avant des premières lignes de tran chées qu’il faut rejoindre à travers un terrain découvert. Blessée de nouveau, le 30 septembre 1914, elle reçoit la croix de la Légion d’honneur sur le front des troupes ; plus tard la croix de guerre. C’est dès lors sous le costume d’infirmière qu’apparaissent ses vingt ans radieux.

Ceux de nos soldats qui cantonnèrent à l’Éclusier conservent un souvenir attendri — amoureux un peu — de la gracieuse jeune fille qui un moment symbolisa pour eux toutes les femmes de France.

Un peu plus tard et dans une région voisine, Mlle ... joue un rôle analogue. Fille d’un territorial parti sur le front dès les premiers jours, restée avec sa mère dans un village voisin ...., habituée à de longues courses dans tout le pays, elle aussi utilise pour la patrie la connaissance merveilleuse du terrain acquise en ses promenades d’enfant.

Lorsqu’il faut faire parvenir à l’État-major anglais le plan de .... rapidement et secrètement c’est elle qui s’offre et peut arriver heureusement jusqu’au quartier général du Maréchal French. Un autre jour, elle guide les troupes anglaises, avance avec elles jusqu’à portée des canons allemands et donne à nos alliés « des indications permettant de bombarder efficacement les positions allemandes ». Elle fut pour ce fait, citée à l’ordre du jour de l’armée anglaise.

Ce sont nos alliés encore qui rendirent hommage au courage montré par les Françaises lors des batailles d’Ypres et de Dixmude.

Les flegmatiques Tommies, peu facilement émus pourtant, ont admiré avec quel courage les femmes françaises leur apportaient des pommes de terre et du pain frais dans les tranchées de première ligne. N’en vit-on pas d’autres, par un geste bien français, ajouter à leurs vivres quelques fleurs ? « Je puis vous assurer, écrit à sa famille un soldat anglais, que les femmes françaises sont les plus courageuses que j’aie vues ».

L’offensive de septembre 1915 a eu son héroïne en la personne d’Émilienne Moreau. Cette jolie jeune fille brune de dix-sept ans, aux traits fins, aux grands yeux sombres, à la taille élancée, l’air très enfant encore, et cependant parée d’un grand charme féminin est la fille d’un chef porion du Nord, la cadette d’une belle famille de quatre enfants qui, lors de la déclaration de guerre, s’était fixée et vivait heureuse à Loos en Gohelle où la jeune Émilienne exerçait avec dévouement et plaisir son métier d’institutrice.

En août et septembre 1914 ce sont les angoisses que souffre alors toute la France, en octobre l’invasion de la petite patrie. Alors les malheurs s’abattent autour d’elle et sur elle. Il faut vivre dans une ambiance de péril et de terreur, en un pays occupé par les troupes ennemies où bientôt les vivres se font rares. On souffre de la présence étrangère et l’on souffre de la faim.

Émilienne Moreau voit mourir son père et, loin de pouvoir rester plongée dans sa douleur, il lui faut — car le bois manque et les ouvriers sont partis —, chercher les planches de sapin et confectionner elle-même le cercueil. Un peu plus tard c’est le frère aîné qui tombe.

Et l’étranger toujours plus s’incruste au sol natal.

Pourtant, onze mois de cette vie terrible ne peuvent amener la jeune fille au découragement. Tous les jours elle espère, tous les jours elle voit la délivrance. Et, en septembre 1915, son attente pleine de foi est enfin récompensée. Les Anglais préparent, en liaison avec nos troupes, la première de leurs grandes offensives. La rumeur en pénètre par delà les lignes allemandes et quand en pleine nuit se font entendre les grosses pièces d’artillerie de nos alliés, Émilienne Moreau est joyeuse, mais pas trop surprise. « Elle bondit au grenier de sa maison ; tout le pays secoué et vibrant danse devant elle, ici le mont de Lens et celui de Vermelles, là le mont de Hulluch et la fameuse côte 70.

Toute la vallée de Loos rougeoie sous une voûte de feu, sonne comme une gigantesque enclume sous le formidable marteau de la guerre ». De la lucarne, Émilienne Moreau observe avec passion, avec angoisse le drame dont elle domine les effrayantes péripéties. Est-il exact, comme le dit une relation de son exploit que, pendant trois jours, elle soit restée ainsi sans nourriture, sans sommeil ? Peut-être. En tout cas indifférente au danger, d’un même élan, d’une même âme, elle vibre avec les libérateurs.

Ceux-ci se rapprochent, les Écossais sont à l’avant-garde et l’on entend bientôt, accompagné de l’antique cornemuse s’élever le God Save the King.

La Marseillaise sera bien à l’unisson. Et la timide jeune fille transformée momentanément, — par quel mystère ? — en amazone veut-elle aussi prendre part au combat. Comment et dans quelle mesure ?

Elle-même va nous le raconter.

« Les Écossais, dit Émilienne Moreau, — ils avaient relevé leurs masques, qui, sur leur tête, faisait maintenant l’effet d’un turban — étaient superbes et terribles, ruisselants de sueur, leurs baïonnettes toutes rouges, et ils étaient eux-mêmes éclaboussés du sang de l’ennemi et du sang qu’ils avaient perdu…

Terribles, ils le parurent à tel point à quelques habitants que ceux-ci, n’osant reconnaître en eux des amis, prirent la fuite et allèrent se jeter entre deux feux.

Mais nous-mêmes, qui étions-nous pour eux ?

Pouvaient-ils immédiatement distinguer ceux-là que leur présence comblait de joie ?

Il fallait agir vite, trouver un moyen expressif de traduire nos sentiments, se faire comprendre sans des pourparlers en ce moment malaisés…

Alors, je m’avançai, et, par une inspiration, j’entonnai le commencement de la Marseillaise…

Une petite voix bien frêle, et brisée par l’émotion, au milieu de ce tumulte.

Elle vibra, cependant, par la magie des accents du chant par lequel je saluais nos sauveurs…

Il me semble, en écrivant ceci, aujourd’hui, qu’on pourrait croire à je ne sais quoi de théâtral… Ah ! combien toute autre pensée que celle de communiquer tout de suite avec nos alliés était loin de moi !

Une acclamation me répondit :

Nous English… Nous Scott !  !

Notre rencontre était faite.

Un officier, grand, brun, aux traits décidés, gardant de l’élégance, malgré le désordre de son uniforme, s’approcha de moi.

Oh ! monsieur, lui dis-je, je suis heureuse d’être la première Française qui vous remercie ! Il sourit, mais, bien qu’il parlât parfaitement notre langue, il répondit seulement :

— C’est bien… c’est bien… Plus tard.

Le moment n’était pas, en effet, à des paroles qu’il estimait superflues.

L’action continuait.

L’intensité de la fusillade indiquait qu’on était loin d’en avoir fini.

Il tira de sa poche une carte et, entrant dans ce que j’appelle toujours le magasin, bien qu’il n’y eût plus rien, il la déplia sur ce qui restait du comptoir.

Je lui donnai quelques explications, mais je songeai soudain :

— Il vaut mieux que je vous indique le chemin moi-même.

— Mais, mademoiselle, fit-il, je ne veux pas vous exposer à plus de dangers que vous n’en courez…

— Oh ! répliquai-je, heureuse de pouvoir être utile, il y a un an que je suis habituée aux obus et aux balles » [1].

Dès lors Emilienne Moreau coopère au « Nettoyage » du village. C’est alors surtout qu’elle se montre guerrière, alors surtout qu’elle court les plus grands dangers.

« Je signalai à l’officier les caves où je savais que des Allemands se trouvaient encore et d’où ils pouvaient tirer sur ses soldats.

Il donna l’ordre d’en faire le nettoyage, et des séries d’explosions de grenades indiquèrent que cette opération était vivement menée.

Nous nous étions engagés dans la rue d’Hulluch.

Ce qu’il fallait désigner, c’était la kommandantur souterraine, dont on entreprit le siège.

L’officier, si occupé qu’il fût des ordres à donner à ses hommes, s’inquiétait de moi.

Les Allemands, malgré le terrain qu’ils avaient perdu, semblaient se ressaisir et nous étions dans une zone sillonnée de mitraille.

— Mademoiselle, me dit-il, je ne veux pas que vous alliez plus loin…

En fait, poursuivre ou retourner, c’était s’exposer aux mêmes risques.

Dans quelques caves, la résistance allemande était désespérée.

Le travail d’organisation de ces petites forteresses avait été poussé plus loin qu’on ne pouvait l’imaginer.

On y trouva non seulement des mitrailleuses, mais même des canons.

Aussi, chaque assaut était-il meurtrier pour les Écossais, et ce n’était qu’au prix de lourdes pertes subies par eux-mêmes qu’ils anéantissaient ces repaires.

On se battait donc partout, et c’était, maintenant, la guerre des rues ».


Cette guerre de rues dure plusieurs jours et abonde pour notre héroïne en épisodes dramatiques. Un jour qu’accompagnant un blessé elle traverse la rue du Cimetière, des coups de feu retentissent.


Je m’abritai derrière des décombres, et je distinguai parfaitement trois Allemands qui, alors, s’engouffrèrent dans une cave, celle de la maison à laquelle nous donnions le nom de son propriétaire, parti de Loos en octobre, la maison de Joseph, le marchand de vaches. On sait que, dans nos petits pays, on se désigne plus volontiers par des sobriquets que par les noms de famille.

Ils disparurent, mais mon blessé était à leur merci, et, sans doute, par leur soupirail, ils tireraient sur lui ou sur ceux qui viendraient à son secours.

Pour le sauver, et pour préserver d’autres existences, il importait de se débarrasser des Allemands.

Je rentrai dans le magasin, et je dis aux docteurs :

— Il y a des Boches dans une cave… Ils empêchent de relever un blessé.

— Vous savez où ils sont ?

— Oui… On ne peut pas les laisser là.

— C’est que nous n’avons personne pour ce genre de chasse…

Trois soldats qui tenaient encore debout s’offrirent bravement pour tenter l’aventure.

Dans l’état de fatigue où ils étaient — l’un d’eux venait d’être pansé à la tête, un autre à la jambe — il y avait là un bel effort d’énergie de leur part.

Par précaution, ils se munirent de sacs à grenades, et chacun d’eux en tint une dans la main.

Nous nous avançâmes doucement vers la cave où j’avais vu les Allemands pénétrer. Je fis signe aux Écossais de se poster de chaque côté de l’ouverture par laquelle on avait accès dans cette cave.

Au moment que j’indiquerais, ils révéleraient leur présence.

Sans doute, les Allemands, se sentant découverts, demanderaient à se rendre, et je m’imaginais déjà revenant en ramenant mes prisonniers.

Pour pouvoir avertir les soldats du moment précis d’agir, je me glissai à pas de loup, en retenant mon souffle, sous la voûte au delà de laquelle commençait l’escalier.

Mes pas étaient si légers que je ne peux me rendre compte de ce qui révéla mon approche.

Le fait est qu’une balle passa au-dessus de ma tête.

En entendant le coup de feu, des Écossais avaient couru vers moi, très courageusement. Mais ils restaient un peu indécis, et chaque seconde augmentait le danger où je les avais entraînés.

Sans doute, ne connaissant pas bien les dispositions de la cave, hésitaient-ils à se servir de l’engin meurtrier. Sans doute aussi craignaient-ils de me blesser, par contre-coup. L’un d’eux, en effet, esquissait un geste, m’invitant à m’éloigner.

Mais n’allions-nous pas être devancés par les Allemands, qui ayant déjà tiré, ne cherchaient, évidemment, qu’à nous atteindre plus sûrement ? »

Et devançant elle-même l’ennemi, Émilienne Moreau saisit des grenades et ouvre à son tour le feu. Les Allemands sont tués, elle peut ramener chez elle le blessé. Une autre fois, elle dût se défaire de deux Allemands qui, réfugiés dans la maison d’école, tirèrent lâchement sur elle et sur un blessé. C’est sans trembler qu’elle les abat à coup de fusil, sans trembler qu’enjambant les cadavres, elle parcourt parmi les explosions le terrain labouré d’obus, semé de murs croulants, qui fut Loos.

N’allons pas cependant voir en elle, une exaltée, une virago grisée de carnage. Pour sauver sa vie ou celle d’un blessé, pour chasser l’ennemi de sa ville, elle revêt quelques instants une personnalité étrangère à sa nature et s’étonne de se reconnaître le danger passé. « Je retrouvai bientôt ma faiblesse de jeune fille », dit-elle après le récit d’un de ses combats. « … J’étais prise d’un immense dégoût », ajoute-t-elle ailleurs. Et la même femme qui a trouvé la force pour le geste du guerrier, peut à peine garder son sang froid pour le geste de l’infirmière qu’elle préfère cependant.

Enfin on annonce que les Allemands sont repoussés jusqu’à la Fosse et ne reviendront plus. Loos est délivrée.

Émilienne Moreau, elle aussi, a, comme elle le souhaitait participé aux périls et à la gloire des combats. Elle a contribué à la délivrance d’un lambeau de terre de la grande patrie, du sol même où repose son père et où vivent les siens.

Plus heureuse que bien d’autres la jeune héroïne a pu, d’une gloire bien gagnée, parer, comme d’un nimbe d’or, son attirante beauté. De toute part lui sont venus les hommages. Le lendemain de la bataille, Douglas Haig envoie un officier d’ordonnance féliciter la jeune fille « du courage avec lequel elle a aidé ses troupes a attaquer l’ennemi. » Quelques mois plus tard, quelques-uns de ces Écossais dont elle précéda dans Loos la marche victorieuse lui envoient des Highlands un bouquet de bruyères lié d’un ruban aux trois couleurs, et une poésie célébrant « l’âme héroïque et sereine » de « la Française » unie à Jeanne la Lorraine dans leur culte fervent.

La croix de guerre, reçue à Versailles au milieu de blessés glorieux, une décoration anglaise attribuée quelques mois plus tard ont donné à Mlle Moreau la consécration officielle. « Mais, dit notre héroïne, ces distinctions n’effacent pas les deuils ! »

Faut-il citer encore les héroïques fileuses d’une cité industrielle du nord qui, malgré le bombardement et quand nul ne passe dans les rues, s’en vont à l’heure habituelle reprendre leur poste de travail comme le soldat son poste de bataille (l’une d’elles est tuée, deux sont blessées, mais les autres travaillent sous les obus) ; les institutrices qui emmenées en captivité ont, dans maint village d’Allemagne, groupé autour d’elles les jeunes évacués et malgré toutes les vexations, entretenu en eux la lumière spirituelle de la France ; la jeune fille de Péronne qui, souillée par les Barbares se donna la mort, la directrice d’école des Ardennes qui, obtenant un laissez-passer des autorités allemandes, vint à l’expiration des vacances de 1915 reprendre son poste périlleux ?

Et comme nos poilus ont renouvelé les exploits des légions de Rome et des phalanges de Léonidas, comme d’autres héroïnes évoquent Jeanne d’Arc, celles-ci n’évoquent-elles pas Lucrèce et Régulus ?

Comprenons bien que les glorieuses Françaises que nous pouvons mentionner ici sont celles qui, par chance ou pour des actions particulièrement généreuses ont pu, malgré le fracas de la bataille, malgré l’anonymat généralement imposé par les circonstances comme par les usages établis, faire parvenir au public leur nom ou leurs exploits. D’autres sans doute ont fait comme elles, que le hasard laisse présentement dans l’ombre.

L’évocation de ces figures, souvent à peine estompées jette une lueur singulière sur les coulisses du grand drame qui se joue sous nos yeux et dont, comme pour ceux des siècles abolis, nous voyons seulement les protagonistes et le décor. Elle permet de se rendre compte une fois de plus que l’Histoire est faite pour beaucoup de la mise en œuvre de mystérieux impondérables, que la trame des plus grands événements est tissée d’infiniment petits.

  1. Émilienne Moreau. Mes Mémoires.