Les Vaillantes/Préface

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Marc Imhaus et René Chapelot (p. ix-xii).


PRÉFACE


Mon cher Confrère,

Est-il possible qu’il existe des misogynes, esprits étroits et cœurs fermés, dont la partialité entêtée résiste au spectacle que la femme française donne depuis le début de la guerre ? Je dois le croire parce que vous le dites et que j’ai apprécié la sûreté de vos informations toujours puisées aux sources les meilleures, mais j’en éprouve un étonnement indigné dont je ne saurais taire l’expression. S’il n’est point de pires sourds que ceux qui ne veulent pas entendre, il y a des aveugles volontaires qui se refusent par la stupidité d’une opinion préconçue à voir ou à reconnaître l’évidence.

Avez-vous réussi à leur ouvrir les yeux ? Je n’en suis pas sûr, quelque décisive que soit votre argumentation, mais vous pouvez vous consoler aisément de ne pas rallier cette minorité impénitente, en vous disant que vous vous êtes fait l’interprète du sentiment public presque unanime.

J’ai lu votre livre avec un très vif intérêt et un profit qui n’a pas été moindre. Il a la valeur d’un hommage et la précision d’un document. Il vient à son heure. D’autres, qui vous ont précédé, ont été condamnés, malgré leur bonne volonté et la générosité loyale de leurs intentions, à des essais hâtifs dont la généralisation reste incomplète et vague. Il fallait pour juger la Femme pendant la guerre, pour lui assigner son vrai rôle et pour lui mesurer sa place exacte, le recul du temps. Après deux ans et demi, l’épreuve est faite et l’expérience est probante. La force de votre livre est de s’appuyer sur des faits, sur des rapports, sur des anecdotes et sur des documents. Il est vivant parce que la vie l’a inspiré ; il est varié comme elle, et comme elle il a ses rayons et ses ombres, ses pages tristes et ses jours radieux. Ce n’est pas un roman où l’imagination travaille ; c’est un témoignage qui a dégagé de la réalité multiple une enquête conduite avec un tact et une méthode dont je ne saurais trop vous louer. Vous vous êtes rappelé la forte parole de la Bruyère : « Amas d’épithètes, mauvaise louange ; ce sont les faits qui louent et la manière de les raconter ». Votre manière est sobre. Vous ne vous êtes pas institué l’avocat d’une cause qui aurait besoin d’être défendue. Vous vous êtes effacé, avec une modestie dont une certaine habileté n’est pas absente, derrière les faits, auxquels vous avez laissé la parole et que vous avez su grouper selon les règles d’une claire et lumineuse coordination.

Ordonné et documenté, précis et méthodique, votre livre a un autre mérite, qui lui donne son véritable caractère, et qui, j’en suis sûr, contribuera à son succès : il est impartial. Quand je l’ai eu achevé, j’avais une idée, très favorable, de votre talent, mais je ne savais rien de vos opinions politiques, de vos croyances religieuses ou de vos conceptions sociales. Je vous félicite de cette neutralité : elle a été la condition et la forme de votre justice. Ouvrière ou paysanne, institutrice ou religieuse, employée ou grande dame, Parisienne ou provinciale, Française ou alliée, la femme que la guerre a faite, et qui, à sa façon, a fait la guerre, a trouvé en vous la même équité bienveillante et ferme. Pour vous incliner devant une robe, riche ou pauvre, laïque ou confessionnelle, il vous a suffi de savoir qu’elle était portée avec dignité.

Vos conclusions sont prudentes. Vous avez exposé le présent sans trop engager l’avenir, mais vous n’auriez dit ni toute votre pensée ni toute la justice si vous n’aviez pas indiqué que ce présent, plein de promesses, commandera l’avenir. La femme, en s’imposant des devoirs nouveaux, s’est créé à de nouveaux droits des titres que rien ne pourra proscrire ou prescrire. Elle s’est faite, avec quel dévouement, quelle ténacité et quel héroïsme ! l’auxiliaire de la Victoire Française. Mais elle a gagné, sans la chercher, sa propre victoire. La paix sera, pour elle aussi, une revanche et une libération.

Louis BARTHOU.
Le 7 février 1917.