Chansons rouges/Les Ventres

La bibliothèque libre.
Maurice Boukay (
Ernest Flammarion, éditeur (p. 113-119).


LES VENTRES


À Léon Barracand.
Un affamé chante :

  \relative c' {
  \override Rest #'style = #'classical
  \set fontSize = #-1
  \key ees \major
  \time 2/4
  \tempo "Allegretto."
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R2*2 \bar "||" 
  r4 \tuplet 3/2 { ees8 \( f g } | bes8. c16 bes8. c16
bes4 \) \tuplet 3/2 { g8 \( aes bes } | c8. d16 c8. d16 | c4 \) r8 c
bes aes16 g f8 g16 aes | bes4 r8 bes
d c16 bes aes8 g16 aes | \tuplet 3/2 { g4 f8 } \tuplet 3/2 { f e f }
g aes g aes | bes4 r8 bes | c bes16 aes g8 aes16 bes
d4 r8 bes | ees d16 c bes8 aes16 g
f4 \tuplet 3/2 { ees8 f g } | bes8. c16 bes8 g | f4 ees8 r
\bar "|."
}
\addlyrics {
Chan -- tons le ven -- tre des bour -- geois,
Plus gros que le ven -- tre des rois,
Ven -- tre-un, ven -- tre deux, ven -- tre "trois !"
Chan -- tons le ventre et son em -- pi -- "re !"
Chan -- tons les dé -- sirs a -- pai -- sés
Des ven -- tres des bour -- geois ai -- sés,
Qui font comme un bruit de bai -- sers.
Chan -- tons le ven -- tre qui sou -- pi -- "re !"
}
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    \Score
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I

Chantons le ventre des bourgeois
Plus gros que le ventre des rois,
Ventre-un, ventre-deux, ventre-trois,
Chantons le ventre et son empire !
Chantons les désirs apaisés
Des ventres des bourgeois aisés,
Qui font comme un bruit de baisers.
Chantons le ventre qui soupire !

II

Salut aux ventres-directeurs !
Sur leurs ronds-de-cuir protecteurs,
Ils prennent des airs d’inspecteurs
Durs à ceux qui n’ont pas de panses.
Ventre, qui murmures : demain !
Au malheureux qui tend la main,
Sans ventre, le long du chemin,
Ventre, dis-nous à quoi tu penses !

III

Honneur aux ventres coffres-forts !
Ventres-sacs, ventres gonflés d’ors,
Ventres des financiers plus forts
Que les blagues de la fortune ;

Ventres-magots, ventres-marrons,
Ventres-barons, ventres-larrons,
Ventres percés de nombrils ronds,
Symboles du trou dans la lune !

IV

Gloire aux ventres nobles ! Sait-on
Que pour le galbe du téton
Ils évitent le rejeton,
Narguant les familles épiques.
Mais quand viennent leurs quarante ans
Ils grossissent longtemps, longtemps,
Si longtemps qu’un soir de printemps
Ils éclatent tous hydropiques !

V

Pourboire aux ventres des cochers !
Prenez garde ! vous décrochez
Vos boutons d’or mal encochés,
Ventres-larbins, parfumés d’ambre !
Ventres blasonnés et blasés,
Ventres bleus, ventres mal rasés
Ventres de melons écrasés.
Honneur aux ventres pots de chambre !


VI

Pitié pour les ventres honteux !
Reposoirs des calamiteux,
Ventres, berceaux des marmiteux,
Ventres lourds de progénitures !
Vous vous heurtez à tous les chocs,
Vous scandalisez tous les frocs,
Mais vous portez comme des rocs
L’espoir des justices futures !