I
La nature, ma mère, un jour m’est apparue.
J’ai cru les hommes fous de ne l’avoir pas crue :
« Mon fils, m’a-t-elle dit, je veux que ta chanson
Porte à chaque opprimé l’espoir de sa rançon.
Quand je les enfantai, les hommes étaient frères :
Ils avaient le bonheur. Ils ont fait les misères !
Le pauvre n’a plus droit à ce qui fut son bien,
Et le riche, ayant tout, ne sait comprendre rien. »
II
« Voici l’or du soleil et voici l’or des plaines :
Voici l’argent des lys et la neige des laines.
Voici le vert des bois, voici l’azur du ciel ;
Voici les fruits de chair, voici les fleurs de miel.
Tous avaient tout cela. Tout cela n’était guère !
Et tout cela n’est plus qu’un long sujet de guerre.
Le pauvre n’a plus droit à ce qui fut son bien.
Et le riche, ayant tout, ne sait comprendre rien.
III
« Chaque goutte de lait qui pend à mes mamelles
Fit les hommes jumeaux et les femmes jumelles.
Chaque goutte de sang qui sort de mon cœur fort
Ne coulait dans leurs cœurs que pour le noble effort.
Et voici que le meurtre au meurtre coïncide,
Et l’homme est devenu le seul être homicide.
Le pauvre n’a plus droit à ce qui fut son bien,
Et le riche, ayant tout, ne sait comprendre rien.
IV
« Écoute : Nul ne doit périr pour qu’un prospère :
Car nul n’a pu sans crime exproprier son frère.
Nul ne doit abuser de ce qui vient de moi :
Car nul n’est à lui seul le gardien de ma loi.
Nul n’a droit à l’excès quand le peu manque à l’autre,
Nul ne peut dire « mien » quand il faut dire « nôtre ».
Le pauvre n’a plus droit à ce qui fut son bien.
Et le riche, ayant tout, ne sait comprendre rien. »
|