Les Vers à soie au congrès des orientalistes/02

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LES VERS À SOIE
À L’EXPOSITION DU CONGRÈS DES ORIENTALISTES[1].

le ver à soie du chêne.

Nous avons vu l’importance du ver à soie de l’ailante que M. Guérin-Méneville a introduit en France, où il ne tardera pas à rendre à l’agriculture d’importants services. Le ver à soie du chêne qu’il nous reste à étudier n’a pas encore été l’objet d’essais aussi nombreux, Mais il est certain qu’il peut être facilement acclimaté en Europe ; il vit en plein air, et on en connait plusieurs espèces originaires de l’Inde, de la Chine, du Japon, et même de l’Amérique du Nord. C’est un prêtre M. Perny qui a introduit dans notre pays le ver à soie du chêne de la Chine, aussi M. Guérin-Méneville, a-t-il cru devoir désigner cette espèce sous le nom de bombyx Pernyi. Ce ver à soie vit dans le nord de la Chine où le climat est tout à fait comparable au nôtre ; il se développe encore dans l’Inde, où il donne la soie Tussah, d’une solidité exceptionnelle, qui produit ces foulards si estimés par leur extraordinaire solidité. L’espèce du Japon que M. Guérin-Méneville a appelée Yama-Maï, est également digne d’intérêt ; elle a été introduite déjà dans plusieurs contrées européennes, où elle convertit les inutiles feuilles des chênes, en une substance textile des plus précieuses.

Ver à soie du chêne (Yama-maï).
Yama-maï complètement développé. (Grandeur naturelle.) — 1. Jeune ver grossi. — Œuf grossi.

Déjà sous l’impulsion de M. Guérin-Méneville, le Yama-Maï a été adopté en France, en Autriche et en Angleterre. Il nous suffira de citer les noms de MM. Lamotte-Baraie, de Milly, Personnat, Maumenet, de Sauley, etc., qui dans notre pays ont donné une véritable extension à la nouvelle culture. En Autriche, M. le baron de Bretton, a obtenu à la troisième génération, 4 000 cocons et 500 000 œufs du nouveau bombyx, MM. Wallace et Ward de l’autre côté de la Manche, ont commencé avec activité l’exploitation forestière des chênes de leurs domaines, par la culture de l’Yama-Maï.

Il suffit d’avoir jeté les yeux sur les produits exposés au Congrès des Orientalistes, pour se rendre un compte exact de la valeur de la soie produite par le ver du chêne. Nous avons vu là quatre petits châles brochés du plus bel aspect. Ils provenaient du Bombyx Pernyi des cultures du roi d’Italie qui a singulièrement encouragé la nouvelle exploitation. C’est dans son domaine de Mandria près Turin, que S. M. Victor-Emmanuel, a fait entreprendre par M. Comba de sérieuses expériences d’élevage du nouveau ver à soie. Du reste en ce moment même, M. Guérin-Méneville, effectue avec le plus grand succès, une éducation de cette espèce à son laboratoire séricole de Nogent-sur-Marne. Il a placé à l’exposition des Orientalistes, des bouquets de chêne, couverts de ce nouveau ver à soie que le public ne s’est lassé d’admirer, et qui offre pour la France un intérêt d’autant plus grand, qu’il est susceptible de se nourrir, non-seulement du chêne, mais du châtaignier, si abondant sur notre sol.

Nous ne décrirons pas toutes les espèces de ver à soie du chêne ; nous parlerons seulement de celle qui est la plus usitée au Japon sous le nom de Yama-Maï. L’œuf du Yama-Maï est rond de forme aplatie, d’un brun plus ou moins foncé et couvert de granules noirs. Son plus grand diamètre est 0m,003, mais son épaisseur varie suivant l’état d’incubation où il se trouve ce qui le rend plus ou moins aplati. Nous représentons cet œuf grossi à la droite de notre gravure (2), et de grandeur naturelle sur la feuille de chêne placée à la partie inférieure du dessin. Dès que le jeune ver est sorti, il acquiert rapidement, par son contact avec l’air, un volume supérieur à celui qu’il avait dans l’œuf. Peu de temps après, la jeune chenille est déjà longue de 0m,007 comme on le voit sur notre gravure, où nous l’avons figurée à côté des œufs. Sa tête, le premier segment thoracique et les pattes écailleuses sont d’un roux couleur d’acajou, sans tache, et le reste du corps est d’un jaune doré couleur de gomme-gutte. Tous ces segments à partir du deuxième jusqu’au onzième, sont parcourus par cinq lignes longitudinales noires qui se détachent très-nettement en rayures distinctes. Au bout de ce premier âge qui dure seize jours, la chenille après son premier changement de peau, est longue de 0m,012, sa couleur est vert tendre, un peu jaunâtre au-dessous. Au troisième âge après un deuxième changement de peau, elle atteint une longueur de 0m,032, et prend une couleur d’un beau vert frais, au quatrième âge la couleur verte s’accuse, la longueur de l’individu est de 0m,070. À son développement complet la chenille est considérablement grandie, elle n’a pas moins de 0m,083 de long ; notre gravure en reproduit exactement l’aspect, à la partie supérieure du dessin. La couleur de cette énorme chenille est à peu près la même que celle des feuilles dont elle se nourrit.

Bombyx du Yama-Maï. (Demi-grandeur naturelle).

À ce moment qui est son cinquième âge, la chenille du B. Yama-Maï ne tarde pas à commencer son cocon ; elle réunit deux feuilles avec quelques fils, qu’elle a pris soin d’attacher à la branche par de minces cordons. Elle se nourrit alors des plus tendres rameaux qu’on lui donne, contrairement à ce que l’on observe chez les autres vers à soie, puis elle se vide, rend une grosse goutte de liquide transparent et se met à filer.

La chrysalide qui est le sixième âge de la chenille, est contenue dans un cocon fermé. Pour l’ouvrir elle est pourvue à sa partie antérieure d’un réservoir de liquide dissolvant qui a la propriété de ramollir la soie du cocon et qui permet au papillon de se frayer un passage pour en sortir. Le cocon du B. Yama-Maï offre une grande ressemblance avec celui du ver à soie du mûrier ; les Japonais les dévident très-facilement et en forment une soie, belle grége, qui ressemble à s’y méprendre à celle du ver à soie du mûrier.

Si l’on abandonne le cocon à lui-même, après un repos de cinquante jours, le papillon éclôt. Le bombyx du Yama-Maï, dont notre gravure représente en demi-grandeur un individu femelle, à côté de son cocon, est d’un beau jaune d’or vif, tirant un peu à l’orangé, tant sur le corps que sur les ailes. Sa tête est d’un jaune roussâtre avec les antennes un peu plus pâles, allongées, à barbes courtes. Le dessous des ailes est brun et semé de points grisâtres.

Ces espèces de vers à soie dont nous venons de parler, ne sont pas les seules que l’Orient puisse nous fournir ; le bombyx de l’épine-vinette, qui vient de l’Himalaya, celui du ricin, cultivé dans divers districts de la Chine, sont susceptibles de nous fournir de véritables sources de richesses. Mais malgré l’initiative d’hommes intelligents, malgré les exemples fournis par quelques propriétaires émérites, il est probable que des années s’écouleront, nombreuses encore, avant qu’on sache tirer profit de ces espèces utilisées sous d’autres latitudes. Espérons toutefois que la soie des nouveaux bombyx, ne rencontrera pas pour s’introduire en France autant de résistance que celle du ver à soie du mûrier. L’introduction de l’industrie de la soie date en France du quinzième siècle ; la culture du mûrier et l’éducation des vers à soie ne reçut cependant une impulsion vraiment sérieuse que sous le règne d’Henri IV, c’est-à-dire un siècle après environ. En 1603, Barthélemy de Laffemas, valet de chambre du roi, publia une brochure qui contribua singulièrement à répandre les notions, propres à favoriser le développement de l’éducation des vers à soie. Cet opuscule intitulé : La preuve du plant et profit des mûriers, valut à son auteur des lettres de noblesse et le titre de contrôleur général du royaume. Quelques temps auparavant le Théâtre d’agriculture d’Olivier de Serres, avait déjà vulgarisé l’usage des plants de mûrier et des vers à soie qui s’en nourrissent.



  1. Voy. p. 360.