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Les Vies des plus illustres philosophes de l’antiquité/Héraclide

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HÉRACLIDE.

Héraclide, fils d’Eutyphron, naquit à Héraclée, ville de Pont ; il était riche, et vint à Athènes, où il fut disciple de Speusippe, qu’il quitta ensuite pour fréquenter l’école des pythagoriciens. Il prenait Platon pour modèle, et en dernier lieu il fut disciple d’Aristote, comme le rapporte Sotion dans ses Successions. Il s’habillait proprement ; et, comme il avait beaucoup d’embonpoint, les Athéniens, au lieu de l’appeler Pontique, du nom de sa patrie, l’appelaient Pompique : il marchait cependant lentement et avec modestie.

Il a fait plusieurs bons écrits. Ses dialogues sur la morale sont les suivants : trois sur la Justice, un sur la Tempérance, un sur la Piété, un sur la Force, un de la Vertu en général, un de la Félicité, un du Gouvernement, un des Lois. Il y a aussi quelques dialogues semblables à ceux-là ; un des Noms, un des Conventions, un qui porte le titre d’Amoureux involontaire, et un intitulé Clinias. Ses dialogues physiques sont intitulés : de l’Entendement, de l’Ame, et en particulier de l’Ame, de la Nature, et des Ombres, sur Démocrite, sur les Choses célestes, un Dialogue, un autre sur les Enfers, deux intitulés des Vies, un des Sources des maladies, un du Bien, un contre Zénon, un contre Métron. Ses livres sur la grammaire sont : deux de l’âge d’Homère et d’Hésiode, deux d’Archiloque et d’Homère. Ses ouvrages sur la musique sont : trois livres des choses qu’on trouve dans Euripide, Sophocle, deux sur la Musique, deux de Solutions d’Homère, un intitulé Spéculatif, un des trois Poètes tragiques, un de Caractères, un de la Poésie et des Poètes, un des Conjectures, un de la Prévoyance, quatre d’Expositions d’Héraclite, un d’Expositions de Démocrite, deux de Solutions de controverses, un de Demandes, un des Espèces, un de Solutions, un d’Avertissements, un à Denys. Sur la rhétorique il a fait un livre intitulé Du Devoir de l’Orateur, ou Protagore. Ses livres d’histoire roulent sur les pythagoriciens et sur les découvertes ; parmi ces ouvrages il y en a dans lesquels Héraclide a imité le goût des auteurs comiques, comme quand il parle de la volupté et de la tempérance ; d’autres fois il suit le goût tragique, comme quand il parle des choses qui sont aux enfers, de la piété et de la puissance ; il met aussi quelquefois un certain tempérament dans ses expressions lorsqu’il fait parler des philosophes, des capitaines et des citoyens. On a encore de lui des ouvrages de géométrie et de dialectique.

Il y a des auteurs qui disent qu’il délivra sa patrie en tuant celui qui l’opprimait : c’est ce que rapporte entre autres Démétrius de Magnésie dans son livre des Personnes qui ont porté le même nom. Il ajoute qu’Héraclide ayant apprivoisé un dragon et étant à la veille de mourir, il pria un de ses proches de cacher son corps et de mettre le serpent à sa place, afin qu’on crût que les dieux l’avaient enlevé : que cela se fit, mais que pendant qu’on le portait en terre en le comhlant de louanges, le dragon, effarouché par les cris, s’élança d’entre le linceul qui couvrait le corps, et épouvanta les assistants ; qu’ensuite on trouva Héraclide lui-même, non tel qu’il avait voulu paraître, mais tel qu’il était. J’ai fait là-dessus cette épigramme :

Héraclide, quelle est la folie d’en vouloir imposer après ta mort ? tu veux passer pour un dragon qui, au lieu de jouer ton personnage, fait voir que tu lui ressembles par ton manque de sagesse. Hippobote confirme le récit de Démétrius de Magnésie. Hermippe d’Héraclée dit que, la famine dépeuplant le pays, on consulta l’oracle ; qu’Héraclide corrompit ceux qu’on y envoya et séduisit la prêtresse, jusqu’à l’engager à répondre que le fléau ne cesserait point qu’on n’eut honoré Héraclide, fils d’Eutyphron, d’une couronne d’or, en promettant de le révérer comme un demi-dieu après sa mort ; que la réponse de l’oracle fut déclarée, mais que les auteurs de cette tromperie n’y gagnèrent rien ; qu’Héraclide mourut d’apoplexie sur le théâtre, avec la couronne sur la tète ; que ceux qui avaient consulté l’oracle tombèrent morts, et que la prétresse elle-même mourut de la mor sure d’un dragon à l’entrée du sanctuaire. Voilà ce qu’on rapporte de la fin de ce philosophe.

Aristoxène le musicien dit qu’il a fait des tragédies sous le nom de Thespis ; Chaméléon prétend qu’il a pillé Hésiode et Homère ; Autodorus le blâme aussi et le contredit dans ce qu’il a écrit de la justice. On dit encore que Denys, surnommé le transfuge, ou Spintharus selon d’autres, écrivant son Parthénopée, et l’ayant mis sous le nom de Sophocle, Héraclide abusé en cita dans un de ses ouvrages quelques passages qu’il donna pour être de Sophocle ; que Denys, l’ayant remarqué, l’avertit qu’il se trompait ; et qu’Héraclide n’ayant pas voulu le croire, Denys lui envoya les premiers versets de son ouvrage où se trouvait le nom de Pancale[1], ami de Denys : sur quoi Héraclide continuant de dire qu’il se pouvait pourtant qu’il eût raison, Denys lui récrivit qu’il trouverait aussi cette maxime, qu’on ne prend pas aisément un vieux singe dans un filet ; ou que si on peut le prendre, ce n’est qu’avec beaucoup de temps. Il l’accusa aussi d’ignorer les lettres, et de n’en avoir pas de honte. Il y a eu quatorze Héraclides : le premier est celui dont il s’agit ; le second, son compatriote, a composé des pièces de danse et d’autres choses de cette nature ; le troisième, citoyen de Cumes, a publié l’histoire de Perse en six livres ; le quatrième, orateur de Cumes, a écrit de la Rhétorique ; le cinquième, de Calatie ou d’Alexandrie, a parlé de la Succession[2] en six livres, et des Chaloupes, d’où il fut surnommé Lembus[3] ; le sixième, né à Alexandrie, a décrit les Particularités de la Perse ; le septième, dialecticien de Bargyla, a combattu la doctrine d’Épicure ; le huitième, d’Hicée, a été médecin ; le neuvième, de Tarente, a été médecin empirique ; le dixième a donné des préceptes sur la poésie ; le onzième, de Phocée, a professé l’art de sculpteur ; le douzième a passé pour habile poëte en épigrammes ; le treizième, de Magnésie, a donné la vie de Mithridate ; le quatorzième a traité de l’Astrologie.


  1. Denys s’était servi du nom de Sophocle comme de l’anagramme de celui de Pancale, et l’avait mis à la tête de son ouvrage.
  2. C’est-à-dire des philosophes. Ménage.
  3. Lembus signifie chaloupe. Ménage et les autres commentateurs ne disent presque rien là-dessus, Estienne non plus ; mais Érasme, Proverbes, p. 1713, dit que ce mot était passé en usage satirique pour signifier un parasite ou un flatteur, ce qui peut expliquer ce que dit Harpocration, que les auteurs comiques s’en servent.