Les Villes à pignons/Funérailles

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Deman (p. 124-126).


Funérailles


 
Vingt ouvriers
Invisibles, là-haut, parmi les madriers,
À coups de reins, à coups de pieds,
Sonnent et sonnent.

Et sur les toits serrés en tas,
Tombent, bondissent et ricochent
Les glas,
Et par les trous des abat-sons,
S’éparpillent les sons
Et se vident les poches
Formidables des cloches.


Et passe,
Par la grand’place,
L’enterrement,
Et les chevaux du corbillard s’effarent
Aux chocs brutaux de la fanfare
Qui bat le deuil, terriblement.

Et les commères se chamaillent,
Là-bas, sous un auvent de bois,
Et recomptent, sur leurs vieux doigts,
Ce qu’ont coûté ces funérailles.
Et les enfants, au sortir de l’école,
Rompent soudain leurs jeux
Et regardent, de tous leurs yeux,
La bouche ouverte, et sans parole ;
Et les lourds camions aux carrefours s’arrêtent ;
Et ceux du tir à l’arbalète
Sont accourus du fond de leur enclos,
Et par décence ou par scrupule,
Ils dissimulent
Leur pipe ardente et allumée,
Dont on voit la douce fumée
Monter de derrière leur dos.


Et le funèbre et compact défilé
Longe à présent le quai de la Ferblanterie,
Avec ses bedeaux gras et ses prêtres râblés,
Et le mouvant amas des confréries.

Et l’on dirait vraiment qu’ils transportent
Toute une montagne de deuil,
Quand passe, au long des portes,
Le mort tassé dans son cercueil.