Les Villes à pignons/Le Grand Serment

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Deman (p. 66-71).


Le Grand Serment


 
Saint Georges,
Le président de ton serment,
Se carre et se rengorge
Superbement
Quand au sortir de la grande messe
Il défile d’un pas altier,
Tel dimanche de la kermesse,
Sous l’or bougeant de son collier.


On le regarde
En son orgueil marcher ;
Les solennels et francs archers
Du grand serment
Lui font sa garde ;
L’heure est claire, les cieux vermeils :
Vraiment
C’est à croire qu’il porte
Sur son torse bombé et ses épaules fortes
Des morceaux de soleil.

En un panier bordé de soie
Sont étendus son arc et son carquois ;
Une tige de buis
Dont le sommet lentement bouge,
Tend, devant lui,
L’ébouriffant plumage rouge
De l’oiseau d’or qu’il abattit.

Il traverse la rue aux Laines,
La cour du prince et le vieux bourg ;
Il marcherait à grands pas lourds,

Sans perdre haleine,
Jusqu’au soleil couché.
Mais tout à coup les tintamarres
De la fanfare
Lui font accueil, sur le marché,
Les pistons crient et les tubas font rage
Sans nul répit, sans nul arrêt,
Et l’on promène du tapage
De cabaret en cabaret.

Bières rouges sous couronne de mousse
Pour vous lamper gaiment
À la santé du grand serment,
Chacun s’en vient à la rescousse ;
On assiège les comptoirs clairs
Avec des brocs tendus en l’air.
Les servantes passent et passent,
Moites de hâte et de sueur
Et refoulant à coups de croupe
Parmi les cris et les rires, la troupe
Toujours plus dense des buveurs.


Le président du grand serment
Est cahoté au va et vient des houles
Et des vacarmes de la foule ;
On le bouscule en des bagarres
À hue, à dia, jusqu’au moment
Où la concassante fanfare
Par le chemin qui suit la gare,
Le mène au clos du grand serment.

Le tir à l’arc paisible et seul
S’étend, là-bas, près des tilleuls
Qui versent l’ombre à qui la cherche
Et d’où s’élève en contre bas
D’un grand jet blanc, ainsi qu’un mât,
La perche.

Avec solennité, l’oiseau
Tourbillon d’or, et tourbillon d’écume,
Est replacé, là-haut ;
Et tel est l’ordre et la coutume
Que si la flèche d’un archer
S’en vient avant la flèche présidentielle

Toucher
La parure immatérielle
Du bel oiseau,
Là haut,
Le chef du grand serment
Payera jusques au soir,
Abondamment,
À boire.

Et l’on se soûle en son honneur,
Et l’on trinque, et l’on crie, et l’on hurle, et la peur
S’accouple en des coins d’ombre avec la joie.
Filles, qui traversez par bandes les chemins,
Les gars aux violentes mains
Vous agrippent comme des proies.
L’ombre se fait autour du vieil enclos
Où commande Saint Georges
Le dernier air des fanfares se clôt,
Les cors s’enrouent et les bugles dégorgent
Un refrain las qui n’en peut plus.
Archers, vos bras sont lourds, vos doigts moulus,
Et vos regards se voilent,
Et vous ne savez plus si vous visez

L’oiseau superbe et pavoisé
Ou la première étoile.

Et par de longs et zigzaguants détours,
Vous revenez des vieux faubourgs
Vers la grand’place où s’exalte la joie.
Un pitre y fait le boniment
Au président du grand serment,
Et dans un coin le carrousel flamboie
Et tourne, et tourne, en emportant
Au mors aux dents de ses chevaux ardents,
Mais immobiles,
L’habituel recueillement
Et le silence de la ville.