Les Vilottières

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Les Vilottières
Conte Moyen Âge
Charles Dosquet.
LES
VILOTTIÈRES.
CONTE MOYEN-AGE.
PAR BERTIN, ARTISTE.

Livres vieilz et anticques ;
(Jacob.)
Près de la tente royal. cil tenoyent leurs bourdeaux.
(Joinville.)
Dedans la parfonde et la piolle.
Blons tretous avec la rapiole ;
Et gaudement fichant la colle,
Tant que le glinet nous entrolle ;
(Villon.)


METZ.
IMPRIMERIE DE CH. DOSQUET,
RUE COUR-DE-RANZIÈRES.

1837.
LES VILOTTIÈRES.
CONTE DU BON TEMPS.

C’estoyt au siècle quinzième.
Règne de Loys le ungzième,
Qu’advint le faict dont vais parler.
Cela sans tant vous pourmener ;

Fille des estats de Bourgogne.
Haulte en couleurs et sans vergogne.
Venoyt s’esbastre sur Pariz,
Comme font tous gens bien apriz.
Baillant à loyer leurs services
À petits et gros bénéfices.
Soyt à prebstres ou séculiers.
Ou aultres gens de tous métiers ;

La paouvre fille estoyt en peine.
Onc n’ayant vu que la campaigne,
Grandement avoyt l’air surpris.
Tout en arregardant Pariz,
Le beau chastel de la Bastille.
Le peuple qui partout fourmille.

Les cris des moines, des marchands ;
Ladres noirs et ladres blancs.
Saulciers, resgrattiers, étuvistes,
Écholiers, mendiants et banquistes,
Archiers, sergents tout galonnés.
Avecque hocquetons dorés,
Aux changeurs et aultres boutiques.
Plaines d’affiquets mirifiques,
Vous sentez par la Sambregoi !
La paouvrette estoyt en émoi ;

Or en temps qu’elle s’esbayie.
Advisant la dorloterie,
Une vieille le nez au vent
Arregardoyt la paouvre enfant.
Bonne vieille d’honneste mine ;
Vestue en robe d’estamine.
À coêffe de veloux frisé.
La chaisne d’argent au costé,
S’approuchant de la jeune fille.
Lui dit d’une façon gentille.
Lui papelinant le menton,
Qu’arregardez-vous mon mignon ?

Mais ! fict l’autre, suis domestique,
Et viens céans quérir pratique,
Ja. souloyt. tant vostre air est bon
Me bouter en vostre giron ;

Je pourpense à vostre languaige
Qu’arrivez de vostre villaige ;

Dict la vieille, vostre air me duict.
Et n’attendrez pas au déduict.
Venez. je vous baille assurance
Que vous m’aurez recongnoissance ;
De ce pas et sans plus songier.
Vais vous bouter en ung moutier
Où vous brulerez plus d’ung cierge
En honneur de dame la Vierge,
Or. départant d’ung air pieux.
La vieille la coulvant des yeux.
Prins la paouvrette par la main,
Et se mirent tot en chemin.

D’après les chroniques fidelles.
Prouche du palais des Tournelles,
Les filles lors. (suivant la cour.)
Avoyent establi leur séjour.
(Filles qu’on nommoyent Vilottières)
Ou. si mieulz aimez bourdelières ;
Or donc. ce fut en ce clappier.
Que la vieille appeloyt moutier,
Qu’elle emmenoyt nostre paouvrette.
Pour la loger en sa bougette.
La faisant marchier lestement.

Toutes les deux en trotinant.
Arrivèrent tot hors d’haleine
En la rue estroite et bréhaigne,
se trouvoyent de si saincts lieux ;
Puis en la pourléchant des yeux ;

La vieille adjouxta mon peton,
C’est ici qu’est nostre maison.
Et poussant doulcement la gouge
La fict entrer dedans son bouge ;

C’estoit au fond de ce logis.
Que de Cupido, que des ris ;
Se tenoyt la docte assemblée.
Filles à ceinture dorée,
Joyeulz fretin suivant la cour.
Tant adextre en tourdions d’amour ;

Adonc ! dict la vieille Sybille.
Entrez ici ma chière fille ;
Avec les dévots de céans.
Qui sont moult de braves gens,
Aurez indulgence pleinière
Et remplirez vostre aumonière.

La fille à de si bons prouficts !
Ouvroyent de grand yeux tous surpris.
Arregardoyt parlouer, fenestre.
Et d’adextre ainsi qu’à senestre.
Vieulz bahuts, escabeaux du lieu.
Ny advisant poinct de prie-dieu,
Ains. figures émerillonnées ;
De vermillon enluminées.
Soubriant aux gentilz atours
De brocards et de gros de Tours,
Ce que voyant la bourdelière

Fine mouche adextre comère ;
Elle dict. je vais mon enfant.
Vous atourner plus décemment.
Il faut pour parer ce désordre.
Revestir l’habit de nostre ordre,
Puis tot et en ung tour de main.
Vous la deshabilla soudain,
Faisant saulter sa gorgerette.
Et jusques à sa camisette ;

Vrai bot ! s’escria le bourdeau.
Jamais ne vit rien de si beau !
Madame Vénus est moins belle.
Par Priapus ! elle est pucelle !

Pendant que l’on s’esbayssoyt.
Ja la vieille s’esbaudissoyt ;
Lui donnant mise et air de royne.
À faire pêchier Sainct Antoyne.
La coêffoyt d’ung gentil hénin.
Recouvert d’étoffe en satin.
Enfin le veloux, la fourrure.
Ayant prins place de la bure,
La vieille lui dict mon enfant ;
Je vais vous laisser ung instant.
Si quelqu’ung vient de demourance.
Il faut lui bailler allègeance ;
Le debvoir de tout bon nonain.
Est de soublager le prouchain ;

Et toutes la laissant seulette.
Elle viderent la bougette.
Garde aurai d’oublier l’avis ;
Je veulz rester en ce logis.
Mon cœur en tressaute de joie !
Que j’ai grand paour qu’il ne se noie.
Pourpensa-t-elle et pour se voir.
Se bouta debvant ung miroir.
Miroir d’acier.[1] qui d’advanture.
Lui monstroyt si doulce figure !
Que de joie elle blémissoyt.
Par trop de plaisir se pamoyt ;

Or en ce temps en sa chambrette.
Quelqu’ung entroyt et la paouvrette.
Vit ung jeune gars bien planté ;
Qui sur elle avoyt l’œil fixé ;
Bon Dieu ! fict elle toute émue !
Que puis-je pour vostre venue ?
Puis en quatre bonds qu’elle fict
Se rencoigna tout près du lict.

Par Mahom ! avec air si frisque !
Tu danseroys bien la morisque.
Dict le gars moult émerveillé !
Ja me sens tout énamouré ;
Ça, viens ici ma bachelette ;
Je jure de par la braguette !

De nostre Seigneur Saint François.
Ne vis onc plus joli minois !
Par Cupido ! tu ne veulz mie ?
Conchiroys-tu ma doulce amie
Paige de Monseigneur le Roi ?
Suis Villon.[2] arregarde-moi ?

Oyant ce proupos tant honeste.
La paouvrette lesva la teste ;
Et vit le paige à ses genoux.
Las ! dict elle que voulez vous ?

Ains, fict il. veux tu pas peureulze
M’octroyer mercie amoureulze ?
Souloys ce jourd’hui dans tes bras
Mourir en l’amoureulz pourchas ;
Viens ça. mon ange, ma poupine
Nous esbastre sous la courtine ;
Vrai Dieu ! me sens de contrition
Tout confi de dévotion !
Il fauldroyt n’estre qu’une souche
Pour que l’eau n’en vienne à la bouche
Advisant d’aussi blancs tétins !
Ces petits pieds en leurs patins ;

Moi vieulz conteur de ceste histoire.
Poinct n’est par manque de mesmoire ;
Que j’arroyte ici le lecteur.
Ains pour mesnaigier sa pudeur ;
J’adjouterai que dans le bouge.
Où le paige tenoyt sa gouge.
On n’entendict plus au déduict
De leurs esbats qu’ung légier bruit,
Baisers d’ung couple qui s’accole ;
De temps en temps une parole.
Mon peton, mon joli bedeau !
Mon bouchon, mon plaisant dorlot !

Par ma fiquette ! dict le paige.
Fict il en monstrant son visaige.
Point n’auroys cru par Saint Janvier.
Trouver pucelle en ce moutier ;
Ton jeux me duict ; adonc ma belle,
Mets ceci dans ton escarcelle.
Las ! je n’ai qu’ung angelot d’or.
Pour payer ung pareil trésor !
Mais aurai pour toi remembrance.
Adonc mon amour bonne chance.
Puis prins la porte lestement
Et s’en alla gaillardement ;

Ains, tandis que nostre fillette
Adjustoys coëffe et gorgerette.
Quelqu’ung près de l’huis trébucha.
Et tot après ung homme entra.

Cestui garçon de haulte taille.
Vestu comme ung jour de bataille,
Corselet de fer. buffetin.
Ord et puant. taché de vin.
Rapière longue oultre mesure.
Ung grand poignard à sa ceinture.
Larges bottes et esperons ;
Carrillonnoyent à ses talons,
Gros sourcilz et rude moustache.
Onc augmentoyt son air bravache ;
Puis sur son chief ung feutre gris.
Que sur l’oreille il avoyt mis ;
Lui donnoyt l’air tant redoutable !
Qu’il en auroyt faict paour au dyable.

Corne bœuf ! cheval de rebut !
Par les trippes de Belzebut !
Gibier de Satan ! Vilottières !
Juives pires que bourdelières !
Ce bouge est il faict pour chrestiens ?
Qu’on y recoyt comme des chiens.
D’honnestes gens de ma nature
Qu’on voit ici par advanture ?
Ventre du Christ ! foi de routier !
Plus ne viendrai dans ce clappier.

En oyant ceci la fillette.
Elle trembloyt dans sa bougette ;
Adonc adjouta le truand.
Maugréant et vituperant.

Du dyable chantons la vesprée !
Viens ça ! dis moi ta ratelée ?
Suis bon compaing en tes tourdions ;
Et connu dans tous les taudions ;
Ains ne bougoyt la paouvre fille.
Tant elle avoyt paour du soudrille,
Mais le vilain s’esgaudissant.
Fuct près d’elle dans ung instant.
S’esvertuant de male raige ;
Lui meurtrissoyt son doulz visaige.
Tant pluz la paouvre enfant plouroyt.
Que tant pluz il la malmenoyt ;
Encor pluz maulvais que la gale.
Cuidoyt en faire une cavale.
À quatre pattes la mesnant
Par la chambrette en chevaulchant ;
Puis se sentant saoul de marchier.
Sur ung si gentil destrier.
L’enleva comme une alumelle.
Fust la jetter en la ruelle.
Où la caressant malement ;
L’accoloyt en vociférant ;

En cette étrif nostre ribaulde.
Estoyt moult chagrine et penaulde.
Le maulvais garçon à la fin.
Gorgé de pourchas et de vin.
Issi bientot de la bougette.
Onc ne laissant à la paouvrette,

Ung petit blanc ou blanc entier.
Ung liard à l’aigle ou ung denier.
Et faisant ung si grand tapaige.
Que tout dansoyt dans le mesnaige ;
Las ! les routiers de ce bon temps
Estoyent de maulvais garnemens !

Pourtant la vieille bourdelière.
Vint près d’elle et lui dict ma chière ;
Plus ne viendront de ces soudarts.
Ce sont tous ribleurs et raillards ;
Véci venir saint personnaige.
Fort emprins de ton beau visaige.
Généreulz comme ung hault baron.
Aussi riche que Salomon !
Adonc faics lui moult chière lie.
De gentille folastrerie.
Déjà l’entend qui monte ici.
Adieu, te laisse avecque, le véci ;

C’estoyt ung bon et vieulz chanoyne.
Du chapitre de Saint Antoyne.
Ça dict il. ma chière enfant ;
Vous parroyssez l’air bien dolent !
Las ! Monseigneur, suis malhaignée !
Et malement vitupérée ;
Ce dont ai vergogne et chagrin.
Veulz vous reconforter ung brin.

Fict il. Criez noël et largesse !
Poinct ne faics maulvaise promesse.
Et bouta tot sur ses genoux.
Boursette du plus beau veloux,

Ah ! dict elle. ouvrant la boursette.
Ne suis qu’une paouvre fillette,
Poinct ne mérite ung tel guerdon !
Il lui dict. si faict ma mignonne.
Cupido. si tant m’esguillonne,
Que tes yeulz m’emflambe le cueur !
Veulz tu pas calmer mon ardeur ?
Or. la paouvrette estoyt tant bonne
Ne saouloyt voir soubfrir personne.
Onc. tost après dans ce réduict.
Par curiosité conduict.
N’auroyt entendu d’advanture
Issir le plus légier murmure.
Sans peine auroyt ouï marchier.
Dame souris dans le clappier ;

Moi vieulz conteur de ceste histoire.
Poinct n’est par manque de mesmoire ;
Ains. ai grand paour d’ennuyer.
Et veulz enfin en terminer.
Adjouterai que le chanoyne,
Moins chaste que feu Sainct Antoyne.
Conchiant édit ou décret ;
Prins la fillette en son retrait.

Disant qu’une maxime ancienne
Veut qu’au Ciel. tout chemin nous mène.
Et que le debvoir d’ung nonain.
Est de soublager le prouchain.


  1. Ce fut seulement sous le règne de Louis onze qu’on vit en France la première glace.
  2. Poëte célèbre du moyen âge. Il fut page à la cour de Louis onze, et termina sa vie aux fourches patibulaires de Montfaucon. Ses poésies, qui portent le titre de Repues franches, sont écrites en langue argotique, comme le démontre l’épigraphe placée en tête de ce Conte.