Les Wagons-ambulances

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LES WAGONS-AMBULANCES

Les changements introduits dans l’art militaire par l’emploi des armes à longue portée ont amené, un double résultat qu’il est impossible de méconnaître : la diminution du nombre des morts et l’augmentation de celui des blessés restés sur le champ de bataille. Une pensée généreuse, bien digne d’un siècle de progrès, fut de chercher à sauver, en temps utile, ces malheureuses victimes de la guerre par une organisation efficace des sociétés de secours. — Il appartient à l’Amérique d’avoir eu, en avril 1861, la première idée sérieuse d’une association de ce genre. Depuis cette époque, des progrès de toute sorte ont été apportés à la grande œuvre philanthropique, pour laquelle les différentes nations ont rivalisé de zèle.
— Nous n’avons pas à décrire ici les nombreux appareils destinés au sauvetage des blessés ; le sujet est vaste et donnerait lieu à de trop longs développements. Toutefois nos lecteurs verront peut-être avec quelque intérêt certains détails sur un point important de la question : le transport rapide des blessés sur les chemins de fer, au moyen de wagons spéciaux, pourvus de tout le confortable nécessaire à des malades.

Les wagons-ambulances ont été employés, pour la première fois, en Amérique, pendant la guerre de la sécession. Les champs de bataille des États-Unis étaient encombrés de blessés, dont l’agglomération eût amené des résultats désastreux au point de vue hygiénique, si l’on n’avait pris des mesures pour les éloigner de ces centres d’infection. Il ne fallait assurément pas songer à placer dans des voitures ordinaires, si commodes qu’elles pussent être, des hommes amputés ou atteints de blessures graves ; les wagons à voyageurs furent donc réservés aux soldats que le peu de gravité de leur état permettait de transporter ainsi sans inconvénient. Quant aux autres, le problème consistait à trouver un moyen de les soustraire aux fatigues de la route et aux intempéries des saisons, en créant pour eux de véritables dortoirs roulants. Une des principales difficultés d’exécution résidait dans l’aménagement des lits ; il y avait là, en effet, un double écueil à éviter : car, si l’on fixait solidement ces lits à la paroi de la voiture, les malades étaient horriblement secoués ; d’un autre côté, si on les suspendait à des courroies rigides, les couchettes étaient ballottées en différents sens, et les hommes éprouvaient une sensation analogue à celle du mal de mer.
Wagon d’ambulance russe (en haut). — Coupe du wagon d’ambulance russe (en bas).

Pour obvier à ces divers inconvénients, on a eu recours à un mode spécial de suspension : chaque lit, composé d’un cadre en bois, recouvert d’un matelas solidement fixé, est accroché, par de fortes courroies en caoutchouc, à des anneaux de même matière insérés aux parois du wagon à l’aide de crochets en fer. L’élasticité du caoutchouc amortit les secousses imprimées par la marche, au point de les rendre presque insensibles pour les malades. Ces lits sont superposés, sur trois rangs en hauteur, de chaque côté de la voiture, suivant une disposition analogue à celle usitée sur les paquebots.

Les wagons de ce système, comme tous ceux employés en Amérique, sont à couloir central, et munis d’une plate-forme avec escalier à chaque extrémité ; la caisse est divisée en trois compartiments : le premier forme cabinet pour le médecin, avec table et lit-canapé ; cette pièce renferme la pharmacie et tous les instruments nécessaires ; le second contient les lits des malades, et le troisième est destiné à chauffer, au moyen d’un poêle, le dortoir et la chambre du médecin. Ces voitures, en raison de leur longueur exceptionnelle, ne sont pas montées sur des essieux fixes ; un système de quatre roues, réunies par un plancher mobile autour d’un axe vertical, supporte chacune des extrémités de la caisse, de manière à permettre le passage dans les courbes les plus prononcées. Par l’emploi de ce mode de traction, il a été construit des wagons d’une dimension telle qu’ils pouvaient réunir tous les éléments nécessaires au service de l’ambulance : dortoir, cabinet du médecin, salon d’opérations, cuisine et pharmacie. Celui dont nous donnons deux figures en perspective et en coupe, a été construit en Russie ; il est à deux étages, l’un destiné aux malades, et l’autre contenant seulement la chambre du médecin, des réservoirs à eau et à glace, et les collections d’instruments de chirurgie, ainsi que les thermomètres, baromètres, etc. À l’étage inférieur, on trouve successivement, installés avec un confortable parfait, la cuisine, le laboratoire de pharmacie, et le dispensaire pourvu d’une table à opérations ; le reste de la voiture appartient à l’ambulance proprement dite ; les blessés y sont pourvus de lits moelleusement suspendus, de chaises longues articulées et de fauteuils ; la température y est entretenue à un niveau constant au moyen d’un appareil à circulation d’eau tiède, réglé par l’électricité ; enfin, des ventilateurs maintiennent l’air intérieur à un état de pureté satisfaisant. Ce wagon, construit à Moscou, par les élèves de l’École technique Komissaroff, a été offert à l’impératrice de Russie pour la Société de secours placée sous son patronage. Les frais de construction se sont élevés à près de 38 000 francs. Nous ne pouvons oublier de mentionner, en terminant, un intéressant progrès accompli par la France dans la question qui nous occupe. La Société de secours aux blessés vient d’envoyer à l’Exposition de Vienne un train complet de wagons-ambulances, construits dans les ateliers d’Ivry. Chacune des voitures composant ce train a une destination bien définie et porte un titre indiquant son usage spécial : approvisionnement, cuisine, réfectoire, ambulance, médecin, magasin.

Cette installation admirablement organisée et si bien faite pour soulager les blessés fait le plus grand honneur à la Société française et à son honorable président.
P. de Saint-Michel.