Les Wagons de chemins de fer américains

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LES WAGONS DES CHEMINS DE FER
AMÉRICAINS

Il existe aux États-Unis plus de 100 000 kilomètres de chemin de fer. La locomotive y franchit des distances prodigieuses, puisque, de New-York à Chicago, il y a 1 600 kilomètres, et de New-York à San Francisco, près de 6 000 kilomètres. Les voyages sont donc de longue durée, bien que la vitesse des trains soit presque aussi grande qu’en France, Cela étant, les Américains, qui n’aiment guère la gêne, ont voulu avoir des wagons où les habitudes de la vie ordinaire fussent le moins possible interrompues. Voici comment ils y sont parvenus.

Le wagon américain est une caisse de 15 mètres de long environ avec des paliers et des escaliers à chaque bout. Il n’y a pas de portes latérales ; on entre et l’on sort par les extrémités. À l’intérieur règne au milieu un couloir de 60 à 70 centimètres de large, avec des banquettes à deux places de chaque côté. Les dossiers de ces banquettes sont mobiles autour d’un axe horizontal ; le voyageur peut s’asseoir à volonté le visage tourné vers la locomotive ou à reculons.

Wagon ordinaire américain[1].

Ces wagons sont très-élevés. La hauteur intérieure est de 2m, 50 contre les parois, et de 3 mètres dans l’axe du wagon, en sorte que les voyageurs peuvent circuler dans le couloir central, le chapeau sur la tête, sans se heurter à aucun obstacle.

Pour le chauffage, il y a des poêles au charbon de terre que l’on allume non-seulement en hiver, mais quelquefois aussi pendant les nuits d’été, notamment sur la ligne du Pacifique, où les rails s’élèvent à plus de 2 000 mètres au-dessus du niveau de l’Océan.

L’éclairage au moyen de lampes ou de bougies ne donne qu’une lumière insuffisante. Quelques compagnies emploient le gaz comprimé, qui produit au contraire une vive clarté. Cela est fort apprécié, dans un pays où l’on estime le temps à sa juste valeur. Les voyageurs peuvent consacrer à la lecture les longues soirées qu’il passent en chemin de fer.

Chaque wagon est pourvu d’un cabinet d’aisances et d’une fontaine d’eau glacée avec un verre, un seul verre, il est vrai, qui sert à tout le monde. Quelquefois il y a de plus un lavabo.

Vue intérieure d’un wagon à lit, dit Silver Palace Car.

Du reste, le plan ci-contre montre comment ces divers accessoires sont disposés à l’intérieur d’un wagon-hôtel du New-York central.

Tandis que le train est en marche, on peut passer d’un wagon à l’autre ou se tenir sur les paliers extérieurs. Le palier d’arrière du dernier wagon surtout est une sorte d’observatoire d’où l’on contemple commodément le paysage, l’état de la voie, les travaux d’art, etc. Dans chaque train circule le conducteur qui vérifie les billets, un marchand qui offre au public des journaux, des fruits, des cigares ; dans les wagons de luxe, il y a de plus un domestique toujours à la disposition des voyageurs.

Des wagons d’une telle dimension ne pourraient tourner dans les courbes s’ils n’avaient que des essieux rigides comme les wagons européens. Ils sont portés sur deux petits trucs à quatre roues auxquels les relie une cheville ouvrière. Ils franchissent ainsi sans nulle difficulté des courbes de 120 mètres de rayon, Ces grandes caisses sont d’ailleurs très-stables sur la voie et n’éprouvent guère le mouvement de lacet.

Sur les chemins de fer des États-unis, il n’y avait dans le principe qu’une seule classe de wagons. Tous les voyageurs étaient confondus, quelle que fût leur situation sociale. Quand les railways s’étendirent à travers tout le continent, les gens riches demandèrent non point d’être isolés de la foule du public, mais d’obtenir, contre payement un peu plus de confort.

Plan de distribution d’un
wagon hôtel du New-York
central.

BB. Banquette à deux places. — B′B′. Siéges pour les employés du train ou les domestiques. — C′C′. Compartiments à trois places. — D′D′. Paliers extérieurs. — F. Compartiment des fumeurs. — G. Fontaine d’eau glacée. — L. Lavabo. — R. Appareil de chauffage. — V. Cuisine. — W. Water-closet.

C’est ainsi que les compagnies établirent des wagons-hôtels et des wagons-restaurants. Ces derniers ont eu peu de succès, car, après tout, les trains ont toujours des arrêts obligatoires d’assez longue durée, et le voyageur préfère en profiter pour prendre ses repas tranquillement assis devant une table immobile. Les wagons à lits sont adoptés au contraire sur toutes les grandes lignes. Le jour, ils ne se distinguent des wagons ordinaires que par une installation plus luxueuse ; le soir, les banquettes disparaissent pour faire place à des couchettes superposées deux à deux comme dans les paquebots. Ce sont des lits avec draps, couvertures, oreillers et rideaux. Le matin, chacun va à tour de rôle faire sa toilette au lavabo commun. Puis le domestique du wagon remet tout en place pour la journée.

À certaines époques, il y a eu de ces wagons-hôtels qui partaient deux fois la semaine de New-York pour Francisco. On pouvait monter en wagon à New-York et ne descendre qu’à San Francisco, six à sept jours après.

Le lecteur se demande sans doute à quel point une pareille organisation devrait être imitée en Europe. Notons d’abord que le besoin ne s’en fait guère sentir. Pour les voyages de courte durée, la forme du véhicule importe peu, pourvu que l’on y soit commodément assis et abrité contre la poussière. Pour les trajets très-longs, il n’est pas certain que les grands wagons américains, avec leurs chevilles ouvrières, se prêteraient aux vitesses de 60 à 80 kilomètres à l’heure qu’atteignent nos trains express. La réunion de tous les voyageurs en une seule salle contrarierait bien des personnes. Nos mœurs n’ont pas toujours la discrétion nécessaire à cette vie commune, quoique nous soyons dans les relations sociales plus polis et moins rudes que d’autres. Assurément il n’y a pas de raison suffisante pour engager les grandes compagnies à transformer tout leur matériel à la mode américaine ; mais il est désirable qu’elles essayent pour les trains de nuit quelque chose d’analogue aux wagons-lits des États-Unis et que, pour l’hiver, elles trouvent, comme les compagnies américaines, le moyen de chauffer avec des poêles leurs wagons de toutes classes.

H. Blerzy.


  1. Les gravures de cet article sont reproduites d’après le bel ouvrage de M. Malézieux sur les travaux publics aux État-Unis. Dunod, 1873.