Les anciens Volcans de la Grèce, Souvenirs d’une excursion scientifique à l’isthme de Corinthe et dans les Cyclades
LES
ANCIENS VOLCANS
DE LA GRÈCE
Tandis que l’analyse spectrale fournit aujourd’hui des données positives sur la nature des substances qui entrent dans la composition des corps célestes, nous sommes dans une ignorance presque absolue de la constitution intérieure de la planète que nous habitons. Il n’y a pas de mine qui atteigne à une profondeur de plus d’un millième du rayon terrestre ; les plus profondes ne nous permettent donc d’explorer que l’enveloppe la plus superficielle du globe. Toutefois l’énorme masse intérieure soustraite à nos investigations directes n’échappe pas entièrement à toute espèce de recherches. On sait que les parties centrales de la terre, dont la densité moyenne a été déterminée avec une grande exactitude, renferment des substances douées d’un poids spécifique considérable. On peut en outre regarder comme très probable, sinon affirmer d’une manière absolue, qu’elles forment un noyau solide d’une grande rigidité. D’un autre côté, la chaleur souterraine, l’aplatissement de la terre vers les pôles, surtout les manifestations volcaniques prouvent avec certitude qu’il y a de la matière en fusion étendue en nappe à une faible profondeur au-dessous de la surface du sol. On peut donc considérer notre globe comme formé de trois parties distinctes et concentriques : un noyau volumineux doué d’une haute température, une couche fluide incandescente, une enveloppe solide relativement peu épaisse. Ces trois régions successives sont très inégalement connues. L’enveloppe externe, offrant un vaste champ à l’observation directe, est de mieux en mieux étudiée chaque jour. La structure et la composition des roches qui la constituent, la disposition, la nature et la position relative des débris organiques qu’on y rencontre, sont l’objet incessant des travaux d’un grand nombre de savans distingués. On sait qu’elle est formée de vastes plaques accolées comme les pièces d’une mosaïque et plus ou moins intimement soudées. Les chaînes de montagnes et les autres grands accidens physiques représentent sur la surface extérieure les lignes de fracture ou de séparation de ces larges compartimens, qui affectent une certaine symétrie géométrique. Ainsi donc, malgré la faible profondeur à laquelle il est possible de pénétrer dans le sol en un point donné, on peut dire que l’écorce terrestre est assez bien connue aujourd’hui. Nous ne possédons au contraire aucune donnée, je ne dirai pas certaine, mais probable sur la composition chimique des matières qui forment le noyau central. La température, les dimensions exactes, la loi de variation de la densité de ce noyau sont autant de problèmes restés sans solution. Nous n’avons donc que des notions bien vagues sur la masse principale de la terre. Quant à la couche intermédiaire, les matières qui la composent ont été pendant la longue durée des siècles souvent chassées au dehors par les crevasses de l’enveloppe extérieure, et elles nous fournissent de précieux documens sur la composition qu’a présentée en divers points et à diverses époques la nappe incandescente qui alimente cet écoulement. Tous ces produits ignés, qu’ils soient anciens ou modernes, sont essentiellement constitués par des silicates. Les silicates dominent donc d’une manière générale dans la masse en fusion sous-jacente à la croûte terrestre ; mais il n’en faudrait pas conclure que le liquide incandescent qui la compose soit partout homogène. Malgré les marées souterraines qui l’agitent et le brassent, il offre des couches de densité et de composition diverses. Dans beaucoup de volcans en effet, la composition des laves a varié avec le temps, et dans ce cas on trouve toujours que les laves anciennes contiennent plus de silice que les laves plus récentes ; celles-ci en revanche présentent une densité plus considérable, et sont plus riches que les premières en magnésie et en oxyde de fer. Cette variation dans la nature des produits en fusion rejetés par un même volcan conduit à admettre une variation correspondante dans la composition du fluide igné qui les fournit, les couches les plus profondes étant plus denses et plus ferrugineuses, celles qui les surmontent étant plus siliceuses. Cette séparation d’un liquide hétérogène en couches d’inégale densité est un fait général bien connu des chimistes et des métallurgistes. On le désigne sous le nom de liquation ; il se produit souvent avec une grande facilité. On l’observe presque constamment quand on opère la fusion d’un alliage métallique, et dans l’industrie, quand on tient à maintenir l’homogénéité d’une matière fondue, on est quelquefois obligé d’agiter vivement le bain tant que dure la fusion. La production de ce phénomène constitue, dit-on, une des difficultés de la fabrication des canons de bronze. Si la liquation s’opère ainsi sur des quantités de matière relativement très petites, il n’est pas étonnant qu’il en soit de même dans le liquide de composition complexe qui forme au sein de la terre un véritable océan de feu.
Ces notions sur la constitution de la zone moyenne du globe ne sont pas les seules que fournisse l’étude des volcans. De cette étude on peut encore tirer de précieux renseignemens sur la configuration de la surface qui limite intérieurement la matière fondue. Les volcans en effet ne sont pas de simples pertuis isolés les uns des autres, creusés comme des puits étroits au travers de l’enveloppe extérieure de la terre. Il existe un ordre manifeste et depuis longtemps signalé dans la distribution géographique des centres éruptifs. Les principaux se trouvent toujours au point de croisement de certaines directions spéciales, dont l’importance et l’orientation ont été l’objet de savans travaux, et l’on sait en outre qu’ils sont ordinairement réunis de manière à former de longues files rectilignes, comme si chaque groupe était implanté sur une déchirure particulière de l’écorce terrestre. Les volcans de l’Amérique du Sud, alignés sur une étendue de plusieurs centaines de lieues, sont un type de cette disposition, et plus près de nous le Vésuve, Stromboli et l’Etna, rangés dans une même direction, sont encore regardés par tous les géologues comme appartenant à une même série. De plus il semble souvent exister certaines relations remarquables entre le degré d’activité des volcans d’un même groupe. Quand les fluides élastiques développés dans les profondeurs du sol par des causes encore obscures et probablement complexes[1] acquièrent une tension suffisante pour déterminer une éruption, dans les premiers momens la poussée se fait sentir sur toute l’étendue de la région volcanique en travail ; il semble qu’il y ait une période de surexcitation générale. Puis bientôt le mouvement se localise dans un centre d’action unique, tandis que tous les autres points s’assoupissent rapidement, et perdent même pendant quelque temps une partie de leur énergie ordinaire. Les choses se sont passées de cette façon dans un si grand nombre de cas qu’on en a déduit une loi générale, devenue populaire dans les pays qui sont le siège habituel des phénomènes ignés. J’ai eu moi-même récemment l’occasion d’en observer un remarquable exemple. Au commencement de 1865, l’Etna et le Vésuve sont entrés simultanément en éruption en même temps que Stromboli détonait avec violence et rejetait des flots de cendres ; mais au bout de quelques semaines l’Etna continuait seul ses grandioses manifestations, et vomissait pendant plusieurs mois des torrens de lave et de matières volatiles ; les deux autres centres éruptifs avaient repris à peu près leurs allures habituelles.
Tous ces faits s’expliquent facilement si l’on suppose que l’écorce terrestre est entaillée sur sa face interne de sillons rectilignes très allongés s’élevant ou s’abaissant à la partie supérieure suivant une ligne tourmentée, irrégulière, et assez profondément creusés en quelques points pour offrir des conduits qui pénètrent au travers des couches du sol et débouchent au dehors. Les cratères volcaniques ne seraient autre chose que les orifices extérieurs de ces conduits, et l’alignement régulier qu’ils présentent correspondrait à celui des sillons dont ils tirent leur origine. De là, entre les volcans d’un même groupe, des facilités de communication plus ou moins grandes. Tantôt les manifestations de l’un sont étroitement liées avec celles des autres : on en conclura que le sillon commun d’implantation est libre sur une grande étendue. Tantôt au contraire ils offrent une certaine indépendance réciproque, une éruption en un point ne se fait sentir qu’à un faible degré, ou même ne se fait pas sentir du tout dans les points voisins : alors on sera naturellement conduit à penser qu’une partie de la fissure souterraine est obstruée, et que la communication entre les cheminées volcaniques ne s’opère qu’à une grande profondeur.
Il m’a été récemment donné, en visitant les points de la Grèce qui ont été à différentes époques le théâtre de phénomènes éruptifs, d’apporter des preuves nouvelles à l’appui de cette théorie. Après avoir étudié, sur place l’éruption de Santorin[2], j’ai voulu rechercher l’influence qu’elle exerçait sur la nature et l’intensité des manifestations volcaniques dans les régions voisines et acquérir ainsi des données nouvelles sur la structure de l’écorce terrestre en ce point et sur la manière probable dont les éruptions s’y étaient produites.
Les Cyclades, au groupe desquelles appartient Santorin, au lieu d’être disposées en cercle autour de Délos, l’une d’elles, comme le croyaient les anciens, sont distribuées sur trois lignes droites parallèles, dirigées sensiblement du nord-ouest au sud-est. Les deux rangées les plus septentrionales, dont font partie Délos, Syra, Paros et Naxos, sont exclusivement composées de roches métamorphiques[3] ; mais la rangée méridionale, formée par Santorin, Policandros, Polino, Kimolo et Milo, constitue un groupe naturel, presque entièrement d’origine volcanique. En outre la même direction prolongée vient rencontrer les côtes du Péloponèse aux environs de l’isthme de Corinthe, et là encore se trouvent deux localités où se fait sentir l’action des forces souterraines : ce sont la soufrière de Sousaki, située sur l’isthme même, et la presqu’île de Méthana, réunie par une étroite langue de terre à la côte du Péloponèse, en face de l’ancien emplacement de Trézène et d’Épidaure. Méthana est célèbre par une éruption qui s’y est produite dans l’antiquité, en un lieu dont la situation exacte était ignorée de nos jours. Sousaki, Méthana, Milo, tels sont les endroits les plus intéressans au point de vue des recherches que j’avais entreprises, et dont je vais indiquer les principaux résultats.
L’isthme de Corinthe offre deux régions très distinctes. Dans la partie la plus rétrécie, à l’ouest, le sol est peu élevé au-dessus du niveau de la mer. Les couches qui en occupent la surface ont été tranquillement déposées au fond des eaux pendant la période tertiaire pliocène[4], et sont remplies de coquilles marines ; elles sont constituées par une roche calcaire très faiblement agrégée. La nature et la position des débris fossiles qu’elles contiennent montrent que le dépôt s’est fait sous une petite épaisseur d’eau. Par conséquent, à la fin de l’époque tertiaire, il existait encore une communication entre les deux mers ; mais le détroit qui séparait le Péloponèse du continent et en faisait une grande île était déjà resserré, très peu profond et garni de nombreux récifs de polypiers. Aujourd’hui, si les besoins du commerce maritime réclamaient le percement de l’isthme, cette opération ne présenterait aucune difficulté grave, car on n’aurait de déblais à effectuer que dans un sol facile à entamer. Autant la formation de cette région par voie de dépôt lent et régulier des terrains au fond de la mer est évidente, autant il est aisé de reconnaître que la partie occidentale de l’isthme a été remuée et désolée par les feux souterrains. C’est de ce dernier côté que se tournèrent mes recherches, et je résolus de me rendre d’abord à la soufrière de Sousaki. Bien que le guide que j’avais pris à Calamaki eût commencé par s’égarer et que nous n’eussions rencontré ni soufrière, ni dégagemens de gaz, ni un signe quelconque d’activité volcanique actuelle, cette première excursion ne fut pas complètement perdue. Le ravin profond où nous errâmes tout le jour est des plus pittoresques : il s’ouvre près de la route de Mégare à Calamaki, à 6 kilomètres environ de cette dernière ville, et s’étend vers le nord sur une longueur de plusieurs kilomètres. La largeur au fond n’excède jamais 50 mètres, et quelquefois le défilé se rétrécit tellement que l’on est obligé pour continuer sa route de marcher dans le lit du petit ruisseau qui le parcourt. Un bosquet de jasmins et de lauriers-roses forme le long de l’eau comme un jardin verdoyant et embaumé, que surmontent des roches dénudées, des escarpemens à pic de 200 mètres de haut, couronnés de maigres pins brûlés par le soleil. Ce site, d’un caractère grandiose, est d’un extrême intérêt pour le géologue. Dans les parties les plus élevées, les parois de la gorge sont formées par des bancs d’un calcaire jaunâtre. Plus bas se trouvent des agglomérations de cailloux roulés qui ont plus de 100 mètres d’épaisseur. Toutes ces assises sont d’origine sédimentaire, elles ont été déposées sous l’eau et ont émergé toutes formées du sein des flots ; mais au milieu d’elles on voit poindre de place en place une roche connue sous le nom de serpentine, dont l’origine a donné lieu à de fréquentes discussions parmi les géologues, et dont la présence en ce lieu mérite à divers égards d’attirer l’attention.
La serpentine a des propriétés physiques singulières. Elle est tellement tendre qu’on peut la rayer avec l’ongle, et en même temps si tenace qu’à grands coups de marteau on n’en détache qu’avec peine de petits fragmens. Elle est d’un vert foncé semé de quelques taches noires ou rouges disséminées, et présente souvent des reflets bronzés analogues à ceux qu’on observe sur la peau de certains serpens. C’est ce qui lui a fait donner le nom qu’elle porte. Elle se prête facilement au travail du tour, ce qui la rend précieuse pour la fabrication de vases et autres objets d’ornement. Dans plusieurs pays, elle forme de puissantes montagnes, et on ne sait trop encore ni d’où elle vient, ni comment la classer. Est-ce un minéral simple ou une agglomération de minéraux ? Par la composition chimique, elle se rapproche des roches cristallines ; elle s’en éloigne par l’aspect et les propriétés physiques. Quelques géologues la regardent comme une matière d’origine purement ignée, d’autres croient que c’est une roche métamorphique c’est-à-dire primitivement déposée au fond de l’eau, puis durcie et transformée postérieurement par l’action de la chaleur. Il est certain que cette dernière hypothèse est conforme aux faits observés dans un grand nombre de cas ; dans quelques circonstances cependant, l’autre mode de formation paraît plus vraisemblable. Dans les ravins de Sousaki par exemple, la serpentine paraît être sortie du sol à l’état pâteux, sinon à l’état de fusion complète, et avoir joué à une époque ancienne le même rôle que jouent aujourd’hui les laves de nos volcans. L’apparition de cette roche aurait donc été accompagnée et suivie de la production des mêmes vapeurs acides qui se dégagent en si grande abondance dans nos éruptions modernes, et en effet on trouve à Sousaki les roches en contact avec la serpentine et la serpentine elle-même altérées par des émanations sulfureuses, absolument comme il arrive dans les volcans en activité.
Cette substance est en médecine non moins qu’en géologie un sujet à controverses. La serpentine ainsi que la dolomie, qui se montre auprès d’elle à Sou saki comme dans la plupart des autres gisemens, est un sel de magnésie. Dans certaines contrées montagneuses et particulièrement sur les versans méridionaux des Alpes, où ces deux matières minérales jouent un rôle important comme élémens du sol, et où les eaux des ruisseaux et des torrens contiennent des quantités notables de sels de magnésie en dissolution, les populations sont affligées endémiquement du goitre et du crétinisme. En Grèce, ces deux maladies, dont l’une est le triste couronnement de l’autre, sont à peu près inconnues ; mais à la place règne une affection plus terrible encore, je veux parler de l’éléphantiasis ou lèpre grecque, reste du terrible fléau qui a décimé les peuples pendant le moyen âge. Les malheureux qui en sont atteints sont affreux à voir ; leurs membres sont déformés, leurs visages hideux. Ils inspirent une telle répulsion, et l’on est si persuadé des propriétés contagieuses de leur maladie, qu’on les tuerait infailliblement comme des bêtes fauves, s’ils essayaient de sortir de l’enclos dans lequel on les tient rigoureusement enfermés, et où ils vivent au jour le jour des maigres provisions qu’on leur jette de loin. Or les parties de la Grèce où l’on observe les cas les plus nombreux d’éléphantiasis sont précisément celles où les roches magnésiennes dominent dans la composition du terrain. À l’entrée des ravins de Sousaki, au pied des talus ravinés de serpentine et de dolomie, se trouve une plage couverte de débris de ces deux roches. En cet endroit, il existait encore, il y a quelques années, un village habité par une quinzaine de familles qui, à la fin de la guerre de l’indépendance grecque, étaient venues s’y fixer, attirées par la fertilité du pays. Tous les membres de cette colonie naissante se sont vus successivement atteints de la lèpre ; aujourd’hui le village est désert, les maisons sont en ruine. Il est impossible de ne pas être frappé de cette coïncidence remarquable entre la nature du sol et le développement de la cruelle endémie, et de ne pas être tenté d’attribuer à la même cause l’origine du goitre dans les Alpes et de l’éléphantiasis en Grèce[5].
La soufrière de Sousaki, située à quelques kilomètres de Calamaki, est le siège de dégagemens gazeux très actifs, et présente tous les caractères qui révèlent une communication permanente de la surface avec les profondeurs du sol. On y a tenté l’exploitation du soufre, mais jamais l’extraction du minerai n’y a été opérée d’une façon suivie. Le peu d’abondance de la matière exploitée et surtout la présence de gaz délétères ont toujours promptement arrêté les travaux commencés. La serpentine se montre encore çà et là au bas des escarpemens, surmontée d’assises calcaires. Ici l’altération des roches est bien plus prononcée encore que dans tout le voisinage. Le calcaire est presque entièrement transformé en gypse ou en dolomie, et la serpentine est blanchie et désagrégée sous l’influence des émanations gazeuses. En quelques points où la température atteint jusqu’à 37 degrés centigrades, on sent très fortement l’odeur désagréable de l’hydrogène sulfuré ; mais le gaz le plus abondamment dégagé est l’acide carbonique. Les fissures des roches, les moindres crevasses du sol sont autant de bouches par lesquelles ce gaz est continuellement exhalé. Près de l’entrée du défilé, quelques excavations plus larges en rejettent sans cesse des volumes effrayans. La principale de ces cavités est une grotte étroite tout à fait comparable à la grotte du Chien près de Naples, avec cette différence que la température y est beaucoup plus élevée et le dégagement d’acide carbonique plus considérable. Le niveau de l’ouverture dépasse d’un mètre environ celui du fond de la grotte, de telle sorte qu’on y peut entrer et y stationner, à la condition de rester debout, la tête au-dessus de la couche asphyxiante. L’acide carbonique, dont le pouvoir réfringent est supérieur à celui de l’air, est, grâce à cette circonstance, parfaitement visible. On le voit couler comme un liquide du fond de la cavité vers l’entrée et s’épancher au dehors le long des flancs du ravin.
Il était intéressant de rechercher quelle influence avait exercée l’éruption de Santorin sur ces émanations d’origine volcanique. On ne possède malheureusement que peu de renseignemens sur le degré d’activité antérieur de ces évens de la soufrière de Sousaki. On peut néanmoins affirmer qu’il ne s’est produit récemment en ce lieu aucun phénomène intense ; ceux que j’y ai observés m’ont paru la continuation régulière de ce qui a été vu, il y a plusieurs années, par les rares voyageurs qui ont visité cette région. Aucun mouvement remarquable du sol, aucune élévation notable de température, aucune sortie nouvelle de gaz ou de vapeurs, aucune recrudescence sensible dans les phénomènes volcaniques habituels de la contrée, ne s’y sont récemment produits comme contre-coup de la poussée éruptive qui s’exerçait au même moment avec tant d’énergie à l’extrémité méridionale des Cyclades. Il n’est pas douteux cependant qu’un même déchirement de l’écorce terrestre a donné naissance aux principaux centres volcaniques de la Grèce. Il faut donc admettre que le sillon commun d’implantation sur lequel sont assis Santorin et Sousaki est assez obstrué pour que toute communication à une faible profondeur soit interceptée entre ces deux points.
Un exemple plus frappant encore de cette obstruction partielle des conduits souterrains qui relient les centres éruptifs de la Grèce nous est offert par la presqu’île de Méthana. Tout y porte la trace de bouleversemens violons et de manifestations ignées des plus intenses, aujourd’hui presque assoupies. La partie septentrionale est couverte de blocs d’une roche volcanique, le trachyte, vomis dans des convulsions anciennes. Ces blocs tantôt s’élèvent à une grande hauteur sous la forme de pics noirâtres, tantôt s’étendent vers la mer comme des coulées de lave. Deux ou trois villages apparaissent au milieu des rochers, et le sol est cultivé avec soin partout où la décomposition des trachytes fournit un peu de terre végétale. Dans l’endroit le plus abrupt, au pied des falaises, se trouve une source sulfureuse que les anciens connaissaient, et où ils avaient même installé des bains qui sont abandonnés depuis bien des siècles. Il y reste encore quelques pans de murs et d’autres débris de constructions. L’eau de la source est alcaline et possède une température de 31 degrés. Il s’en dégage des bulles d’un gaz dont j’ai fait sur place une analyse rapide. Ce gaz est de l’acide carbonique presque pur ; il n’est mélangé que d’une proportion extrêmement faible d’hydrogène sulfuré. Cette eau, dont les anciens avaient déjà reconnu l’efficacité, possède des propriétés thérapeutiques énergiques qui mériteraient d’être utilisées. Près du petit port de Vromo-Limni, au sud de Méthana, sur le rivage même et au pied d’une butte de calcaire métamorphique, s’échappe une seconde source sulfureuse très abondante. L’eau qui en provient possède une température de 27 degrés ; elle est alcaline et exhale une forte odeur d’acide sulfhydrique, ce qui a valu à ce lieu le nom qu’il porte (Vromo-Limni, marais fétide). On n’y observe aucun dégagement gazeux. Ce petit port de Vromo-Limni, protégé par une jetée naturelle de rochers trachytiques, est un excellent abri pour les navires d’un faible tonnage. L’eau de la mer, mêlée à celle de la source, y est à la fois saumâtre, sulfurée et alcaline, et malgré cela les poissons et les mollusques y pullulent d’une façon merveilleuse.
En remontant vers le nord le long de la chaîne trachytique qui traverse le pays, on parvient dans un endroit dont le nom m’avait frappé en le lisant sur la carte. Il s’appelle Kaméni-Pétra (pierre brûlée). Rien qu’en voyant ce nom, j’étais demeuré convaincu qu’il devait désigner un lieu signalé par des phénomènes volcaniques de date récente. Mon espoir ne fut pas déçu. Une montagne conique s’y élève, composée de blocs de lave entassés ; au pied s’étale une coulée peu étendue, qu’on dirait produite tout dernièrement, tant elle est fraîche et tant elle ressemble à certaines coulées modernes du Vésuve et de l’Etna. Au moment où, par une pluie battante et après une longue marche, nous parvînmes en vue de ce mamelon, des traces si évidentes d’une éruption peu ancienne, le désir de connaître la configuration de la partie culminante du cône me remplirent d’une ardeur indicible. Laissant mes compagnons chercher un abri au hameau voisin, je m’élançai le long des pentes escarpées du monticule, que je gravis presque en courant. Arrivé sur la crête, trempé, hors d’haleine, assez grièvement blessé par un bloc de lave qui s’était détaché devant moi et avait failli m’écraser, je ne pus m’empêcher de battre des mains et de pousser un cri de triomphe. J’avais devant les yeux un large cratère, le plus beau qu’il m’eût encore été donné de contempler, et certainement le lieu de la fameuse éruption décrite par Strabon et chantée par Ovide. À mes pieds s’ouvrait une vaste cavité régulièrement arrondie, ayant environ 150 mètres de diamètre, 60 mètres de profondeur et présentant la forme d’une coupe dont le rebord serait garni de dentelures aiguës. Le fond en a été envahi par une splendide végétation de lauriers-roses, de myrtes et de pistachiers au feuillage d’un vert sombre. Les parois ne sont pas formées par une accumulation de matières projetées, comme il arrive dans la plupart de nos volcans modernes ; elles sont constituées par une roche compacte, fendillée, cristalline, taillée à pic vers l’intérieur du cratère et renversée au dehors,
La situation du cône de Kaméni-Pétra, la hauteur au-dessus du niveau de la mer (bien qu’exagérée par Strabon), les traditions locales conservées malgré les changemens de race, l’aspect spécial des blocs de lave qui couvrent les pentes extérieures de l’éminence, tout nous permet d’affirmer que c’est bien là le lieu de l’éruption dont le sol de Méthana a été le théâtre quelques années avant Jésus-Christ. En observant les parois du cratère, on s’explique même la différence apparente qui existe entre les récits d’Ovide et de Strabon. Voici la version d’Ovide :
« Près de Trézène, la ville de Pithée, s’élève une éminence escarpée, sans ombrage ; à l’endroit où elle se dresse, s’étendait jadis une longue plaine. Un jour, par un phénomène terrible, les vents violemment comprimés dans les entrailles de la terre essayèrent de se frayer une issue. Dans leurs prodigieux et inutiles efforts pour jouir d’un plus libre espace, leur prison ne laissant pas le moindre passage à leur souffle, ils tendirent et gonflèrent la surface de la terre, comme on gonfle une vessie ou une outre avec la bouche. Le sol conserva la forme d’une haute colline, et s’est affermi avec le temps[6]. »
Pour Strabon, voici comment il s’exprime :
« Aux environs de Méthana, dans le golfe Hermionique, une montagne de sept stades de hauteur jaillit sous l’action d’un souffle de feu. Pendant le jour, l’élévation de la température et une odeur de soufre empêchaient d’en approcher ; mais la nuit elle exhalait une bonne odeur, répandait au loin une grande clarté et une chaleur telle que la mer bouillonnait sur un espace de cinq stades, était encore trouble à vingt stades, et se montrait hérissée de rochers abrupts aussi hauts que des tours. »
Les deux écrivains, tout en rapportant très diversement les circonstances qui ont accompagné l’éruption de Méthana, s’accordent sur l’origine des phénomènes volcaniques, qu’ils attribuent l’un et l’autre, et à juste raison, à l’expansion des fluides élastiques emprisonnés dans les profondeurs de la terre. D’après Ovide, il y aurait eu un simple gonflement du sol ayant l’apparence d’une vaste ampoule ; aucune émission de laves, aucune projection de cendres, aucune apparition de flammes ne sont signalées par lui. D’après Strabon au contraire, outre la formation d’un cône volcanique très élevé, il y aurait eu d’abondans dégagemens de gaz sulfurés, une élévation de température considérable de la mer et un soulèvement d’énormes récifs. Or le cône de Kaméni-Pétra se présente à nous comme si l’éruption qui lui a donné naissance avait passé par deux phases distinctes correspondant plus particulièrement, la première à la description d’Ovide, la seconde à celle de Strabon. On voit en effet à l’inspection du lieu qu’au début des phénomènes une ouverture étroite du sol a dû donner issue à un flot de lave trachytique qui, s’accumulant sur l’orifice de sortie, y a formé un monticule dépourvu de cratère, dont la surface extérieure était déjà entièrement recouverte de blocs solidifiés, alors que tout l’intérieur était encore rempli par de la matière en fusion. Dans cet état, la colline volcanique de nouvelle formation devait offrir aux regards une configuration peu différente de celle qui est si minutieusement dépeinte dans les vers du poète latin ; mais cet état de choses n’a duré sans doute que peu de temps, une explosion terrible a eu lieu, toute la partie centrale de l’éminence a été brusquement projetée ; les parties latérales ont été refoulées et renversées vers l’extérieur, comme si l’ampoule décrite par Ovide avait subitement éclaté en donnant issue aux gaz et aux matières volatiles, qui se sont ensuite échappées en abondance, comme le rapporte Strabon. La source sulfureuse du nord de la presqu’île reste aujourd’hui comme un dernier témoin des émanations sulfureuses dont parle ce dernier, et les écueils dont il raconte le soulèvement se dressent encore de nos jours au-dessus des flots de la mer. Le seul reproche que l’on puisse adresser au récit du poète, c’est d’être incomplet, et quant au géographe, sa description, quoique très concise, ne laisserait rien à désirer, s’il n’avait donné au cône de Méthana une hauteur double de celle que fournissent des mesures exactes, et surtout s’il n’avait énoncé cette singulière idée, que les vapeurs du volcan changeaient d’odeur, suivant qu’elles étaient émises le jour ou la nuit[7].
L’observation du cratère de Kaméni-Pétra conduit encore à d’autres considérations. Les laves qui en constituent la paroi diffèrent beaucoup sous le rapport de la composition chimique de celles qui ont été vomies à peu près dans le même temps par le Vésuve et l’Etna. Elles sont surtout beaucoup plus riches en silice et moins ferrugineuses. Un seul et même bain de matières fondues ne peut donc avoir alimenté à la fois les volcans de l’Italie et ceux de la Grèce, et il est impossible d’admettre une continuité parfaite dans tous les points de la nappe incandescente qui repose au-dessous de l’écorce terrestre. La matière en fusion ne forme donc une mer de feu continue que dans les parties les plus profondes ; il existe dans la zone superficielle une série de canaux séparés par des intervalles solides. L’enveloppe rigide du globe terrestre présente ainsi sur la face interne des vallées et des montagnes comme celles qui rident la surface extérieure, et de larges saillies isolent plus ou moins complètement les diverses parties du liquide embrasé.
On doit encore noter que la lave de Kaméni-Pétra est identique à celle des hautes cimes de Méthana, malgré les milliers d’années et peut-être de siècles écoulés dans l’intervalle de temps qui sépare les époques où elles ont apparu à la surface du sol. Les roches de Santorin donnent lieu à une remarque semblable : la matière des anciennes coulées de l’île, qui sont bien antérieures aux temps historiques, est chimiquement presque identique à celle des roches de l’intérieur de la baie, dont la naissance est pour ainsi dire toute récente. La lave de 1866, celle de Néa-Kaméni émise de 1707 à 1712, celle de 1573, qui constitue Micra-Kaméni, et celle qui, 196 ans avant Jésus-Christ, a engendré Palæa-Kaméni, enfin les roches anciennes de Santorin, contemporaines des derniers âges géologiques, ne présentent entre elles aucune différence essentielle sous le rapport de la composition. Ainsi donc à Santorin, de même qu’à Méthana, le bain incandescent d’où provient la matière des éruptions successives n’a pas sensiblement changé depuis une époque fort reculée. Les laves des volcans de l’Italie au contraire ont éprouvé avec le temps des variations notables dans les proportions des principes qui les constituent. Qu’en faut-il conclure, sinon que ces volcans ont vieilli, que le foyer qui les alimente devient de plus en plus profond, tandis que ceux de Grèce semblent toujours puiser leurs laves dans le même réservoir ?
Après Santorin, l’endroit de l’archipel le plus remarquable au point de vue des phénomènes volcaniques est certainement l’île de Milo. Des éruptions anté-historiques y ont rejeté des flots, de matière fondue qui s’y sont solidifiés et y forment aujourd’hui de hautes collines. Depuis cette époque jusqu’à nos jours, sans aucune interruption, le sol y a été constamment traversé par des gaz et des vapeurs de nature diverse. Le soufre, l’alun, le gypse engendrés par ces émanations s’y rencontrent en dépôts abondans, et y constituent encore, comme au temps des anciens Grecs, une importante source de richesse.
La forme générale de l’île de Milo est celle d’un fer à cheval. Les deux extrémités recourbées se rapprochent l’une de l’autre et se dirigent également vers le nord. L’une de ces deux pointes, celle qui est le plus à l’est, est surmontée par une éminence qui porte la ville moderne, et au sommet de laquelle s’élève un ancien château vénitien nommé Kastron. Du haut de cette antique forteresse, on découvre l’île presque tout entière avec sa ceinture de montagnes volcaniques et la magnifique baie qui y forme une large et profonde échancrure. Le plan de Santorin et celui de Milo se ressemblent beaucoup, et cependant le relief de ces deux îles est très différent. Dans la première, le sol est taillé à pic vers l’intérieur de la baie et descend en pente douce de l’autre côté ; dans la seconde, on observe justement l’inverse, les escarpemens rapides sont sur le contour extérieur de l’île, et la baie, d’oui la profondeur va en augmentant peu à peu des bords au centre, est entourée presque partout d’un rivage très doucement incliné. Tandis que la rade de Santorin forme une sorte d’abîme sans fond où il est impossible de jeter l’ancre, si ce n’est en quelques points très limités, celle de Milo constitue un excellent lieu de mouillage pour les navires ; une flotte entière pourrait y stationner. C’est un des points de la Méditerranée où les-bâtimens de guerre viennent relâcher de préférence.
Le Kastron est une réunion de maisons entassées les unes sur les autres et appuyées sur un épais mur d’enceinte. Des ruelles tortueuses circulent au milieu des habitations à moitié ruinées. C’est là qu’on se réfugiait autrefois à chaque incursion des pirates. La roche qui forme l’éminence est une lave trachytique semblable à celle de Méthana. Elle doit son origine à rémission en ce point d’un énorme jet de matière ignée sorti des entrailles de la terre à l’état de demi-fusion, et qui, au lieu de s’étendre en nappes horizontales, s’est élevé sous l’apparence d’un amas conique, et a conservé cette forme après entière solidification. À l’époque où le dépôt du terrain tertiaire pliocène se faisait au fond des mers, cette butte, alors d’origine toute récente, constituait une île ; des huîtres et d’autres mollusques venaient se fixer contre les rochers à peine refroidis, et y vivaient malgré les émanations acides qui se produisaient sans cesse à peu de distance. Plus tard, des mouvemens considérables du sol y ont eu lieu, et ont soulevé à 180 mètres au-dessus du niveau de la mer les bancs calcaires déposés au fond de l’eau et remplis de fossiles marins qui entourent aujourd’hui la colline où s’élève le Kastron. Tout autour de celle-ci, des coulées de trachyte se sont répandues dans différentes directions sur une grande longueur. Tantôt la roche qui les forme est entièrement composée de gros cristaux qui brillent d’un vif éclat aux rayons du soleil, tantôt elle a l’apparence d’un verre noir homogène, et constitue ce que les minéralogistes ont appelé de l’obsidienne. Il semble que la matière fondue ait subi dans ce cas un brusque refroidissement, et qu’elle se soit solidifiée avant d’avoir eu le temps de prendre une structure cristalline. Près de l’entrée du port, ce genre de lave présente une grande épaisseur et jonche le sol de ses fragmens, qui sonnent sous les pas comme des débris de verrerie. On remarque en outre plusieurs excavations d’où s’échappent des torrens d’acide carbonique. On a creusé ces cavités, il y a quelques années, pour y exploiter le soufre contenu dans le sol ; mais les galeries avaient à peine atteint quelques mètres de profondeur, lorsque l’abondance des gaz délétères força d’interrompre le travail. Le gisement de soufre en ce point n’était pas assez riche pour couvrir les frais que nécessiterait une ventilation suffisamment énergique, et l’exploitation a été abandonnée. À peu de distance, au milieu même des champs cultivés, les émanations sont bien plus actives encore. Le soi est brûlant, le moindre trou que l’on creuse se remplit immédiatement d’acide carbonique ; partout on sent l’odeur désagréable de l’hydrogène sulfuré, et l’on marche au travers d’un nuage épais de vapeur d’eau.
Plus loin, au sud-est, se trouvant les falaises de Kalamo, étudiées et décrites avec soin par les différens géologues qui ont visité Milo. Elles tombent à pic sur la mer à une hauteur de 120 mètres, tandis qu’elles s’abaissent du côté de la terre par une pente insensible. Elles sont principalement formées par une masse de trachyte comme la butte du Kastron. Au sommet, des vapeurs acides se dégagent de toutes parts ; la roche qu’elles imprègnent est profondément altérée et transformée en une sorte d’argile blanchâtre. Des cristaux de soufre allongés comme de fines aiguilles couvrent la surface de la terre, et à quelques centimètres de profondeur la chaleur est intolérable. Tous ces phénomènes ne sont rien pourtant, comparés à ceux dont le même lieu a été autrefois le théâtre. Pendant l’une des dernières époques géologiques et probablement durant un temps très long, cette partie de Tîle a possédé des sources d’eau bouillante tenant en dissolution de la silice, c’est-à-dire la substance minérale qui compose le grès de nos pavés et les pierres à fusil. En se refroidissant, l’eau abandonnait cette silice sous la forme d’un dépôt gélatineux qui, traversé par des bulles de gaz et de vapeur, prenait une texture spongieuse. Plus tard, cette matière a pris de la consistance, et tout en conservant sa structure caverneuse, s’est transformée en une pierre d’une excessive dureté. Milo a donc possédé autrefois des geysers comme ceux qui existent encore aujourd’hui en Islande, car ces phénomènes sont exactement ceux qui se produisent dans les environs de l’Hécla. À Kalamo, une gerbe d’eau bouillante jaillissait du sol, et cette eau abandonnait en retombant un dépôt qui forme aujourd’hui une crête élevée à la partie culminante du mont. La roche siliceuse ainsi formée est employée, à cause de la grande dureté et de la structure aréolaire qu’elle présente, à la fabrication des meules, aussi lui donne-t-on le nom de meulière comme à une pierre des environs de Paris qui offre les mêmes propriétés, la même composition, et qui est employée aux mêmes usages.
Pendant que l’eau chargée de silice sortait ainsi à flots par les fentes du terrain et déposait de puissans amas gélatineux, elle imbibait aussi le trachyte, et y abandonnait sous la forme de petits grains vitreux la matière qu’elle tenait en dissolution. Or cette matière, l’eau l’avait empruntée dans les profondeurs du sol au trachyte lui-même ; elle a donc ainsi servi de véhicule à la silice qu’elle a transportée jusqu’à la surface, appauvrissant les masses trachytiques inférieures et enrichissant celles qui avaient été antérieurement rejetées au dehors et s’y étaient solidifiées[8].
Non loin de là, des dégagemens d’acide carbonique, évidemment d’origine ignée, sont accompagnés d’un suintement d’eaux salées et froides qui ont formé des marais délétères, et ont suffi pour imprimer à la région qui en est le siège un caractère de désolation vraiment saisissant. Au fond de la rade de Milo s’étend une plaine marécageuse où il est impossible de passer la nuit sans être atteint des fièvres intermittentes. Dans la partie la plus rapprochée des montagnes, qui est extrêmement fertile, on voit les ruines d’une grande ville, Zéphyria, qui a été autrefois très florissante. Il y a trois cents ans on y comptait, dit-on, quarante mille habitans. On y voyait trente-huit églises grecques ou catholiques, un grand nombre de monastères et beaucoup de demeures particulières somptueuses. Depuis lors, peu à peu les fièvres paludéennes ont décimé la population, et les maisons sont devenues désertes sans que les habitans aient songé à quitter cette localité malsaine, ou à entreprendre quelque travail d’art pour faire cesser le fléau. Il y a vingt ans, il s’y trouvait encore environ deux cents habitans qui tous, languissans et malades, y vivaient misérablement. Leur situation éveilla l’attention du gouvernement grec, qui fit tous les efforts possibles pour les arracher à une mort certaine ; mais ce fut en vain qu’on leur offrit des secours de toute espèce, les propositions qu’on leur fit échouèrent contre le plus aveugle fatalisme. À toutes les instances ils répondaient que leur sort était entre les mains de Dieu, et qu’ils se soumettaient avec résignation aux décrets de sa providence. Ces pauvres gens restèrent donc dans ce foyer pestilentiel. Le dernier d’entre eux est mort pendant la durée de mon séjour à Milo.
Dans une de mes excursions, j’ai parcouru les rues silencieuses de la cité déserte. La plupart des maisons sont renversées, les toits sont effondrés. Les habitans d’Adamantos, ville bâtie dans le voisinage à la fin de la guerre de l’indépendance par des réfugiés de Candie, viennent chaque jour fouiller au milieu des décombres pour se procurer des matériaux de construction. La ville de Zéphyria est pour eux une grande carrière de pierres taillées ; ils emportent ces débris non-seulement pour s’en servir eux-mêmes, mais encore pour les vendre. On les transporte dans tout l’Archipel et jusqu’à Constantinople même. La principale église est encore assez bien conservée, ainsi que quelques maisons voisines, qui ont été habitées par les derniers survivans ; mais dans un avenir prochain tout cela ne formera plus qu’un amas de ruines. Il ne restera de la cité que des palmiers plantés il y a plusieurs siècles, qui balancent dans les airs leur panache verdoyant et végètent avec vigueur dans les jardins en friche.
Au sortir de la ville, à mesure que l’on descend vers la mer, on voit la plaine perdre sa fertilité, et à 2 kilomètres environ du fond de la baie on n’aperçoit qu’une surface dénudée, semée à rares intervalles d’épaisses touffes de jonc. C’est là le foyer d’infection d’où s’échappent les miasmes qui ont été si funestes aux habitans de Zéphyria. L’humidité y est entretenue par des sources salées et froides qu’on y rencontre à chaque pas, et dont chacune a pour orifice une petite cavité circulaire isolée. Ces sources très peu abondantes ne fournissent qu’une sorte de suintement d’une eau bourbeuse au milieu de laquelle des bulles d’acide carbonique se dégagent continuellement. Plus près du bord de la mer, l’eau salée, jaillissant sur plusieurs points en grande quantité, forme un large ruisseau qui coule lentement vers la baie. Le dégagement d’acide carbonique y est encore très considérable, et la température s’y élève à 38 degrés. Pendant l’été, on conduit cette eau chaude et salée dans de larges bassins peu profonds où elle s’évapore rapidement aux rayons du soleil, et fournit ainsi la majeure partie du sel consommé en Grèce.
Aux alentours de cette plaine marécageuse s’élève un cercle de collines où l’on trouve une foule de points remarquables soit par la température élevée, soit par la nature des émanations qu’on y observe. En plusieurs endroits, il existe des grottes dont les parois sont tapissées par des cristallisations de gypse et d’alun délicates et soyeuses comme le plus fin duvet. Ce sont généralement d’anciennes exploitations d’alun abandonnées depuis longtemps. Souvent on n’y peut entrer qu’en rampant. Lorsqu’on pénètre jusqu’au fond, on s’y trouve ordinairement plongé dans une atmosphère d’une chaleur accablante, où l’on respire avec peine, bien que l’air y soit quelquefois assez pur. Les excavations dont il faut le plus se défier sont celles dont la température est la plus basse, car presque toujours le fond en est rempli par une couche d’acide carbonique, et il est rare qu’on n’y trouve pas quelque animal asphyxié. L’acide carbonique se dégage également avec une grande abondance en beaucoup de points où la température est fort élevée, mais alors il est toujours accompagné d’hydrogène sulfuré dont l’odeur fétide avertit du danger. Ce dernier gaz, se décomposant au contact de l’air, dépose en outre des cristaux de soufre qui forment une auréole jaunâtre facile à apercevoir autour du lieu du dégagement. Il est probable que le soufre que l’on trouve dans certains terrains de l’île provient de la décomposition séculaire des vapeurs suif hydriques traversant un sol poreux où pénétrait l’air extérieur. Quoi qu’il en soit, le soufre est en très grande abondance à Milo, et a donné lieu dès l’antiquité à une industrie active.
Il est impossible de dire quels indices guidaient les anciens dans leurs recherches ; ce qui est certain, c’est qu’ils y ont fait preuve d’une perspicacité merveilleuse. Aujourd’hui encore, lorsqu’on ouvre une carrière, ou est à peu près sûr que l’opération sera fructueuse quand on trouve quelque galerie creusée par eux, et toujours on fait un travail ruineux dans le cas contraire. Les deux principales carrières de soufre, celle de Stakistra et celle de Firlingo, l’une à l’est, l’autre à l’ouest du mont Kalamo, portent ainsi la trace de leurs travaux. Toutes les deux sont ouvertes sur le bord de la mer, dans de hautes falaises, d’un trachyte tellement altéré qu’il est presque méconnaissable. Il a perdu sa couleur foncée et sa texture cristalline ; il s’est désagrégé et transformé en une matière poreuse d’une blancheur telle que, quand les rayons du soleil l’éclairent directement, on a peine à en supporter l’éclat. Les anciens avaient attaqué ces falaises par des galeries couvertes ; les modernes, qui ont depuis quelques années seulement repris l’exploitation, ont été obligés, faute de madriers pour les écha- faudages et les étais, d’adopter le procédé plus imparfait des galeries à ciel ouvert. On creuse encore aujourd’hui quelques rares conduits souterrains pour sonder le sol, mais ces galeries sont toujours fort peu profondes.
À Firlingo par exemple, la plus étendue n’a guère que 50 mètres de longueur. Au fond, la température est de 40 degrés. Le soufre imprègne toutes les parties de la roche, et y forme souvent des veines jaunâtres ou de petits amas cristallins. Pour l’en extraire, on entasse régulièrement les blocs tirés de la carrière dans des espèces de cuves en maçonnerie découvertes par le haut, en ayant soin qu’il reste entre eux des intervalles pour le passage de l’air ; puis on met le feu à chacun de ces tas. Une partie du soufre brûle, le reste entre en fusion et coule au fond de la cuve, dont le sol est incliné. Au bas de la partie déclive se trouve un trou qu’on débouche à la fin de l’opération, et par lequel la matière fondue s’écoule au dehors dans des moules. Dans ce mode de traitement, une partie notable du soufre se trouve brûlée et par conséquent perdue ; mais la rareté du bois et la cherté de la houille empêchent d’employer tout autre moyen. Dans les soufrières de Sicile, et pour la même raison, en emploie la même méthode.
Les anciens opéraient dans d’autres conditions, car autrefois l’île de Milo paraît avoir été très boisée ; aussi le procédé qu’ils employaient pour l’extraction du soufre était-il tout différent. Ils chargeaient la roche brute dans de grands vases de terre cuite placés dans l’intérieur d’un fourneau et communiquant par la partie supérieure avec d’autres vases de même forme disposés au dehors sur une ligne parallèle. Le fourneau était chauffé au bois. Le soufre fondu et volatilisé dans les vases de l’intérieur allait se condenser dans ceux qui étaient rangés extérieurement. C’est au pied même du mont Kalamo, vers l’est, que se trouve le lieu de la principale exploitation de soufre entreprise dans l’antiquité. Il existe là un vaste espace circulaire bordé par une enceinte de collines, au milieu duquel s’élève une série de monticules isolés, séparés par des gorges étroites et profondes. Or ces monticules ne sont pas autre chose que des amas de résidus de l’extraction du soufre. On y voit à chaque pas des fragmens de poterie et des débris très reconnaissables des vases dans lesquels on faisait cette opération ; L’abondance de ces débris donne une haute idée du commerce étendu et de l’industrie des anciens habitans de Milo.
On peut dire d’une façon générale que toutes les falaises qui bordent la côte orientale de l’île forment une suite à peine interrompue de gisemens de soufre, dont la plupart sont délaissés. Près du rivage, en un grand nombre de points, la température de la mer s’élève jusqu’à 70 et 80 degrés, et l’eau est troublée et blanchie par la décomposition de l’acide sulfhydrique. Des meulières semblables à celles de Kalamo se montrent également sur cette plage accidentée. Ici elles constituent un cap qui s’avance comme une sorte de môle au-devant du petit port d’Apollonia, là elles se dressent sur les flancs d’un ravin sinueux qui s’allonge perpendiculairement au rivage. Celles-ci sont l’objet d’une exploitation importante. De chaque côté du défilé s’ouvrent des galeries profondes qui aboutissent à de vastes chambres creusées dans la roche. Les blocs, rompus et détachés à l’aide de la mine, sont taillés sur place, puis embarqués et transportés dans tous les pays qui avoisinent la Méditerranée et la Mer-Noire. Enfin le trachyte parfaitement inaltéré apparaît encore en quelques points. Près du ravin des meulières, plusieurs sommets élevés sont composés d’un trachyte grisâtre qui, sort du sein de la terre à l’état de fusion, a subi un retrait considérable, s’est fendillé en passant à l’état solide, et se montre aujourd’hui divisé en minces feuillets comme une roche schisteuse d’origine sédimentaire. Un peu plus loin, à la pointe nord-est de l’île, la même roche, par l’effet d’une cause semblable, se présente sous l’apparence de prismes étroits, très allongés, serrés les uns contre les autres comme les tuyaux d’un jeu d’orgue. Ces longues files de baguettes prismatiques, qui ont plus de 100 mètres de hauteur, affectent la même régularité que les colonnades de basalte, tout en ayant une composition chimique bien différente.
Quant à la partie occidentale de l’île, elle est déserte. La population est concentrée aux alentours du Kastron. Il en était de même dans l’antiquité : c’est en effet au pied de la colline qui porte le Kastron que s’élevait l’ancienne cité grecque, dont il reste encore d’imposans débris, et dans les ruines de laquelle on a découvert en 1820 la célèbre statue de Vénus que l’on regarde à juste titre comme un des plus beaux chefs-d’œuvre de la sculpture grecque qui soit parvenu jusqu’à nous. Les murs du temple qui la renfermait sont encore en grande partie conservés. Elle a été trouvée au milieu des décombres, debout sur un piédestal qui a été perdu depuis. Le corps était intact ; les bras seuls, détachés et brisés par la chute des blocs de trachyte qui composaient la voûte de l’édifice, gisaient à terre en plusieurs fragmens. Au-devant se trouvaient deux Hermès et un amas de mains, de pieds et d’autres objets semblables en marbre ou en terre cuite. Ils avaient été déposés à terre devant l’image de la déesse ou suspendus aux murs du temple comme des ex-voto. Une inscription gravée sur le soubassement indiquait qu’elle était d’un artiste obscur né à Antioche. Elle a été faite à une époque où la sculpture grecque était déjà en décadence, puisque la fondation d’Antioche est postérieure à la mort d’Alexandre. Elle nous serait parvenue presque entière, s’il n’y avait pas eu, au moment de la transporter sur le navire qui devait l’amener, une lutte pleine de péripéties entre les marins français chargés de l’embarquement et l’équipage d’un bateau turc envoyé de Constantinople. C’est à ce moment que plusieurs fragmens des bras ont été perdus et le dos de la statue raclé sur les cailloux de la route qui conduit au port. Depuis lors, l’ancien consul de Milo, M. Brest, auquel on doit l’acquisition du précieux chef-d’œuvre, a fait sonder et fouiller toute la rade pour retrouver les parties des bras qui y avaient été jetées. Toutes les recherches entreprises ont été inutiles On possède au musée du Louvre un fragment de l’avant-bras droit, la main gauche tenant une pomme que la déesse présentait avec un geste de triomphe, enfin un morceau du bras droit contracté de manière à indiquer la flexion de l’avant-bras sur le bras. Ces débris permettent de se faire une idée fort exacte de la pose de la statue. Le temple où elle a été découverte, ainsi que les édifices voisins, paraissent être beaucoup plus anciens qu’elle, et se rattachent à une période de l’art bien plus reculée. Les blocs irréguliers de trachyte qui ont servi à les bâtir sont taillés avec une grande perfection, de manière à s’emboîter exactement les uns dans les autres. Ces monumens représentent le passage entre les constructions cyclopéennes et celles de l’époque la plus brillante de l’architecture grecque.
Dans certaines îles de la Grèce renommées autrefois, comme Chypre ou Cythère, pour la beauté des sites, la douceur du climat ou la fertilité du sol, il n’est pas étonnant que la déesse de l’amour ait été honorée d’une façon toute spéciale ; on pourrait au contraire être surpris de voir ce culte établi sur le sol volcanique de Milo, au milieu de noirs rochers de trachyte et d’amas de meulière que traversent à chaque pas des vapeurs brûlantes et des émanations fétides. Peut-être cependant ces dégagemens gazeux fournissent-ils précisément l’explication de la présence de temples de Vénus. Les eaux et les vapeurs sulfureuses sont, comme on sait, un des agens thérapeutiques les plus énergiques contre les maladies de la peau, si fatales à la beauté physique. Qu’y aurait-il d’étonnant à voir les Grecs attribuer à la puissance de Vénus les guérisons dues à ces eaux, mettre les sources qui les fournissent sous l’invocation de la déesse et lui élever des autels aux abords ? Ceci n’est pas une simple hypothèse. En Sicile, partout où l’on rencontre des eaux thermales chargées d’hydrogène sulfuré, on est presque certain de trouver en même temps une chapelle consacrée à une sainte nommée suivant les localités Venerea, Venera ou Venerina. L’étymologie de ces noms est évidente, et les ex-voto suspendus le long des murs de ces chapelles ne diffèrent en rien de ceux qui ont été trouvés dans le temple de la Vénus de Milo. Ce sont là sans doute d’anciens temples païens transformés par le christianisme. Souvenons-nous du reste que dans l’antiquité le soufre était dédié à Vénus tout aussi bien que le cuivre, le myrte, la rose ou la colombe, et ne nous étonnons plus que les habitans de Milo, guéris par les sources sulfureuses, enrichis par l’exploitation des soufrières, aient professé pour la déesse une vénération particulière. Nous voici bien loin des questions géologiques ; mais j’espère qu’on excusera cette digression en faveur de ces relations inattendues entre le culte de Vénus et les phénomènes volcaniques et en se rappelant l’étrange hymen de Vénus et de Vulcain,
Géologiquement, la partie occidentale de Milo n’offre aujourd’hui aucun des signes de vitalité volcanique que l’on observe si fréquemment dans la zone de l’est. Près de l’entrée du port seulement, on trouve encore de ce côté dans la mer, à quelques mètres du rivage, un dégagement d’acide carbonique assez abondant. Les bulles se suivent rapidement, et l’eau bouillonne comme si elle était réellement portée à la température de l’ébullition. Cependant, les feux souterrains y ont autrefois fait sentir leur action avec une grande énergie. Des montagnes de lave en fusion y ont été vomies, l’eau bouillante chargée de silice y a produit d’énormes dépôts de meulières qui s’élèvent maintenant sous la forme d’éminences escarpées ; des émanations sulfureuses y ont transformé les calcaires en pierres à plâtre et donné naissance à des amas de gypse assez importans pour que le gouvernement grec se soit réservé le monopole des carrières où on les rencontre ; enfin les roches sédimentaires qui constituaient le sol avant cette époque ont été rompues, redressées, renversées, donnant issue à l’expansion des forces volcaniques. Quelques lambeaux de ces assises d’origine aqueuse ont été soulevés à, des hauteurs de cinq ou six cents mètres ; des polypiers et des mollusques nés au fond des mers se sont ainsi trouvés portés presque dans la région des nuages.
La nature de ces débris organiques permet d’en déterminer l’âge dans la série des temps géologiques ; tous appartiennent à l’époque tertiaire pliocène. La disposition qu’ils affectent, l’épaisseur des couches qui les contiennent montrent en outre qu’ils ont mis à se déposer au fond des mers un laps de temps considérable. C’est dans cet intervalle que le sol de l’île a été bouleversé et remanié à mainte et mainte reprise par les éruptions volcaniques. Les trachytes en fusion sont sortis des entrailles de la terre dès le début de la période, et ont formé en certains endroits, notamment au nord de Milo, des buttes autour desquelles les matières sédimentaires ont continué de se déposer. Dans la partie orientale de l’île, les éruptions ne se sont faites que plus tard, et enfin, vers le sud, quand les masses trachytiques sont sorties à la surface, elles ont rencontré les roches fossilifères déjà stratifiées, les ont brisées et soulevées. C’est à la même époque qu’ont commencé de se produire les diverses émanations gazeuses qui depuis lors ont été en diminuant sans cesse, et qui nous présentent maintenant une image très affaiblie de ce qu’elles ont été au début. À la place de puissans geysers lançant des flots d’eau bouillante et abandonnant des aimas de silice, à la place d’énormes jets de vapeurs sulfureuses, qui décomposaient les trachytes et transformaient les calcaires, nous n’avons plus à présent que des dégagemens d’acide carbonique mélangé d’une faible proportion d’hydrogène sulfuré. Nous assistons à une dernière phase d’activité éruptive, qui durera probablement encore bien des siècles.
Quand on rapproche l’état actuel de Milo de ce que nous font connaître les descriptions détaillées des savans qui ont visité et étudié l’île il y a quelques années, on voit que l’éruption de Santorin n’a exercé jusqu’à présent aucune influence sensible sur les phénomènes qui s’y produisent. Les principaux centres volcaniques de la Grèce, bien qu’alignés dans une même direction qui vient rencontrer la cratère de Santorin et séparés de celui-ci par une assez faible distance, n’ont pas ressenti le contre-coup de la poussée souterraine qui depuis plusieurs mois y agit avec tant d’intensité. Ils présentent dans leurs manifestations les uns par rapport aux autres une certaine indépendance qu’il était impossible de prévoir. Ils oui dans les profondeurs de la terre des foyers actuellement distincts, bien qu’ils aient été engendrés par l’ouverture d’une même fente de l’écorce terrestre, et que dans l’origine ils aient été certainement en communication facile. Les observations faites à Sousaki, à Méthana et à Milo s’accordent ainsi pour prouver l’isolement souterrain de ces trois points et l’obstruction presque complète du sillon auquel ils doivent leur commune origine.
F. FOUQUÉ.
- ↑ Voyez la Revue du 15 août 1866.
- ↑ Voyez la Revue du 15 août 1866.
- ↑ On donne ce nom à des roches engendrées au sein de l’eau, mais transformées ensuite par l’action de la chaleur centrale et le voisinage de quelque évent volcanique.
- ↑ On appelle période tertiaire pliocène le temps écoulé pendant la formation de l’étage le plus récent du terrain tertiaire.
- ↑ Je suis loin de regarder la magnésie comme la cause exclusive de ces deux maladies ; mais, parmi les nombreuses causes invoquées, celle-ci me paraît la plus incontestable.
- ↑
Est prope Pitheam tumulus Trœzena, sine ullis
Arduus arboribus, quondam planissima campi
Avea, nunc tumulus : nam, res horrenda relatu,
Vis fera ventorum, cæcis inclusa cavernis,
Exspirare aliqua cupiens, luctataque frustra
Liberiore frui cœlo, quum carcere rima
Nulla foret toto, nec pervia flatibus esset,
Extentam tumefecit humuni ; ceu spiritus oris
Tendere vesicam solet, aut direpta bicorni
Terga capro. Tumor ille loci permansit, et alti
Collis habet speciem, longoque induruit sevo.
(Ovide, Métamorphoses, livre XV.) - ↑ Les différentes éruptions qui ont eu lieu dans la baie de Santorin depuis le commencement des temps historiques présentent toutes une certaine ressemblance avec celle de Méthana.
Il existe à Palæa-Kaméni de puissantes masses trachytiques sans cratère apparent. Ces masses compactes, situées principalement à la partie méridionale de l’île, ont été formées presque certainement sans dépasser ce que j’ai regardé comme caractérisant une première phase éruptive.
Le cratère de Micra Kaméni est formé, comme celui de Kaméni-Pétra, par des bancs de lave compacte et non par des projections meubles. On ne possède malheureusement aucun document écrit sur la manière dont il a été formé. Pendant la formation de l’île de Néa-Kaméni, de 1707 à 1712, on a observé deux phases volcaniques distinctes qui se sont succédé l’une à l’autre comme celles qui, dans mon opinion, ont présidé à la production du cône de Méthana. Du 25 mai 1707 au 17 juillet de la même année, des amas de lave plus ou moins volumineux se sont soulevés sans rupture apparente du sol ; c’est le 17 juillet seulement, après une violente explosion, qu’il s’y est établi un cratère largement ouvert, lequel a fini par s’élever de 105 mètres au-dessus du niveau de la mer. Composé en grande partie de matières meubles, il n’offre, il est vrai, aucune ressemblance extérieure avec le cratère de Kaméni-Pétra ; mais nous devons remarquer que, si ce dernier avait fourni des projections abondantes et prolongées comme lui, il aurait certainement pris le même aspect.
Enfin cette année, l’ilot principal, celui que l’on a appelé George, ayant commencé à paraître au début de l’éruption dans les premiers jours de février, s’est présenté pendant six mois sous l’apparence d’une éminence conique sans ouverture considérable. Les projections et les dégagemens de gaz avaient lieu seulement par d’étroites crevasses. Il y a quelques semaines seulement qu’on y observe un véritable cratère creusé subitement à la suite d’une violente explosion qui en a projeté toute la partie centrale. La première période éruptive y est accomplie, la seconde vient de commencer. - ↑ Ces remarquables phénomènes ont été reproduits artificiellement dans le laboratoire. En chauffant à la température du rouge sombre des tubes de verre contenant de l’eau et placés dans des canons de fusil hermétiquement fermés, on trouve qu’au bout d’un certain temps l’eau enlève une partie de la silice qui entrait dans la composition du verre, et l’abandonne ensuite sous forme de petits cristaux. L’expérience réussit de même quand on fait agir l’eau surchauffée sur de l’obsidienne. (Expériences de M. Daubrée.)